ADLC, 30 novembre 2015, n° 15-D-17
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la téléphonie mobile à destination de la clientèle non résidentielle à La Réunion et à Mayotte
L'Autorité de la concurrence (section III) ;
Vu les lettres des 4 et 19 juin 2009, enregistrées respectivement sous les numéros 09-0082 F et 09-0088 F, par lesquelles les sociétés Orange Réunion et Orange Mayotte, d'une part, et Outremer Télécom, d'autre part, ont saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la Société Réunionnaise du Radiotéléphone dans le marché de la téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte, et ont sollicité le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu la décision, en date du 1er août 2013, par laquelle il a procédé à la disjonction du volet de la saisine 09-0088 F concernant les pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte à destination d'une clientèle non résidentielle et à l'ouverture d'une nouvelle affaire enregistrée sous le numéro 13-0059 F ; Vu l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu l'avis n° 2014-0163 de l'ARCEP du 11 février 2014 ; Vu les décisions de secret des affaires n° 13-DSA-276 du 15 octobre 2013 ; n° 14-DSA-64 du 14 mars 2014 ; n° 14-DSA-113 du 5 mai 2014 ; n° 14-DSA-114 du 5 mai 2014 ; n° 14-DSA-120 du 5 mai 2014 ; n° 14-DSA-122 du 5 mai 2014 ; n° 14-DSA-305 du 5 novembre 2014 ; n° 14-DSA-307 du 6 novembre 2014 ; n° 14-DSA-308 du 6 novembre 2014 et n° 15-DSA-205 du 3 juin 2015 ; Vu le procès-verbal du 1er avril 2015 par lequel la Société Réunionnaise du Radiotéléphone et la Société Française du Radiotéléphone ont déclaré ne pas contester les griefs qui leur avaient été notifiés et ont demandé le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans leur version applicable à la date de ce procès-verbal ; Vu les observations présentées par la Société Réunionnaise du Radiotéléphone, la Société Française du Radiotéléphone, et le commissaire du gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du gouvernement et les représentants de la Société Réunionnaise du Radiotéléphone et de la Société Française du Radiotéléphone entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 15 septembre 2015 ; Adopte la décision suivante :
I. CONSTATATIONS
A. RAPPEL DE LA PROCÉDURE
1. LES SAISINES
a) La saisine d'Orange Réunion et Orange Mayotte
1. Par lettre enregistrée le 4 juin 2009 sous le numéro 09-0082 F, les sociétés Orange Réunion et Orange Mayotte ont saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après l'" Autorité ") de pratiques mises en œuvre par la Société Réunionnaise du Radiotéléphone (ci-après, " SRR "), qu'elles estiment contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE (devenu l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ci-après, " TFUE "). En outre, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, les sociétés saisissantes ont demandé à l'Autorité de la concurrence de prononcer des mesures conservatoires visant, d'une part, à " faire en sorte que, pour toutes ses offres comportant des tarifs différents pour les communications on net, d'une part, et off net, d'autre part, l'écart entre ses tarifs on net et off net ne dépasse pas l'écart entre les coûts que SRR supporte pour l'acheminement de ces deux types de communications " et, d'autre part, à " libérer l'ensemble de ses abonnés post-payés concernés par ces modifications tarifaires de leur éventuelle durée résiduelle d'engagement de sorte qu'ils puissent, le cas échéant, changer sans frais ni pénalité d'opérateur au regard des nouveaux tarifs pratiqués ".
b) La saisine d'Outremer Télécom
2. Par lettre enregistrée le 19 juin 2009 sous le numéro 09-0088 F, la société Outremer Télécom a saisi l'Autorité de pratiques mises en œuvre par la société SRR qu'elle estime contraires à l'article L. 420-2 du Code de commerce. En outre, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, la société Outremer Télécom a demandé à l'Autorité de prononcer des mesures conservatoires.
c) La jonction des deux saisines
3. Par décision du 24 juin 2009, la rapporteure générale de l'Autorité a procédé à la jonction de l'instruction de la saisine des sociétés Orange Réunion et Orange Mayotte et de celle de la société Outremer Télécom.
2. LA DÉCISION DE MESURES CONSERVATOIRES N° 09-MC-02 DU 16 SEPTEMBRE 2009
4. Par une décision n° 09-MC-02 du 16 septembre 2009, l'Autorité a ordonné des mesures conservatoires.
5. Après avoir considéré que les pratiques de différenciation tarifaire dénoncées portaient une atteinte grave et immédiate aux marchés réunionnais et mahorais de la téléphonie mobile, elle a enjoint à SRR, à l'article 1er du dispositif de la décision n° 09-MC-02, dans l'attente d'une décision au fond, de " faire en sorte que, pour toutes les offres comportant des tarifs différents pour les appels vocaux et SMS " on net ", d'une part, et " off net ", d'autre part, l'écart entre ces tarifs " on net " et " off net " ne dépasse pas l'écart entre les coûts que SRR supporte pour l'acheminement de ces deux types d'appels. Cette injonction s'applique pour l'ensemble des nouvelles offres commercialisées. Pour les contrats en cours d'exécution, cette injonction concerne l'ensemble des offres prépayées, des forfaits Intégral, Maxxi et Compte Bloqué. La société SRR en informera ses clients (...). La société SRR devra mettre en œuvre ces injonctions au plus tard le 1er décembre 2009 à La Réunion et le 1er février 2010 à Mayotte ".
6. La décision n° 09-MC-02 est devenue définitive en l'absence de recours exercé à son encontre.
3. LA DÉCISION N° 12-D-05 DU 24 JANVIER 2012 RELATIVE AU RESPECT DE LA MESURE CONSERVATOIRE
7. Le 1er mars 2010, SRR a adressé son rapport d'exécution à la rapporteure générale de l'Autorité. Aux termes de celui-ci, l'entreprise concluait que : " Les éléments fournis par SRR dans le présent rapport attestent de la mise en œuvre scrupuleuse par SRR des mesures conservatoires décidées par l'Autorité dans sa décision du 16 septembre 2009 ". Cependant, le rapport d'exécution a fait apparaître le maintien à La Réunion, comme à Mayotte, d'une différenciation tarifaire entre les appels on net et les appels off net sur plusieurs des nouvelles offres et des offres en cours de commercialisation par SRR, postérieurement aux délais impartis à l'entreprise pour mettre en œuvre l'injonction prononcée par l'Autorité, à savoir, le 1er décembre 2009 pour La Réunion, et le 1er février 2010 pour Mayotte.
8. Par décision n° 10-SO-06 du 20 juillet 2010, l'Autorité s'est alors saisie d'office, à la demande de la rapporteure générale, du respect de l'injonction prononcée par la décision n° 09-MC-02.
9. L'Autorité a considéré, par une décision n° 12-D-05 du 24 janvier 2012, que SRR avait maintenu durant l'année 2010, pour quatre offres commercialisées à La Réunion, une différence entre le prix des appels on net et celui des appels off net qui excédait les écarts de coûts. Rappelant que le fait de ne pas respecter une injonction est grave par principe, l'Autorité a prononcé une sanction de 2 millions d'euro à l'encontre de SRR.
10. La décision n° 12-D-05 est devenue définitive en l'absence de recours exercé à son encontre.
4. LA DÉCISION N° 14-D-05 DU 13 JUIN 2014
11. La rapporteure générale de l'Autorité a adressé le 12 juillet 2013 une notification de griefs pour des pratiques prohibées sur le marché de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE à SRR et à sa maison-mère, la Société Française du Radiotéléphone (ci-après, " SFR ").
12. SRR et SFR ont demandé à bénéficier de la procédure de non-contestation des griefs notifiés prévue au III de l'article L. 464-2 du Code de commerce alors en vigueur. Les conseils des sociétés SRR et SFR ont signé, le 31 juillet 2013, un procès-verbal de non-contestation des griefs, accompagné d'un engagement visant à mettre en place un programme de conformité au droit de la concurrence. Par ce procès-verbal, le rapporteur général adjoint s'est engagé à proposer au collège de l'Autorité, au regard notamment de l'engagement présenté, une réduction du montant de la sanction pécuniaire potentielle à hauteur de 15 à 18 %.
13. Le 13 juin 2014, l'Autorité a infligé solidairement à SRR et à SFR une sanction pécuniaire de 45 939 000 euro pour avoir enfreint les dispositions des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle à La Réunion et à Mayotte (décision n° 14-D-05 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle à La Réunion et à Mayotte).
14. La décision n° 14-D-05 est devenue définitive en l'absence de recours exercé à son encontre.
15. Par décision du 1er août 2013, le rapporteur général adjoint de l'Autorité avait auparavant procédé à la disjonction de l'instruction du volet de la saisine 09-0088 F concernant des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte à destination d'une clientèle non résidentielle. Cette nouvelle affaire, enregistrée sous le numéro 13-0059 F, fait l'objet de la présente décision.
5. LA NOTIFICATION DE GRIEFS
16. Dans le cadre de l'affaire enregistrée sous le numéro 13-0059 F, concernant des pratiques mises en œuvre sur le marché des offres non résidentielles, la rapporteure générale de l'Autorité a adressé le 10 février 2015 une notification de griefs à SRR et à SFR, qui ont chacune renoncé à contester les griefs le 1er avril 2015. Pour tenir compte de la non-contestation des griefs, la rapporteure générale adjointe a proposé que la sanction pécuniaire encourue, le cas échéant, par SRR et SFR soit réduite de 10 %.
17. Les 8 et 13 avril 2015, le commissaire du gouvernement et Outremer Télécom ont respectivement présenté leurs observations à la notification de griefs. Par ailleurs, Orange a indiqué par courrier que sa " saisine [du 4 juin 2009] ne visait que les pratiques observées sur le marché des offres destinées aux clients résidentiels qui ont été sanctionnées par la décision n° 14-D-05 de l'Autorité " et qu'elle n'était donc pas partie à la présente procédure.
18. Une note complémentaire à la notification de griefs a été adressée le 3 juin 2015 au commissaire du gouvernement, à Outremer Télécom, et à SRR et SFR. Le commissaire du gouvernement, d'une part, et SRR et SFR, d'autre part, y ont respectivement répondu les 3 et 10 juillet 2015, Outremer Télécom ayant indiqué ne pas présenter d'observations à la note complémentaire.
19. Par courrier en date du 26 août 2015, Outremer Télécom s'est désistée de sa saisine. Aux termes de la décision n° 15-DE-03 du 3 septembre 2015, le président de l'Autorité a pris acte du désistement d'Outremer Télécom et, sur proposition de la rapporteure générale, décide de poursuivre l'instruction de l'affaire.
B. LE SECTEUR CONCERNÉ
1. LES ACTEURS DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE À LA RÉUNION ET À MAYOTTE
20. Trois opérateurs de réseau mobile sont actifs à La Réunion et à Mayotte : SRR, Orange Réunion et Outremer Télécom. SRR est entré le premier sur le marché mobile des deux îles en 1996, suivi par Orange Réunion (lancement à La Réunion en 2000 puis à Mayotte en avril 2007) et Outremer Telecom (lancement à Mayotte fin 2006 puis à La Réunion en avril 2007).
21. SRR est une société en commandite simple, filiale à 100 % de SFR. Premier opérateur à avoir lancé des offres de téléphonie mobile sur ces territoires, en 1996 à La Réunion et en 2002 à Mayotte, SRR commercialise ses offres sous les marques SRR ou SFR Réunion. À Mayotte, les offres de SRR sont commercialisées par sa succursale Mayotte Télécom Mobile. SRR a réalisé en 2013 un chiffre d'affaires total en France de 268 millions d'euro, dont [...] pour son activité de téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte. Sur ces territoires, l'activité de détail dans le secteur mobile a généré un chiffre d'affaires de [...]. Sur le marché mobile de détail non résidentiel, SRR a réalisé en 2013 un chiffre d'affaires de [...], dont [...] à La Réunion.
