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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 novembre 2015, n° 12-02931

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Google France (SARL), Google Inc (Sté)

Défendeur :

Evermaps (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Nicoletis, Mouthon Vidilles

Avocats :

Mes Moisan, Michot, Winckler, Cadiot, Patat

T. Com., du 31 janv. 2012

31 janvier 2012

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Françoise Cocchiello, Présidente et par Monsieur

Vincent Bréant, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure

La société Evermaps, anciennement Bottin Cartographes SAS (" Bottin Cartographes "), est spécialisée dans le secteur de la cartographie multimédia, et plus particulièrement dans le domaine de la création et la commercialisation d'applications Web de plans d'accès et cartes permettant la localisation d'adresses et l'édition d'itinéraires en ligne. Les cartes réalisées sont destinées à être intégrées aux sites internet des sociétés clientes de la société Bottin Cartographes. Son offre est commercialisée sous le nom " Facility Carto ".

La société Google Inc a pour activités se concentrant autour du moteur de recherche Google (et la publicité attachée), des plateformes Google, la vente d'applications destinées au consommateur final, des produits et des services destinés aux entreprises et le hardware. Elle a développé un nouveau moteur de recherche géographique dénommé "Google Maps", fonctionnel en France depuis le mois d'avril 2005 en "version bêta", et depuis 2007 dans sa version définitive.

Elle propose une technologie "Google Maps Api" (Application Programming) à l'intention des entreprises éditrices de sites internet qui leur permet d'insérer sur leur site une carte Google et d'y ajouter des informations. Le modèle repose sur un service de type freemium, proposant deux versions : l'une, version de base "Google Maps Api" est gratuite, Google se réservant toutefois la possibilité d'insérer de la publicité sur les pages présentant ses cartes ; l'autre "Google Maps for Business", payante, propose des fonctionnalités enrichies.

La société Google France filiale de Google Inc est spécialisée dans le secteur d'activité de la régie publicitaire de médias. Les produits cartographiques proposés par les deux sociétés sont identiques et consistent en un service de cartographie permettant d'insérer une carte dans un site internet.

La SAS Evermaps et les sociétés Google (ici appelées société Google) se trouvent donc en situation de concurrence directe en France.

Estimant que la fourniture, par Google, de L'Api Google Maps gratuite, proposant des services de cartographie sans contrepartie financière et aussi attractifs que la version payante, est constitutive d'une pratiques anticoncurrentielles destinée à capter la clientèle et éliminer les concurrents, la société Evermaps, anciennement Bottin Cartographes, a assigné le 24 juillet 2009 les sociétés Google France & Google INC devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement rendu le 31 janvier 2012, le tribunal de commerce de Paris a :

• Débouté les sociétés Google France et Google Inc de leur demande de mise hors de cause de la société Google France,

• Condamné solidairement les sociétés Google France et Google Inc pour abus de position dominante ;

• Condamné solidairement les sociétés Google France et Google Inc. A verser à la société Bottin Cartographes une somme de 500 000 € à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices subis;

• Ordonné la publication du présent jugement dans les quotidiens Wall Street Journal, Herald Tribune, Le Monde, Le Figaro, La Tribune et Les Echos sans que le coût de chacune des publications puisse dépasser la somme de 5 000 euros HT ;

• Condamné solidairement les sociétés Google France et Google Inc au paiement d'une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

• Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision sauf en ce qui concerne les publications, et sans constitution de garantie ;

• Débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires ;

• Condamné solidairement les sociétés Google France et Google Inc aux entiers dépens.

Les sociétés Google Inc et Google France ont interjeté appel de cette décision le 16 février 2012. Par un arrêt du 20 novembre 2013, la cour d'appel de Paris a

• Écarté la demande de sursis à statuer soulevée par les sociétés Google,

• Écarté la demande de mise hors de cause de la société Google France ainsi que l'exception de sursis à statuer soulevée par les sociétés Google,

• Avant-dire droit sur le surplus des prétentions des parties,

• Invité l'Autorité de la concurrence à donner son avis sur le caractère de pratique anticoncurrentielle au regard de l'article 102 du TFUE et L 420-2 du Code de commerce de la pratique alléguée par la société Bottin et par conséquent, sur le marché pertinent, le marché affecté, la position de Google sur ce marché, et la constitution de l'abus de prédation à partir du test de coûts pertinents,

• Réservé les dépens.

