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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 26 novembre 2015, n° 14-05555

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aviscom (Sté), Geeraerts

Défendeur :

Ouest France (SA), Publications du Courrier de l'Ouest (SA), Société d'Edition de Résistance et de la Presse de l'Ouest (Sté), Precom (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Rohart-Messager, M. Dabosville

Avocats :

Mes Bernabe, Reck, Vidal, Thouvenin

T. com. Rennes, du 16 janv. 2014

16 janvier 2014

Faits et procédure

Les sociétés Société Ouest France SA, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Société d'Edition de la Résistance et de la Presse l'Ouest (SERPO) sont des sociétés éditrices des journaux quotidiens de la presse quotidienne régionale (PQR) faisant partie du groupe régional de Presse SIPA Ouest France. À ce titre, elles publient, chacune, dans une page spécifique du journal des annonces nécrologiques.

La société Precom est la régie publicitaire du groupe régional de Presse SIPA Ouest France.

Elle réceptionne et facture les annonces nécrologiques. Elle s'est associée avec le Groupe Centre France et d'autres groupes de la presse écrite régionale, au sein d'une structure commune, la société Dansnoscoeurs, qui diffuse en ligne sur le site Internet www.dansnoscoeurs.fr. Les annonces nécrologiques publiées dans les journaux de presse partenaires et qui offre des services complémentaires comme l'ouverture d'un registre de condoléances en ligne.

La société Aviscom, créée en octobre 2006 a pour objet principal la publication sur Internet d'annonces de décès, utilisant le nom de domaine www.avis-de-deces.net ; elle assure des prestations complémentaires comme la possibilité d'allumer une bougie virtuelle, de prévenir les proches et connaissances du décès par courriel et la tenue d'un registre de condoléances en ligne pour les défunts dont les familles ont acquis une annonce nécrologique en ligne.

La société Aviscom a dénoncé deux pratiques successives des sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, SERPO et Precom, d'une part, un refus d'insertion dans le corps des avis de décès publiés par les journaux d'une ligne " condoléances sur www.avis-de-deces.net ", d'autre part, un couplage systématique imposé des avis de décès paraissant dans les journaux de la presse quotidienne régionale exploités par ces sociétés avec les avis de décès paraissant sur la version en ligne de ces journaux et sur le site www.dansnoscoeurs.fr exploité par la société Dansnoscoeurs, estimant ces pratiques fautives et anticoncurrentielles en ce qu'elles font obstacle à toute efficacité de son site.

C'est dans ces conditions que la société Aviscom a saisi le tribunal de commerce de Rennes.

Par jugement en date du 16 janvier 2014 le Tribunal de commerce de Rennes a :

- enjoint aux journaux Ouest France, Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Presse Océan et à la société Precom, sous astreinte de 1000 euro par refus d'insérer, de procéder à la demande des familles directement ou par le truchement des entreprises de pompes funèbres, mandataires des familles, à l'insertion dans les annonces de décès paraissant dans ces journaux de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur www.avis-de-deces.net.

- condamné chacune des sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, SERPO et Precom à payer à la société Aviscom une somme de 10 000 euro au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.

- débouté les sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, SERPO et Precom en leur demande visant à interdire à la société Aviscom l'exploitation de bases de données d'annonces nécrologiques.

- condamné les sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et SERPO à payer chacune à la société Aviscom une somme de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure vivile.

- prononcé l'exécution provisoire sous réserve qu'en cas d'appel, la société Aviscom constitue à son profit une caution bancaire du montant des condamnations prononcées.

La société Aviscom a interjeté appel de ce jugement du 16 janvier 2014 par déclaration d'appel.

Les sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest,

Le Maine Libre et SERPO ont interjeté appel du jugement mais se sont désistées de cet appel compte tenu de l'appel précédemment formé par la société Aviscom.

Vu les conclusions en date du 10 septembre 2015 par lesquelles la société Aviscom demande à la cour de :

- Déclarer l'appel de la société Aviscom recevable en la forme et bien fondé au fond.

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes en date du 16 janvier 2014 en tant : qu'il a enjoint les sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, SERPO et Precom, sous astreinte de 1 000 euro par refus d'insérer, de procéder à la demande des familles, directement ou par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, mandataires des familles, à l'insertion dans les annonces de décès paraissant dans les journaux Ouest France, Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Presse Océan de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur le site www.avis-de-deces.net ou le site de l'entreprise de pompes funèbres avec redirection sur le site www.avis-de- decrescendo.

Qu'il a débouté les sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, SERPO et Precom en leur demande visant à interdire à la société Aviscom l'exploitation de bases de données d'annonces nécrologiques.

- Infirmer ledit jugement pour le surplus.

Et statuant à nouveau :

- Constater que les journaux Ouest France, Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Presse Océan et la société Precom se sont rendus coupables du fait du couplage systématique de pratiques anticoncurrentielles constitutives de concurrence déloyale, d'abus de position dominante et d'entente illicite.

- Enjoindre les sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, SERPO et Precom de ne pas procéder au couplage imposé gratuit ou payant des annonces nécrologiques paraissant dans le journal avec les annonces nécrologiques dans la version en ligne de leurs journaux et sur le site www.dansnoscoeurs.fr, sans l'accord des familles endeuillées ou des entreprises de pompes funèbres, leurs mandataires.

- Enjoindre les sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, SERPO et Precom d'aviser les entreprises de Pompes Funèbres de l'abandon du couplage systématique et de la modification de leurs conditions tarifaires en résultant.

- Condamner chacune des sociétés Ouest France, Société des Publications du

Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, SERPO et Precom à payer à la société Aviscom une somme de 30 000 euro au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi des chefs de refus d'insertion et de couplage systématique.

- Condamner les sociétés intimées à payer à la SAS Aviscom au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel subi du fait du cloisonnement artificiel du marché des annonces nécrologiques résultant de leur pratique anticoncurrentielle de couplage systématique une somme de :

* 905 260,82 euro pour la société SA Ouest France.