22. Orange Réunion est une société anonyme, filiale à 100 % d'Orange France, elle-même filiale à 100 % d'Orange SA, anciennement France Télécom. France Télécom a lancé ses offres de téléphonie mobile à La Réunion en décembre 2000 sous la marque Itinéris, devenue Orange en 2001, et à Mayotte en avril 2007. Orange Réunion commercialise ses offres sous sa propre marque. À Mayotte, les offres d'Orange Réunion sont commercialisées par Orange Mayotte. Orange Réunion a réalisé en 2013 un chiffre d'affaires total de [...] pour son activité de téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte, dont [...] sur le seul marché de détail professionnel (cotes 2330 et 2508). Compte tenu de la faiblesse de l'activité mobile sur ce marché à Mayotte, l'opérateur a décidé de s'en retirer au cours de l'année 2012.
23. Outremer Télécom est une société anonyme. Elle a lancé ses premières offres de téléphonie mobile à Mayotte en décembre 2006 et à La Réunion en avril 2007. À la date des faits, elle commercialisait ses offres sous la marque Only. Outremer Télécom a réalisé en 2013 un chiffre d'affaires de [...] pour son activité de téléphonie mobile sur les marchés de détail à La Réunion et à Mayotte, dont [...] sur le marché de détail professionnel (cote 2350).
2. LES MARCHÉS DES SERVICES DE TÉLÉPHONIE MOBILE À DESTINATION D'UNE CLIENTÈLE NON RÉSIDENTIELLE À LA RÉUNION ET À MAYOTTE
a) Les caractéristiques du marché mobile non résidentiel
24. Ainsi que le souligne l'ARCEP dans son avis, (avis n° 2014-0163 du 11 février 2014, p. 15, rendu dans le cadre de la présente procédure, ci-après l'" avis de l'ARCEP "), les besoins relatifs aux communications électroniques mobiles de la clientèle résidentielle et non résidentielle diffèrent aussi bien en termes d'usage que de nature des services demandés. Selon l'ARCEP, " les besoins des entreprises vont des offres simples (post-payées pour la quasi-totalité d'entre elles) avec un interlocuteur unique et une gestion simplifiée, y compris pour la facturation et la relation clients, à la commande de lignes groupées nécessitant une gestion de flottes étendues, avec des types de terminaux, d'options et de contrats différenciés, et des demandes de tarifs préférentiels pour les communications en interne. La centralisation de la gestion d'un certain nombre de lignes auprès d'un gestionnaire qui n'est pas l'utilisateur de chaque ligne est ainsi très spécifique au marché non résidentiel et s'oppose à la demande " unitaire " résidentielle ".
25. Contrairement au parc résidentiel, composé à 59 % d'offres prépayées, le marché non résidentiel à La Réunion se différencie également, selon les informations communiquées par SRR, par la prédominance des offres postpayées, puisque plus de [...] des lignes non résidentielles seraient des abonnements. Cette proportion ne varierait pas significativement selon la taille des entreprises.
26. Le parc d'entreprises est hétérogène. Selon l'ARCEP, au 31 décembre 2011, " La Réunion comptabilisait 71 234 établissements :
- 73,6 %, soit 54 462 établissements, sont des professionnels indépendants (artisans, commerçants,...) ;
- 21 % des entreprises, soit 14 990 établissements, comptant de 1 à 9 salariés ;
- 2,5 % des entreprises, soit 1 815 établissements, comptent de 10 à 19 salariés (...)
- 2,4 % des entreprises, soit 1 686 établissements, comptent de 20 à 99 salariés (...)
- 0,4 % des entreprises, soit 281 établissements, comptent plus de 100 salariés ".
27. À Mayotte, à la fin de l'année 2008, l'INSEE recensait 9 995 entreprises, pour la plupart de très petites structures, dont seule une partie a recours à des offres non résidentielles.
28. L'ARCEP précise par ailleurs les caractéristiques des offres développées par les opérateurs selon la taille des entreprises. Elle distingue les offres destinées aux professionnels et aux TPE, situées à mi-chemin entre les offres " entreprises " et les offres grand public. À cet égard, les " versions Pro des forfaits mobiles proposent, par exemple, des plages de voix illimitée en journée et non en soirée, l'inclusion des appels internationaux vers les fixes et mobiles, des forfaits partagés et ajustables, des tarifications au compteur, un service client dédié, des boîtes mail professionnelles. Ce sont des offres "catalogue", dont les tarifs sont généralement peu négociables et les conditions contractuelles imposées " (cote 600).
29. Les entreprises de taille moyenne et de grande taille ont des besoins plus spécifiques. Selon l'ARCEP, ces entreprises " cherchent à rationaliser la gestion des utilisateurs et à faire des économies d'échelle : elles mettent en place un système de gestion de flotte permettant la maîtrise de la complexité de la flotte due à des différences de contrats, d'options et donc de durées d'engagement " (cote 601). Elles sont généralement dotées d'un " pôle achats " et privilégient les procédures de mise en concurrence avec appels d'offres ou des accords de gré à gré afin de pouvoir bénéficier de tarifs plus avantageux que ceux fixés dans les offres " catalogue ". Elles " peuvent avoir des besoins logistiques ou techniques spécifiques clairement définis dans un cahier des charges nécessitant des offres sur-mesure de la part des opérateurs allant au-delà d'une simple négociation tarifaire d'offres "sur étagère" " (cote 601).
b) Les positions des acteurs sur le marché non résidentiel
30. Ces marchés sont d'abord caractérisés par un faible nombre d'acteurs et une forte asymétrie des parts de marché. Cette asymétrie résulte, en partie, des décalages temporels dans le lancement commercial de chaque opérateur. SRR, longtemps en monopole de fait, dispose encore aujourd'hui d'une position prépondérante sur les marchés mobiles réunionnais et mahorais.
31. Selon l'ARCEP, SRR bénéficie d'une part de marché, supérieure à 60 % entre 2005 et 2012 sur le marché non résidentiel à La Réunion. À Mayotte, sa part de marché est restée supérieure à 85 % entre 2008 et 2012.
Parts de marché des opérateurs mobiles sur le marché non résidentiel à La Réunion (source : ARCEP)
" emplacement tableau "
Parts de marché des opérateurs mobiles sur le marché non résidentiel à Mayotte (source : ARCEP)
" emplacement tableau "
32. Outre les parts de marché élevées de SRR par rapport à ses concurrents, l'ARCEP relève la forte notoriété dont bénéficie SRR à La Réunion et à Mayotte du fait de son antériorité commerciale. SRR a joui en effet d'une période de monopole de 4 à 5 années sur ces territoires, du fait d'un lancement d'offres plus précoce que ses concurrents.
33. L'ARCEP conclut que " SRR détient une position concurrentielle très forte sur le marché non résidentiel de la téléphonie mobile à La Réunion, et plus encore à Mayotte " (cote 578).
C. LA RÉGULATION DU MARCHÉ DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE À LA RÉUNION ET À MAYOTTE
1. LES MARCHÉS DE GROS DE LA TERMINAISON D'APPEL VOCAL
a) La facturation de la terminaison d'appel vocal mobile
34. Un appel on net est un appel d'un client d'un opérateur A vers un autre client de cet opérateur. Un appel off net est un appel d'un client d'un opérateur A vers un client d'un opérateur B. L'appel off net est donc appelé à sortir du réseau de l'opérateur A vers le réseau de l'opérateur B. Dans ce cas, pour acheminer l'appel, l'opérateur A " emprunte " le réseau de l'opérateur B pour que l'appel puisse se terminer auprès d'un client de ce dernier.
35. La terminaison d'appel peut se décrire de la manière suivante : " lorsqu'un abonné téléphonique veut en appeler un autre, la communication part du combiné de l'appelant pour traverser la boucle locale de son opérateur, puis elle transite par différents éléments du réseau pour se terminer sur la boucle locale de l'opérateur de l'appelé. La communication emprunte donc une boucle locale de départ et une boucle locale de terminaison " (avis n° 04-A-17 du 14 octobre 2004 relatif à une demande d'avis présentée par l'Autorité de Régulation des Télécommunications en application de l'article L. 37-1 du Code des postes et des communications électroniques, paragraphe 13).
36. Du point de vue des flux financiers entre opérateurs, " lorsqu'un client veut appeler, d'un téléphone fixe ou mobile, un numéro de téléphone mobile, l'opérateur (fixe ou mobile) du consommateur appelant fait payer à ce dernier un prix de détail de la communication vers le réseau de l'opérateur de l'appelé. Parallèlement, l'opérateur de l'appelant paie à l'opérateur de l'appelé, directement (s'il bénéficie d'une interconnexion directe avec lui), ou par le biais d'opérateurs de transit, le prix de gros de la prestation de terminaison d'appel vocal utilisant le réseau de l'opérateur de l'appelé " (avis n° 07-A-05 du 19 juin 2007 relatif à une demande d'avis de l'ARCEP dans le cadre de la procédure d'analyse du marché de gros de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles, paragraphe 6).
37. La structure tarifaire de la prestation de terminaison d'appel vocal mobile est composée d'un prix facturé à la seconde, appelé " charge de terminaison d'appel ", et d'un tarif de raccordement des réseaux entre eux, appelé " bloc primaire numérique " (ci-après BPN). Certains opérateurs de taille modeste, tel qu'Outremer Télécom, ont toutefois une structure tarifaire ne comportant pas de composante relative au BPN. Par le passé, la terminaison d'appel vocal mobile incluait également des frais d'établissement d'appel, appelés " charge d'établissement d'appel ", et était généralement facturée avec une première minute indivisible, appelée " crédit temps " éventuellement suivie de paliers tarifaires (facturation toutes les trente secondes, par exemple), avec des tarifs différents selon la plage horaire (heures pleines et heures creuses). Les plafonds tarifaires applicables à la tarification de la prestation d'acheminement du trafic s'appliquaient alors sur une moyenne pondérée des tarifs pratiqués en heures creuses et heures pleines.
b) La régulation de la terminaison d'appel vocal des opérateurs de téléphonie mobile présents à La Réunion et à Mayotte
38. À titre liminaire, il est rappelé que, de manière constante, le Conseil puis l'Autorité de la concurrence ont considéré que chaque opérateur de réseau est en position dominante sur le marché de gros de sa propre terminaison d'appel vocal (voir, à cet égard, notamment décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par France du 13 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle en France métropolitaine, paragraphes 357 et suivants).
" emplacement tableau "
c) La détermination des coûts pour l'acheminement des appels off net et on net
43. Les coûts de départ d'un appel on net et ceux d'un appel off net peuvent être considérés comme identiques, les éventuelles différences étant minimes, comme l'a relevé l'Autorité dans sa décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle en France métropolitaine (paragraphe 529 de la décision). Dès lors, la différence du coût de production entre un appel on net et un appel off net repose exclusivement sur la différence des coûts entre la terminaison d'un appel on net et la terminaison d'un appel off net, ainsi que l'a rappelé l'Autorité dans sa décision de mesures conservatoires n° 09-MC-02 du 16 septembre 2009 : " la position de monopole qu'occupent les opérateurs sur leurs terminaisons d'appel respectives contraint les opérateurs à ne pas opérer de distinction entre le tarif qu'ils facturent aux opérateurs tiers pour la prestation de terminaison d'appel et le coût interne qu'ils comptabilisent en interne pour la même prestation " (paragraphes 45 et 46 de la décision).
44. Les appels off net ne pouvant être considérés comme des prestations différentes selon l'opérateur de destination, conformément à la pratique décisionnelle de l'Autorité, il sera pris en compte la moyenne pondérée par les flux de trafic des écarts de terminaison d'appel dans la mesure où les clients des offres incriminées ne perçoivent aucune différence de tarif selon le réseau de destination de leurs appels off net (décisions n° 09-MC-02, n° 12-D-05, n° 12-D-24 et n° 14-D-05 précitées). En effet, un client de SRR ne devait supporter au cours de la période en cause, hors période de décembre 2006 à juillet 2007, aucune différence de prix selon que son appel était destiné à un abonné d'Orange Réunion ou d'Outremer Télécom, alors même que ces deux opérateurs pratiquaient des tarifs de terminaison d'appel différents.
