Cass. com., 24 novembre 2015, n° 14-19.678
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Compagnie française de loueurs de skis (SA), Compagnie de loueurs de skis (SA)
Défendeur :
Blanchard (ès. qual.) , Favre Sports (Sté), Favre Sports Logistique (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Orsini
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Ortscheidt, SCP Lévis
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par les sociétés Compagnie française de loueurs de skis et Compagnie de loueurs de skis que sur le pourvoi incident relevé par M. Blanchard, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Favre sports, et par la société Favre sports logistique ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 avril 2014), que la société Compagnie française des loueurs de skis (la société CFLS) exploite la marque " Skiset - La Compagnie des loueurs de skis ", dont est propriétaire la société Compagnie des loueurs de skis (la société CLS), et anime un réseau de sociétés qui louent du matériel de ski sous cette enseigne, se fournissent chez les fabricants référencés par elle et bénéficient d'une exclusivité sur un territoire et de la clientèle de voyagistes avec lesquels elle a noué des accords commerciaux ; que les sociétés Point service et LPF, aux droits desquelles est venue la société Favre Sports, ont signé, en juin 1995, un " contrat d'adhésion " avec la société CFLS ; qu'estimant que la société Favre Sports, dont la filiale, la société Favre Sports Logistique (la société FSL), avait développé son propre réseau commercial sous la marque Ski Republic, avait, ainsi, créé une situation de concurrence incompatible avec le " contrat d'adhésion " et avec son règlement intérieur, la société CFLS a convoqué une assemblée générale extraordinaire, le 10 janvier 2008, qui a décidé de l'exclusion de la société Favre Sports du réseau avec effet immédiat et l'a mise en demeure de cesser, au plus tard le 18 janvier 2008, toute utilisation, exploitation ou référence au réseau Skiset ; que la société Favre Sports a assigné la société CFLS en paiement de prestations réalisées et de dommages-intérêts pour rupture brutale et abusive d'une relation commerciale établie ; que la société FSL est intervenue volontairement à l'instance, demandant réparation de son préjudice au même titre ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que les sociétés CFLS et CLS font grief à l'arrêt de condamner la première à payer à M. Blanchard, ès. qual, des dommages-intérêts au titre du préavis non exécuté alors, selon le moyen : 1°) que les manquements graves d'une partie à ses obligations justifient qu'il soit mis un terme sans préavis à des relations commerciales établies ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'article 2 paragraphe 5° du règlement intérieur de la société CFLS exige l'admission par la société CFLS de tout nouveau magasin ou entreprise, propriété ou dirigé par un adhérent associé ; qu'ainsi, en ne retenant pas la violation, par la société Favre Sports, de l'article 2 paragraphe 5° du règlement intérieur sur la seule considération que la société CFLS aurait toléré l'exploitation par ses adhérents associés de marques et/ou enseignes concurrentes, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; 2°) que les manquements graves d'une partie à ses obligations justifient qu'il soit mis un terme sans préavis à des relations commerciales établies ; qu'ainsi, en considérant que la société Favre Sports aurait été fondée à bénéficier d'un préavis conforme aux usages professionnels, après avoir constaté que cette dernière avait méconnu les obligations résultant de l'article 2 paragraphe 5° du règlement intérieur de la société CFLS imposant l'admission de tout nouveau magasin ou entreprise propriété ou dirigé par un adhérent, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; 3°) que les manquements graves d'une partie à ses obligations justifient qu'il soit mis un terme sans préavis à des relations commerciales établies ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le règlement intérieur de la société CFLS admet l'exploitation par un adhérent d'une marque et/ou enseigne dont il est propriétaire ; qu'ainsi, en retenant, pour considérer que la société Favre Sports aurait été fondée à bénéficier d'un préavis conforme aux usages professionnels, que la société CFLS aurait toléré l'exploitation par ses adhérents de marques et/ou enseignes concurrentes, sans rechercher si cette prétendue tolérance ne concernait pas des marques et/ou enseignes propriété de ces adhérents dont l'exploitation était conforme au règlement intérieur de la société CFLS, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; 4°) que les manquements graves d'une partie à ses obligations justifient qu'il soit mis un terme sans préavis à des relations commerciales établies ; qu'en ne répondant pas au moyen soulevé par la société CFLS dans ses dernières conclusions, (p. 30 et 32), tiré de ce qu'elle était fondée à se prévaloir de l'article 16 paragraphe 4 du règlement intérieur, qui prévoit l'exclusion de tout adhérent qui a nui au réseau Skiset, dès lors que la société Favre Sports avait tenu des propos dénigrants à l'égard