CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 3 décembre 2015, n° 2015-13861
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Concurrence (SARL), Chapelle
Défendeur :
Samsunsg Electronics France (Sté), Altana (Selarl), Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, Veron
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Douvreleur
Conseillers :
Mmes Michel- Amsellem, Faivre
Avocats :
Selarl Altama, Mes Thibault
Faits et procédure
La société Concurrence est un distributeur indépendant de produits électroniques grand public, particulièrement de téléviseurs. Elle exploitait un magasin situé place de La Madeleine à Paris et un site internet "www.concurrence.fr".
Elle soutient avoir été victime, depuis la fin de l'année 2011, d'une tentative d'élimination du marché, de la part de la société Samsung Electronics France (ci-après société Samsung), qui se serait appuyée sur ses grossistes et ses filiales ainsi que sur ses principaux concurrents. C'est ainsi qu'elle expose que la société Samsung, après l'entrée en fonction de son nouveau président, a voulu l'empêcher de publier sur son site internet des offres de prix plus bas d'environ 15 % par rapport aux prix offerts par les autres distributeurs et a exigé d'elle, pour continuer à vendre ses téléviseurs de la gamme Elite, qu'elle signe un contrat de distribution sélective comportant des clauses qu'elle considère comme illicites. Elle indique que la société Samsung a interrompu ses livraisons de téléviseurs de mars 2012 à septembre 2012, puis à partir de juin 2013.
Le 2 mars 2012, la société Concurrence a saisi la Commission européenne d'une plainte dirigée contre la société Samsung.
Le 24 janvier 2014, elle a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après l'Autorité) des agissements qu'elle reproche à la société Samsung et, accessoirement à cette saisine au fond, a déposé une demande de mesures conservatoires.
Par décision n° 14-D-07 du 23 juillet 2014, l'Autorité a rejeté, d'une part, la demande de mesures conservatoires de la société Concurrence et, d'autre part, sa saisine au fond sauf en ce qui concerne l'une des pratiques dénoncées.
La société Concurrence a formé une nouvelle demande de mesures conservatoires le 6 octobre 2014, en faisant valoir, notamment, que des éléments nouveaux étaient apparus depuis sa précédente demande. A ce titre, elle a demandé à l'Autorité de :
- "enjoindre à Samsung Electronics France de reprendre ses livraisons de télévisions, de produits électroniques et d'accessoires correspondants à la société Concurrence dans des conditions non discriminatoires, notamment de remises et ristournes, de délais et de modalités de livraison et de services annexes, en circuit court.
- enjoindre à Samsung Electronics France de procéder, dans le mois à compter de la notification de la décision à venir, à la modification de ses contrats de distribution sélective existants ou à la diffusion d'une circulaire générale, afin de stipuler, dans des termes claires et dépourvus de réserve, que les distributeurs agréés membres de son réseau de distribution sélective ont la possibilité de recourir à la vente sur Internet, notamment sur des places de marché, sans préjudice de la possibilité pour la société Samsung d'encadrer cette activité de vente en ligne, dans le respect de la jurisprudence et des indications figurant dans les lignes directrices de la Commission européenne à ce sujet.
- Plus généralement, (...) prendre toute mesure supplémentaire que l'Autorité de la concurrence estimerait proportionnée à l'atteinte ainsi relevée".
Par décision n° 15-D-11 du 24 juin 2015, l'Autorité a jugé cette demande recevable, mais l'a rejetée sur le fond.
Par assignation délivrée le 13 juillet 2015, la société Concurrence a formé contre cette décision un recours en réformation devant la cour de céans. Aux termes de cette assignation, elle demande à la cour de :
- Réformer la décision de l'Autorité de la concurrence n° 15-D-11 du 24 juin 2015
- Enjoindre à la société Samsung Electronics France de reprendre ses livraisons de téléviseurs Elite, et autres produits Elite à la société Concurrence dans des conditions non discriminatoires, notamment de remises et de ristournes, de délais et de modalités de livraison et de services annexes, en circuit court.
