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Décisions

Cass. com., 24 novembre 2015, n° 14-19.685

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Tri environnement recyclage (SAS)

Défendeur :

Regards (SARL), Cuny

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

M. Fédou

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP Rousseau, Tapie, Me Rémy-Corlay

Paris, pôle 5 ch. 5, du 13 févr. 2014

13 février 2014

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Tri environnement recyclage que sur le pourvoi incident relevé par la société Regards et par M. Cuny ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 février 2014), que le 31 décembre 2007, la société par actions simplifiée Tri environnement recyclage (la société TER), dirigée par M. Solarz, a conclu avec la société Regards, ayant pour gérant M. Cuny, une " convention de prestation de service " pour une période de vingt-quatre mois ; qu'un avenant du 31 décembre 2009 a porté à quatre ans, soit jusqu'au 31 décembre 2013, la durée de cette convention, et stipulé qu'en cas de rupture avant ce terme par la société TER, celle-ci verserait à la société Regards l'équivalent d'une année de rémunération ; qu'ultérieurement, les sociétés TER et Regards ont régularisé une "convention de mandat social", par laquelle la seconde se voyait confier la direction générale de la première ; que cette convention, qui ne prévoyait le versement d'aucune indemnité en cas de rupture anticipée, comportait un ajout manuscrit, paraphé par les parties, mentionnant qu'elle annulait et remplaçait tout autre avenant ou contrat ; que l'assemblée générale du 14 février 2011 a nommé la société Regards aux fonctions de vice-président de la société TER ; que les relations entre ces deux sociétés ont définitivement pris fin le 28 mars 2011 ; que soutenant qu'en faisant signer la convention de mandat social, la société TER s'était livrée à une manœuvre destinée à éluder le paiement de l'indemnité stipulée par la convention de prestation de service et son avenant, la société Regards et M. Cuny l'ont assignée en paiement ; que la société TER a soulevé la nullité de ces conventions comme étant dépourvues de cause ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société TER fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande d'annulation de la convention et de son avenant alors, selon le moyen : 1°) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en retenant, pour débouter la société TER de son action en nullité du contrat du 31 décembre 2007 et de son avenant du 31 décembre 2009, que la jurisprudence de la Cour de cassation qui juge qu'est nulle pour absence de cause la convention par laquelle une société anonyme confie à un prestataire la réalisation de missions relevant des pouvoirs de son dirigeant n'est pas applicable s'agissant d'une société par actions simplifiée dont les statuts - qui, aux termes de l'article L. 227-5 du Code de commerce, " fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée " - n'interdisent pas expressément le recours à une telle convention de prestation, sans avoir provoqué les explications des parties sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en retenant, pour débouter la société TER de son action en nullité du contrat du 31 décembre 2007 et de son avenant du 31 décembre 2009, que celle-ci pouvait, sans contrevenir à ses statuts, lesquels ont seulement institué un président - éventuellement assisté d'un vice-président - chargé de la gérer et de l'administrer, confier sa direction générale à une société tierce sur la base d'une convention de prestations de services, quand l'article 17 desdits statuts prévoit que la nomination du président et du vice-président doit être votée à la majorité simple des actionnaires présents ou représentés lors d'une assemblée, la cour d'appel a dénaturé par omission les statuts de la société TER, en violation de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que, saisie par la société TER d'une demande de nullité de la convention de prestation de services pour absence de cause, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier les conditions d'application de la jurisprudence invoquée par cette société au soutien de sa demande de nullité, n'a pas méconnu le principe de la contradiction en retenant que cette jurisprudence n'était pas applicable aux conventions conclues par une société par actions simplifiée ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant énoncé que l'article L. 227-5 du Code de commerce renvoyait aux statuts le soin de déterminer les conditions dans lesquelles serait dirigée la société par actions simplifiée, et relevé que les statuts de la société TER prévoyaient seulement les modalités de désignation du président, éventuellement assisté d'un vice-président, c'est sans dénaturer ces statuts que la cour d'appel a retenu qu'ils ne faisaient pas obstacle à ce que la société confie sa direction générale à une société tierce par la voie d'une convention de prestation de services ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société TER fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Regards la somme de 230 000 euro au titre de la rupture unilatérale de la convention et de son avenant alors, selon le moyen : 1°) qu'en retenant, pour condamner la société TER à payer à la société Regards la somme de 230 000 euro au titre de la rupture unilatérale de la convention de prestations de services du 31 décembre 2007 et de son avenant du 31 décembre 2009, que la formule " Je quitte TER ça c'est sûr ", employée par M. Cuny dans un courrier qu'il a adressé au président de la société TER, était équivoque et insuffisante à caractériser une rupture du contrat du 31 décembre 2007 et de son avenant du 31 décembre 2009 à l'initiative de la société Regards dont le gérant est M. Cuny, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette lettre en violation de l'article 1134 du Code civil ; 2°) qu'en retenant, pour prononcer une telle condamnation, que le mandat social, par lequel elle a jugé que M. Cuny était lié vis-à-vis de la société TER à travers la société Regards à compter du 14 février 2011, n'avait néanmoins pu se substituer au contrat du 31 décembre 2007 et à son avenant du 31 décembre 2009 et avait constitué pour la société TER un moyen de mettre fin au contrat de 2007 sans en supporter le coût, la cour d'appel a méconnu la force obligatoire dudit mandat en violation de l'article 1134 du Code civil ; 3°) qu'en retenant, pour prononcer une telle condamnation, que la société TER n'établissait pas que M. Cuny avait pris l'initiative de mettre fin aux relations contractuelles unissant les sociétés Regards et TER, quand il appartenait à M. Cuny et à la société Regards - qui prétendaient que la société TER avait abusivement rompu leur relation commerciale établie - de rapporter la preuve que la société TER était bien à l'origine de cette rupture, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que la formule de la lettre, invoquée par la première branche, n'étant ni claire ni précise, la cour d'appel ne peut se voir reprocher de l'avoir dénaturée en l'interprétant ;

