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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 18 novembre 2015, n° 14-20267

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

ITM Alimentaire International (SAS)

Défendeur :

Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fusaro

Avocat :

Me Utzschneider

TGI Evry, JLD, du 16 juill. 2014

16 juillet 2014

La requête s'inscrivait dans le cadre de l'enquête demandée par le ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique.

La présente requête était recevable au vu de l'emploi occupé par M. André Longuet Guyon des Diguères.

Cette ordonnance a été établie suite à une requête de l'Administration dans laquelle la Direction Régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) indiquait que la société sus-mentionnée serait présumée se livrer à des pratiques prohibées par l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Dans sa requête l'Administration fait état d'informations selon lesquelles la société ITM Alimentaire International (ITM AI) aurait demandé depuis le mois de mars 2014 à ses fournisseurs des avantages financiers ou commerciaux supplémentaires non prévus à la convention annuelle au titre de la " compensation de sa perte de rentabilité due à la " guerre des prix " actuelle dans le secteur de la grande distribution ; que les principaux distributeurs cherchent à vendre toujours moins chers leurs produits aux consommateurs, cette politique de " prix bas " étant elle-même destinée pour chaque enseigne à conserver, voire à gagner, des parts de marchés sur leurs concurrents dans le secteur de la grande distribution, (...), qu'en outre, ces demandes de compensation faites aux fournisseurs seraient accompagnées, dans certains cas, de pressions formalisées par des arrêts de commande ou des déréférencements, ou par des menaces d'arrêts de commande ou de déréférencement.

L'enquête a commencé par une lettre ouverte de l'Association Nationale des Industries Alimentaires (Ania), de la Fédération Nationale des Syndicats d'exploitants Agricoles (FNSEA) et Coop de France, représentant les producteurs et fournisseurs de la grande distribution publiée dans le magazine LSA et envoyée au Premier Ministre. Parallèlement, l'Institut de Liaison et d'Etude des industries de la Consommation (Ilec) a également écrit au Premier Ministre et aux ministres chargés de l'Economie et de l'Agriculture et à la secrétaire d'Etat chargée du Commerce.

Aux fins de contrôler la réalité de ces déclarations, l'Administration a interrogé l'ensemble des distributeurs et quelques fournisseurs. Les informations ont été recueillies sous couvert d'anonymat afin d'éviter des représailles de la part des clients dont les distributeurs et fournisseurs sont économiquement dépendants. Sur 46 fournisseurs d'Intermarché, l'Administration a interrogé un panel de 9 fournisseurs dont les propos ont été retranscrits dans trois rapports rédigés par trois DIRRECTE régionales, à savoir celle de Bourgogne, celle du Nord-Pas-de-Calais et celle du Rhône-Alpes.

Ces pratiques, si elles étaient avérées, seraient susceptibles de porter atteinte à l'ordre public économique.

Les constats effectués par l'Administration ont révélé l'existence de la part de cette enseigne vis-à-vis de ces fournisseurs, de demandes, postérieures au 1er mars 2014, de remises supplémentaires sur facture ou de baisses de tarif variables sur quelques produits ou l'intégralité de la gamme de fournisseurs ou de budgets supplémentaires.

Selon les rapports établis par l'Administration les demandes de la société ITM Alimentaire International ont été faites oralement, les fournisseurs ayant été convoqués par téléphone à des réunions de renégociations.

L'Administration soutient que ces demandes étaient justifiées par les acheteurs de l'enseigne Intermarché par la nécessité de compenser les pertes de marges de l'enseigne résultant de la guerre des prix que mènent depuis la fin de l'année 2013 les enseignes de la grande distribution.

Selon les rapports établis par l'Administration, ces demandes ont été accompagnées de menaces orales ou en cas de refus, de pressions avérées ou de mesures de rétorsion telles que des arrêts de commandes ou des déréférencements, temporaires ou définitifs.

Les opérations de contrôle réalisées auprès d'ITM Alimentaire International par l'Administration n'ont pas permis de recueillir des informations ou documents nécessaires pour vérifier la réalité des informations obtenues par l'enquête menée auprès des fournisseurs. Dans ses déclarations du 9 juillet 2014, d'ITM Alimentaire International affirme qu'il n'y a pas de politique générale de recontacter les fournisseurs en vue de faire baisser les prix.