L'autorité de la concurrence (ADLC) a donné un avis n° 14-A-18 le 16 décembre 2014.

Par conclusions du 14 septembre 2015, les sociétés Google Inc et

Google France demandent à la cour :

Vu l'article 102 TFUE,

Vu les articles L. 420-2 et L. 420-5 du Code de commerce,

Vu les articles 1382 et suivants du Code civil,

Vu les articles 15, 16 et 564 du Code de procédure civile,

In limine litis,

• Constater que la communication tardive par Evermaps des pièces n° 176 à 214 au soutien de ses conclusions constitue une violation du principe du contradictoire ;

En conséquence,

• Rejeter des débats les pièces n°176 à 214 communiquées par Evermaps le 10 septembre 2015.

A titre principal,

• Dire et juger que les sociétés Google Inc. et Google France n'ont pas violé les articles 102 TFUE, L. 420-2 et L. 420-5 du Code de commerce ;

En conséquence,

• Réformer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 janvier 2012 en ce qu'il a condamné les sociétés Google Inc. et Google France sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;

• Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 janvier 2012 en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Evermaps sur le fondement de l'article L. 420-5 du Code de commerce et la demande d'Evermaps visant à ordonner à Google d'avoir à justifier la mise en place, auprès de sa clientèle, de propositions commerciales portant sur la publicité ciblée prévue aux conditions d'utilisation du service Google Maps API, sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard ;

• Condamner la société Evermaps à rembourser aux sociétés Google Inc. et Google France la somme de 515 000 euros qui lui a été versée à titre provisoire conformément à la décision du Tribunal de commerce de Paris du 31 janvier 2012 et annuler l'injonction de publication prononcée par le Tribunal de commerce de Paris dans son jugement en date du 31 janvier 2012 ;

• Débouter la société Evermaps de l'ensemble de ses demandes au titre de l'appel incident ;

A titre subsidiaire,

• Constater que la demande de dommages-intérêts de la société Evermaps est infondée ;

• Constater que la demande d'injonction de la société Evermaps visant à ordonner à Google de cesser de délivrer sans contrepartie publicitaire et/ou financière la version gratuite de Google Maps API, est irrecevable en tant que demande nouvelle et, subsidiairement, infondée ;

• Constater que la demande de publication de la société Evermaps est infondée ;

En conséquence,

• Réformer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 janvier 2012 en ce qu'il a condamné les sociétés Google Inc. et Google France sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil ;

• Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 janvier 2012 en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Evermaps sur le fondement de l'article L. 420-5 du Code de commerce et la demande d'Evermaps visant à ordonner à Google d'avoir à justifier la mise en place, auprès de sa clientèle, de propositions commerciales portant sur la publicité ciblée prévue aux conditions d'utilisation du service Google Maps API, sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard ;

• Condamner la société Evermaps à rembourser aux sociétés Google Inc. et Google France la somme de 515.000 euros qui lui a été versée à titre provisoire conformément à la décision du Tribunal de commerce de Paris du 31 janvier 2012 et annuler l'injonction de publication prononcée par le Tribunal de commerce de Paris dans son jugement en date du 31 janvier 2012 ;

• Débouter la société Evermaps de l'ensemble de ses demandes au titre de l'appel incident ;

En tout état de cause,

• Condamner la société Evermaps à verser aux sociétés Google Inc. et Google France la somme de 50 000 euros chacune en application de l'article 700 du Code de procédure civile

• Condamner la société Evermaps aux entiers dépens. Google soutient que la communication tardive de pièces et des conclusions volumineuses par l'intimée quelques jours seulement avant la clôture du 15 septembre 2015 viole le principe du contradictoire.

Elle invoque l'avis de l'Autorité de la concurrence pour établir l'absence de prix prédateurs et soutenir qu'elle n'a eu aucun comportement prohibé par l'article L 420-2 du Code de commerce. Elle estime avoir eu un comportement conforme aux usages et pratiques des entreprises sur Internet, et s'être conduite comme une entreprise commerciale normale désireuse de générer des profits, notamment par le modèle économique de type " freemium ".

Elle fait valoir que le jugement du tribunal de commerce ne démontre en rien qu'elle occuperait une position dominante sur le marché pertinent, notamment en raison du fait qu'il n'a examiné aucun des trois critères caractérisant le marché pertinent (caractéristiques, prix et usages).