du réseau, la cour d'appel a violé l'article 455° du Code de procédure civile ; 5°) que les manquements graves d'une partie à ses obligations justifient qu'il soit mis un terme sans préavis à des relations commerciales établies ; qu'ainsi, en retenant, pour considérer que la société Favre Sports aurait été fondée à bénéficier d'un préavis conforme aux usages professionnels, que la société CFLS aurait toléré l'exploitation par ses adhérents d'enseignes ou marques concurrentes, sans constater que cette prétendue tolérance concernait l'exploitation de magasins à enseigne concurrente à proximité de magasins affiliés au réseau Skiset, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; 6°)que seul doit être indemnisé le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qui n'a pas été exécutée, non du chiffre d'affaires hors taxe durant cette période ; qu'en allouant à la société Favre Sports, " en réparation du préavis qui aurait dû lui être accordé ", la somme de 325 603,67 euro correspondant au montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé par la société CFLS avec la société Favre Sports au titre de la saison 2006-2007, la cour d'appel a violé les articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 7°) que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en considérant, d'une part, que " le montant du chiffre d'affaires réalisé ne saurait constituer la marge brute de la société Favre Sports " et, d'autre part, que " la marge brute correspond au chiffre d'affaires ", la cour d'appel s'est contredite, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que la société CFLS justifiait la rupture immédiate de ses relations avec la société Favre sports par le fait que cette dernière n'avait pas sollicité l'admission des magasins exploités sous l'enseigne Ski Republic, et ce, en violation de son règlement intérieur, l'arrêt relève que ce règlement prévoyait des dérogations, que la société CFLS avait toujours toléré l'exploitation, par ses adhérents, d'autres enseignes que la sienne sans remettre en cause de manière brutale leur qualité d'adhérent associé, les laissant ainsi développer des marques concurrentes, et qu'il n'était pas démontré que la société Favre Sports ait exploité la marque Ski Republic dans des conditions de concurrence différentes de celles qu'elle avait tolérées ; qu'en l'état de ces seules constatations et appréciations, faisant ressortir que le manquement reproché à la société Favre Sports n'était pas d'une gravité telle qu'il puisse justifier l'absence de préavis, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche invoquée à la troisième branche, qui n'était pas demandée, ni à répondre à l'allégation, non assortie d'offre de preuve, visée à la quatrième branche, a pu retenir que, si la situation créée par l'exploitation de la marque Ski Republic pouvait entraîner une mesure d'exclusion, elle ne justifiait pas une rupture immédiate de la relation commerciale établie entre la société CFLS et la société Favre Sports laquelle était, dès lors, fondée à bénéficier d'un préavis conforme aux usages professionnels ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant retenu, par des motifs non critiqués, que, s'agissant d'une activité de prestation de services consistant dans la location de skis, la marge brute correspondait au chiffre d'affaires hors taxes, la cour d'appel, abstraction faite de la contradiction dénoncée par la septième branche, qui procède d'une simple erreur matérielle, a indemnisé le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture ; d'où il suit que le moyen, inopérant en sa dernière branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Et sur le pourvoi incident : - Sur la recevabilité de ce pourvoi, contestée par les sociétés CFLS et CLS : - Attendu que les sociétés CFLS et CLS contestent la recevabilité du pourvoi incident en ce qu'il est relevé par la société FSL ; qu'elles font valoir que cette société n'a pas été attraite devant la Cour de cassation et que sa situation ne peut pas être affectée par le pourvoi principal ;
Mais attendu que le pourvoi principal est de nature à modifier les droits de la société FLS, filiale de la société Favre Sports, qui exploitait, au jour de la rupture, des magasins qui avaient été sous l'enseigne Skiset et que lui avait transférés la société Favre Sports ; que le pourvoi incident relevé par la société FLS est, dès lors, recevable ;
Sur le moyen unique de ce pourvoi : - Attendu que le liquidateur judiciaire de la société Favre Sports et la société FSL font grief à l'arrêt du rejet de la demande de la seconde pour rupture brutale et abusive d'une relation commerciale établie alors, selon le moyen : 1°) qu'en concluant à l'absence de relations commerciales stables et établies entre la société FSL et les sociétés CFLS et CLS, après avoir cependant constaté que " les relations commerciales initialement établies entre Favre Sports et CFLS ont été poursuivies entre FSL et CFLS ", qu'il n'était " pas contesté que la société FSL exploitait au jour de la rupture plus de dix magasins qui l'avaient été sous l'enseigne Skiset " ; que " des relations commerciales existaient entre FSL et CFLS ", que " la société FSL a exploité