Il existerait selon l'Administration de fortes présomptions que depuis le mois de mars 2014, ITM Alimentaire International demande de manière généralisée à l'ensemble de ses fournisseurs des avantages financiers ou commerciaux supplémentaires non prévus au contrat, au titre de la compensation de sa perte de rentabilité, sous la menace d'arrêts de commande ou de déréférencement.

Les éléments recueillis par l'Administration tendant à démontrer que ITM Alimentaire International a effectué des demandes d'avantages financiers ou commerciaux, en remettant en cause de manière significative l'économie et l'équilibre du contrat, postérieurement au 1er mars 2014, et sans aucune contrepartie.

Selon l'Administration, la recherche de meilleures conditions d'achat de la part d'un distributeur ne pouvait autoriser des pressions sur les fournisseurs, sous la menace d'un déréférencement, pour qu'ils acceptent de revenir sur des accords commerciaux conclus régulièrement et c'est au vu de ces éléments exposés que l'Administration a estimé que la portée des présomptions était suffisante au regard des qualifications prévues à L. 446 du Code de commerce.

L'utilisation des pouvoirs de l'Administration prévus à L. 450-3 du Code de commerce était insuffisante au vu des pratiques essentiellement orales d'ITM Alimentaire International et comme les fournisseurs demandant la préservation de leur anonymat, le recours à l'article L. 450-4 du Code de commerce constituerait le seul moyen d'atteindre les objectifs recherchés.

Les opérations de visite et de saisie ne seraient pas disproportionnées compte tenu de ce que les intérêts de l'entreprise ITM Alimentaire International concernés sont garantis dès lors que les pouvoirs de l'Administration sont utilisés sous le contrôle du Juge.

Selon la DIRECCTE Ile de France, les documents utiles à la preuve recherchée se trouveraient vraisemblablement dans les locaux de la société ITM Alimentaire International et ses établissements sur le site du Parc de Tréville 91078 Bondoufle (6 locaux différents sur le même site), que l'Administration a demandé au Juge des libertés et de la détention d'Evry de visiter ces lieux et à saisir tous les documents et supports d'information nécessaires.

Le Juge des libertés et de la détention d'Evry a délivré une ordonnance en date du 16 juillet 2014 autorisant Monsieur André Longuet Guyon des Diguères, directeur régional adjoint des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l'emploi d'Ile de France, responsable du pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie, à procéder ou à faire procéder dans les locaux de l'entreprise suivante, aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements d'ITM Alimentaire International relatif aux demandes d'avantages financiers et commerciaux hors convention et aux menaces d'arrêts de commandes et de déréférencements, qui entrent dans le champ des pratiques prohibées de l'article L. 442-6 du Code de commerce ainsi que toute manifestation de ces agissements prohibés:

ITM Alimentaire International (Présidence) : <adresse>,

ITM Alimentaire International (Etablissement principal) : <adresse>,

ITM Alimentaire International (Service juridique) : <adresse>,

ITM Alimentaire International (Groupe épicerie) : <adresse>,

ITM Alimentaire International (Groupe frais) : <adresse>,

ITM Alimentaire International (Groupe DPH) : <adresse>.

Il désignait :

- le lieutenant Gérald Balanti, commandant de la brigade territoriale de la Gendarmerie;

- le commissaire divisionnaire Jean-Michel Mimran, chef du Service de Police Nationale détaché auprès de la Direction Générale des douanes et droits indirects (DGDDI).

Il était mentionné que " les occupants des lieux ou leurs représentants avaient la faculté de faire appel à un conseil de son choix, sans que cette faculté n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisies ; [...] et en mentionnant que la présente ordonnance pouvait faire l'objet d'un appel devant le premier président de la Cour d'appel de Paris par déclaration au greffe dans un délai de dix jours, [...] que cet appel n'était pas suspensif et que l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris était susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation [...]. "

Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 22 et 23 juillet 2014. Elles ont été retranscrites dans un procès-verbal en date du 23 juillet 2014 auquel ont été annexées les observations des avocats présents.

Le 25 juillet 2014, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a été saisi d'un appel contre cette ordonnance par la société ITM Alimentaire International et d'un recours à l'encontre du déroulement des opérations de visite et de saisie.