- Enjoindre à la société Samsung Electronics France de procéder, dans le mois à compter de la notification de la décision à intervenir, à la modification de ses contrats de distribution sélective existants ou à la diffusion d'une circulaire générale afin de stipuler, dans des termes clairs et dépourvus de réserves, que les distributeurs agréés membres de son réseau de distribution sélective ont la possibilité de recourir à la vente sur Internet, notamment sur les places de marché, sans préjudice de la possibilité pour la société Samsung Electronics France d'encadrer cette activité de vente en ligne, dans le respect de la jurisprudence et des indications figurant dans les lignes directrices de la Commission européenne à ce sujet.
- Plus généralement, de prendre toutes mesures supplémentaires que la Cour de céans estimerait proportionnée aux atteintes ainsi relevées.
- Condamner la société Samsung Electronics France à payer à la société Concurrence la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la société Samsung Electronics France en tous les dépens.
La Cour,
Vu l'assignation délivrée le 13 juillet 2015 par la société Concurrence à la société Samsung, au Ministre de l'économie et à la Directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ;
Vu les mémoires déposés par la société Concurrence les 1er septembre 2015, 21 et 23 septembre 2015 ;
Vu les mémoires déposées par la société Samsung les 23 juillet 2015, 21 et 23 septembre 2015 ;
Vu les observations déposées par l'Autorité de la concurrence le 24 juillet 2015 ;
Vu les observations déposées par le ministre de l'économie et des finances ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 24 septembre 2015 la société Concurrence, qui a été en mesure de répliquer, le conseil de la société Samsung, ainsi que le représentant du ministre de l'économie, de l'Autorité de la concurrence et le ministère public ;
SUR CE,
Sur la note en délibéré de la société Concurrence en date du 18 novembre 2015
Considérant que la société Concurrence a communiqué à la cour une "note en délibéré" en date du 18 novembre 2015, dont elle dit avoir adressé copie aux parties ;
Considérant que cette note n'ayant pas pour objet de répondre aux arguments développés par le ministre public, ni n'ayant été demandée par le président dans le cadre des articles 442 ou 444 du Code de procédure civile, elle sera rejetée, par application des dispositions de l'article 445 du même Code ;
Sur les demandes de la société Concurrence
Considérant, en premier lieu, que dans ses conclusions des 1er et 25 septembre 2015, la société Concurrence demande à la cour de "prendre acte de l'existence d'un local commercial 3, passage de La Madeleine à Paris 75008 " et d'"enjoindre à la société Samsung Electronics France d'agréer la société Concurrence en tant que membre de son contrat sélectif, et de livrer directement en circuit court, avec une convention annuelle, dans des conditions non discriminatoires notamment de remises et de ristournes, de délais et de modalités de livraison et de service annexes" ; que ces demandes ne figurent pas au nombre de celles qui avaient été présentées devant l'autorité ; que le recours dont la cour est saisie n'ayant pas pour objet de faire réformer ou annuler un jugement rendu par une juridiction du premier degré, les dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile, que la société Samsung invoque, ne sauraient être opposées à ces demandes ;
Considérant qu'au soutien de ces demandes, la société Concurrence expose qu'elle dispose désormais d'un nouveau point de vente passage de La Madeleine ; qu'elle précise qu'ayant sollicité la société Samsung, celle-ci lui aurait répondu "qu'elle attendra l'ouverture du magasin pour procéder à la visite" destinée à s'assurer que les conditions de l'agrément de ce point de vente pour la commercialisation de ses produits sont remplies ; que dans ces conditions, la société Concurrence ne fait état que d'une atteinte potentielle à ses intérêts ; que cette atteinte résulterait, en effet, lorsque ce nouveau point de vente sera en état de fonctionner, du refus qu'elle suppose que la société Samsung lui opposera ; que dès lors, faute pour la société Concurrence de démontrer que les pratiques qu'elle dénonce porte à ses intérêts une atteinte immédiate, sa demande sera rejetée ;