Elle soutient qu'elle n'a pas la possibilité de se comporter sur le marché de manière indépendante vis à vis de ses concurrents, de ses clients et finalement des consommateurs, comme le ferait une entreprise dominante. Elle a des contraintes et ne peut augmenter ses prix de façon sensible.

Elle conteste toute violation de l'article L. 420-5 du Code de commerce, dans la mesure où les clients de Google Maps API ne peuvent être considérés comme des consommateurs.

Elle estime que l'intimée ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle dit subir, ou encore le lien de causalité avec les agissements allégués de Google. Elle soutient que la demande de l'intimée visant la cessation pure et simple de l'offre gratuite Google Maps API, sous astreinte, constitue une prétention nouvelle, et qu'elle est par conséquent irrecevable en cause d'appel. A titre subsidiaire, elle ajoute que cette demande d'injonction n'est pas fondée.

Elle invoque le caractère inhabituel de la publication ordonnée par le tribunal de commerce qu'aucune disposition du Code de commerce ne prévoit et ajoute qu'une telle publication n'apparait pas nécessaire pour réparer le préjudice prétendument subi par Evermaps.

Par conclusions du 2 septembre 2015, la SAS Evermaps (Bottin Cartographes) demande à la cour de :

Vu les articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 du Code de commerce,

Vu l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne,

Vu les articles 1382 du Code Civil,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces produites,

• Déclarer l'appel interjeté par les sociétés Google infondé et les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

• Déclarer la société Evermaps recevable et fondée en son appel incident ;

En conséquence,

• Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris prononcé le 31 janvier 2012 en ce qu'il a :

• Débouté les sociétés Google France et Google Inc de leur demande de mise hors de cause ;

• Dit et jugé la Société Evermaps recevable et bien fondée en son action ;

• Constaté que les Sociétés Google France et Google Inc. ont commis une série de fautes engageant leur responsabilité en pratiquant des prix abusivement bas dans le but d'évincer leurs concurrents et en abusant de leur position dominante ;

• Constaté que ces agissements ont causé des préjudices directs à la Société Evermaps ;

• Condamné solidairement les sociétés Google France et Google Inc. A verser à Evermaps une somme de 500 000 € à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices subis ;

• Ordonné la publication du jugement à intervenir dans les quotidiens Wall Street Journal, Herald Tribune, Le Monde, Le Figaro, La Tribune et Les Echos à hauteur de 5 000 euros par publication ;

• Condamné les sociétés Google au paiement de la somme de 15 000 euros au profit de la société Evermaps au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

• Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris prononcé le 31 janvier 2012 en ce qu'il a :

• Débouté la société Evermaps de ses demandes sur le fondement de l'article L. 420-5 du Code de commerce et statuant de nouveau, accueillir les demandes d'Evermaps sur le fondement de cette disposition.

• Débouté la société Evermaps de sa demande d'astreinte, et statuant de nouveau, condamner les sociétés Google à cesser, sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard, de délivrer sans contrepartie publicitaire et/ou financière, l'usage gratuit de l'application Google Maps Api aux entreprises.

En toute hypothèse:

• Condamner solidairement les sociétés Google France et Google INC. à verser à Evermaps une somme complémentaire de 744 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices subis ;

• Condamner solidairement les sociétés Google France et Google INC. au paiement d'une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

• Condamner solidairement les défenderesses aux entiers dépens. Bottin Cartographes fait valoir que les deux sociétés appelantes ont eu un temps suffisant pour prendre connaissance des pièces qu'elle leur a communiquées, exposant que certaines pièces proviennent du dossier de l'ADLC ou de Google elle-même.

Elle critique l'avis donné par l'ADLC.

Sur la violation de l'article L. 420-2 du Code de commerce:

Elle soutient que Google occupe une position dominante sur les marchés connexes et particulièrement imbriqués des moteurs de recherche, de la publicité en ligne liée aux recherches et de la cartographie en ligne des cartes API et que le marché pertinent à prendre en compte est celui des API cartographiques permettant l'insertion des cartes sur le site internet des entreprises, en l'occurrence limité à la France.

Elle fait valoir que l'instruction menée par l'Autorité en 2014 révèle que les revenus engendrés par la version de base Google Maps Api sont inexistants, ou marginaux.