Par conclusions déposées le 1er avril 2015 lors de l'audience, la société ITM AI a déposé des conclusions tendant à l'annulation de l'ordonnance rendu le 16 juillet 2014 par le Juge des libertés et de la détention d'Evry

Le ministre de l'Economie représenté par le Directeur Régional de la DGCCRF élisant domicile DIRECCTE Ile de France a répondu par conclusions récapitulatives et en réplique enregistrées le 7 septembre 2015.

L'affaire a été appelée à l'audience du 30 septembre 2015 à 9 heures et mise en délibéré pour être rendue le 18 novembre 2015.

I - Sur la nullité de l'ordonnance en ce qu'elle n'organiserait pas l'accès au juge

- Sur les carences de l'ordonnance sur les droits de la défense de l'appelante et sur l'insuffisance de la présence des officiers de police judiciaire pour combler ces carences

La société appelante affirme que l'ordonnance ne préciserait pas les conditions dans lesquelles ITM AI peut exercer son droit d'accès au juge au cours des opérations de visite et de saisie. L'ordonnance n'indiquerait pas à la partie visitée qu'elle a la faculté de provoquer ce contrôle pendant la durée des opérations en s'adressant au juge ayant rendu l'ordonnance.

Le défaut de mention réservant ce droit serait aggravé par l'ambiguïté du dispositif renvoyant vers une possibilité de régulariser ultérieurement un appel, non suspensif, formé par une déclaration devant une juridiction incompétente au cas d'espèce.

L'ordonnance indiquait par ailleurs faussement qu'un appel pouvait être formé auprès du greffe du Tribunal de grande instance de Paris alors qu'il s'agissait du greffe du Tribunal de grande instance d'Evry.

Elle cite l'arrêt Ravon rendu par la CEDH le 21 février 2008 qui condamnait la France au motif que la procédure de visite et saisie prévue par l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales était contraire à l'article 6 § 1 de la CESDH. Il ressortirait de cet arrêt que les ordonnances autorisant les mesures d'investigation devraient préciser les conditions dans lesquelles la partie visitée pourrait exercer son droit d'accès au juge au cours des opérations. Dans le cas contraire, le droit conféré à la partie visitée demeurerait purement théorique.

Selon ITM AI, l'ordonnance querellée :

- ne mentionnerait pas son droit de soumettre toute difficulté au juge et ne mettrait aucune obligation en la matière à la charge des enquêteurs ;

- ne préciserait pas la possibilité ni les modalités de la saisine du juge en vue de la suspension ou de l'arrêt des visites ;

- ne comporterait pas les coordonnées du juge.

L'accès au juge apparaîtrait sur ces bases plus théoriques qu'effectif.

Dans le cas présent, le déroulement des opérations de visite et de saisie aurait donné lieu à des nombreuses violations de l'article 6 § 1 de la CESDH. Au milieu des opérations et lorsque les difficultés sont apparues, les officiers de police judiciaire auraient été dans l'incapacité de fournir à l'appelante les coordonnées lui permettant de contacter le juge ou de le contacter eux-mêmes, tandis que le Tribunal de grande instance d'Evry était fermé. L'appelante aurait été privée du droit d'accès au juge.

Il ne serait pas possible, comme tente de le faire l'Administration, de réduire l'existence d'un contrôle juridictionnel à la faculté pour la partie visitée d'exercer un recours à l'encontre de l'ordonnance postérieurement aux opérations de visite et de saisie. Une telle interprétation viderait de sa substance la lettre de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

Le contrôle du juge correspondrait à un droit propre de la personne dont le domicile est en train d'être visité. Il n'appartiendrait pas, comme le prétend l'Administration, à l'Officier de police judiciaire d'informer le Juge des libertés et de la détention du déroulement des opérations, l'occupant des lieux ayant dans ce cas, la liberté en cas de nécessité, de former auprès d'eux une telle demande.

La Cour de cassation aurait rappelé ce principe dans un arrêt rendu le 29 juin 2011. La jurisprudence aurait confirmé que les officiers de police judiciaire ne peuvent pas s'ériger en juges du contrôle des opérations, ni s'estimer en droit de faire office de filtre et en réalité de barrage au juge.