* 127 913,12 euro pour la société SA Société des Publications du Courrier de l'Ouest.

* 67 486,71 euro pour la société SA Le Maine Libre.

* 84 220,03 euro pour la société SA SERPO

- Condamner chacune des sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre SERPO et Precom à payer à la SAS Aviscom une somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du C.P.C. ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

- Ordonner aux frais des sociétés intimées la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans la page " Carnet du Jour " des journaux Ouest France, Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Presse Océan, sur un quart de page, à raison de 3 insertions par journal, en faisant état qu'ils se sont rendus coupables de pratiques anticoncurrentielles de concurrence déloyale, d'abus de position dominante et d'entente, au détriment de la société Aviscom exploitante du site Internet www.avis-de-deces.net.

- Ordonner aux frais des sociétés intimées la publication dans les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir du dispositif du jugement sur la page d'accueil des sites internet des journaux Ouest France, Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Presse Océan ainsi que sur la page d'accueil du site www.dansnoscoeurs.fr.pendant un délai de trois mois.

Vu les conclusions en date du 9 septembre 2015 par lesquelles les sociétés Société Ouest France SA, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Société D'Edition de la Résistance et de la Presse l'Ouest SERPO, Precom demandent à la cour de :

- Confirmer le jugement rendu le 16 janvier 2014 par le Tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a retenu :

* L'absence d'entente illicite et l'absence d'abus de position dominance à l'encontre des intimées et a débouté la société Aviscom des demandes effectuées par cette dernière sur ces deux fondements.

* La licité de la vente couplée pratiquée par les intimées et a débouté la société Aviscom des demandes effectuées par cette dernière sur ce fondement.

* L'irrecevabilité pour défaut de qualité à agir de la société Aviscom au nom des tiers.

- Infirmer ce même jugement en toutes ses autres dispositions et notamment en ce qu'il a condamné les sociétés Ouest France, la société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, la société d'Edition de la Résistance et de la Presse de l'Ouest et Précom à verser à Aviscom la somme de 10 000 euro chacune ; et a prononcé une injonction de procéder à l'insertion de la ligne mentionnant le registre de condoléances sur www.avis-de-deces.net.

Et statuant à nouveau,

- Ecarter des débats les pièces produites par la société Aviscom sous les numéros 76, 77,79, 102, 104, 105, 108 et 109.

- constater que les sociétés Ouest France, la société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, la société d'Edition de la Résistance et de la Presse de l'Ouest et Précom sont légitimes à refuser d'insérer la ligne du registre de condoléances.

En conséquence,

- Débouter la société Aviscom de toutes ses demandes à ce titre.

- Interdire à la société Aviscom la détention, la commercialisation et plus généralement la réutilisation sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit de tout ou partie du contenu de données extraites de la base de données d'annonces nécrologiques des sociétés Ouest France, la société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, la société d'Edition de la Résistance et de la Presse de l'Ouest et Précom, et ce sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard et par infraction constatée, dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.

- Condamner la société Aviscom à payer à chacune des sociétés Ouest France, la société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et la société d'Edition de la Résistance et de la Presse de l'Ouest, et Précom, outre les dépens, la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile

MOTIFS

Sur la demande tendant à écarter des pièces produites par la société Aviscom

Les sociétés intimées demandent à la Cour d'écarter les pièces suivantes produites aux débats par la société Aviscom :

- un prévisionnel (pièce 79) en ce qu'il a été établi par M. Cottin expert-comptable de la société Aviscom, par ailleurs actionnaire de celle-ci ; la Cour relève que celui-ci bien qu'actionnaire, est un professionnel dont l'activité est soumise à des règles déontologiques dont il n'est pas soutenu qu'elles n'auraient pas été respectées ; ce prévisionnel a été soumis aux débats et ne lie pas la Cour de sorte qu'il n'y a pas lieu de l'écarter.

- les pièces 76, 77, 102, 104, 105, 108 et 109 en ce qu'elles seraient rédigées selon un modèle prédéfini avec d'infimes variations et que contrairement à la présentation qu'en fait la société Aviscom comme émanant d'entreprises de pompes funèbres de tout le département, une quinzaine émanent de trois départements dans lesquels les journaux mis en cause ne sont pas diffusés ; la société Aviscom fait valoir que certaines entreprises de pompes funèbres sont situées dans le secteur de publication des journaux des sociétés intimées notamment les entreprises de Pompes Funèbres Lanionaises, la société Bremand Funéraire, la société PF Caton et la société PF Lacoste et qu'en toute hypothèse, le refus d'insertion et le couplage imposé lui sont préjudiciables quelle que soit leur géolocalisation de sorte que les attestations émanant d'entreprises de Pompes Funèbres situées en dehors des zones de parution des journaux des sociétés intimées doivent être prises en considération ; au demeurant les pièces 104, 105,108 et 109 sont de courriers adressés à la société Aviscom et ne sont pas soumises aux règles qui gouvernent les attestations. La cour relève au surplus qu'il s'agit d'éléments d'information utiles dans le cadre d'un problème qui dépasse le plan régional des entreprises de presse concernées et à l'occasion duquel les entreprises de pompes funèbres quel que soit le lieu géographique de leur localisation ont un rôle essentiel.

- le courrier (pièce 96) car présenté comme la preuve de ce que " des consommateurs se sont plaints du couplage imposé " alors qu'il s'agit d'un remboursement intervenant en réponse ; la cour ne saurait tirer d'une interprétation différente par les intimées un motif pour l'écarter, il lui appartiendra dès lors d'en apprécier sa véritable portée.

En conséquence il y a lieu de débouter les intimées de leur demande tendant au retrait des pièces susvisées.

Sur la recevabilité des arguments de la société Aviscom au regard du Code de la consommation

Les sociétés éditrices font valoir que la société Aviscom s'appuie sur le Code de la consommation, leur reprochant des manquements aux dispositions applicables en la matière alors que celles-ci visent à protéger le consommateur et qu'elles n'ont aucune relation directe avec les familles endeuillées si ce n'est par l'intermédiaire des entreprises de pompes funèbres qu'elles missionnent à cette fin.