Elle expose que la gratuité offerte par Google Maps Api constitue une pratique de prix prédateurs.

Elle expose que Google n'est confrontée à aucune contrainte concurrentielle et peut avoir un comportement indépendant vis à vis de ses concurrents, de ses clients, et des consommateurs ; elle gonfle artificiellement la liste de ses prétendus concurrents.

Elle critique l'analyse réalisée par l'Autorité. Elle lui reproche de s'appuyer exclusivement sur des données produites par Google, lesquelles n'ont pas pu être vérifiées, expose que le " travail de vérification " mené par l'Autorité n'a pas porté sur la période concernée par les pratiques dénoncées par Evermaps 2007-2009. Elle soutient que les tests de coût présentés par Google à l'Autorité et repris par celle-ci sont incomplets, faussés et n'offrent aucun résultat utilisable par la Cour.

Elle expose que si l'on réintègre les coûts qui auraient dû être pris en compte (coûts supportés par les concurrents, coût de modification des cartes, coûts d'opportunité notamment) l'activité de Google est largement déficitaire.

Elle fait également valoir que le modèle économique choisi par Google démontre, de lui-même, la stratégie d'éviction de Google : ce modèle est dépourvu de rationalité sur le plan économique, et il s'agit d'un modèle " sui generis absolument pas courant sur le marché " ayant uniquement pour objet d'éliminer la concurrence. Elle soutient aussi que Google a parfaitement la capacité de récupérer les pertes éprouvées dans le cadre de la mise en œuvre de sa stratégie d'éviction, bien qu'elle ajoute que la possibilité pour une entreprise mettant en œuvre des prix prédateurs de récupérer ultérieurement ses pertes ne constitue absolument pas un élément constitutif de la qualification juridique de prix prédateurs.

Sur la violation de l'article L. 420-5 du Code de commerce :

Elle expose que l'article L. 420-5 du Code de commerce est également applicables aux faits de l'espèce : elle soutient que les sociétés clientes d'Evermaps et de Google doivent être considérées comme des "consommateurs" au sens de ce texte en ce qu'elles ne disposent d'aucune expérience particulière en la matière et qu'elle n'utilisent les services de cartographie que dans le seul but de satisfaire leurs besoins personnels. Elle soutient que Google doit nécessairement exposer un coût de revient pour être en mesure de proposer ses produits cartographiques et que son offre gratuite constitue une pratique de prix anormalement bas.

Sur les préjudices :

Enfin, elle invoque une série de préjudices résultant directement des pratiques anticoncurrentielles de Google : tout d'abord, un préjudice matériel résultant notamment des nombreuses résiliations de contrats en cours par ses clients ayant préféré l'offre gratuite de Google Maps Api ou encore de la non reconduction des contrats arrivés à terme par ses clients, un préjudice financier résultant du ralentissement de ses perspectives de développement pour l'avenir ; ensuite, un préjudice moral, et plus spécifiquement un préjudice d'image, notamment en raison de la contrainte de devoir sans cesse justifier le caractère payant de son offre là où celle de Google est gratuite.

Motifs

Sur le rejet des pièces 176 à 214 communiquées le 9 septembre par Bottin Cartographes que demande Google :

Considérant qu'après la communication aux parties de l'avis de l'Autorité de la Concurrence, un avis de fixation a été adressé aux parties le 16 janvier 2015, pour une clôture au 8 septembre et des plaidoiries au 30 septembre 2015 ; que la société Google appelante a alors conclu le 20 avril 2015 ; que la société Evermaps a répliqué à ces conclusions le 2 septembre 2015 ; que le prononcé de l'ordonnance de clôture a été reporté au 15 puis au 22 septembre ; qu'après sommation de communiquer de la société Google du 9 septembre, la société Evermaps a adressé le 10 septembre ses pièces, au nombre de 39 "représentant plus de 1 000 pages", que Google a adressé un nouveau jeu de conclusions le 14 septembre 2015,

Considérant que la société Google expose n'avoir pu examiner les documents versés aux débats dans le détail, tout particulièrement le rapport d'analyse économique du cabinet Microeconomix et ses volumineuses annexes ; que la société Evermaps soutient que certaines de pièces ne sont pas nouvelles ou qu'elles sont connues de Google soit pour émaner d'elle, soit pour provenir du dossier de l'ADLC, ou encore être des décisions de justice,

