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Décisions

Cass. com., 24 novembre 2015, n° 13-25.115

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Energies thermiques System (SARL), Luc

Défendeur :

Etablissements Labeyrie (SAS), Labeyrie, Guérin (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Darbois

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP Thouin-Palat, Boucard, Me Bouthors

Pau, du 8 juill. 2013

8 juillet 2013

LA COUR : - La société Etablissements Labeyrie et M. Labeyrie, défendeurs au pourvoi principal, ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ; Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ; Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ; Vu la communication faite au procureur général ; Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Energies thermiques System (la société ETS) et M. Luc que sur le pourvoi incident relevé par la société Etablissements Labeyrie (la société Labeyrie) et M. Labeyrie ; Donne acte à M. Guérin de ce qu'il reprend l'instance en qualité de liquidateur judiciaire de la société Labeyrie ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Luc, qui était salarié depuis 1999 de la société Labeyrie en qualité de chargé d'affaires, a quitté cette entreprise le 1er novembre 2004 et a été embauché par la société ETS ; que leur reprochant des actes de concurrence déloyale par débauchage de personnel et détournement de clientèle, la société Labeyrie et M. Labeyrie ont assigné M. Luc et la société ETS en paiement de dommages-intérêts ; qu'un jugement du 29 mai 2007 a rejeté les demandes de condamnation à paiement formées contre M. Luc, constaté l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par la société ETS envers la société Labeyrie et l'a condamnée à payer diverses sommes ; qu'un arrêt du 5 mai 2009, devenu irrévocable, a confirmé ce jugement en ce qu'il avait considéré que la société ETS et M. Luc avaient commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Labeyrie et de M. Labeyrie et les avait condamnés solidairement à payer une certaine somme au titre des frais de recrutement et, le réformant pour le surplus, a ordonné une mesure d'expertise sur l'indemnisation du préjudice financier et commercial et alloué une provision ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société ETS et M. Luc font grief à l'arrêt de dire que la première s'est rendue coupable de détournement de clientèle au préjudice de la société Labeyrie à l'occasion de deux marchés et de la condamner au paiement de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) que tout jugement doit être motivé à peine de nullité, les motifs dubitatifs ou hypothétiques équivalant à une absence de motifs ; qu'en jugeant que la société ETS avait détourné le client SCI Le Hameau de Beyres à la faveur d'un motif hypothétique selon lequel " la société ETS a certainement pu obtenir ce marché avec l'aide de M. Luc qui a eu à l'occasion un comportement déloyal envers son employeur ", la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que le seul fait que des clients se soient adressés, de leur plein gré, à une entreprise concurrente ne constitue pas, en l'absence de toute manœuvre visant à capter la clientèle, un acte de concurrence déloyale ; qu'en affirmant que la société ETS avait certainement pu obtenir le marché la SCI Le Hameau de Beyres avec l'aide de M. Luc lorsqu'il travaillait pour la société Labeyrie, sans autrement caractériser l'existence d'actes déloyaux de démarchage de clientèle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) qu'en jugeant que le détournement de clientèle était constitué en ce qui concerne Mme Salaignac au seul motif que, ce client ayant remplacé la société Labeyrie par la société ETS pour le lot électricité en juillet 2004, il avait dû être obtenu avec l'aide de M. Luc alors salarié de la société Labeyrie, sans autrement relever l'existence d'actes déloyaux de détournement de clientèle, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que M. Luc avait démissionné et effectué son préavis jusqu'au 1er novembre 2004, qu'il avait été nommé gérant de la société ETS le 2 novembre 2004 et que l'activité " électricité ", inexistante au sein de la société ETS, s'y était développée dès son arrivée, l'arrêt relève que deux marchés ont été conclus pendant que celui-ci était encore salarié de la société Labeyrie et que, si cette dernière était initialement titulaire du lot " électricité " et la société ETS du lot " plomberie ", la réalisation des travaux d'électricité des deux chantiers a été finalement confiée à la seule société ETS avant l'expiration du préavis de M. Luc ; qu'il en déduit que la société Labeyrie a été évincée de ces deux marchés par la société ETS avec le soutien de M. Luc ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé, sans se fonder sur un motif hypothétique, des actes de concurrence déloyale commis par la société ETS pendant une période où M. Luc était encore salarié de la société Labeyrie, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen : - Attendu que la société ETS et M. Luc font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; qu'en fixant le préjudice commercial de la société Labeyrie à la somme de 10 000 euro à la faveur d'une simple affirmation selon laquelle " il existe incontestablement une perte de chance dans la perte des clients SCI Le Hameau de Beyres et Salaignac ", sans autrement rechercher si la société Labeyrie avait été privée de manière certaine d'une éventualité favorable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) que tout jugement doit être motivé, les motifs hypothétiques équivalant à une absence de motifs ; qu'en fixant le préjudice commercial de la société Labeyrie à la somme de 10 000 euro à la faveur d'un motif purement hypothétique selon lequel la perte des marchés SCI Le Hameau de Beyres et Salaignac a, par ailleurs, " pu désorganiser l'entreprise ", la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la perte de chance réparable correspond à la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable et doit être mesurée à la chance perdue ; que l'arrêt retient que la perte de chance résultait du détournement de deux clients ; qu'ayant, par ces appréciations souveraines, fait ressortir que la société Labeyrie avait été, de manière certaine, privée de la chance de réaliser un chiffre d'affaires pour l'avenir avec ces clients, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, d'autre part, que c'est souverainement et par des motifs non hypothétiques que la