Il convient de relever que les familles confient l'organisation des funérailles aux entreprises de pompes funèbres qui à cette occasion proposent des devis comprenant les annonces à intervenir et à ce titre elles sont destinataires des tarifs pratiqués par les annonceurs ; elles transmettent les avis de décès aux sociétés de presse éditrices qui les traitent alors tant d'un point de vue rédactionnel que technique pour les insérer dans leur page d'annonces dédiée ; la transmission de ces annonces s'inscrit donc dans la mission dévolue aux entreprises de pompes funèbres de sorte que les familles n'ont dans la quasi-totalité des cas aucune relation avec le journal.

A l'occasion de la mise en place des annonces en ligne, ce rôle des entreprises de pompes funèbres est resté le même puisque ce sont encore elles qui proposent les insertions en ligne et qui sont à cet effet les principaux clients de la société Aviscom.

Il n'en demeure pas moins que, d'une part, les familles pourraient s'adresser directement à ces annonceurs pour passer directement une annonce dans les pages nécrologiques, que ce soit par voie de presse ou en ligne, d'autre part, le non-respect par un concurrent des règles du droit de la consommation, est de nature à constituer à son égard une pratique de concurrence déloyale et lui porter préjudice, constituant une faute de nature à lui ouvrir droit à réparation.

En conséquence il n'y a pas lieu d'écarter les moyens soulevés par la Société Aviscom à ce titre.

Sur les pratiques anticoncurrentielles alléguées

La société Aviscom soutient que les pratiques anticoncurrentielles dont elle a fait l'objet ont consisté tout d'abord dans le refus qui lui a été opposé par les sociétés éditrices d'insérer dans les annonces nécrologiques la ligne " condoléances sur www.avis-de-deces.net ", puis d'avoir intégré de manière unilatérale et forcée à leur offre commerciale des avis de décès paraissant dans la version papier du journal, un couplage systématique avec les annonces nécrologiques paraissant dans la version internet du journal et sur le site dédié www.dansnoscoeurs.fr auquel un renvoi automatique est effectué par un clic sur la rubrique avis de décès du journal en ligne, moyennant un prix forfaitaire analogue à celui pratiqué par la société appelante.

Les sociétés éditrices font valoir que, pour qu'il y ait pratique anti concurrentielle et en particulier abus de position dominante, cet abus doit se caractériser par un effet d'éviction du marché et qu'en l'espèce il résulte des analyses de marché qu'elles produisent qu'aucune des deux pratiques mises en cause par la société Aviscom n'a eu d'effet sur sa part de marché.

La société Aviscom produit une étude de marché en sens contraire, qui se fonde sur le nombre d'annonces nécrologiques en ligne parues sur les divers sites internet dans les zones géographiques de parution des journaux des sociétés intimées dont il résulte que deux sociétés se disputent le marché en cause, la société Aviscom et la société Dansnoscoeurs. Si les intimés font état des sites Libramemoria et Enaos comme ayant autant, voire davantage de volume d'activité que la société Aviscom, celle-ci affirme, sans être contredite, que la société Libramemoria est une émanation du groupe presse EBRA et qu'elle n'opère, en conséquence pas sur la même zone géographique ; elle ajoute que les analyses de marché effectuées par les sociétés intimées ont été réalisées par elles et ne sont pas plus probantes que la sienne car elles n'émanent pas de tiers autorisés ; il appartient dès lors à la cour d'en apprécier la pertinence sans qu'il soit possible à priori sur le seul fondement des unes ou des autres d'écarter les deux séries de faits dénoncés par la société Aviscom.

Sur le refus d'insertion

La société Aviscom soutient que le refus d'insertion est d'une part déloyal, d'autre part constitue un abus de leur position dominante par les sociétés éditrices.

Sur le caractère déloyal du refus d'insertion

La société Aviscom fait valoir que ce refus n'est pas justifié car, d'une part, il porte atteinte au droit des familles d'organiser librement des funérailles, d'autre part il prive d'efficacité son registre de condoléances.

L'article 3 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles dispose que " Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l'exécution de ses dispositions ".

Ce texte vise des dispositions qu'aurait prises le défunt sur cette organisation notamment quant au caractère civil ou religieux des funérailles ; il ne porte pas sur les conditions dans lesquelles la famille reçoit les marques de sympathie et de soutien que constituent les condoléances, quand bien même il ne peut être contesté que les familles endeuillées ont toute liberté pour organiser les modalités dans lesquelles elles recevront des condoléances et à en informer les tiers désireux de témoigner auprès d'elles ; en l'espèce la société Aviscom fait grief aux sociétés éditrices de refuser une insertion concernant un registre de condoléances ouvert non pas en raison d'une volonté exprimée par le défunt de son vivant mais une demande des familles exprimée après le décès et ayant pour objet de permettre l'envoi de condoléances en ligne.

Les familles ont toujours pu souhaiter recevoir les condoléances sur le lieu de la cérémonie funéraire, lieu où est alors ouvert un registre à cet effet ce qui s'inscrit dans le cadre même du déroulement des funérailles et ce dont il en est alors fait mention dans l'avis nécrologique sans qu'il en soit découlé de difficultés.

Le développement d'internet a vu l'arrivée sur ce marché de sociétés d'annonces nécrologiques dont la société Aviscom, puis la société Dansnoscoeurs qui ont proposé une prestation payante à savoir l'annonce en ligne du décès et des prestations complémentaires gratuites dont l'ouverture d'un registre de condoléances, les entreprises de pompes funèbres étant en charge de les proposer aux familles ; dès lors l'économie de ces sociétés repose sur la vente d'annonces nécrologiques et donc sur le placement de celles-ci par les entreprises de pompes funèbres et non sur l'ouverture d'un registre de condoléances qui en est l'accessoire ; il n'est d'ailleurs produit aucune plainte des familles elles-mêmes, l'enjeu économique étant à l'évidence l'annonce en ligne.