Mais considérant que les parties doivent respecter en tout temps le principe du contradictoire, qu'il apparaît que la société Evermaps appuie une grande partie de sa démonstration pour rapporter la pratique de prix prédateurs et la volonté de Google d'évincer les concurrents sur le rapport Microeconomix établi le 26 août et communiqué non pas avec ses conclusions du 2 septembre mais le 10 après une sommation de communiquer, et ce, avec de nombreuses pièces annexes ; qu' il apparaît toutefois que la clôture initialement prévue le 8 septembre a été reportée au 15 puis au 22 septembre, laissant un temps à la société Google pour en prendre connaissance et y répliquer le cas échéant ; que celle-ci ne précise pas en quoi la défense qu'elle a choisie est désorganisée par ces nouvelles pièces, la cour observant d'ailleurs qu'elle n'a pas conclu après le 14 septembre 2015,

Considérant que la demande sera rejetée,

Sur l'avis de l'Autorité de la concurrence (ADLC) :

Considérant que la société Google a présenté à l'ADLC les travaux du cabinet Charles River Associates ( CRA) que Google avait chargé d'évaluer si les prix pratiqués pour les cartes API peuvent être considérés comme des prix prédateurs ;

Considérant que les tests de coûts ont été menés en considérant trois périmètres géographiques distincts et ont porté sur quatre années différentes, 2010, 2011, 2012 et 2013 ; que, dans dix-huit tests sur les vingt réalisés, Google se situe dans la zone blanche, à savoir que les revenus du produit Google Maps API couvrent l'ensemble des coûts moyens incrémentaux de long terme y afférents ; que deux tests de 2010 seulement placent Google dans la zone grise où les revenus du produit Google Maps API sont inférieurs aux coûts moyens incrémentaux de long terme, en restant toutefois supérieurs aux coûts évitables moyens ;

Considérant que l'ADLC a constaté que l'existence d'une stratégie d'éviction de la part de Google n'était pas établie ; qu'elle n'a trouvé aucune preuve d'une intention d'éviction ; qu'elle constate que les prix pratiqués par Google sont identiques quel que soit le pays considéré, ce qui tend à relativiser la pertinence d'une stratégie de prédation mise en œuvre au niveau national ;

Considérant que pour la période antérieure à 2010 (2007 à 2009), l'ADLC a exposé qu' "Aucun test de sacrifice n'est proposé par Google qui indique ne pas disposer des données et coûts pertinents pour les années 2007 à 2009 " et qu' " il ne peut être exclu que, sur la période 2007-2009 pour laquelle aucune donnée de coût n'est disponible, Google ait subi des pertes du fait de son chiffre d'affaires relativement limité " ;

Considérant qu'elle a relevé qu'une stratégie de prédation était improbable durant cette période : " Au titre de la recherche d'une stratégie délibérée de prédation, il peut être intéressant de vérifier si l'entreprise en cause disposait ou non de la capacité de récupérer ses pertes après l'éviction de son concurrent ", que "même si cette recherche n'est pas exigée par la jurisprudence ou par la Commission européenne, l'Autorité ... a déjà admis que l'entreprise pouvait, en tout état de cause, faire valoir en défense qu'une telle récupération n'était ni possible ni plausible " ; que "dans cette perspective..., même en se plaçant dans l'hypothèse la plus contraignante pour Google, plusieurs éléments conduisent à relativiser la portée d'un sacrifice éventuellement encouru pour les années antérieures à 2010 " ; qu' "en premier lieu, compte tenu de la dynamique de croissance observée depuis 2007, et des coûts relativement limités qu'impliquait un développement sur le marché national des API cartographiques, l'Autorité relève que le sacrifice éventuellement consenti par Google pour ces années sur le marché français serait très faible, ensuite il doit être souligné que les barrières à l'entrée et donc à la réentrée, sur le marché national des API cartographiques sont peu élevées " ; que " Pas moins de seize entreprises ayant développé leur propre API cartographique postérieurement au lancement du service Google Maps API peuvent être dénombrées entre mars 2006 et aujourd'hui" ; qu' "En effet, la plupart des concurrents de Google sont simultanément présents sur d'autres marchés utilisant des données de cartographie et disposent donc des intrants nécessaires à une "réentrée" à moindre coût sur le marché national des API cartographiques, "réentrée" qui rendrait impossible toute récupération de pertes" ;

Sur l'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce :

Considérant que selon l'article L. 420-2 du Code de commerce, "Est prohibée dans les conditions prévues de l'article L. 420-1 du Code de commerce l'exploitation abusive par une entreprise ... d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci..."