45. Du fait de l'existence de crédits temps et de différenciations tarifaires entre heures pleines et heures creuses, SRR a estimé au cours de l'instruction nécessaire de calculer, pour les années 2000 à 2005, un prix de gros moyen de la terminaison d'appel vocal basé sur des données de facturation (cote 2505).
Charges de TA moyennes SRR et Orange Réunion entre 2000 et 2005
" emplacement tableau "
46. Les deux tableaux ci-dessous détaillent année par année, à La Réunion d'une part et à Mayotte d'autre part, les écarts moyens de coûts supportés par SRR pour l'acheminement d'un appel on net et celui d'un appel off net, à partir des seules charges de terminaison d'appel vocal.
Écarts moyens pondérés à La Réunion (à partir des seules charges de terminaison d'appel vocal)
" emplacement tableau "
Écarts moyens pondérés à Mayotte (à partir des seules charges de terminaison d'appel vocal)
" emplacement tableau "
D. LES PRATIQUES RELEVÉES
1. DIFFÉRENCIATION TARIFAIRE ENTRE APPELS ON-NET ET OFF-NET
47. SRR a lancé ses premières offres mobiles à destination de la clientèle non résidentielle sur le marché réunionnais à la fin des années 90. Les gammes d'offres " Pro " et " Compteur SRR Pro ", disponibles au début des années 2000, étaient destinées aux petites et moyennes entreprises. Par la suite, SRR a commercialisé deux offres déjà disponibles sur le marché grand public : les gammes d'offres " Intégral " (2004) et "Maxxi " (2005). Sur le segment des grands comptes (20 lignes et plus) et des collectivités, SRR a lancé en 2001 l'offre " Flotte ", qui a été commercialisée jusqu'en mai 2008, puis les offres " Evidence ", qui ont été commercialisées d'avril 2005 à octobre 2009.
48. À Mayotte, SRR a commercialisé l'offre " Evidence " à partir du mois de mai 2006 et jusqu'en 2010. Entre décembre 2006 et juin 2009, elle a également commercialisé la gamme d'offres "Maxxi ".
49. L'ensemble de ces offres comportait des différences tarifaires entre les appels on net et off net.
50. En particulier, pour les " Forfaits Pro " commercialisés dès 2000 à La Réunion, l'ensemble de la gamme a présenté des écarts de prix très importants, à l'exception du " Forfait 100 ". Contrairement aux offres " Maxxi " et " Intégral ", également commercialisées à La Réunion, qui ont été modifiées à la fin de l'année 2009, de manière à proposer des tarifs identiques pour les appels on net et off net, les forfaits " Pro " n'ont pas évolué et ont continué à présenter des différences tarifaires entre les appels on net et off net.
51. De même, pour le " Forfait Flotte " commercialisé dès 2001 à La Réunion, qui a constitué entre 2000 et 2004 la seule proposition faite aux entreprises de taille moyenne et grande, l'écart de prix a été très important jusqu'au mois d'octobre 2013, date à laquelle le prix des communications off net a été aligné sur le prix des communications on net. Pour cette offre, les écarts de prix entre appels on net et off net s'élevaient à 21,2 centimes d'euro sur l'ensemble de la période, pendant que les écarts de coûts s'établissaient dans une fourchette allant de -0,22 centime d'euro (la charge de terminaison d'appel de SRR étant plus élevée que celle des deux autres opérateurs certaines années) à 6,24 centimes d'euro selon les années. Les écarts de prix ont donc été au minimum 3,4 fois supérieurs aux écarts de coûts pour ce forfait.
52. Ces deux gammes, la première destinée au bas de marché et l'autre au haut de marché, ont ensuite été remplacées respectivement par les gammes " Intégrale Entreprise " en 2004 et " Evidence " en 2005, qui ont également présenté une forte différenciation tarifaire.
53. Les quatre gammes, " Forfaits Pro ", " Forfait Flotte ", " Intégrale Entreprise " et " Evidence ", ont représenté entre 2000 et 2008, plus de [...] du parc non résidentiel de SRR à La Réunion (cote 2360).
54. À partir de 2009 et plus encore à la suite du prononcé des mesures conservatoires, les clients du bas de marché ont progressivement migré vers des offres sans différenciation tarifaire (" Forfait Pro TPE ", puis " Forfait Carré "). Les offres " Intégrale Entreprise ", qui représentaient, en décembre 2008, [...] du parc total non résidentiel, ont été remplacées par les " Forfaits Pro TPE " commercialisés en mai 2009, dénués de différenciation tarifaire, qui ont dès décembre 2009 représenté [...] du nombre de lignes (cote 2360).
55. Mais la stratégie suivie s'agissant du haut de marché a été différente. Le nombre de lignes concernées par l'offre " Evidence ", caractérisée par une forte différenciation tarifaire, ont décru plus lentement, passant de [...] du parc en décembre 2009 à [...] un an plus tard. En décembre 2012, ces effectifs représentaient encore [...] du total non résidentiel. Il faudra attendre octobre 2013 pour que ces clients, représentant encore [...] du parc total, voient leur offre évoluer avec un alignement du prix des communications off net au niveau du prix des communications on net (cote 2360).
56. S'agissant de Mayotte, les résultats du test sont similaires. Alors que les concurrents de SRR sont entrés sur le marché en décembre 2006 pour Outremer Télécom puis en avril 2007 pour Orange, SRR a commercialisé dès juin 2006 des offres présentant une différenciation tarifaire. À partir de décembre 2006 et jusqu'en 2010, toutes les offres de SRR destinées au marché non résidentiel présentaient une différenciation tarifaire. En particulier, d'avril 2007 à décembre 2009, toutes les offres de SRR destinées au marché non résidentiel ont présenté des différences de prix supérieures aux différences de coûts. Sur ce territoire, les offres présentant des différences de tarifs entre les appels on net et off net ont été modifiées au début de l'année 2010 (offres " Maxxi ") et au mois d'octobre 2013 (offres " Evidence ").
57. Les tableaux ci-dessous détaillent, année après année, les différences de tarifs entre les appels on net et off net pratiquées par SRR à La Réunion et à Mayotte, dans ses offres à destination de la clientèle non résidentielle.
Écarts de prix (HT) entre les appels on net et les appels off net dans les offres mobiles de SRR à destination de la clientèle non résidentielle à La Réunion (décembre 2000 - octobre 2013)
" emplacement tableau "
Écarts de prix (HT) entre les appels on net et les appels off net dans les offres mobiles de SRR à destination de la clientèle non résidentielle à Mayotte
" emplacement tableau "
2. COMPARAISON ENTRE LES DIFFÉRENCES DE PRIX ET LES DIFFÉRENCES DE COÛTS DES APPELS ON NET ET OFF NET
58. L'Autorité, dans sa décision de mesures conservatoires de 2009 n° 09-MC-02, a souligné qu'" une différenciation tarifaire peut trouver une justification objective, notamment par des différences de coûts entre les prestations. Il convient, par conséquent, d'analyser les différences de coûts sous-jacents entre (...) les appels on net et les appels off net " (paragraphe 44). Une charge de terminaison plus élevée pratiquée par l'opérateur B par rapport à l'opérateur A pour terminer les appels sur son réseau peut en effet justifier que le prix des appels à destination du réseau B soit supérieur d'autant au prix des appels à destination du réseau A.
59. Les graphiques qui suivent établissent une comparaison, offre par offre, entre les écarts de prix de détail pratiqués par SRR et les écarts de coûts des appels on net et off net, à La Réunion et à Mayotte, tels qu'établis au paragraphe 46. Sur ces graphiques (établis à partir des tableaux figurant en annexe I de la présente décision), les points situés sur une même ligne correspondent à un même forfait, vendu pendant une période de temps donnée ; chaque point représente l'écart de prix de détail entre appels on net et appels off net pour une offre donnée à une période donnée ; chaque point doit être mis en relation avec l'écart de coûts existant pendant la période considérée et figurant en abscisses. Ainsi, si le point se trouve au-dessus de l'écart de coût (représenté sur les graphiques par une colonne), cela signifie que la différenciation tarifaire en aval a excédé les différences de coût de terminaison d'appel.
Écarts de prix entre appels on net et off net au regard des écarts de coûts - La Réunion
" emplacement tableau "
Source : parties - calculs ADLC ; les écarts de prix sont représentés en nuages de points et les écarts de charges de terminaison en histogramme
Lecture : La série de points située tout en haut du graphique correspond au forfait " INTEGRAL ENTREPRISE 49,77 ", présentant des écarts de prix de 22 centimes d'euro par minute entre appels on net et off net entre 2004 et 2009. Cet écart de prix est à comparer à l'écart de coûts, s'élevant par exemple à 6,24 centimes d'euro par minute entre janvier 2004 et mars 2005.
Écarts de prix entre appels on net et off net au regard des écarts de coûts - Mayotte
" emplacement tableau "
Source : parties - calculs ADLC ; les écarts de prix sont représentés en nuages de points et les écarts de charges de terminaison en histogramme
Lecture : La série de points située tout en haut du graphique correspond au forfait " EVIDENCE MTM ", présentant des écarts de prix de 23 centimes d'euro par minute entre appels on net et off net entre décembre 2006 et mars 2013. Cet écart de prix est à comparer à l'écart de coûts, s'élevant par exemple à 12,94 centimes d'euro par minute entre avril et décembre 2007.
60. Il ressort donc de ces graphiques que, à La Réunion, les offres présentant une différenciation tarifaire excessive entre les appels on net et off net représentaient la quasi-totalité du parc non résidentiel de SRR jusqu'en 2009 et les écarts de prix ont représenté en moyenne 3 à 4,5 fois les écarts de coûts entre 2004 et 2009 à La Réunion.
61. S'agissant des offres commercialisées à Mayotte, à partir de décembre 2006 et jusqu'en 2010, toutes les offres de SRR destinées au marché non résidentiel présentaient une différenciation tarifaire. En particulier, d'avril 2007 à décembre 2009, toutes les offres de SRR destinées au marché non résidentiel ont présenté des différences de prix supérieures aux différences de coûts. Les écarts de prix ont représenté en moyenne 1,2 à 2,9 fois les écarts de coûts entre avril 2007 et décembre 2010 à Mayotte.
E. LES GRIEFS NOTIFIÉS
62. Par courrier en date du 10 février 2015, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié à SRR et à SFR deux griefs :
" emplacement tableau "
" Grief n° 1 : différenciation tarifaire abusive entre les appels on net et les appels off net sur le marché des services de téléphonie mobile à destination d'une clientèle non résidentielle à La Réunion
- Il est fait grief à la Société Réunionnaise du Radiotéléphone d'avoir abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché de gros de la terminaison d'appel vocal mobile à destination de son réseau, en ayant pratiqué entre les mois de décembre 2000 et d'octobre 2013, sur le marché des services de téléphonie mobile à destination d'une clientèle non résidentielle à La Réunion, une différenciation tarifaire abusive entre, d'une part, les appels à destination de son réseau (appels on net) et ceux à destination du réseau des autres opérateurs de téléphonie mobile (appels off net) présents sur le marché. Ce grief est également retenu à l'encontre de la société SFR en tant que société mère de la société SRR.
De telles pratiques doivent recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE dans la mesure où elles ont eu pour effet de rendre plus difficiles le développement de la concurrence sur le marché des services de téléphonie mobile à destination d'une clientèle non résidentielle à La Réunion.
Grief n° 2 : différenciation tarifaire abusive entre les appels on net et les appels off net sur le marché des services de téléphonie mobile à destination d'une clientèle non résidentielle à Mayotte
- Il est fait grief à la Société Réunionnaise du Radiotéléphone d'avoir abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché de gros de la terminaison d'appel vocal mobile à destination de son réseau, en ayant pratiqué entre les mois de janvier 2007 et octobre 2013, sur le marché des services de téléphonie mobile à destination d'une clientèle non résidentielle à Mayotte, une différenciation tarifaire abusive entre les appels à destination de son réseau (appels on net) et ceux à destination du réseau des autres opérateurs de téléphonie mobile (appels off net) présents sur le marché. Ce grief est également retenu à l'encontre de la société SFR en tant que société mère de la société SRR.