Par ailleurs ce sont les entreprises de pompes funèbres qui établissent un devis comprenant les frais de publication selon les tarifs fournis par les éditeurs que ce soit la presse écrite ou l'éditeur internet puis qui adressent l'avis de décès à paraître aux journaux ou à l'éditeur en ligne et qui facturent aux familles endeuillées l'ensemble des prestations réalisées dont celui de l'annonce ; si les sociétés de pompes funèbres avaient un rôle de mandant pour le compte des familles, chargées d'exprimer leur volonté, dès lors elles n'auraient pu que s'opposer au refus d'insertion par les journaux en considérant que l'annonce était à prendre dans son intégralité comme reflétant la volonté exprimée par les familles ce qu'elles n'ont jamais fait ; elles n'ont pas davantage été mises en cause par les familles ; un certain nombre ont cessé de commercialiser la prestation proposée par la société Aviscom, privilégiant ainsi celle de la société Dansnoscoeurs ; de plus, si, comme le prétend la société Aviscom, l'insertion de cette ligne n'avait eu qu'un caractère informatif relevant de la volonté des familles, alors elle ne saurait invoquer une perte de marchés résultant du refus d'insertion ; il s'ensuit que la question n'est pas en réalité celle de l'expression de la volonté des familles mais de la réalité économique liée à la concurrence créée par le développement des annonces en ligne, marché sur lequel s'affrontent des sociétés créées à l'initiative des groupes de presse comme les sociétés Dansnoscoeurs et Libramemoria, et d'autres, essentiellement la société Aviscom, créée elle à l'initiative d'un groupe de sociétés de pompes funèbres.

Les sociétés éditrices soutiennent que l'insertion de la ligne www.avis de décès.net est contraire aux principes éthiques qu'elles ont fixés pour l'édition des annonces nécrologiques en ce que la ligne dont la société Aviscom demande l'insertion présente un caractère publicitaire.

Il est constant que la ligne " avis et condoléances sur avis de décès.net " renvoie à la page d'accueil de la société Aviscom et non à un registre de condoléances ouvert au nom d'une personne ; cette page constitue la vitrine commerciale de la société Aviscom et contient elle-même des annonces publicitaires à la discrétion de la société Aviscom et ne comporte au surplus pas d'onglet " condoléances " ; la société Aviscom ne le conteste pas, distinguant sa page d'accueil et les pages dédiées aux défunts et aux condoléances, faisant valoir que son mode de fonctionnement n'est pas différent de celui développé par la société Dansnoscoeurs et que, d'une part, elle a toujours bloqué les publicités n'entrant pas dans les catégories admissibles sur son site, d'autre part, elle n'a introduit des publicités sur certaines pages de son site que depuis le deuxième semestre 2012, alors que le refus des journaux d'insérer la ligne litigieuse est bien antérieur ainsi qu'il résulte de leur refus intervenu respectivement en octobre 2011 et janvier 2012 ; toutefois même ces pages dédiées aux condoléances contiennent des éléments de nature commerciale en ce qu'elles incitent l'internaute à solliciter des renseignements sur la prévoyance obsèques et sur la marbrerie funéraire.

Si, par ailleurs, les sociétés éditrices font mention sur les pages des annonces nécrologique du site " dans nos coeurs.fr " développé par la société du même nom, cette annonce figure clairement comme une publicité pour la société Dansnoscoeurs et n'est pas portée individuellement dans les avis de décès quand bien même les familles ont utilisé les services de celle-ci pour publier l'avis de décès en ligne ou pour ouvrir un registre de condoléances en ligne ; les deux modes de publicité se distinguent donc, en ce que la publicité pour le site " dansnoscoeurs.fr "ne figure pas au cœur de chaque annonce mais fait l'objet d'une seule ligne présente une seule fois sur la double page des annonces nécrologiques comme une publicité alors que la société Aviscom entend faire figurer au cœur de l'annonce un nom de domaine renvoyant à son site à l'occasion de chaque achat d'une annonce à publier en ligne ; la société Aviscom pouvant utiliser la voie de la publicité dans la presse écrite pour faire connaître sa raison sociale, son activité et son nom de domaine, le refus d'insertion n'est dès lors pas de nature à rendre inefficace les services qu'elle propose.

La cour jugeant que le refus opposé par la presse écrite n'est pas déloyal, il n'y a dès lors pas lieu de rechercher si la mention litigieuse serait de nature à créer la confusion dans l'esprit du lecteur en suggérant que le journal qui la publie est lié au site en cause.

Sur l'abus de position dominante

La société Aviscom soutient que le refus qui lui a été opposé constitue un abus de position dominante, les journaux en cause occupant sur leur secteur géographique une position dominante sur le marché des annonces nécrologiques par voie de presse écrite dans les zones respectives de leur parution. Les sociétés éditrices contestent l'abus allégué aux motifs que la preuve d'une position dominante sur le marché en cause n'est pas rapportée, dès lors qu'elles-mêmes n'interviennent pas sur le marché des annonces en ligne et que les deux prestations, annonce presse écrite et annonce en ligne ne sont pas substituables de sorte que leur refus d'insertion n'est pas de nature à influencer la structure du marché des annonces en ligne, n'ayant ni cet objet, ni cet effet.

Concernant le marché des annonces nécrologiques par voie de presse, différentes décisions rendues notamment par la Cour d'Appel de Paris ont constaté que la presse écrite régionale était en situation de position dominante sur le marché des annonces nécrologiques par voie papier ; ces décisions comportent des éléments constants en ce que la presse locale est très faiblement concurrencée par la presse nationale et qu'elle connaît une crise telle que l'entrée de nouveaux quotidiens sur les marchés locaux est tout à fait improbable.