Considérant que la preuve de la prédation peut être apportée dans différents cas de figure, selon la position des prix de vente par rapport à différents niveaux envisageables de coûts (coût variable moyen, coût total moyen et, dans pour les entreprises multi produits, coût incrémental) ;

Que lorsque les prix de vente sur le marché où l'éviction des concurrents est recherchée sont inférieurs au coût moyen variable de l'entreprise (zone noire), l'objet anticoncurrentiel de la politique de prix est présumé, sauf pour l'entreprise à apporter une preuve contraire, compatible avec les faits de l'espèce et étayée par une explication convaincante de son comportement ;

Que lorsque les prix de vente en cause sont inférieurs aux coûts moyens totaux de l'entreprise, mais supérieurs à ses coûts variables (zone grise), une telle constatation constitue un simple indice que cette politique de prix a un objet anticoncurrentiel ; que la pratique de prédation sera établie si la partie poursuivante apporte la preuve que le comportement de l'entreprise adopté en matière de prix s'inscrit dans une stratégie de prédation, c'est-à-dire une stratégie visant le découragement des concurrents et le cas échéant, la récupération ultérieure des pertes initialement subies ;

Considérant que s'agissant d'entreprises multi produits, le coût variable moyen est remplacé par le coût évitable moyen et le coût total moyen par le coût incrémental moyen de long terme ;

Sur les prix prédateurs à compter de l'année 2007 :

Considérant que la société Bottin Cartographes se livre à de très nombreuses critiques de l'avis donné par l'ADLC à qui elle reproche de ne pas avoir défini le marché pertinent en cause et de ne pas avoir analysé la position de Google qui est dominante sur le marché "connexe" ;

Mais considérant que l'ADLC a expliqué sa démarche ; qu'elle a pris les hypothèses de travail les plus défavorables pour Google, en retenant un marché de produits et de services limité aux API cartographiques permettant l'insertion de cartes sur le site Internet des entreprises, un marché géographique national et en supposant que Google est en position dominante sur le marché pertinent à compter de 2007 ; qu'en analysant les coûts et les revenus de Google sur ce marché pertinent restreint, l'Autorité a fait l'économie de l'analyse plus précise du marché et de la position de Google sur celui-ci : si aucune pratique de prédation n'est établie sur ce marché restreint, elle ne le sera a fortiori pas sur un marché plus vaste ; que cette façon de procéder n'est pas critiquable ;

Considérant que la société Bottin Cartographes reproche à l'Autorité de ne pas avoir réalisé les tests qui lui étaient demandés, de s'être limitée à un contrôle formel en prenant pour base de travail le rapport du cabinet CRA dont la méthode était critiquable ;

Mais considérant que le rapport produit par Google devant l'Autorité a été établi par des experts comptables indépendants qui attestent que les montants de revenus et de coûts utilisés sont sincères ; que l'Autorité a vérifié la conformité de la méthode utilisée au regard des principes applicables aux pratiques d'éviction, la bonne affectation des coûts et le choix des clés de répartition pour établir ces tests de coûts, qu'elle a constaté que les tests de coûts présentés par Google se fondaient sur les coûts moyens incrémentaux de long terme de Google Maps Api, ceux-ci étant définis comme les coûts qui auraient été évités si Google n'avait jamais commercialisé les services Maps API ; que l'Autorité n'a pas détecté d'anomalies dans l'affectation des coûts effectuée par le cabinet CRA et a constaté que la méthodologie adoptée respectait les critères énoncés dans la communication de la Commission du 24 février 2009 ; qu'il apparaît ainsi que, si l'exactitude des résultats comptables n'a pu être vérifiée, un contrôle minimal de cohérence a été effectué par l'ADLC ; que par ailleurs la société Bottin Cartographes n'apporte aucun élément de nature à faire douter de la pertinence de la méthode suivie ou de la sincérité des chiffres communiqués, de sorte que les conclusions de l'Autorité ne sont pas sans pertinence pour la résolution du présent litige ;