Il serait avéré qu'au milieu des opérations dans le cas présent et lorsque des difficultés sont apparues, que les officiers de police judiciaire ont été dans l'incapacité de fournir à l'appelante les coordonnées lui permettant de contacter le juge ou de le contacter eux-mêmes, le Tribunal de grande instance d'Evry étant fermé.

En réponse, l'Administration fait valoir que l'article L. 450-4 du Code de commerce dispose que : " La visite et la saisie s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Il désigne le chef du service qui devra nommer les officiers de police judiciaire chargés d'assister à ces opérations et d'apporter leur concours en procédant le cas échéant aux réquisitions nécessaires, ainsi que de le tenir informé de leur déroulement".

Aussi, cet article n'imposerait aucunement la mention dont se réclame l'appelante. " C'est donc vouloir ajouter à la loi que de formuler une telle prétention. "

Il est cité l'affaire Boston Scientific de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 novembre 2013 précisant que : " si c'est à tort que le premier président a jugé irrecevable le grief tiré de ce que l'ordonnance autorisant la visite ne mentionnait pas le droit de l'occupant à saisir le juge des libertés pendant le cours des opérations ni les modalités de cette saisie, l'ordonnance attaquée n'encourt cependant par la censure, dès lors qu'il résulte des dispositions de l'article L. 450-4, alinéa 3 du Code de commerce, que ces opérations sont placées sous le contrôle du juge qui les autorisées ou de celui, territorialement compétent, qu'il a désigné à cet effet ".

Par ailleurs, il ressortirait de la lettre de l'article L. 450-1 que c'est aux officiers de police judiciaire qui assistent aux opérations qu'il appartiendrait de tenir le Juge des libertés et de la détention informé de leur déroulement.

Cette jurisprudence aurait été confortée par d'autres décisions.

L'Administration s'oppose à l'argumentation de l'appelante qui affirme que les officiers de police judiciaire "ne peuvent pas s'ériger eux-mêmes en juges du contrôle des opérations, ni s'estimer en droit de faire office de filtre et en réalité de barrage dans l'accès au juge". La société ITM AI ne saurait se prévaloir d'un barrage dans l'accès au juge dans la mesure où :

l'officier de police judiciaire était présent dans la durée des opérations ;

les opérations avaient débuté en journée : il était possible de contacter le Juge des libertés et de la détention via l'accueil du tribunal ;

si le Juge des libertés et de la détention n'avait pas été informé, cela venait du fait qu'aucune atteinte aux libertés au cours des opérations n'est imputable aux agents de la DIRECCTE.

- Sur les erreurs matérielles qui entraîneraient la nullité de l'ordonnance

La société ITM AI fait valoir que l'ordonnance indiquerait qu'un appel peut être formé auprès du greffe du Tribunal de grande instance de Paris alors qu'il s'agirait du greffe du Tribunal de grande instance d'Evry.

Cette erreur constituerait un élément illustrant l'absence d'accès effectif à un juge. Ainsi, l'ordonnance devrait être annulée.

L'Administration en réponse soutient que l'erreur de plume mentionnant le Tribunal de grande instance de Paris au lieu et place du Tribunal de grande instance d'Evry ne ferait pas grief et ne porterait pas atteinte aux intérêts de la défense. Ainsi, l'appel a bien été formé devant le greffe du Tribunal de grande instance d'Evry.

D'autre part, si celui-ci avait été formé par erreur devant le Tribunal de grande instance de Paris, l'appelante aurait pu régulariser son appel sans conditions de délai (Civ. 2e 14 novembre 2014, n° 12-25.454).

La sanction encourue par la présence de cette mention erronée ne serait donc en aucun cas l'annulation de l'acte concerné.

Par ailleurs, l'Administration a répondu au moyen selon lequel l'omission dans le procès-verbal de visite et de saisie que le " pourvoi n'est pas suspensif " est sans conséquence et que cette omission ne faisait aucunement grief.

II - Sur la nullité de l'ordonnance en ce qu'elle reposerait sur une enquête préalable irrégulière de l'Administration

- Sur l'obligation d'établir un procès-verbal par acte d'enquête imposée par l'article L. 450-2 du Code de commerce, l'absence d'option entre procès-verbal et rapport et le caractère substantiel des formalités en question

La société appelante fait valoir que les articles L. 450-1 et suivants du Code de commerce organiseraient et encadreraient les pouvoirs accordés aux agents de l'Administration dans le cadre de leurs enquêtes, et que les enquêtes devraient donner lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports.