Les sociétés intimées sont des sociétés éditrices de journaux quotidiens de la presse quotidienne régionale (PQR) et ceux-ci sont diffusés sur des marchés locaux parfaitement identifiés à savoir :

- le Courrier de l'Ouest fait l'objet de cinq éditions locales couvrant le Maine et Loire et les Deux Sèvres.

- le Maine Libre de trois éditions couvrant le Grand Mans, la Haute Sarthe et la Sarthe et Loire Presse Océan de deux éditions en Loire Atlantique et à Saint Nazaire.

Il n'est pas contesté que ces journaux sont diffusés sur des secteurs géographiques restreints sur lesquels aucun autre vecteur de presse écrite n'est identifié comme offrant une rubrique d'annonces nécrologiques similaire à celle qu'elles ont développée de sorte que leur position dominante sur le marché des annonces nécrologiques par voie de presse écrite sur leur secteur de diffusion est incontestable.

Les sociétés éditrices font valoir qu'elles ne proposent aucun service directement ou indirectement auprès des consommateurs pour l'insertion d'annonces nécrologiques en ligne indépendamment d'une annonce dans la presse papier et que dès lors il ne saurait leur être reproché de profiter de leur position dominante sur le marché de la presse écrite régionale pour s'imposer sur le marché des annonces nécrologiques en ligne où est active la société Aviscom.

Les sociétés de presse n'interviennent pas directement auprès de consommateurs que sont les familles en deuil ; en revanche, si elles n'ont pas de service internet d'annonces nécrologiques concurrent de ceux de la société Aviscom, elles diffusent néanmoins sur internet leur publication, notamment les pages des annonces nécrologiques et cette diffusion comporte un renvoi sur le site www.dansnoscoeurs.fr ; si la société Dansnoscoeurs est une société autonome qui exerce seule une activité similaire à celle de la société Aviscom, il n'en demeure pas moins que les sociétés de presse ne peuvent affirmer avoir été absentes du marché des annonces nécrologiques en ligne puisque, par leur intervention, elles permettent de diriger les internautes vers le site de la société Dansnoscoeurs.

En revanche, comme il a été vu précédemment ce sont les entreprises de pompes funèbres qui proposent les prestations tendant à faire publier par voie de presse ou par voie internet ou par les deux les avis d'annonces nécrologiques, de sorte qu'il appartenait à la société Aviscom de prospecter ces entreprises afin de les voir proposer ses prestations aux familles ; d'ailleurs elle indique que des entreprises de pompes funèbres, notamment dans les secteurs des journaux concernés, ont pu faire insérer dans l'annonce le nom de leur site lequel redirigeait sur le site www.avis de décès.net.

Les sociétés éditrices ont produit des études de marché dont il résulte que malgré le refus d'insertion la société Aviscom a développé ses activités de manière significative dans les départements de la Vendée, de la Sarthe de la Loire Atlantique et de l'Orne dans lesquels les titres en cause sont présents alors que tel n'a pas été le cas depuis la décision entreprise au terme de laquelle le refus d'insertion n'est plus opposé.

Ces éléments mettent en évidence que la société Aviscom a eu accès au marché des annonces en ligne et que le seul refus d'insérer la ligne litigieuse mentionnant son nom de domaine n'a pas été un facteur d'éviction.

Sur les annonces couplées

La société Aviscom reproche aux sociétés intimées d'avoir imposé systématiquement le couplage de chaque avis de décès paraissant dans les journaux avec sa publication sur le site Internet du journal avec renvoi au site www.dansnoscoeurs.fr, associé à un registre de condoléances.

L'article L. 122-1 du Code de la Consommation dispose :

" il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation de service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit dès lors que cette subordination constitue une pratique commerciale déloyale au sens de l'article L. 120-1 du Code de la Consommation ".

Ce couplage a été rappelé aux entreprises de pompes funèbres qui transmettent les avis nécrologiques par Internet dans le manuel de saisie Dansnoscoeurs en ces termes : " tous les avis nécrologiques parus sur les titres de PQR sont automatiquement couplés sur le site dansnoscoeurs.fr. Ce couplage incontournable génère une majoration de 15 euro HT pour la visibilité Internet ". Dès lors cette vente liée ne pouvait être refusée ni par les familles endeuillées ni par les entreprises de pompes funèbres lorsqu'elles donnaient au journal un ordre d'insertion d'annonces nécrologiques, notamment par Internet et dès lors a constitué une pratique imposée.

L'article L. 122-3 du Code de la Consommation dispose :

" La fourniture de biens ou de services sans commande préalable du consommateur est interdite lorsqu'elle fait l'objet d'une demande de paiement. Aucune obligation ne peut être mise à la charge du consommateur qui reçoit un bien ou une prestation de service en violation de cette interdiction.

Le professionnel doit restituer les sommes qu'il aurait indûment perçues sans engagement exprès et préalable du consommateur. Ces sommes sont productives d'intérêts au taux légal calculé à compter de la date du dernier paiement indu et d'intérêts au taux légal majoré de moitié à compter de la demande de remboursement faite par le consommateur ".

Toutefois depuis la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, l'interdiction des ventes liées n'est plus systématiquement présumée illicite, elle le demeure lorsque la vente liée constitue une pratique commerciale déloyale systématique.

L'article L. 122-11 du Code de la consommation définit les pratiques commerciales agressives " lorsque du fait des sollicitations répétées et insistantes ou de l'usage d'une contrainte physique ou morale et compte tenu des circonstances qui l'entourent, elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix du consommateur " et définit comme pratique commerciale agressive " :

" 3° L'exploitation, en connaissance de cause, par le professionnel, de tout malheur ou circonstance particulière d'une gravité propre à altérer le jugement du consommateur, dans le but d'influencer la décision du consommateur à l'égard du produit ".

Le deuil constitue indubitablement un malheur d'une gravité propre à altérer le jugement de la famille endeuillée qui a, en de telles circonstances, d'autres soucis que de se préoccuper de la licéité du couplage des annonces par voie écrite et par voie internet, de demander le coût respectif de chacune d'elles et d'opter pour l'une ou l'autre ou les deux.