cour d'appel a estimé que la perte des marchés avait désorganisé l'entreprise, et retenu un préjudice commercial à ce titre ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident : - Attendu que la société Labeyrie et M. Labeyrie font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en rectification d'erreur matérielle et de rectifier le dispositif de l'arrêt du 5 mai 2009 alors, selon le moyen, que si les erreurs ou omissions matérielles affectant une décision peuvent être réparées par la juridiction qui l'a rendue, celle-ci ne peut modifier les droits et obligations reconnus aux parties par cette décision ; qu'en l'espèce, il est constant que le jugement de première instance avait imputé des actes de concurrence déloyale à la société ETS et non à M. Luc ; qu'il résulte expressément des motifs de l'arrêt du 5 mai 2009 statuant sur l'appel formé contre ce jugement que la Cour d'appel de Pau n'avait pas entendu confirmer le jugement en qu'il avait exclu toute responsabilité de M. Luc mais avait, au contraire, jugé que ce dernier s'était rendu coupable, au même titre que la société ETS, d'actes de débauchage de personnel et de détournement de clientèle au préjudice de la société Labeyrie et de M. Labeyrie ; qu'elle les avait également condamnés solidairement à réparer les frais de recrutement exposés par la société Labeyrie ; que, dès lors qu'elle rectifiait sa précédente décision qui avait - effectivement à tort - énoncé qu'elle confirmait le jugement en ce qu'il avait retenu la responsabilité de M. Luc, elle devait également la rectifier de manière à ce que son dispositif mentionne l'infirmation de ce chef du jugement et la condamnation de M. Luc à réparer les actes de concurrence déloyale qu'il avait commis à l'encontre de la société Labeyrie et de M. Labeyrie, ainsi que ces derniers lui avaient demandé ; qu'en procédant à une rectification partielle de l'erreur matérielle affectant l'arrêt du 5 mai 2009 - confirmation du jugement en ce qu'il avait retenu la responsabilité de M. Luc sans infirmer corrélativement cette disposition et prononcer de condamnation à l'encontre de cette partie - la cour d'appel a modifié les droits et obligations des parties résultant de cette décision et ainsi violé l'article 462 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que l'arrêt du 5 mai 2009 avait confirmé le jugement du 29 mai 2007 en ce qu'il avait considéré que la société ETS et M. Luc avaient commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Labeyrie et de M. Labeyrie et les avait condamnés solidairement à payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts, quand ce jugement ne prononçait aucune condamnation envers M. Luc, et que cet arrêt ne s'était pas prononcé dans ses motifs sur la responsabilité de avaient expressément exclue, la cour d'appel a pu retenir que la mention de cette confirmation résultait d'une erreur purement matérielle susceptible de rectification ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche : - Attendu que la société Labeyrie et M. Labeyrie font grief à l'arrêt de rejeter leur action en concurrence déloyale formée contre M. Luc alors, selon le moyen, que l'arrêt du 5 mai 2009 avait définitivement jugé que M. Luc avait commis des actes de concurrence déloyale, tirés tant du débauchage de personnel que du détournement de clientèle au préjudice de la société Labeyrie et de M. Labeyrie et l'avait condamné solidairement avec la société ETS au paiement de la somme de 15 000 euro en réparation des frais de recrutement exposés par société Labeyrie ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation du pourvoi incident emportera la cassation par voie de conséquence du chef du dispositif critiqué au présent moyen en application des dispositions de l'article 624 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que le rejet du premier moyen rend sans objet ce moyen ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société Labeyrie et M. Labeyrie font grief à l'arrêt de rejeter leur action en concurrence déloyale relative au détournement de clientèle portant sur le marché Allemand alors, selon le moyen, que tout jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal a dès son prononcé l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ; que l'arrêt du 5 mai 2009 avait définitivement statué sur le détournement de clientèle, notamment de la " société Allemand ", et considéré que la société ETS et M. Luc avaient à cet égard commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Labeyrie et de M. Labeyrie ; qu'il avait ainsi jugé qu'il était établi que " la société Allemand (...) a eu recours tout de suite après le départ de Monsieur Luc, à la société ETS pour les activités électricité, et ce alors que les projets avaient été mis en place avant que Monsieur Luc ne quitte la société Labeyrie et donc avant que la société ETS n'ait officiellement commencé son activité d'électricité " ; qu'en écartant tout acte de concurrence déloyale de la part de la société ETS et de M. Luc concernant ce marché, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 5 mai 2009 et ainsi violé l'article 480 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt du 5 mai 2009 a ordonné une expertise avant-dire droit pour déterminer les marchés, clients et prospects détournés par la société ETS au préjudice de la société Labeyrie ; que cet arrêt, n'ayant pas tranché dans son dispositif la contestation relative aux actes de concurrence déloyale par détournement de clientèle, y compris au titre du marché Allemand, n'a pas autorité de la chose jugée sur ce point ; que le moyen, qui soutient le contraire, n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident : - Vu l'article 16 du Code de procédure civile ; Attendu que pour rejeter l'action en concurrence déloyale formée par la société Labeyrie contre M. Luc, l'arrêt retient que, celui-ci étant encore salarié de la société Labeyrie quand certains des marchés ont été passés avec la société ETS, son comportement déloyal est de nature à engager sa responsabilité contractuelle et ressortit à la compétence de la juridiction prud'homale ;

Qu'en statuant ainsi, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen de droit qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief du pourvoi incident : casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette l'action en concurrence déloyale formée contre M. Luc par la société Etablissements Labeyrie et M. Labeyrie, l'arrêt rendu le 8 juillet 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Bordeaux.