L'article R. 450-1 du Code de commerce indiquerait notamment que les procès-verbaux énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou contrôles effectués. Il résulterait de ces éléments que les enquêteurs de la DIRECCTE auraient l'obligation d'établir un procès-verbal pour chaque acte d'enquête.

Le Conseil de la concurrence aurait par une décision du 8 juin 1993, écarté toutes les pièces d'un dossier n'ayant pas fait l'objet d'un procès-verbal établi par les enquêteurs. D'autres décisions plus récentes rendues par le Conseil de la concurrence auraient confirmé cette obligation.

Selon ITM AI, le juge ne pourrait pas fonder sa décision sur le seul rapport, ce dernier revêtant un caractère facultatif, en l'absence de procès-verbal. Cela ressortirait de l'écriture de l'article L. 450-2 du Code de commerce indiquant " et, le cas échéant, de rapports".

Ces éléments seraient confirmés par des jurisprudences récentes.

La société appelante indique par ailleurs que l'article L. 450-2 du Code de commerce ferait obligation de dresser un procès-verbal par acte d'enquête et non l'éventuel constat d'une infraction. La finalité du procès-verbal ne serait pas d'attester l'existence d'une infraction mais bien d'attester jusqu'à preuve du contraire de la sincérité, la régularité et l'exactitude de ce que l'Administration a vu, entendu et constaté personnellement lors des investigations. Il n'y aurait pas de différence à faire entre recherche d'infractions et poursuite d'infractions.

L'obligation de dresser un procès-verbal existerait a priori et non a posteriori d'un acte d'enquête en fonction de l'appréciation discrétionnaire de l'Administration.

Ce serait donc en méconnaissance des textes et de la jurisprudence que la DIRECCTE énoncerait que les constatations effectuées par les enquêteurs pourraient revêtir la forme de rapport ou de procès-verbaux.

La société appelante fait en outre valoir que ces règles seraient édictées dans le but précis de sauvegarde des droits de la défense et constitueraient ainsi un caractère substantiel. En effet, en l'absence de procès-verbal, il serait impossible de vérifier les conditions dans lesquelles se seraient déroulées les opérations d'enquête. L'important du respect des formalités serait constamment rappelé dans la jurisprudence.

En réponse, l'Administration fait valoir que l'appelante ferait une lecture erronée du texte en considérant que la mention " et, le cas échéant " devrait se comprendre en une obligation de rédiger un procès-verbal par acte d'enquête ; et que l'Administration pourrait compléter ses actes d'enquête d'un rapport venant s'ajouter, et non se substituer, aux procès-verbaux.

En réalité, " et, le cas échéant ", ne devrait pas être compris comme imposant à l'enquêteur d'asseoir les rapports sur des procès-verbaux. Cette mesure serait absurde car elle obligerait à tout formaliser. L'enquêteur serait libre de décider de l'outil en fonction de l'objet de son enquête.

La DIRECCTE cite l'article L. 470-5 du Code de commerce qui ajoute que : " Il [le ministre chargé de l'Economie ou son représentant] peut également produire les procès-verbaux et les rapports d'enquête ". Ainsi, les enquêteurs pourraient choisir la forme du rapport ou du procès-verbal.

Par ailleurs, la forme du procès-verbal serait privilégiée quand les enquêteurs relèveraient une infraction qu'ils sont habilités à constater. Le rapport s'avèrerait plus approprié pour les situations plus complexes. Même en matière pénale, la preuve d'une infraction pourrait être rapportée sous la forme d'un rapport d'enquête (cf. articles 429 à 431 du Code de procédure pénale) et les enquêteurs n'auraient pas à rédiger des procès-verbaux .

La forme du rapport serait ainsi la meilleure option :

en raison du caractère complexe des investigations ;

en l'absence d'infraction à constater ;

en raison du risque potentiel de représailles mis en avant par les fournisseurs.