De telles pratiques doivent recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce dans la mesure où elles ont eu pour effet de rendre plus difficiles le développement de la concurrence sur le marché des services de téléphonie mobile à destination d'une clientèle non résidentielle à Mayotte ".
F. LA MISE EN OEUVRE DU III DE L'ARTICLE L. 464-2 DU CODE DE COMMERCE
63. SRR et SFR, qui étaient destinataires de la notification de griefs, ont sollicité le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans leur version en vigueur à la date du procès-verbal, selon lesquelles : " Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence, qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence d'en tenir compte également dans la fixation du montant de la sanction ".
64. La mise en œuvre de ces dispositions a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal signé le 1er avril 2015 par lequel SRR et SFR ont déclaré ne pas contester les griefs notifiés.
65. Pour tenir compte de la non-contestation des griefs, le rapporteur général adjoint a proposé que la sanction pécuniaire encourue, le cas échéant, par SRR et SFR soit réduite de 10 % du montant qui leur aurait été normalement infligé.
II. Discussion
A. SUR LES GRIEFS
1. SUR LES CONSÉQUENCES DE LA MISE EN OEUVRE DE LA PROCÉDURE DE NON-CONTESTATION DES GRIEFS
66. L'organisme ou l'entreprise qui choisit de solliciter le bénéfice de la mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction applicable aux faits, doit respecter les conditions imposées à cet égard, en ne contestant pas la réalité des griefs qui lui ont été notifiés.
67. L'intéressé doit ainsi renoncer à contester, non seulement la réalité de l'ensemble des pratiques visées par la notification des griefs, mais également la qualification qui en a été donnée au regard des dispositions du droit de l'Union et du Code de commerce, ainsi que sa responsabilité dans la mise en œuvre de ces pratiques (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011-01228, p. 23). Cette renonciation doit, sur l'ensemble de ces points, être expresse, complète et dépourvue d'ambiguïté (décisions n° 04-D-42 du 4 août 2004 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre du marché de la restauration de la flèche de la cathédrale de Tréguier, paragraphe 15, n° 06-D-09 du 11 avril 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication des portes, paragraphe 303, et n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon, paragraphe 149 ; voir également, en ce sens, décisions n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, paragraphes 226, 228 et 425, et n° 11-D-07 du 24 février 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques, paragraphe 113).
68. Une telle renonciation à contester les griefs suffit pour permettre à l'Autorité de considérer que l'ensemble des infractions en cause sont établies à l'égard des parties qui ont fait ce choix procédural (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France e.a., n° 2009-03532, p. 10, et, sur pourvoi, arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2011, Manpower France e.a., n° 10-12.913 ; voir également décisions n° 04-D-42, précitée, paragraphe 12, n° 11-D-07, précitée, paragraphe 113, et n° 12-D-06, précitée, paragraphe 151).
69. En l'espèce, les griefs rappelés au paragraphe 62 et relatifs aux pratiques décrites aux paragraphes 47 à 61 ci-dessus sont donc établis à l'égard de SRR et SFR. Ces sociétés ne contestent donc pas :
- l'application des règles du Code du commerce, pour l'ensemble des pratiques, ni l'application du droit de l'Union, pour ce qui concerne les pratiques décrites à La Réunion ;
- la définition du marché pertinent, défini par les griefs comme le marché de gros de la terminaison d'appel vocal mobile, ni la position dominante qu'y détient SRR ;
- la délimitation géographique de ces marchés, définis comme les marchés réunionnais et mahorais ;
- l'existence des pratiques de différenciation tarifaire excédant les écarts de coûts entre appels off net et on net sur les marchés du mobile non résidentiel ;
- les effets anticoncurrentiels de ces pratiques sur les marchés de détail du mobile non résidentiel de Mayotte et La Réunion et la qualification d'abus de position dominante qui en découle ;
- la durée de ces pratiques ;
- et enfin l'imputabilité de ces pratiques à leur égard.
70. Ce n'est dès lors que par un souci de clarté que l'Autorité pourrait estimer nécessaire de rappeler l'ensemble des éléments concourant à la qualification des faits ; toutefois, ils ont été précisément présentés dans la décision n° 14-D-05 du 13 juin 2014 à laquelle il convient de se référer en tant que de besoin.
71. La seule différence factuelle entre les deux affaires réside dans la définition du marché affecté en aval, qui est ici le marché non résidentiel ; mais, pas davantage que dans l'affaire 14-D-05, SRR et SFR n'ont contesté dans leurs écritures la position dominante établie par la notification des griefs sur le marché de gros de la terminaison d'appel, ni le lien de connexité avec le marché de détail non résidentiel (voir en cela là décision n° 12-D-24 précitée), marché sur lequel elle est en outre en position dominante.
2. CONCLUSION SUR L'ABUS DE POSITION DOMINANTE
72. Il résulte de ce qui précède que les pratiques de différenciation tarifaire entre les appels on net et off net mises en œuvre par SRR à travers la commercialisation d'offres sur le marché des services de téléphonie mobile destinée à la clientèle non résidentielle à La Réunion, d'une part, et à Mayotte, d'autre part, constituent des abus de position dominante contraires aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et également, pour le seul territoire de La Réunion, à celles de l'article 102 du TFUE, comme cela n'a pas été contesté par les parties.
73. Ces pratiques ont été mises en œuvre entre le mois de décembre 2000 et le mois d'octobre 2013 à La Réunion, et entre le mois de janvier 2007 et le mois d'octobre 2013 à Mayotte, comme cela n'a pas été contesté par les parties.
B. SUR LES SANCTIONS
74. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce et l'article 5 du règlement n° 1-2003 habilitent l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ainsi que 101 et 102 du TFUE.
75. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce " (s)i le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
76. Par ailleurs, le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose que " (l)orsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence, qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence d'en tenir compte également dans la fixation du montant de la sanction ".
77. Enfin, le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le (titre VI du livre IV du Code de commerce). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
78. En l'espèce, l'Autorité apprécie ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le " communiqué sanctions ").
79. SRR et SFR ont été mis en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services d'instruction de l'Autorité, d'influer sur la détermination de la sanction pouvant leur être imposée. La présentation de ces différents éléments par les services d'instruction ne préjuge pas de l'appréciation du collège sur les déterminants de la sanction, qui relève de sa seule délibération.
80. Enfin, il convient de rappeler que chaque entreprise ou organisme en cause peut se voir imposer plusieurs sanctions dans l'hypothèse où l'intéressé a commis plusieurs infractions (arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2007, Bouygues Télécom, n° 07-10303, 07-10354 et 07-10397), comme c'est le cas en l'occurrence, en déterminant chacune d'elles en fonction des critères prévus par le Code de commerce (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge, n° 10-17482 et 10-17791) et en vérifiant qu'aucune d'entre elles n'excède le maximum légal applicable. Néanmoins, il est possible, eu égard à l'identité ou à la connexité des secteurs ou des marchés en cause, d'une part, et à l'objet général des pratiques, d'autre part, qu'une seule sanction au titre de plusieurs infractions soit infligée (arrêts de la Cour de cassation du 22 novembre 2005, Dexxon Data Media, n° 04-19102, et de la cour d'appel de Paris du 28 janvier 2009, EPSE Joué Club, n° 2008-00255, p. 20).
81. En l'espèce, les pratiques visées par les griefs n° 1 et n° 2 concourent à un même objectif général d'éviction des concurrents de SRR sur les marchés réunionnais et mahorais des services de téléphonie mobile à destination d'une clientèle non résidentielle. C'est pourquoi l'Autorité imposera à chacune des deux sociétés mises en cause une sanction pécuniaire unique au titre de ces deux infractions.
1. SUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE LA VALEUR DES VENTES
82. La valeur des ventes réalisées par SRR en relation avec les infractions commises pourra être utilement retenue comme assiette de la sanction.
83. Certes, le Code de commerce, en ne se référant pas au chiffre d'affaires lié au secteur ou au marché en cause, mais uniquement au chiffre d'affaires mondial consolidé ou combiné, n'impose pas à l'Autorité de procéder de la sorte (arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1997, Société française de transports Gondrand frères, n° 95-16378). Pour autant, ce paramètre constitue généralement une référence appropriée et objective permettant de proportionner au cas par cas l'assiette de la sanction à la réalité économique de l'infraction en cause, et plus précisément à son ampleur ainsi qu'au poids relatif sur le secteur concerné de chacune des entreprises qui y a participé (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord, n° 2011-03298, p. 72 ; voir, également, arrêt Lacroix Signalisation, précité, pp. 37 et 38), comme cela ressort aussi de la jurisprudence constante des juridictions de l'Union (arrêts de la Cour de justice du 7 juin 1983, Musique diffusion française, 100-80, points 119 à 121, du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler, C-322-07 P, C-327-07 P et C-338-07 P, point 114).
84. Au cas d'espèce, les infractions commises par SRR ayant affecté les marchés des services de téléphonie mobile à destination d'une clientèle non résidentielle à La Réunion, d'une part, et à Mayotte, d'autre part, il conviendrait de retenir comme assiette du montant de base de la sanction la valeur des ventes sur ces deux marchés.
85. Pour autant, ainsi que soutenu par les mises en cause, les offres litigieuses n'ont concerné qu'une partie des clients à compter de décembre 2009 à La Réunion et à compter de février 2010 à Mayotte, si bien que le dernier exercice comptable complet de participation à l'infraction - à savoir l'année 2012 - ne constitue manifestement pas, en l'espèce, une référence représentative. Si certains abonnés ont en effet conservé une offre litigieuse au jour de la notification des griefs, il n'en demeure pas moins que le montant de la valeur des ventes résultant de ces abonnements a significativement chuté par rapport aux années 2000 à 2009 à La Réunion et 2007 à 2010 à Mayotte, correspondant à la période pendant laquelle ces offres constituaient le standard du marché concernant les offres commercialisées à destination de la clientèle non résidentielle.
86. En effet, à compter de l'entrée en vigueur des injonctions prononcées par la décision n° 09-MC-02, précitée, et bien que les pratiques se soient poursuivies jusqu'en 2013 sur les contrats en cours, il peut être considéré que la période correspondant au coeur des pratiques a pris fin. La décision n° 09-MC-02 prévoyait comme date d'entrée en vigueur des injonctions prononcées le 1er décembre 2009 à La Réunion et le 1er février 2010 à Mayotte. Dès lors, la période pendant laquelle les offres litigieuses constituaient le standard du marché s'étend du 1er décembre 2000 au 1er décembre 2009 à La Réunion et du 1er janvier 2007 au 1er février 2010 à Mayotte.
87. Compte tenu de ces éléments, et des données chiffrées à la disposition de l'Autorité, les valeurs des ventes à utiliser pour définir l'assiette de la sanction correspondent à une moyenne de la valeur des ventes relatives aux offres de services de téléphonie mobile à destination d'une clientèle non résidentielle, d'une part, du 1er décembre 2000 au 1er décembre 2009 à La Réunion, et, d'autre part, du 1er janvier 2007 au 1er février 2010 à Mayotte. Le tableau ci-dessous récapitule les valeurs des ventes servant d'assiette à la sanction :
" emplacement tableau "
88. En application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de base de la sanction imposée à SRR et SFR sera déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, critères qui se rapportent tous deux aux pratiques constatées. Les appréciations de l'Autorité à cet égard trouveront une traduction chiffrée dans le choix d'une proportion de la valeur des ventes retenue, démarche qui, comme indiqué plus haut, permettra de proportionner l'assiette de la sanction à la réalité économique des infractions, d'une part, et au poids relatif sur les marchés concernés de SRR, d'autre part. L'Autorité procèdera à une appréciation globale tant de l'importance du dommage causé à l'économie que de la gravité des faits, avant de prendre en compte, de manière individualisée, la situation de SRR (arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, précité, p. 68).