Si les sociétés éditrices font valoir que la vente couplée était plus efficace et financièrement plus intéressante pour le consommateur en ce que le pack commercialisé par la société Dansnoscoeurs au prix de 50 euro a été vendu avec une décote de 70 %, elles n'en rapportent pas la preuve dans la mesure où la grille tarifaire adressée non pas au consommateur mais aux entreprises de pompes funèbres ne comportaient qu'un seul tarif et seule l'annonce paraissant dans le journal faisait l'objet d'une commande facturée alors que, comme il a été développé précédemment, l'économie de la société Dansnocoeurs, tout comme celle de la société Aviscom repose sur la facturation de l'annonce nécrologique en ligne ; dans ces conditions il était de l'intérêt des familles de connaître le coût de chacune d'elles ce qui devait permettre aux sociétés de pompes funèbres de mettre en concurrence les sociétés Dansnoscoeurs et Aviscom, voire d'autres sociétés ayant la même activité, auprès des familles.

En conséquence les sociétés de presse ont exploité en connaissance de cause la situation des familles en imposant une offre globale unique ce qui constitue une pratique déloyale et illicite, ayant eu pour but de favoriser la société Dansnoscoeurs.

Sur l'abus de position dominante

La société Aviscom soutient que les sociétés éditrices ont abusé de leur position dominante en imposant le couplage des avis de décès paraissant dans le journal avec ceux proposés par la société

Dansnoscoeurs et paraissant en ligne de manière systématique, réalisant ainsi des ventes liées ce qui aboutissait à cloisonner artificiellement le marché des annonces nécrologiques et à empêcher l'émergence et le développement de toute concurrence, notamment de nouveaux médias électroniques. Les courriers des entreprises de pompes funèbres qui ont été adressés à la société Aviscom et qui, de par leur nature de courriers n'ont pas à respecter les règles propres aux attestations, démontrent que la pratique des ventes couplées a fait perdre tout intérêt à la prestation de la société Aviscom, ces courriers exposant systématiquement que la prestation de la société Aviscom fait désormais doublon avec celle de la société Dansnoscoeurs de sorte qu'elles n'ont plus d'intérêt à l'existence d'un autre site en ligne et donc à le proposer, la société Fourquet écrivant le 25 mars 2015 " Vous comprendrez aisément que dans ces conditions il nous est particulièrement difficile et délicat de proposer vos propres services aux familles en deuil, nonobstant leurs excellentes qualités indéniables dès lors qu'ils font double emploi avec les services imposés par le journal ".

De plus cette pratique a fait suite au refus d'insertion du nom de domaine de la société Aviscom qui avait déjà rendu plus difficile son activité, et avait favorisé l'implantation sur le marché internet des annonces nécrologiques de la société Dansnoscoeurs, quand bien même cette confrontation relèverait alors seulement d'une mise en concurrence.

Si les journaux en cause ont abandonné ce couplage en novembre 2014 ce qui résulte de leurs nouvelles conditions tarifaires qui proposent désormais trois possibilités, l'insertion de l'annonce par voie de presse écrite, par internet et une offre couplée avec un tarif réduit, la pratique d'une seule offre a constitué une pratique déloyale et un abus de position dominante qui a favorisé l'émergence de la société Dansnoscoeurs ; elle a également entraîné l'éviction de la société Aviscom pendant la période du couplage des annonces, un certain nombre d'entreprises de pompes funèbres ayant renoncé à proposer ses prestations.

Sur l'entente illicite découlant du couplage

La société Aviscom fait valoir que le couplage systématique mis en place découle d'une action concertée entre les journaux membres du site www.dansnoscoeurs.fr dont les sociétés intimées.

Si les sociétés membres de ce site ont toutes établi un partenariat avec la société Dannoscoeurs et ont adopté une même offre couplée, presse et internet, il n'en résulte pas pour autant une entente illicite entre elles, la seule circonstance de l'adoption d'une pratique tarifaire similaire ne suffisant pas à caractériser l'existence du caractère illicite entente dès lors que les sociétés présentes dans la cause appartiennent à une même entreprise au sens du droit de la concurrence, qui est le groupe Sipa.

Sur le préjudice

La société Aviscom soutient avoir subi un préjudice moral tant du fait du refus d'insertion que du couplage imposé en ce que le registre de condoléances qu'elle proposait a perdu toute son efficacité et qu'un tel refus porte atteinte à l'image des services qu'elle fournit, notamment à la crédibilité de son registre de condoléances en ligne ainsi qu'à sa réputation quant à l'efficacité de ce registre.

La cour ayant écarté les griefs invoqués par la société Aviscom concernant le refus d'insertion du nom de domaine, elle examinera le préjudice de celle-ci au seul titre de la pratique des ventes couplées dont la perte d'image.

S'agissant du couplage, la société Aviscom invoque un trouble commercial portant également atteinte à sa crédibilité et à son image de marque ; les entreprises de pompes funèbres ont constaté que désormais les prestations offertes par la société Aviscom faisaient " doublon " avec celles de la société Dansnoscoeurs alors même qu'elles avaient en aucun cas critiqué la qualité de ses prestations notamment au titre de la tenue de registres de condoléances, certaines exprimant au contraire leur satisfaction.

Il y a lieu de confirmer la décision entreprise en ce qui concerne son préjudice moral.

La société Aviscom demande réparation d'un préjudice matériel, en raison de l'inefficacité de ses services, préjudice qu'elle analyse en :

- une perte de chance de conquête du marché des annonces nécrologiques.

- la ruine des investissements réalisés et un délai nécessaire à la reconquête du marché des annonces nécrologiques soit deux ans.