L'Administration affirme que le choix formel entre procès-verbal et rapport serait sans incidence pour l'appelante, se demandant " quelle aurait été la différence, pour ce qui concerne l'appelante, entre l'établissement de procès-verbaux anonymes, dont on sait qu'ils sont acceptés par les juridictions, et les rapports qui ont été soumis au Juge des libertés et de la détention ".

L'objectif était de convaincre le magistrat de la nécessité objective de procéder à une perquisition pour tenter d'obtenir des preuves et non d'apporter la preuve de pratiques prohibées.

- Sur le fait que l'absence de procès-verbal établi par l'Administration rendrait nulle l'enquête et, par voie de conséquence, l'ordonnance

Selon l'appelante, le juge aurait accepté de fonder son ordonnance sur une enquête parallèle réalisée en dehors de toutes les prescriptions impératives permettant d'en contrôler la régularité et l'ordonnance reprendrait les éléments indiqués dans la requête en précisant expressément que l'enquête s'est réalisée de manière anonyme et orale.

La requête et l'ordonnance s'appuieraient sur trois rapports de synthèse concernant neuf fournisseurs d'ITM AI sur quarante-six en tout. Aucun acte n'existerait pour les trente-sept autres fournisseurs et par ailleurs, ces trois rapports auraient été rédigés sans qu'aucun procès-verbal d'audition et/ou de remise de document n'ait été établi.

Les rapports retranscriraient des bribes de déclarations et de documents, sans qu'il soit possible d'en connaître la teneur.

La société ITM AI affirme que cette situation serait très préjudiciable car le juge et a fortiori la Cour et elle-même méconnaîtraient :

l'identité des personnes auditionnées;

les questions posées par les auditeurs lors de ces auditions ;

les déclarations exactes des fournisseurs ;

les documents obtenus par les agents des différents services de la DIRECCTE ;

l'objet des investigations ;

le fondement textuel justifiant l'intervention des enquêteurs auprès des personnes entendues ;

le moment et l'endroit où les actes ont été effectués ;

et si les enquêteurs ont respecté les dispositions applicables et leur obligation de loyauté.

Seul l'établissement de procès-verbaux aurait permis de s'assurer des conditions et de la régularité des investigations menées. La requête s'appuierait sur une enquête irrégulière, la demande de l'Administration étant mal fondée au sens de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

Selon l'Administration, le fait que l'ordonnance reprenne certains termes de la requête ne prête pas à critique, la jurisprudence en la matière serait abondante et constante, la formule utilisée par la chambre criminelle de la Cour de cassation étant généralement la suivante : " Attendu que les motifs et le dispositif d'une ordonnance sur requête sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée. "

La DIRECCTE ajoute que le Juge des Libertés et de la Détention n'aurait pas à valider ou non l'enquête de l'Administration. Il devrait s'assurer que les éléments qui lui sont présentés ont une origine apparemment licite et qu'ils lui paraissent suffisants pour délivrer l'autorisation sollicitée.

Partant de ces éléments, l'ordonnance ne serait pas viciée.

- Sur le recueil des déclarations anonymes qui ne modifierait pas les obligations de l'Administration en termes d'établissement de procès-verbaux

La société appelante fait valoir que l'Administration affirmerait que le choix d'établir des rapports s'explique par le caractère anonyme de son enquête en raison du risque de représailles mis en avant par les fournisseurs. Elle ajoute que ce choix serait sans incidence pour l'appelante puisqu'il n'existe aucune différence entre procès-verbaux anonymes et les rapports qui ont été soumis au Juge des libertés et de la détention.

Cette approche pourrait être objectée car la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux déclarations anonymes n'exclurait aucunement l'obligation de dresser un procès-verbal au cas où une déclaration anonyme ferait l'objet d'un document annexe. S'agissant de véritables interrogatoires, la rédaction de procès-verbal d'audition et de remise de documents pour chaque fournisseur interrogé s'imposerait d'autant plus.

La société ITM AI ajoute que cette solution serait conforme aux principes généraux du droit en citant l'article 706-57 du Code de procédure pénale sur la protection des témoins subordonnant le recueil des déclarations anonymes à des conditions très lourdes et impliquent toujours l'établissement d'un procès-verbal.

De même la CEDH soumettrait les auditions des personnes souhaitant rester dans l'anonymat à des conditions restrictives notamment à l'établissement de procès-verbaux pour attester de la fiabilité des témoins.