Considérant, en second lieu, que selon l'article L. 464-1 du Code de commerce, les mesures conservatoires ne peuvent être prises par l'Autorité que si la pratique dénoncée porte une atteinte "grave et immédiate" à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ; que pour refuser de prendre les mesures qui lui étaient demandées par la société Concurrence, l'Autorité a relevé que la condition d'immédiateté prévue par ces dispositions n'était pas remplie ; qu'elle a observé, en effet, que les difficultés alléguées par la société Concurrence dataient de 2008, année au cours de laquelle son chiffre d'affaires a chuté de 30 %, et qu'à l'exception d'une légère amélioration en 2011, elles se sont poursuivies depuis cette date ; qu'entre 2011 et 2014, son chiffre d'affaires a été divisé par quatre et son résultat d'exploitation par douze ; qu'ayant noté que la société Concurrence avait, jusqu'au 1er juillet 2013, la possibilité de se fournir en circuit court auprès de la société Samsung, l'Autorité en a déduit que ses difficultés financières n'étaient pas liées aux clauses du contrat de distribution sélective qu'elle dénonce ; qu'elle souligne que cette absence de lien est confirmée par le fait qu'en dépit de ses difficultés financières, la société Concurrence ne l'a saisie qu'en 2014 ;
Considérant qu'à l'appui de son recours, la société Concurrence fait valoir qu'elle connaît une baisse régulière de ses ventes et de son résultat depuis l'année 2004 ; qu'ainsi, de 2004 à 2014, son chiffre d'affaires est passé de 7 628 449 euro HT à 1 168 122 euro HT et son résultat d'exploitation d'un excédent de 639 623 euro à une perte de 276 263 euro ;
Considérant que la société Concurrence impute ces difficultés, d'abord, à l'arrêt des livraisons de la société Sony, qui expliquerait la forte baisse de son chiffre d'affaires en 2008, puis à l'arrêt, à compter du 1er juillet 2013, des livraisons de la société Samsung ; qu'elle indique qu'en l'absence de trésorerie et ayant épuisé ses facultés d'emprunt, elle a dû, en 2015, cesser son activité et licencier son personnel, et qu'elle a vendu le 1er juillet 2015 le magasin situé place de La Madeleine où elle exerçait son activité ; qu'elle ajoute qu'elle dispose désormais d'un nouveau local, situé 3, passage de La Madeleine, susceptible de lui permettre de reprendre son activité, de sorte qu'elle se trouve "mise en sommeil le temps que la cour de céans prenne la décision de faire relivrer Samsung et d'autoriser de vendre sur Market Place" ;
Considérant que les pratiques dénoncées par la société Concurrence, sur lesquelles elle fonde sa demande de mesures conservatoires, consistent dans l'arrêt des livraisons de la société Samsung, à compter du 1er juillet 2013, et dans l'interdiction de la vente des produits de celle-ci par "market places" stipulée par le contrat de distribution sélective de mars 2012 ; qu'il en ressort que ces pratiques ne peuvent être considérées comme ayant porté à l'intérêt de la société Concurrence une atteinte immédiate, propre à justifier les mesures conservatoires demandées, puisqu'ainsi que cela a été relevé plus haut, il a été constaté par l'Autorité, par une motivation non sérieusement critiquée et que la cour adopte, que les difficultés de cette société étaient antérieures à la survenance de ces pratiques ; que c'est donc à juste titre que, sans examiner si les autres conditions posées par l'article L. 464-1 du Code de commerce étaient remplies, l'Autorité a rejeté la demande de mesures conservatoires présentée par la société Concurrence ; que le recours dirigé contre la décision de l'Autorité sera en conséquence rejeté ;
Considérant, enfin, que dans ses conclusions des 1er et 23 septembre 2015, la société Concurrence demande à la cour de condamner la société Samsung à lui payer la somme de 30 000 euro "pour demande abusive d'article 700" ; que la société Concurrence ne démontrant pas en quoi la demande formée par la société Samsung sur le fondement de l'article 700 aurait un caractère fautif, sa demande sera rejetée ;
Sur les frais irrépétibles
Considérant qu'il n'apparaît pas justifié, au regard des éléments du dossier, de prononcer de condamnation en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Rejette la note en délibéré en date du 18 novembre 2015 de la société Concurrence, Rejette le recours formé contre la décision n° 15-D-11 du 24 juin 2015 de l'Autorité de la concurrence, Rejette les demandes formées par la société Concurrence au titre de l'ouverture et de l'agrément de son nouveau point de vente, Rejette la demande de la société Concurrence tendant à la condamnation de la société Samsung Electronics France à lui payer la somme de 30 000 euro, Rejette la demande de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Concurrence aux dépens de la présente instance