Elle estime qu'elle aurait pu escompter conquérir au minima 20 à 25 % supplémentaires du marché des annonces nécrologiques par rapport à la part de marché qu'elle détient à ce jour et elle s'appuie sur le nombre d'annonces nécrologiques publiées sur les périodes du 1 janvier 2012 au 31 mai 2014 et pour la période du 1er juin 2014 au 30 septembre 2014 sur le site www.dansnoscoeurs.fr soit : du 1er janvier 2012 au 31 mai 2014 :

* 168 363 annonces pour le journal Ouest France.

* 23 851 annonces pour le journal Le Courrier de l'Ouest.

* 12 639 annonces pour le journal Le Maine Libre.

* 15 529 annonces pour le journal Presse Océan.

Du 1er juin 2014 au 30 Septembre 2014 :

* 21 234 annonces pour le journal Ouest France

* 3 002 annonces pour le journal Le Courrier de l'Ouest.

* 1 552 annonces pour le journal Le Maine Libre.

* 2 085 annonces pour le journal Presse Océan.

Les intimées n'ont pas contesté ces chiffres mais font valoir que dans les secteurs où aucun titre de la presse régionale partenaire de la société Dannoscoeurs (ou du groupe Ebra) n'est diffusé, la pénétration par la société Aviscom du marché des annonces nécrologiques n'a jamais dépassé 10 % ; la société Aviscom ne le conteste pas et explique ce défaut de pénétration par la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée de licencier ses commerciaux.

Si les intimées affirment que la part de marché de la société Aviscom n'a pas évolué malgré le lancement de son offre couplée, la société Aviscom fait valoir qu'elle a bénéficié du soutien d'un petit nombre d'entreprises de pompes funèbres, 10 sur 200 en Loire Atlantique, 13 sur 155 en Vendée, 3 sur 50 dans l'Orne et 14 sur 90 dans la Sarthe, pour l'essentiel des sociétés du groupe Dabrigeon qui est l'un de ses actionnaires, ce qui démontre néanmoins qu'elle a pu maintenir une activité ; elle fait observer que dans deux départements, la Meuse, d'une part, la Haute Saône, d'autre part, dans lesquels elle n'a dénoncé aucune pratique anticoncurrentielle, elle a, grâce à un démarchage intensif, augmenté ses parts de marché de façon significative, ayant dans la Meuse 12 entreprises de pompes funèbres clientes sur 16 et 15 sur 27 dans le Haut Rhin.

Il résulte de ces éléments que la société Aviscom avait un potentiel de développement qui a été freiné par l'arrivée sur le marché d'entreprises concurrentes comme la société Dansnoscoeurs ce qui relève d'une concurrence normale ; qu'en revanche celui-ci a été totalement interrompu du fait de la pratique de vente couplée, celle-ci ayant conduit à son éviction ; en conséquence elle a subi une perte de chance de se développer, quand bien même celle-ci ne saurait correspondre au développement de la société Dansnoscoeurs et au nombre d'annonces enregistré par celle-ci, la cour retiendra un taux de 10 % de pénétration du marché dont la société Aviscom aurait pu profiter dans l'hypothèse d'un cadre concurrentiel normal.

La société Aviscom ajoute avoir perdu les investissements réalisés pendant quatre ans.

Toutefois elle a continué à vendre des annonces pendant toute cette période de sorte que ses investissements n'ont pas été vains, reconnaissant même avoir progressé sur certains départements en parts de marché ; si elle indique avoir dû licencier ses commerciaux, elle reconnaît dans le même temps ne pas avoir démarché certains territoires ; or son poste investissements qui représentait 53 770 euro en 2009 alors qu'elle employait quatre commerciaux, s'est élevé à 147 900 euro en 2010 et à 164 000 euro en 2011 alors qu'elle n'avait plus qu'un seul commercial ; de plus elle ne démontre pas que la perte des investissements allégués résulte des pratiques des sociétés intimées dans la mesure où le site de la société Dansnoscoeurs n'a été créé qu'en 2010 et où depuis sa création, en 2007, elle n'a réalisé aucun exercice bénéficiaire ; son préjudice du fait des investissements qu'elle a réalisés dont au demeurant elle ne précise pas l'utilisation s'analyse en une perte de chance de les voir fructifier.

La société Aviscom fait état du préjudice découlant du délai qui lui sera nécessaire pour reconquérir le marché perdu, délai qu'elle estime à deux ans ; ce troisième chef de préjudice s'analyse également comme une perte de chance de reconstituer avant deux ans le marché escompté.

Au regard de l'ensemble de ces chefs de préjudice la cour retiendra le taux de 10 % avancé par la société Aviscom comme correspondant aux parts de marché qu'elle pouvait escompter. La société Aviscom chiffre son préjudice sur la base d'un taux de marge brute de 11 euro dégagée par annonce.

Toutefois le préjudice au titre de la perte de chance ne saurait être calculé sur la base d'un taux de marge brute par annonce dès lors que la société Aviscom a été déficitaire depuis sa création et où elle ne démontre pas que, sur la base d'une annonce dégageant une marge brute de 11 euro elle serait devenue bénéficiaire avec une pénétration de 10 % du marché détenue par la société Dansnocoeurs ; pour autant elle a perdu une chance de se maintenir et de se développer, quand bien même ses résultats antérieurs à la pratique en cause étaient restés déficitaires ; la cour fixera en conséquence son préjudice à ce titre et condamnera chacune des sociétés intimées au paiement à la somme de 10 000 euro.

Sur la demande de publication

La société Aviscom demande à la Cour de prononcer la publication de la décision à intervenir sur un certain nombre de supports de presse et internet.

Les intimées font valoir que les comportements contestés par la société Aviscom n'étant plus en vigueur, une telle publication serait contraire aux règles encadrant la réparation du préjudice subi.

La cour observe que les pratiques dénoncées ont eu pour objet de fausser la libre du jeu de la concurrence ; si la pratique de la vente couplée a cessé, il n'en demeure pas moins que les agissements fautifs ont perturbé le développement de la société Aviscom voire celui d'autres sociétés intervenant dans le même domaine.