89. La durée des pratiques, qui constitue un facteur pertinent pour apprécier tant la gravité des faits (arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, Orange France, n° 11-22144) que l'importance du dommage causé à l'économie (arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge ciments, n° 10-17482 et 10-17791), fera ensuite l'objet d'une prise en compte sous ce double angle selon les modalités pratiques décrites dans le communiqué sanctions.
a) Sur la proportion de la valeur des ventes retenue
Sur la gravité des faits Arguments des parties
90. S'agissant de la nature des pratiques mises en œuvre, SRR soutient qu'aucun élément du dossier ne viendrait démontrer la recherche d'un effet anticoncurrentiel au travers de la commercialisation des offres litigieuses, celle-ci et la différenciation tarifaire engendrée par ces offres ayant, selon l'opérateur, des justifications historiques et économiques. Appréciation de l'Autorité
91. Pour apprécier la gravité des faits, l'Autorité tient notamment compte des éléments suivants, en fonction de leur pertinence :
- la nature de l'infraction ou des infractions en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser, ainsi que la nature du ou des paramètres de la concurrence et, le cas échéant, leur combinaison ; ces éléments revêtent une importance centrale dans le cas des pratiques anticoncurrentielles expressément visées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 TFUE, en considération de leur gravité intrinsèque ;
- la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause (activité de service public, marché public, secteur ouvert depuis peu à la concurrence, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison ;
- la nature des personnes susceptibles d'être affectées (petites et moyennes entreprises [PME], consommateurs vulnérables, etc.), et
- les caractéristiques objectives de l'infraction ou des infractions.
92. S'agissant, en premier lieu, de la nature des pratiques mises en œuvre par SRR, celles-ci consistent en des abus tendant à évincer les concurrents de cette entreprise. Ainsi, l'Autorité a estimé dans sa décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009 précitée, que " la différenciation tarifaire peut aussi être l'un des leviers d'une stratégie visant à évincer ou discipliner les concurrents " (paragraphe 336 de la décision). De même, dans sa décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012 précitée, l'Autorité a considéré que les pratiques de différenciation tarifaire on net et off net sont de nature à limiter la fluidité du marché de détail de la téléphonie mobile et à élever les coûts des concurrents, affaiblissant ainsi la concurrence émanant des opérateurs de plus petite taille et renforçant les barrières à l'entrée sur le marché. Elles sont par conséquent susceptibles d'exposer, à terme, les plus petits opérateurs à une éviction du marché (paragraphe 619 de la décision).
93. Dans sa décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009 précitée, l'Autorité a eu l'occasion de réaffirmer qu'au regard de leur nature, les abus d'exclusion dont l'objectif est d'éliminer du marché des concurrents réels ou potentiels sont des pratiques graves en elles-mêmes (point 446 de la décision ; voir également décisions n° 04-D-13 du 9 avril 2004 et n° 05-D-32 du 22 juin 2005).
94. La cour d'appel de Paris a dans le même sens considéré que " les pratiques en cause sont des abus d'exclusion, graves en elles-mêmes en ce qu'elles tendent à l'élimination du marché de concurrents réels ou potentiels ; qu'en outre, elles ont été mises en œuvre par la filiale de l'opérateur historique sur des marchés caractérisés par l'existence de barrières à l'entrée significatives " (arrêt du 4 juillet 2013, société Digicel, n° 2012-05160, p. 32).
95. L'Autorité a précisé, dans sa décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012, précitée : " [i]l convient toutefois de souligner que les pratiques de différenciation tarifaire n'ont pas nécessairement pour effet d'empêcher les concurrentes des entreprises en cause de proposer leurs services de manière rentable. Tout en revêtant un caractère de gravité certain, elles se distinguent donc de pratiques d'exclusion emportant un effet mécanique et automatique d'exclusion des concurrents, qui sont traditionnellement qualifiées par les autorités de concurrence et par les juridictions européenne et nationale de graves, voire très graves lorsqu'elles sont mises en œuvre par une entreprise en situation de quasi-monopole (voir, s'agissant de pratiques de compression des marges aboutissant à la constatation d'une marge négative, les décisions précitées de la Commission européenne du 21 mai 2003, confirmée par les arrêts précités du Tribunal de l'Union du 10 avril 2008, Deutsche Telekom-Commission, point 310 et de la Cour de justice du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom-Commission, point 275, et du 4 juillet 2007, confirmée par l'arrêt précité du Tribunal de l'Union du 29 mars 2012, Telefonica SA-Commission, points 382 et s., ainsi que la décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-D-36 précitée, paragraphe 448) ".
96. S'agissant, en deuxième lieu, de la situation du secteur dans lequel sont intervenues les pratiques, il faut noter que celles-ci ont été mises en œuvre par le premier opérateur de téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte, SRR s'étant trouvée pendant plus de quatre années en situation de monopole de fait sur ces deux territoires. Ce monopole de fait conférait à SRR la responsabilité toute particulière de ne pas entraver l'entrée sur le marché et le développement d'un opérateur concurrent, ainsi que le relève l'Autorité dans sa décision n° 09-D-36, précitée, s'agissant d'Orange Caraïbe (paragraphe 450 de la décision).
Aux termes de la jurisprudence, la société, filiale d'un opérateur historique, qui a disposé pendant plusieurs années d'un monopole de fait sur le marché visé par ses pratiques, a en effet à sa charge une " responsabilité particulière " (arrêt du 4 juillet 2013, précité, p. 32).
97. Or, en créant ou en laissant subsister des freins artificiels à la pénétration de nouveaux acteurs sur le marché, SRR a méconnu la responsabilité particulière qui lui incombait.
98. S'agissant, en troisième lieu, de la nature des personnes susceptibles d'être affectées, il convient de relever que la pratique a touché la quasi-totalité du parc des PME. Pour l'ensemble de ces entreprises, déjà soumises aux surcoûts spécifiques qu'implique l'insularité, les pratiques d'éviction, qui brident le développement de la concurrence et donc la baisse des prix des communications mobiles, ne pouvait se traduire que par un maintien à un niveau élevé de leurs coûts de communication, limitant de ce fait leurs possibilités d'investir dans leur outil de production.
99. S'agissant enfin des caractéristiques concrètes des pratiques, il relève de l'instruction que, dès 2002, SRR ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel des pratiques de différenciation tarifaire qu'elle a mises en œuvre. En effet, dès le mois de novembre 2002, le Conseil de la concurrence a indiqué, dans sa décision n° 02-D-69 du 26 novembre 2002 relative à des pratiques de différenciation tarifaire entre appels on net et off net mises en œuvre par Orange France en métropole, que " pour un opérateur en position dominante, le fait de pratiquer des différences de prix non justifiées par des différences de coût de revient des services, et qui pourraient donc être discriminatoires, est susceptible de constituer un abus si cette pratique a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché concerné " (paragraphe 23 de la décision).
100. Le Conseil de la concurrence a par la suite considéré, dans sa décision n° 04-MC-02 du 9 décembre 2004 relative à une demande de mesures conservatoires présentées par la société´ Bouygues Télécom Caraïbe à l'encontre de pratiques mises en œuvre par les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom, confirmée sur ce point par la cour d'appel de Paris (arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 janvier 2005), qu'il pouvait " être raisonnablement présumé, en l'état du dossier et sous réserve de l'instruction au fond, que la différenciation tarifaire pratiquée entre les appels on net et off net par Orange Caraïbe verrouille l'entrée sur le marché par un effet de " club ", lui-même renforcé par l'important écart de taille entre les deux réseaux concernés, pratique constitutive d'un abus de position dominante entrant dans le champ de l'article L. 420-2 du Code de commerce " (paragraphe 62 de la décision). Or, SRR a non seulement maintenu dans ses offres une telle différenciation tarifaire entre appels on net et appels off net pour ses clients réunionnais, mais a de plus introduit en décembre 2006 de telles différences de prix dans les offres de ses clients mahorais, puis entre le prix des SMS on net et celui des SMS off net, respectivement en mars 2006 à La Réunion et en décembre 2006 à Mayotte.
101. Dans ces conditions, SRR ne peut soutenir que les particularités historiques et économiques des marchés concernés pourraient expliquer et justifier la commission des pratiques, ces particularités n'étant pas de nature à contraindre ou même inciter l'entreprise à ignorer la pratique décisionnelle et juridictionnelle applicable aux comportements en cause.
Sur l'importance du dommage causé à l'économie Rappel des principes
102. À titre liminaire, il convient de rappeler que le critère légal de l'importance du dommage causé à l'économie ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, arrêt de la Cour d'appel de Paris, 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007-18 040, p. 4). Comme indiqué au point 27 du communiqué sanctions, " compte tenu de la nature répressive et dissuasive, mais en aucun cas réparatrice, des sanctions pécuniaires imposées aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles dans le but de rétablir et de préserver l'ordre public économique, le dommage causé à l'économie ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les personnes victimes de l'infraction ".
103. L'Autorité, qui n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie, doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, Orange France, n° 2010-12 049, p. 5, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité, et du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, n° 2012-23 945, p. 89). L'existence du dommage à l'économie ne saurait donc être présumée (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France, n° 09-12984, 09-13163 et 09-65940).
104. En se fondant sur une jurisprudence établie, l'Autorité tient notamment compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée, entre autres, par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des participants sur le secteur ou le marché concerné, de sa durée, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné (voir, par exemple, arrêts de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, précité, p. 5 et du 26 janvier 2012, précité, p. 89 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité). Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04-13910).
Arguments des parties
105. SRR fait valoir que plusieurs éléments contribuent à limiter le dommage causé à l'économie, notamment en comparaison du dommage causé par les pratiques sanctionnées dans la décision n° 14-D-05, précitée, et ayant eu lieu sur les marchés de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle à La Réunion et à Mayotte.
106. SRR considère qu'il devrait être tenu compte de l'intensité variable des pratiques dans le temps. Alors que l'infraction était généralisée jusqu'en 2009 à La Réunion et à Mayotte, son intensité s'est fortement amoindrie à compter de 2009, avant que la pratique litigieuse ne cesse totalement fin 2013.
107. De plus, la clientèle non résidentielle étant plus sensible à la qualité du réseau qu'aux prix des forfaits, les effets d'éviction causés par les pratiques de différenciation abusive entre les appels on net et off net devraient être de faible intensité, et en tout état de cause moins importants que sur le marché résidentiel, où la sensibilité aux prix est plus importante.
108. Par ailleurs, SRR conteste la maturité du marché et fait valoir que les taux de pénétration très élevés et en faible augmentation présentés par les services d'instruction concernent à la fois les marchés résidentiels et non résidentiels. Sur les marchés non résidentiels à La Réunion et à Mayotte, le taux de pénétration serait en réalité beaucoup plus bas, d'après des sondages cités par SRR (cotes 3122 à 3126).
109. S'agissant des constatations factuelles d'évolution des parts de marché, SRR relève que l'absence de rupture de tendance dans l'évolution des parts de marché à compter du prononcé de la décision de mesures conservatoires en 2009, alors que la proportion d'offres litigieuses a fortement décru, serait le signe que les pratiques n'ont que peu entravé la concurrence à La Réunion et à Mayotte. De plus, l'absence de développement d'Outremer Telecom sur le marché non résidentiel à Mayotte s'expliquerait par la mauvaise qualité de son réseau, critère essentiel de choix des opérateurs sur le marché non résidentiel. L'entrée tardive des concurrents expliquerait aussi leurs faibles performances.
110. Enfin, les utilisateurs non résidentiels ne feraient pas de distinction entre les appels passés sur le réseau ou hors du réseau de SRR, car leurs appels sont contraints, passés pour des besoins professionnels et ils ne s'acquittent pas personnellement du prix de leur forfait. Ainsi, à la différence du marché résidentiel, les pratiques ne seraient pas de nature à limiter le nombre d'appels off net sortants de SRR sur le marché non résidentiel, ni à dégrader le solde d'interconnexion des opérateurs concurrents.