l'enseigne Skiset ", constatations dont il se déduisait l'existence de relations commerciales établies, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi l'article L. 442-6-5° du Code de commerce ; 2°) que, dans leurs conclusions d'appel, ils faisaient valoir que sur les quinze fonds de commerce du groupe Favre qui exploitaient l'enseigne Skiset, cinq appartenaient directement à Favre Sports et dix étaient exploités depuis plusieurs années par Favre Sports Logistique, filiale de Favre Sports, ce qu'avait accepté la société CFLS, ainsi que le justifiait le courrier adressé le 1er février 2008 par la société Skiset à l'ensemble des fournisseurs référencés aux termes duquel elle écrivait " comme vous l'avez probablement appris, notre assemblée générale extraordinaire réunie le 10 janvier dernier à Albertville a pris la lourde décision d'exclure sans délai le groupe Favre Sports du réseau Skiset ", le groupe Favre Sports s'entendant évidemment de la société Favre Sports et de la société FSL ; que pour conclure à l'absence de relations commerciales stables et établies entre la société FSL et les sociétés CFLS et CLS, la cour d'appel s'est bornée à constater que si elle n'a pas signé un contrat d'adhésion avec la société CFLS, il n'en demeure pas moins qu'elle a exploité l'enseigne Skiset mais qu'elle ne fournit aucune pièce, tels que bons de commande, factures, caractérisant des relations commerciales au cours de ces six mois, sans vérifier si la lettre du 1er février 2008 ne démontrait pas la reconnaissance de l'existence de relations commerciales établies entre FSL et les sociétés CFLS et CLS ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce ; 3°) que, dans leurs conclusions d'appel, ils faisaient valoir que sur les quinze fonds de commerce du Groupe Favre qui exploitaient l'enseigne Skiset, cinq appartenaient directement à Favre Sports et dix étaient exploités depuis plusieurs années par FSL sur les sites de Val-d'Isère (Etablissements le Solaise, Le Portillo et Grand Cocor), à Tignes (Etablissements le Chalet Club, Le Diva, le Borsat, le Val Claret, le Palafour le Lac, Lavachet et Les Brévières) et que les sociétés CFLS et CLS entretenaient depuis plusieurs années des relations commerciales établies avec la société FSL, ainsi que le révélait le décompte annexé au courrier officiel adressé par le conseil de CFLS et CLS, qui démontrait que sur les vingt-six factures visées dans le tableau récapitulatif établi par Skiset, treize d'entre elles concernaient les établissements appartenant à la société FSL (Snow Fun Borsat, Snow Fun Chalet Club, Snow Fun Diva) ; que pour conclure à l'absence de relations commerciales stables et établies entre la société FSL et les sociétés CFLS et CLS, la cour d'appel s'est bornée à constater que si elle n'a pas signé un contrat d'adhésion avec la société CFLS, il n'en demeure pas moins qu'elle a exploité l'enseigne Skiset mais qu'elle ne fournit aucune pièce, tels que bons de commande, factures, caractérisant des relations commerciales au cours de ces six mois, sans examiner ce décompte régulièrement versé aux débats par les demanderesses ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce ; 4°) qu'en s'abstenant de s'expliquer sur la valeur probante de l'attestation de l'expert-comptable, régulièrement produite aux débats, qui permettait d'identifier que pour les saisons 2006/2007 et 2007/2008, les règlements effectués par la société Skiset concernaient indistinctement les magasins appartenant à la société Favre Sports et à la société FSL (ex : Etablissement Chalet Club, Borsat, Palafour, p. 3), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce et de l'article 1315° du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel n'a pas adopté les motifs, contraires aux siens, par lesquels les premiers juges ont retenu que " les relations commerciales initialement établies entre Favre Sports et CFLS ont été poursuivies entre FSL et CFLS " et que " des relations commerciales existaient entre FSL et CFLS " ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que la société FLS exploitait, au jour de la rupture, plus de dix magasins qui avaient été sous l'enseigne Skiset et qui lui avaient été transférés, six mois plus tôt, par la société Favre Sports, sa société mère, l'arrêt constate que le règlement intérieur de la société CFLS faisait obligation à tout adhérent associé, qui postérieurement à son entrée dans le réseau, était amené à exploiter ou animer, à quelque titre que ce soit, de nouvelles entreprises ou de nouveaux magasins, de demander son admission par la société CFLS et retient qu'il appartenait, en conséquence, à la société Favre Sports de demander l'admission de sa filiale ou, à cette dernière, de solliciter son admission, ce qu'aucune des deux n'avait fait ; que, par ces seuls motifs, dont elle a pu déduire que la relation commerciale entre la société CFLS et la société FLS, qui était soumise à un agrément qui n'avait pas été sollicité, était récente et empreinte de précarité, la cour d'appel a, à bon droit, retenu que, faute de justifier d'une relation commerciale établie, la société FLS n'était pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette les pourvois.