Par ailleurs la société Aviscom affirme que les intimées poursuivent des pratiques qui ne permettent pas d'identifier le coût respectif de l'annonce papier de celui de l'annonce en ligne.

En conséquence s'agissant de pratiques préjudiciables à la société Aviscom et de plus touchant le consommateur, la mesure demandée est parfaitement justifiée et la cour y fera droit sauf à la limiter dans son ampleur.

Sur la demande visant à interdire le couplage et à en aviser les entreprises e pompes funèbres

Il n'est pas contesté que les intimées ont cessé de recourir à cette pratique et que dès lors cette demande est sans objet.

Sur la demande tendant à ce qu'il soit enjoint aux intimés de procéder à l'insertion de la ligne litigieuse sous astreinte

La société Aviscom sollicite qu'il soit enjoint aux sociétés intimées de procéder à la demande des familles, directement ou par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, mandataires des familles, à l'insertion dans les annonces de décès paraissant dans les journaux Ouest France, Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Presse Océan de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne.

Comme exposé ci avant, la cour n'a pas retenu le caractère fautif du refus des intimés ; en conséquence le jugement sera réformé et la société Aviscom déboutée de sa demande de ce chef.

Sur la demande tenant au détournement de la base de données

Les sociétés intimées font valoir que la société Aviscom a détourné sa base de données nécrologiques alors qu'en leur qualité de producteur elles sont fondées à bénéficier des règles de protection du producteur et dénoncent aussi à ce titre un acte de parasitisme.

L'article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que " Le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel ".

Les intimées affirment qu'elles ont la qualité de producteur en ce que les annonces nécrologiques sont collationnées par elles et font l'objet d'une insertion dans une base de données qui reprend les informations essentielles sur l'identité de la personne décédée, son âge, la date et le lieu de son décès, l'édition dans laquelle a été publiée l'annonce et le texte de celle-ci ce qui permet un traitement automatisé qu'elles indiquent mettre à la disposition de la société Dansnoscoeurs.

La société Aviscom affirme qu'il ne s'agit pas d'une base de données constituée par les intimées mais qu'il s'agit de données brutes qui sont traitées par la société Dansnoscoeurs qui n'est pas dans la cause.

Les sociétés intimées reçoivent les annonces des entreprises de pompes funèbres, exceptionnellement des familles et les insèrent dans une page de leur quotidien dans un but d'information de sorte qu'elles n'ont vocation ni à les conserver ce qu'elles ne contestent pas, ni à les exploiter ; elles ont d'ailleurs créé la société Dansnoscoeurs qui a pour objet la publication des annonces nécrologiques en ligne et leur exploitation afin de permettre à des internautes d'intervenir notamment par des messages de condoléances.

Les éléments d'identité du défunt constituent ainsi des données brutes non protégées qui appartiennent au domaine public et dont la société Aviscom pouvait dès lors disposer.

Si les intimées affirment avoir réalisé des investissements pour le traitement de ces données, et si elles font état du " coût d'exploitation de la cellule chargée des avis d'obsèques " en termes de frais de personnels, de frais de fonctionnement et d'amortissements outre les investissements périodiques effectués par le groupe afin de remettre à niveau les outils permettant leur constitution, précisant que la société Precom a investi 280 760 euro en 2012 pour développer un nouvel applicatif de saisie des avis d'obsèques, il n'est pas démontré que ces investissements aient été engagés pour le compte des sociétés éditrices plutôt que pour celui de la société Dannoscoeurs dès lors qu'elle seule avait besoin d'une base de données pour réaliser ses activités ; en conséquence les intimées ne justifient pas d'investissements financiers que chacune d'elles aurait engagé pour la constitution d'une base de données.

Par ailleurs les intimées ne caractérisent nullement l'existence de similitudes entre l'agencement des annonces nécrologiques des sites respectifs et en toute hypothèse la société Aviscom avait créé son site et les modes de collecte et d'organisation de sa base de données avant la création des sites du groupe de presse en cause ; de plus les avis de décès publiés en ligne par les journaux le sont par renvoi direct sur le site de la société Dansnoscoeurs de sorte que si la société Aviscom a procédé à des extractions, seule la société Dansnoscoeurs serait recevable sur ce fondement et elle n'est pas dans la cause.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Aviscom a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs, Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, Serpo et Precom de leur demande tendant à interdire à la société Aviscom l'exploitation des annonces nécrologiques qu'elle diffuse et en ce qu'il a condamné celles-ci à payer la somme de 30 000 euro à la société Aviscom en réparation de son préjudice moral, Infirme le jugement déféré pour le surplus, et statuant à nouveau, Constate que les journaux Ouest France, Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Presse Océan et la société Precom se sont rendus coupables du fait du couplage systématique de pratiques anticoncurrentielles constitutives de concurrence déloyale et d'abus de position dominante, Condamne chacune des sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, Serpo et Precom à payer à la société Aviscom la somme de 10 000 euro en réparation de son préjudice de perte de chance, Ordonne aux frais des sociétés intimées la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans la page " Carnet du Jour " des journaux Ouest France, Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Presse Océan, sur un quart de page, à raison de 3 insertions par journal, en faisant état qu'ils se sont rendus coupables de pratiques anticoncurrentielles de concurrence déloyale, d'abus de position dominante et d'entente, au détriment de la société Aviscom exploitante du site Internet www.avis-de-deces.net, le coût de chaque insertion ne pouvant dépasser 2 000 euro, Ordonne aux frais des sociétés intimées la publication dans les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir du dispositif du jugement sur la page d'accueil des sites internet des journaux Ouest France, Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre et Presse Océan ainsi que sur la page d'accueil du site www.dansnoscoeurs.fr pendant un délai d'un mois, Condamne chacune des sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre SERPO et Precom à payer à la SAS Aviscom une somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, fin ou conclusion plus ample ou contraire, Condamne les sociétés Ouest France, Société des Publications du Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre SERPO et Precom aux entiers frais et dépens.