Appréciation au cas d'espèce
Sur l'ampleur des pratiques en cause
111. Les pratiques en cause ont été mises en œuvre par un opérateur qui détenait, lors de l'entrée d'Orange à La Réunion et d'Outremer Télécom à Mayotte, un monopole de fait depuis plusieurs années, et qui a conservé par la suite des parts de marché très élevées, bien supérieures à celles de ses concurrents, en parc comme en valeur. SRR détenait à la fin de l'année 2012 près de [...] du parc non résidentiel à La Réunion et [...] à Mayotte.
112. Jusqu'en 2009, la quasi-totalité du parc non résidentiel de SRR était abonnée à des offres comprenant une différenciation tarifaire litigieuse entre les appels on net et les appels off net, à La Réunion comme à Mayotte. SRR rappelle qu'à l'occasion de la mise en œuvre de la décision de mesures conservatoires de 2009, une part limitée de ses clients non résidentiels a continué de se voir appliquer des plans tarifaires comprenant des différenciations excessives. En effet, à La Réunion, les lignes non résidentielles affectées par les pratiques litigieuses concernaient [...] des lignes non résidentielles en décembre 2010, puis cette part a décliné avant de disparaître fin 2013. À Mayotte, environ [...] des lignes ont continué d'être affectées par les pratiques litigieuses entre 2010 et septembre 2013, avant de disparaître fin 2013 (cote 2361). Cependant, ces pratiques, dont le caractère systématique et généralisé a donc pu varier dans le temps à La Réunion et à Mayotte à partir de 2009, ont néanmoins été d'une ampleur maximale jusqu'en 2009.
Sur les caractéristiques économiques objectives du secteur
113. Comme l'a rappelé l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 12-D-25, précitée, il ressort de la jurisprudence que, sur un marché sur lequel la concurrence est déjà affaiblie par la position dominante d'un opérateur économique, des pratiques d'éviction mises en œuvre par cet opérateur entraînent nécessairement un affaiblissement de la concurrence en retardant la pénétration de nouveaux entrants (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 avril 2008, SFR, n° 2007-5604, p. 9). Cette situation caractérise les marchés des services de téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte, où SRR a détenu un monopole de fait pendant plusieurs années avant l'arrivée des opérateurs concurrents.
114. Les marchés des services de téléphonie mobile dans les DOM présentent différentes caractéristiques économiques objectives spécifiques de nature à amplifier le dommage causé par les pratiques en cause, comme cela a été relevé dans la décision n° 09-D-36, précitée, s'agissant des marchés de la zone Antilles-Guyane, et dont l'analyse est parfaitement transposable au cas d'espèce :
" il convient de relever l'importance des barrières non techniques à l'entrée sur le marché, tenant par exemple à la nécessité de déployer un réseau de vente pertinent, d'acquérir et fidéliser une clientèle dans un contexte de marché mûr et ne comprenant pas de mécanisme effectif de portabilité des numéros mobiles (effective sur la zone au 1er avril 2006). Plus précisément, il s'agit pour un nouvel entrant de réaliser ou d'accéder à un réseau de distribution mono-marque et-ou multimarque lui offrant une présence commerciale suffisante sur un plan quantitatif et qualitatif, ce qui implique de forts coûts échoués (constitution d'une force de vente, mise en place d'une politique de franchisage, obtention d'implantations commerciales performantes...) et en tout état de cause représente une activité de plusieurs semestres (...).
Par ailleurs, sur un marché arrivé à maturité, les coûts de changement d'opérateurs (" switching costs ") sont aussi susceptibles de constituer des barrières à l'entrée pour de nouveaux entrants. De plus, le nombre de clients potentiels pour un nouvel entrant est d'autant plus réduit que le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane se caractérise, comme en métropole, par des périodes d'engagements importantes (de 12 ou 24 mois).
L'absence de mécanisme efficace de portabilité des numéros mobiles a également longtemps constitué un frein très important au changement d'opérateur " (paragraphes 36 à 38 de la décision).
115. Concernant la maturité du marché, on peut relever en premier lieu que même dans le cas où le marché ne serait pas mature (avec une proportion élevée de clients accessibles, car non abonnés auprès d'un opérateur), comme le soutient SRR, les effets des pratiques resteraient tout aussi importants. En effet, les pratiques de différenciation tarifaire on net off net abusives ont également des effets anticoncurrentiels sur les primo-accédants, en les attirant vers le réseau de l'opérateur de plus grande taille, sur lequel ils maximisent les chances de pouvoir appeler et être appelés par des correspondants du même réseau à des prix on net inférieurs aux prix des appels off net (effets dits " de club ").
116. Au surplus, les données citées par SRR ne permettent pas d'attester si le marché était ou non mature pendant la période des pratiques. Pour le premier sondage, il n'est pas précisé s'il se rapporte à la métropole, à La Réunion, à Mayotte ou à un autre marché géographique. S'agissant du deuxième sondage, le faible taux d'équipement des entreprises réunionnaises (50 %) est essentiellement dû à l'absence d'équipement des " entreprises de 0 salarié et du commerce " (cote 3126). Or, non seulement le poids sur le marché de ces entreprises en nombre de lignes est très inférieur à leur poids en nombre d'entreprises, mais de plus, elles souscrivent fréquemment à des forfaits résidentiels.
117. Comme l'indique SRR, la clientèle non résidentielle est vraisemblablement plus attentive à la qualité du réseau et à la fiabilité du service qu'au prix des forfaits. Mais ce constat, s'il rend le facteur prix moins pertinent dans les choix des consommateurs, ne l'élimine pas pour autant. De plus, il est fréquent que de nouveaux entrants doivent, pour convaincre les clients de la qualité de leurs services, offrir ces services à des prix compétitifs. En dégradant la compétitivité prix de ses concurrents nouveaux entrants, SRR a donc également diminué leur capacité à pénétrer le marché, quand bien même ces derniers proposaient des services de qualité satisfaisante. Enfin, en renforçant les effets " de club " et en augmentant ainsi artificiellement l'attractivité du réseau de SRR par rapport aux réseaux concurrents, les pratiques ont empêché les concurrents d'atteindre une taille satisfaisante leur permettant de réaliser les économies d'échelle nécessaires à l'amélioration éventuelle de leur réseau.
118. Par ailleurs, sur le marché non résidentiel plus spécifiquement, l'Arcep souligne dans son avis relatif à la présente affaire que les coûts de passage d'un opérateur à l'autre (" switching costs ") sont particulièrement élevés, ce qui contribue à aggraver l'effet anticoncurrentiel des pratiques. En effet, du fait de ces coûts, la pénétration des entrants est plus difficile et les pratiques de différenciation s'ajoutent alors à ces difficultés. De plus, par rapport au marché résidentiel, sur lequel la majorité des offres sont prépayées à La Réunion et à Mayotte, et par conséquent la clientèle plus libre de changer d'opérateur, l'importance des " switching costs " sur le marché non résidentiel est susceptible d'accroître le dommage à l'économie en permettant aux pratiques de produire des effets au-delà de leur période de commission, par simple effet d'inertie de la clientèle (paragraphe 128 ci-dessous).
Sur les conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques
119. Ainsi que l'a rappelé l'Autorité dans sa décision n° 12-D-25, précitée, toute élévation artificielle des barrières à l'entrée par un opérateur historique, notamment du fait de pratiques d'éviction, est susceptible de ralentir la pénétration des nouveaux opérateurs existants, mais aussi de contribuer à décourager des entrants potentiels. Ce retard et ce découragement des concurrents potentiels engendrent un dommage certain, quand bien même il ne serait pas aisément quantifiable.
120. Par ailleurs, le Conseil puis l'Autorité ont, de façon constante, considéré que les pratiques de différenciation tarifaire entre appels on net et off net tendent à produire trois types d'effets anticoncurrentiels : le renforcement d'un effet de réseau ou " effet de club ", une dégradation de l'image des concurrents de l'opérateur qui met en œuvre ces pratiques et une dégradation des soldes d'interconnexion liés à une rétention du trafic off net.
121. Comme l'a indiqué la cour d'appel de Paris, l'" effet de club " est plus important " lorsqu'une telle pratique [de différenciation tarifaire] est observée sur un marché étroit (moins d'un million de clients potentiels), ne comportant que deux acteurs aux positions fortement asymétriques " (arrêt du 28 janvier 2005). Comme l'a indiqué le Conseil dans sa décision n° 04-MC-02 relative à des pratiques de différenciation tarifaire entre appels on net et off net dans les Caraïbes, l'" effet de club " " est considérablement renforcé par le fait qu'il n'existe que deux réseaux et que le plus grand des deux détient une part de marché de plus de 82 %. L'écart de taille entre les réseaux, et non la taille absolue du plus petit réseau, est l'élément crucial de l'espèce car cet écart constitue un levier multipliant l'effet du montant de la différence des tarifs. En outre, cet écart dans la taille des réseaux prive le plus petit de moyens de réplique : même en pratiquant une différenciation élevée entre ses tarifs on net et off net, le petit réseau ne peut proposer des tarifs on net plus attractifs en les finançant par les revenus tirés des terminaisons d'appel " (paragraphe 61 de la décision).
122. Cette asymétrie des parts de marché, présente dès le début de la période mise en œuvre des pratiques, s'est prolongée dans le temps : sur les marchés des offres mobiles destinées à la clientèle non résidentielle, en 2008, la part de marché en valeur de SRR à La Réunion était de [...], et SRR était alors en situation de quasi-monopole à Mayotte ; à la fin de l'année 2013, ces parts de marché étaient respectivement de [...] et de [...].
123. Comme l'a indiqué également le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 04-MC-02, précitée, " l'effet de "club" résultant de la différenciation tarifaire pratiquée entre les appels off net et on net sur le réseau d'Orange Caraïbe est directement proportionnel à l'ampleur de cette différenciation " (paragraphe 61). Au cas d'espèce, il ressort des constatations que les écarts de prix pratiqués ont excédé de beaucoup les écarts de coûts (paragraphes 47 et suivants). Les premiers ont été plusieurs années 10 fois supérieurs aux seconds pour certaines offres à La Réunion. De plus, à La Réunion comme à Mayotte, les offres litigieuses représentaient la quasi-totalité du parc non résidentiel de SRR jusqu'en 2009 (cote 2361). Les écarts de prix ont représenté en moyenne 3 à 4,5 fois les écarts de coûts entre 2004 et 2009 à La Réunion et 1,2 à 3 fois les écarts de coûts entre avril 2007 et décembre 2010 à Mayotte.
124. Il résulte de ce qui précède que la pratique de différenciation tarifaire de SRR a eu pour effet de renforcer artificiellement l'attractivité du réseau de SRR.
125. En deuxième lieu, en ce qui concerne la dégradation de l'image des concurrents, la différenciation tarifaire entre les appels off net et on net mise en œuvre par SRR peut faire apparaître les concurrents comme des opérateurs " chers " aux yeux des clients. À cet égard, dans le cadre de l'affaire ayant donné lieu à la décision n° 02-D-69, précitée, l'ART, qui a précédé l'ARCEP, avait souligné que " cette surtarification, qui ne peut donc pas se justifier économiquement par le coût des réseaux concurrents, risque pourtant d'être perçue comme telle par le client. En particulier, lorsque le client d'Orange France recevra des factures où apparaîtra le prix des communications à destination de ses correspondants abonnés aux réseaux mobiles tiers, il constatera le prix plus élevé de ces appels, et risque d'en reporter la responsabilité sur les coûts du réseau appelé. Il se produira vraisemblablement un "effet facture" défavorable à l'image de Bouygues Télécom et à celle de SFR, et ce d'autant plus que la fourniture au client d'une facturation détaillée gratuite fait partie des obligations des opérateurs depuis le 1er septembre 2002 " (avis n° 02-901 du 10 octobre 2002). Des considérations identiques trouvent à s'appliquer au cas d'espèce.