Considérant que Bottin Cartographes soutient qu'en l'absence de communication par Google de ses coûts, l'Autorité aurait dû se fonder sur les coûts des concurrents de Google ;

Mais considérant que pour apprécier le comportement de Google fondé sur les prix, seuls les prix et les coûts de cette société sont pris en considération et non ceux qui sont engagés par les entreprises concurrentes ; que ce n'est que dans l'hypothèse où l'entreprise ne communique pas ses coûts que l'Autorité a la faculté de se baser sur toutes autres données pertinentes ; qu'en l'espèce, Google n'a pas directement communiqué ses comptes à l'Autorité pour des raisons de protection du secret des affaires, mais a produit des attestations de ses experts-comptables faisant foi et les experts du cabinet CRA ont eu accès à ces données ; qu'après une vérification de la cohérence des calculs effectués par les experts, l'Autorité pouvait se fonder sur les coûts de Google ainsi obtenus ;

Considérant que soutenant que la part de revenus représentée par les revenus de Google Maps API par rapport aux revenus de Google Maps n'est pas négligeable, Bottin Cartographes soutient qu'une proportion des coûts liés à l'acquisition ou à la collecte des cartes doit être réintégrée dans les coûts afférents à l'activité API cartographiques, au moins à proportion de chacune des activités concernées selon un modèle raisonnable de partage et que l'Autorité ne pouvait écarter l'affectation d'une part des coûts communs à l'activité Google Maps API ; qu'en réintégrant une quote-part même très limitée des coûts communs, il apparaîtrait, selon Bottin Cartographes que l'on ne peut exclure que la pratique tarifaire de Google la place dans la zone noire du test de prédation ;

Mais considérant que l'Autorité a relevé à juste titre que les coûts de collecte et de mises à jour des données cartographiques ne seraient pas évités si Google ne fournissait plus les services API tout en continuant Google Maps Portail ; que ces coûts ne doivent donc pas être comptabilisés pour l'analyse des coûts liés aux API cartographiques, dans le cadre d'un test de prédation ; que s'il est possible qu'une part des coûts communs soit intégrée dans les coûts incrémentaux, ce n'est que dans l'hypothèse où le trafic engendré par le produit en question représente une part significative du trafic engendré par l'ensemble de services ; que l'Autorité a relevé d'une part que le chiffre d'affaires de l'activité Google Maps API était très faible, d'autre part, que l'activité Google Maps API ne représentait pas une proportion significative de l'activité de Google Maps Portail ; qu'en 2013 Google Maps API représentait 0,3 % des revenus de Google tandis que les activités liées à son moteur de recherche, qui incluait des recherches effectuées sur Google Maps représentait 85 % ; que si la société Bottin Cartographe critique ces chiffres et prétend qu'il faut comparer les revenus de Google Maps API aux revenus de Google Maps et non aux revenus du moteur de recherche, elle ne donne pas à la cour suffisamment d'éléments pour vérifier cette allégation puisque ce sont bien les revenus publicitaires de l'activité du moteur de recherche, dont Google Maps n'est qu'une annexe, qui sont censés, avec les revenus tirés de Google Maps Api Business, couvrir les coûts de l'activité Google Maps Api ;

Considérant enfin que, contrairement aux allégations de la société Bottin Cartographes, la méthode d'élaboration des tests de coûts pour l'établissement d'une pratique de prix prédateurs ne prévoit pas d'intégrer des coûts " d'opportunité ", qui seraient les coûts de renoncement aux revenus tirés d'une version payante ;

Sur la stratégie d'éviction :

Considérant que pour l'année 2010, seuls deux tests, pour la France uniquement, ont placé Google dans la zone grise, les revenus du produit Google Maps Api étant inférieurs aux coûts moyens incrémentaux de long terme mais restant supérieurs aux coûts évitables moyens ; que la démonstration de la prédation, qui incombe à Bottin Cartographes, requiert que ces prix aient été fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer les concurrents ; que pour les années antérieures (2007-2009), Google doit justifier que son comportement n'a pas d'objet anticoncurrentiel ;