Attendu, d'autre part, qu'après avoir relevé que la convention de mandat social faisait l'objet d'une contestation de la part de M. Cuny qui soutenait que son paraphe figurant sous les mentions manuscrites avait été imité, l'arrêt retient qu'il existe un doute sur la réalité du consentement donné par M. Cuny à l'ensemble des stipulations de cette convention, lesquelles lui faisaient perdre le droit à indemnité que lui reconnaissait le précédent contrat en cas de résiliation anticipée ; qu'il constate encore que, bien que la convention de mandat social ait confié à la société Regards la direction générale de la société TER et ait précisé dans son préambule qu'elle était subordonnée à une modification des statuts et à une décision conforme des organes de cette société, faute de quoi elle serait considérée comme nulle et non avenue, les statuts de la société TER n'ont pas été modifiés et les actionnaires ont, lors de l'assemblée générale du 14 février 2011, voté une résolution nommant la société Regards, non en qualité de directeur général de la société TER, mais aux fonctions de vice-président de cette société ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la convention de mandat social ne s'était pas juridiquement substituée au contrat du 31 décembre 2007 modifié par l'avenant du 31 décembre 2009 ;

Et attendu, enfin, que sous le couvert du grief infondé d'inversion de la charge de la preuve, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des éléments de fait et de preuve qui leur étaient soumis, desquels ils ont déduit que l'initiative et l'imputabilité de la rupture des relations entre les sociétés Regards et TER incombait à cette dernière ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que la société Regards et M. Cuny font grief à l'arrêt de limiter à la somme de 230 000 euro la condamnation de la société TER à l'égard de la société Regards alors, selon le moyen, que la réparation du préjudice en cas de rupture brutale de relations commerciales établies doit prendre non seulement en compte la durée du préavis qui aurait dû être accordée, mais également les conséquences dommageables résultant de l'absence de préavis au titre du gain manqué et de la perte éprouvée ; qu'en se contentant de fixer le montant du préjudice subi par la société Regards en raison de la rupture brutale du contrat de prestations de services du 31 décembre 2007 et de son avenant du 31 décembre 2009 au montant de la clause d'indemnisation contractuelle au cas de résiliation anticipée de la convention, soit la somme de 230 000 euro, sans rechercher le montant du préjudice distinct nécessairement subi par la société Regards en raison du gain manqué et de la perte éprouvée résultant de la rupture brutale de la convention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 5° du Code du commerce ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la rupture des relations établies entre les sociétés TER et Regards donnait lieu au versement à celle-ci d'une indemnité contractuelle dont le montant correspondait à une durée de préavis d'une année, et souverainement retenu que ce montant satisfaisait aux exigences de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois, principal et incident.