126. En troisième lieu, si la différenciation tarifaire entre les appels on net et off net peut en général avoir pour effet d'accroître le volume du trafic on net et de diminuer le volume du trafic off net sortant de l'opérateur qui la pratique, il convient au cas d'espèce de prendre en considération les spécificités du marché non résidentiel pour vérifier si c'est également le cas sur ce marché. Dans un certain nombre d'entreprises, l'acheteur n'est pas l'utilisateur et, comme le relève SRR, l'utilisateur ne fait a priori pas la différence entre des appels on net et off net pour ses besoins professionnels. Dès lors, on ne peut pas considérer que les pratiques ont eu pour effet de limiter les appels sortants off net de SRR et de dégrader le solde d'interconnexion des opérateurs concurrents, à la différence du marché résidentiel.
127. L'importance de ces différents effets est confirmée par l'évolution des parts de marché, même si celles-ci peuvent ne pas résulter exclusivement des pratiques en cause. À cet égard, SRR a réussi à maintenir entre 2005 et 2012 des parts de marché très élevées et très stables dans le temps puisqu'elles étaient encore de [...] en 2012 à La Réunion et de [...] à Mayotte sur le marché non résidentiel. Orange a vu quant à lui ses parts de marché stagner entre [...] et [...] tout au long de la période 2005-2012 à La Réunion et sa position est demeurée marginale à Mayotte, avec moins de [...] de parts de marché. Outremer Telecom n'a pas réussi à se développer sur le marché non résidentiel à La Réunion, ses parts de marché restant tout à fait marginales et inférieures à [...]. À Mayotte, il n'a réussi à obtenir que [...] de parts de marché. Les pratiques se sont donc accompagnées d'un maintien de positions particulièrement asymétriques sur les marchés en cause.
128. Le fait que l'évolution des parts de marché après la décision de mesures conservatoires ne présente aucune rupture par rapport à la phase antérieure peut s'expliquer par l'importance des switching costs, particulièrement élevés sur le marché non résidentiel : les pratiques visées par la présente décision sont alors susceptibles d'emporter des effets d'inertie, qui peuvent expliquer la stabilité des parts de marché postérieurement à la fin des pratiques. De plus, tout en restant auprès du même opérateur, les clients peuvent avoir bénéficié de meilleurs tarifs grâce à une pression concurrentielle accrue après la décision de mesures conservatoires, ce qui peut également expliquer la relative stabilité des parts de marché avant et après la décision de mesures conservatoires. Appréciation globale du dommage à l'économie
129. Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, le dommage causé à l'économie par les pratiques de différenciation tarifaire entre appels on net et off net mises en œuvre par SRR est certain. De surcroît, il est renforcé par rapport aux pratiques sanctionnées en métropole par la décision n° 12-D-24, précitée, dans la mesure où, en l'espèce, la mise en cause est également en situation de position dominante sur le marché aval.
130. De même, on ne peut considérer que le dommage à l'économie soit moins important que dans la décision n° 14-D-05, précitée. Bien que l'effet de dégradation des soldes d'interconnexion lié à une rétention des appels sortants off net ne soit vraisemblablement pas à l'œuvre sur les marchés non résidentiels, ce qui est de nature à limiter le dommage, les marchés non résidentiels présentent d'autres caractéristiques qui conduisent au contraire à rehausser son importance par rapport aux marchés résidentiels : (i) des " switching costs " plus élevés, qui consolident l'effet des pratiques, (ii) des parts de marché beaucoup plus asymétriques des opérateurs, conduisant à accroître l'effet anticoncurrentiel des pratiques de différenciation on net off net, (iii) une quasi-stagnation des parts de marché des concurrents, parfois à des niveaux très faibles comme pour Orange à Mayotte, alors que les augmentations de parts de marché des concurrents de SRR étaient plus sensibles sur le marché résidentiel et (iv) une continuation des pratiques après la décision de mesures conservatoires de 2009 beaucoup plus marquée que sur le segment résidentiel, même si la part limitée du parc encore concernée par les pratiques à compter de 2009 est un élément de nature à tempérer l'ampleur du dommage causé à l'économie.
Conclusion sur la proportion de la valeur des ventes
131. Compte tenu de l'appréciation faite ci-dessus de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, il sera retenu, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée à SRR et SFR, une proportion de 6 % de la valeur de ses ventes liées à la commercialisation des offres de SRR sur les marchés réunionnais et mahorais de la téléphonie mobile à destination d'une clientèle non résidentielle.
b) Sur la durée des pratiques
132. Comme indiqué précédemment, la durée de l'infraction est un facteur qu'il convient de prendre en compte dans le cadre de l'appréciation tant de la gravité des faits que de l'importance du dommage causé à l'économie. En effet, plus une infraction est longue, plus l'atteinte qu'elle porte au jeu de la concurrence et la perturbation qu'elle entraîne pour le fonctionnement du secteur ou du marché en cause, et plus généralement pour l'économie, peuvent être substantielles et persistantes. La jurisprudence de l'Union sur ce point relève d'ailleurs que : " Si une entente fixe l'état du marché au moment où elle est conclue, sa longue durée peut en rigidifier les structures (...). Le retour à l'état de libre concurrence sera d'autant plus difficile et long que la durée de l'entente aura elle-même été longue " (arrêt de la Cour de justice du 8 décembre 2011, KME Germany, C-389-10 P, point 75).
133. Dans le cas d'infractions qui se sont prolongées plus d'une année, l'Autorité s'est engagée à prendre en compte leur durée selon les modalités pratiques suivantes : la proportion retenue, pour donner une traduction chiffrée à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie, est appliquée une fois, au titre de la première année complète de participation individuelle aux pratiques de chaque entreprise en cause, à la valeur de ses ventes pendant l'exercice comptable de référence, puis à la moitié de cette valeur, au titre de chacune des années complètes de participation suivantes. Au-delà de cette dernière année complète, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent.
134. Dans chaque cas d'espèce, cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chacune des entreprises aux pratiques et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d'entre elles pendant l'exercice comptable retenu comme référence.
135. Au cas présent, au-delà des années complètes de participation, l'Autorité retiendra les mois complets de participation au prorata temporis, mais ne retiendra pas les jours allant au-delà du dernier mois complet de participation.
136. S'agissant du marché réunionnais, SRR a introduit dès décembre 2000 un tarif off net dans les plans tarifaires de ses clients en parc puis a lancé de nouvelles offres sur ce même marché, avec une différenciation tarifaire excédant les écarts de coûts. Si ces offres ont progressivement cessé d'être commercialisées, SRR a néanmoins conservé jusqu'au mois d'octobre 2013, ce qui n'est au demeurant pas contesté, des clients engagés sur des plans tarifaires comportant la différenciation tarifaire on net et off net litigieuse, soit pendant une durée totale de douze ans et onze mois.
137. S'agissant du marché mahorais, SRR a introduit dès décembre 2006 un tarif off net dans les plans tarifaires de ses clients en parc puis a lancé de nouvelles offres sur ce même marché, avec une différenciation tarifaire excédant les écarts de coûts. Cette différenciation a perduré dans les plans tarifaires de ses clients de janvier 2007 et octobre 2013, soit pendant une durée totale de six ans et dix mois.
138. Le tableau ci-dessous récapitule la durée individuelle de participation aux pratiques de SRR en cause et le facteur multiplicateur correspondant :
" emplacement tableau "
c) Conclusion sur la détermination du montant de base
139. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, eu égard à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie par les pratiques en cause telles qu'appréciées ci-dessus, le montant de base de la sanction pécuniaire déterminé en proportion des ventes liées à la commercialisation des offres en relation avec les infractions commises par SRR, d'une part, et de la durée des pratiques, d'autre part, est de 10 890 254 d'euro.
2. SUR L'INDIVIDUALISATION
a) Sur les circonstances atténuantes ou aggravantes
140. L'Autorité s'est engagée à adapter les montants de base reflétant la gravité des faits et l'importance du dommage causé à l'économie au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de chacune des parties en cause, qu'il s'agisse d'organismes ou d'entreprises, appartenant le cas échéant à des groupes plus larges. À cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement de l'intéressé dans le cadre de sa participation à l'infraction, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle. Cette prise en considération peut conduire à ajuster les sanctions tant à la hausse qu'à la baisse.
141. Au cas présent, les éléments du dossier ne font pas ressortir de circonstances atténuantes ou aggravantes qui seraient de nature à diminuer ou à augmenter la sanction, sous réserve de la mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction applicable aux faits.
b) Les autres éléments d'individualisation
142. L'appréciation de la situation individuelle peut conduire à prendre en considération l'envergure de l'entreprise en cause ou du groupe auquel elle appartient (voir, en ce sens, Cass. com., 28 avril 2004, Colas Midi-Méditerranée, n° 02-15203).
143. Au cas d'espèce, les sociétés mises en cause ne contestent pas que SFR dispose d'une taille, d'une puissance économique et de ressources globales importantes, ce qui constitue, conformément au communiqué sanctions, une circonstance susceptible d'amener l'Autorité à adapter à la hausse le montant de base.
144. La jurisprudence constante des juridictions de l'Union va dans le même sens. Tout en indiquant que le recours à la valeur des ventes de l'entreprise en cause permet de proportionner l'assiette de la sanction à l'ampleur économique de l'infraction et au poids relatif de l'intéressée sur le secteur ou marché en cause, elle rappelle en effet qu'il est légitime de tenir compte, dans le même temps, du chiffre d'affaires global de cette entreprise, en ce que celui-ci est de nature à donner une indication de sa taille, de sa puissance économique et de ses ressources (CJCE, Musique Diffusion Française, précité, points 119 à 121, et CJCE, 26 juin 2006, Showa Denko, C-289-04 P, points 16 et 17).
145. De fait, la circonstance qu'une entreprise dispose d'une puissance financière importante peut justifier que la sanction qui lui est infligée, en considération d'une ou plusieurs infractions données, soit plus élevée que si tel n'était pas le cas, afin d'assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire (arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, précité, p. 71). À cet égard, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que l'efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles requiert que la sanction pécuniaire soit effectivement dissuasive - objectif également mis en exergue, s'agissant des sanctions pouvant être imposées en cas de violation de règles nationales de concurrence, par l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 27 septembre 2011, Menarini Diagnostics-Italie (Req. n° 43509-08, point 41) -, au regard de la situation financière propre à chaque entreprise au moment où elle est sanctionnée (arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2012, Séphora, n° 12-14401).
146. En l'espèce, SFR dispose de ressources financières largement supérieures à la valeur des ventes en relation avec les pratiques en cause. Son chiffre d'affaires réalisé en 2014 est de 9,5 milliards d'euro.
147. Dès lors, au regard de la taille, de la puissance économique et des ressources globales importantes dont dispose SFR, il y a lieu, afin de conférer à la sanction finale un caractère suffisamment dissuasif, d'appliquer une majoration de 10 % au montant de base. Au vu de l'ensemble de ces appréciations, le montant de la sanction imposée à SRR, solidairement avec sa société mère SFR, s'élève à 11 979 279 euro.
3. SUR LES AJUSTEMENTS FINAUX
a) Sur la vérification du maximum applicable
148. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Altice, qui consolide le chiffre d'affaires des sociétés SRR et SFR, était de 3 954 500 000 euro en 2014, année correspondant au chiffre d'affaires le plus élevé pendant la période comprise entre l'année précédant le début de l'infraction et le jour de la décision. Du fait de la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs, le montant maximum de la sanction pour les sociétés SRR et SFR s'élève à 5 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes d'Altice pour l'année 2014, soit 196 725 000 euro. Ce montant est supérieur au montant de la sanction mentionné au paragraphe 147 ci-dessus, qui n'a dès lors pas lieu d'être réduit à ce titre.
b) Sur la prise en compte de la non-contestation des griefs
149. À la date des faits, le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce permettait au rapporteur général de proposer à l'Autorité de tenir compte, dans le cadre de la détermination de la sanction, du fait qu'une entreprise ou un organisme renonçait à contester les griefs qui lui ont été notifiés. Le rapporteur général pouvait, par ailleurs, lui proposer de tenir compte du fait que l'intéressé s'engageait en outre à modifier son comportement pour l'avenir.