Considérant que Bottin Cartographes a versé aux débats l'étude du cabinet Mincroeconomix qui propose une autre méthode pour apprécier la pratique qu'elle reproche à Google ; que selon elle, plusieurs indices démontreraient l'irrationalité du modèle économique "sui generis" de Google qui n'aurait aucun sens économique et qui constituerait en tant que tel un "plan ayant pour finalité commerciale d'évincer ses concurrents" ; que la preuve que la stratégie de gratuité sans contrepartie publicitaire mise en œuvre par Google serait dépourvue de rationalité économique démontre l'existence de prix d'éviction, ce qui a eu des effets sur le marché en cause puisque la viabilité de certains acteurs tels que Maporama, ViaMichelin, Mappy et OnYourMap a été atteinte ;

Mais considérant que le caractère irrationnel du modèle économique de Google Maps API n'est manifestement pas établi et que l'Autorité a observé justement que pour les opérateurs sur les marchés multifaces, "il peut être rationnel ... d'offrir des produits ou services gratuitement sur un marché non pour évincer des concurrents mais pour accroître le nombre des utilisateurs sur d'autres marché", et a ajouté que "le modèle de la gratuité est ainsi très répandu sur les marchés électroniques " ; que la société Bottin Cartographes justifie que quelques entreprises ont disparu mais ne démontre pas que la pratique imputée à Google en est responsable ;

Considérant encore qu'il n'existe aucune preuve matérielle permettant de caractériser une éventuelle volonté de Google d'exclure ses concurrents du marché ; que l'Autorité a constaté qu'elle ne disposait d'aucun élément qui tendrait à accréditer un tel scénario, qu'elle a constaté que les prix pratiqués par Google étaient identiques quel que soit le pays considéré, ce qui tendait à relativiser la pertinence d'une stratégie de prédation mise en œuvre au niveau national ; que l'Autorité a souligné également l'impossibilité pour Google d'évincer ses concurrents, puis à terme, de récupérer ses pertes ; que si la possibilité de récupérer les pertes ne constitue pas un élément constitutif de la pratique de prédation, l'impossibilité de récupérer ses pertes peut être invoquée comme moyen de défense par Google ; qu'en l'espèce, Google soutient à juste titre et est appuyée en ce sens par les constatations de l'Autorité, que de nombreuses entreprises interviennent sur le marché des API cartographiques et la plupart d'entre elles fonctionnent sur un modèle open source ou exercent l'activité de cartographie de manière subsidiaire, en complément de leur activité principale, ce qui leur permet de fournir les services de cartographie de manière gratuite ou sur un modèle freemium, comme Google ; qu'au vu de ces éléments, il n'est pas établi de manière certaine que Google puisse les évincer du marché ; que par ailleurs, des entrants potentiels de taille, en particulier Amazon et Apple, pourraient venir contrecarrer cette stratégie ; qu'enfin, une stratégie d'augmentation des prix qui permettrait à terme à Google de récupérer ses pertes est également vouée à l'échec, compte tenu de la concurrence sur ce marché ;

Considérant que la pratique de l'article L. 420-2 dénoncée par la société Bottin Cartographe n'est pas établie ;

Sur l'application de l'article L. 420-5 du Code de commerce :

Considérant que ce texte précise "Sont prohibées les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou un de ses produits...",

Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Bottin Cartographes, les entreprises qui sont les clients de Google API ne sont pas des consommateurs finaux, au sens de l'article L. 420-5 du Code de commerce, qui vise les seules offres aux consommateurs et exclut les prestations inter-entreprises; qu'à cet égard, le défaut de capacités et de compétences techniques des entreprises clientes de Google est indifférent, les entreprises ne contractant pas dans le but de satisfaire leurs besoins personnels mais ceux de leurs propres clients ; qu'au surplus, les autres conditions de fond, nécessaires à l'application de ce texte, identiques à celles des prix prédateurs, ne sont pas constituées, compte tenu de ce qui a été énoncé plus haut,

Considérant que la société Bottin Cartographes sera déboutée de ses demandes ; que le jugement sera infirmé,

Par ces motifs : La Cour, Déboute les sociétés Google Inc et Google France de leur demande de rejet des pièces de la société Bottin Cartographes n° 176 à 214, Infirmant le jugement, Déboute la société Evermaps ( anciennement Bottin Cartographes) de toutes ses demandes, Condamne la société Evermaps à payer à chacune des sociétés Google Inc et Google France la somme de 20 000 Euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société Evermaps aux entiers dépens.