150. Au cas présent, les sociétés SRR et SFR ont choisi de renoncer à contester les griefs qui leur avaient été notifiés en application du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce. Le rapporteur général adjoint a donné suite à cette demande par un procès-verbal du 31 juillet 2013, en s'engageant à proposer au collège une réduction de 10 % à ce titre.
151. La renonciation à contester les griefs, qui a principalement pour effet d'alléger et d'accélérer le travail d'instruction, en particulier en dispensant les services d'instruction de la rédaction d'un rapport lorsqu'elle est le fait de l'ensemble des entreprises mises en cause, ne peut conduire à accorder aux intéressés qu'une réduction de sanction relativement limitée. Ce sont, le cas échéant, la nature et la qualité des engagements présentés qui peuvent permettre d'accorder une réduction de sanction plus importante (décisions n° 07-D-21 du Conseil du 26 juin 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location-entretien de linge, paragraphe 129, n° 08-D-13 du 11 juin 2008 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'entretien courant des locaux, paragraphe 99, et n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire, paragraphe 155).
152. Dans le cadre de l'affaire ayant fait l'objet de la décision n° 14-D-05 précitée, SRR et SFR ont effectivement signé, le 31 juillet 2013, un procès-verbal de non-contestation des griefs, accompagné d'un engagement visant à mettre en place un programme de conformité au droit de la concurrence. Cet engagement a permis aux mises en cause de bénéficier d'une réduction du montant de la sanction pécuniaire de 8 %.
153. SRR et SFR, bien que n'ayant proposé aucun engagement dans le cadre de la présente affaire, demandent cependant à bénéficier d'une réduction supérieure aux 10 % proposés par le rapporteur général adjoint. Les parties estiment en effet qu'en l'absence de la décision de disjonction du 1er août 2013, intervenue postérieurement à la date du procès-verbal de non-contestation des griefs en date du 31 juillet 2013, les pratiques relevées aux termes de la décision n° 14-D-05 précitée et celles relevées dans la présente décision auraient fait l'objet d'une décision unique. Selon SRR et SFR, la réduction supplémentaire de 8 % du montant de la sanction pécuniaire accordée aux termes de la décision n° 14-D-05 au titre des engagements proposés doit dès lors leur être accordée dans la présente décision sans qu'elles aient à proposer de nouveaux engagements.
154. Cependant, la circonstance que la décision de disjonction de l'instruction, prise le 1er août 2013, soit postérieure à la date du procès-verbal est en l'espèce indifférente. En effet, la notification de griefs, en date du 12 juillet 2013, visait exclusivement le " marché des services de téléphonie mobile à destination d'une clientèle résidentielle ". Dans ces conditions, le procès-verbal de non-contestation du 31 juillet 2013, qui reprend in extenso les griefs notifiés le 12, a été signé en toute connaissance de cause par les entreprises. À cette date, les mises en cause savaient en effet que les offres que SRR proposait à sa clientèle non résidentielle, bien qu'entrant dans le champ de la saisine, n'avaient pas encore été formellement qualifiées par les services d'instruction. Le champ des engagements a donc été proposé par l'entreprise en toute connaissance de cause.
155. Si aucun nouvel engagement n'a été présenté au titre de la nouvelle non-contestation de griefs signée le 31 juillet 2013, les parties expliquent ne pas avoir été en mesure " de présenter d'engagements nouveaux " au motif que ceux présentés dans l'affaire précédente étaient " extrêmement larges, qu'ils vont bien au-delà des marchés mobiles résidentiels ou non résidentiels mais également de la pratique et du secteur de la téléphonie mobile " (observations à la note complémentaire, p. 24).
156. Il était cependant tout à fait loisible à SFR d'enrichir les engagements précédents au-delà de ce qui avait été proposé au titre de la précédente affaire. Ainsi, par exemple, l'engagement prévu dans la non-contestation de griefs du 31 juillet 2013, relatif à la mise en place d'une procédure formalisée de vérification des nouvelles offres, qui est l'engagement le plus précis pris par les parties, stipule " qu'afin de répondre très précisément aux préoccupations de concurrence exprimées par la notification de griefs, SRR s'engage à mettre en place une procédure formalisée de vérification des nouvelles offres de téléphonie mobile. Cette procédure est applicable à toutes les offres résidentielles de SRR ". À l'évidence, rien n'empêchait SFR d'étendre cet engagement du marché résidentiel au marché non résidentiel à la suite de la notification de griefs portant sur ce marché.
157. Au surplus, la réduction accordée en 2014 tenait compte de l'ensemble des engagements alors pris par les entreprises, et notamment du fait que le programme de conformité allait sur certains points au-delà de la stricte commercialisation du mobile résidentiel. Une seconde réduction accordée au titre du même programme aurait donc rémunéré deux fois le même engagement.
158. Dans ces conditions et afin de prendre en compte la renonciation à contester les griefs, la sanction imposée à SRR et SFR est réduite de 10 %. Ainsi, le montant final de la sanction s'élève, au titre des griefs n° 1 et 2, à 10 781 351 euro, arrondis à 10 780 000 euro.
4. SUR LE MONTANT FINAL DE LA SANCTION
159. Eu égard à l'ensemble des éléments décrits plus haut, il y a lieu d'imposer à SRR et SFR la sanction suivante :
" emplacement tableau "
5. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION
160. Aux termes du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, " l'Autorité de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée ".
161. En l'espèce, afin d'informer les consommateurs de la présente décision et de les inciter à la vigilance vis-à-vis des pratiques condamnées au titre d'abus de position dominante par la présente décision, il y a lieu d'ordonner aux mises en cause de faire publier, à leurs frais, la publication dans les éditions papier du " Quotidien de La Réunion et de l'Océan Indien " et de " Mayotte Hebdo " du résumé de la présente décision figurant au paragraphe suivant.
162. " Obligation de publication imposée par l'Autorité de la concurrence
L'Autorité de la concurrence a rendu le 30 novembre 2015 une décision par laquelle elle sanctionne SRR et SFR à hauteur de 10 780 000 euro pour avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la téléphonie mobile à destination de la clientèle non résidentielle à La Réunion et à Mayotte. SRR a abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché de sa terminaison d'appel (c'est-à-dire sur la prestation d'interconnexion qu'elle offre aux autres opérateurs pour "terminer" les appels sur son réseau) en mettant en œuvre des pratiques de différenciation tarifaire excessive entre les appels " on net " (passés sur son propre réseau) et les appels " off net " (à destination d'un réseau concurrent).
La différenciation excessive entre les appels on net et off net mise en œuvre par SRR a freiné le développement de la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile à destination de la clientèle non résidentielle à La Réunion et à Mayotte
À partir de décembre 2000 à La Réunion et de janvier 2007 à Mayotte, SRR a introduit une différenciation tarifaire entre appels on net et appels off net, c'est-à-dire des tarifs faciaux différents selon le réseau de destination des appels, non justifiée par des différences de coûts sous-jacents, dans la quasi-totalité de ses offres.
La différenciation tarifaire quasi généralisée dans les offres de SRR comprenait des écarts de prix importants entre les appels on net et les appels off net. Si l'existence d'une différenciation tarifaire n'est pas condamnable en soi, elle le devient lorsque, comme en l'espèce, cette différence de prix excède les écarts de coûts relatifs à ces appels supportés par l'opérateur. Or, s'agissant par exemple des offres commercialisées à La Réunion, les écarts de prix de certaines offres ont été jusqu'à 10 fois supérieurs aux écarts de coûts.
Ces pratiques sont de nature à porter atteinte au jeu de la concurrence sur le marché de détail de la téléphonie mobile à l'intention des professionnels et des entreprises, en ce qu'elles tendent notamment à renforcer l'effet de " club " à l'œuvre sur ce marché au détriment des plus petits opérateurs du marché.
En effet, la différenciation tarifaire excessive entre appels " on net " et " off net " encourage les entreprises à s'abonner auprès de l'opérateur du réseau le plus vaste, dans la mesure où ces entreprises sont susceptibles de tenir compte des réseaux auxquels appartiennent leurs principaux correspondants. Cet effet de " club " conduit ainsi à favoriser le plus grand des parcs, les clients de ces offres valorisant la possibilité d'appeler et d'être appelés par le plus grand nombre possible de correspondants à un tarif moins élevé.
Dès lors, les pratiques mises en œuvre par SRR ont également pu avoir pour effet de ternir l'image de ses concurrents, qui ont pu apparaître comme des réseaux chers à appeler.
La pratique de différenciation tarifaire mise en œuvre par SRR a donc nui au développement de ses deux concurrents, limitant également leur capacité d'investissement.
Des sanctions proportionnées à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de SRR et de SFR
Pour la détermination des sanctions, l'Autorité de la concurrence a tout d'abord pris en considération le caractère certain de gravité des faits, s'agissant de pratiques tarifaires abusives tendant à affaiblir, voire à exposer les concurrents de plus petite taille à une éviction du marché de détail de la téléphonie mobile destinée au secteur non résidentiel. Elle a cependant tenu compte de l'importance également certaine mais modérée du dommage causé à l'économie en l'espèce, les concurrents étant en effet parvenus, grâce à leurs propres mérites, à se maintenir sur ce marché.
L'Autorité a ensuite pris en compte les éléments propres au comportement et à la situation individuelle de SRR, notamment le fait que SFR dispose d'une taille, d'une puissance économique et de ressources globales importantes, ce qui constitue une circonstance susceptible d'amener l'Autorité à augmenter le montant de base, afin d'assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire. À ce titre, l'Autorité a majoré le montant de la sanction imposée à SRR et SFR de 10 %.
L'Autorité a enfin retenu que les sociétés SRR et SFR n'ont pas contesté la réalité des griefs qui leur ont été notifiés. À ce titre, l'Autorité a diminué le montant de la sanction imposée à SRR et SFR de 10 %.
En conséquence, l'Autorité a infligé une sanction pécuniaire de 10 780 000 euro aux sociétés SRR et SFR.
Le texte intégral de la décision de l'Autorité de la concurrence est disponible sur le site : www.autoritedelaconcurrence.fr ".
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que la Société Réunionnaise du Radiotéléphone, en tant qu'auteur des pratiques, et la Société Française du Radiotéléphone, en sa qualité de société-mère de la Société Réunionnaise du Radiotéléphone, ont enfreint les dispositions de l'article 102 TFUE et l'article L. 420-2 du Code de commerce en mettant en œuvre à La Réunion une différenciation tarifaire abusive.
Article 2 : Il est établi que la Société Réunionnaise du Radiotéléphone, en tant qu'auteur des pratiques, et la Société Française du Radiotéléphone, en sa qualité de société mère de la Société Réunionnaise du Radiotéléphone, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce en mettant en œuvre à Mayotte une différenciation tarifaire abusive.
Article 3 : Est infligée, au titre des pratiques visées à l'article 1er et 2, une sanction pécuniaire de 10 780 000 euro solidairement à la Société Réunionnaise du Radiotéléphone et à la Société Française du Radiotéléphone.
Article 4 : La Société Réunionnaise du Radiotéléphone et la Société Française du Radiotéléphone feront publier, à leurs frais partagés, le texte figurant au paragraphe 162 de la présente décision, en respectant la mise en forme, dans les éditions papier du " Quotidien de La Réunion et de l'Océan Indien " et de " Mayotte Hebdo ". Ces publications interviendront dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision n° 15-D-17 du 30 novembre 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le marché de la téléphonie mobile à destination de la clientèle non résidentielle à La Réunion et à Mayotte ". Elles pourront être suivies de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. La Société Réunionnaise du Radiotéléphone et la Société Française du Radiotéléphone adresseront au bureau de la procédure, sous pli recommandé, copie de ces publications, dès leur parution et au plus tard le 29 janvier 2016.
Délibéré sur le rapport oral de M. Mathieu Guennec, rapporteur, et l'intervention de M. Nicolas Deffieux, rapporteur général adjoint, par Mme Élisabeth Flüry-Herard, vice-présidente, présidente de séance, M. Thierry Dahan, vice-président, et Mme Pierrette Pinot, membre.