L'absence de procès-verbal ne correspondrait ainsi pas à une procédure équitable au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH.

L'Administration rappelle que la rédaction d'un procès-verbal d'audition, anonyme ou non, n'est pas une condition posée pour l'obtention d'une autorisation de visite et de saisie et que les rapports constituent des éléments qui peuvent valablement être présentés au Juge des libertés et de la détention en vue d'obtenir une telle autorisation. La seule question qui vaille serait de savoir si les éléments présentés à l'appui de la requête avaient une origine licite, et s'ils étaient suffisants pour délivrer l'autorisation sollicitée comme en a décidé le Juge des libertés et de la détention.

La DIRECCTE indique par ailleurs que les interventions chez les fournisseurs de la société ITM AI n'auraient pas de visée répressive mais informative. Elles auraient été réalisées dans le respect de toutes les prescriptions de l'article L. 450-3 du Code de commerce, notamment l'indication de l'objet et l'étendue de l'enquête.

III. Sur les conditions auxquelles la Cour de cassation soumet la possibilité pour le juge de faire état de déclarations anonymes n'auraient pas été respectées

- Sur les documents établis par l'Administration ne permettant pas d'apprécier la teneur des déclarations anonymes et la prise de décision du juge sans s'assurer que les déclarations anonymes en question étaient corroborées par d'autres éléments

La société appelante fait valoir qu'au vu de la jurisprudence de la CEDH précitée, la Cour de cassation aurait posé deux conditions cumulatives sans lesquelles les déclarations anonymes ne pourraient être admises. Ces dernières devraient être soumises au juge au moyen d'un document établi par les enquêteurs et signé par eux, permettant ainsi d'en apprécier la teneur, et corroborées par d'autres éléments d'information décrits et analysés par le juge.

Un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 30 mai 2000 énoncerait qu'il appartient (au juge) de dire en quoi les éléments d'information produits par l'Administration et qu'il retient corroborent les termes de la déclaration anonyme.

Les trois rapports de synthèse établis par les enquêteurs de la DIRECCTE seraient les seules pièces visées dans l'ordonnance.

Selon l'appelante les trois rapports joints par la DIRECCTE Ile-de-France à l'appui de sa requête se borneraient à retranscrire des déclarations parcellaires, orales et à charge de neuf fournisseurs non identifiés sur les quarante-six fournisseurs concernés par les rapports.

Le caractère anonyme de déclarations des fournisseurs tronquées choisies par les enquêteurs cités dans des rapports qui sont en réalité leurs œuvres intellectuelles ne permettent pas d'établir la teneur des déclarations recueillies par l'Administration. En effet, les rapports contiennent des commentaires personnels des enquêteurs eux-mêmes et de questions des enquêteurs, très orientées et révélatrices d'interrogatoires. Il serait donc clairement établi que les déclarations anonymes n'étaient pas spontanées et ainsi le juge n'aurait pas été en mesure d'établir la teneur desdites déclarations.

La société ITM AI affirme que les déclarations anonymes retranscrites dans les trois rapports ne seraient corroborées par aucun autre élément soumis à l'appréciation du juge comme il le reconnaît lui-même dans son ordonnance.

L'Administration aurait essayé de soutenir que d'autres éléments auraient largement suffi à convaincre, à savoir des statistiques INSEE puis se serait rétractée dans les dernières écritures en date du 7 septembre 2015 dans lesquelles la DIRECCTE se raccroche aux lettres ouvertes des fournisseurs. L'Administration admettrait purement et simplement que les déclarations anonymes des fournisseurs ne seraient corroborées par aucun autre élément.

Donc, l'ordonnance devrait être nulle.

L'Administration s'oppose à l'affirmation de l'appelante selon laquelle le Juge des libertés et de la détention aurait utilisé les déclarations anonymes mises en avant par l'Administration sans se préoccuper des garanties exigées en la matière par la jurisprudence.

La problématique serait inadéquate car il n'existe pas au dossier d'auditions à valider ou à invalider; la requête et ses annexes contiendraient des éléments divers de fait et de droit, et il appartiendrait au Juge des libertés et de la détention de décider, in fine, s'il convient d'y faire droit, les documents consultés emportant le cas échéant la conviction du juge.

L'enquête aurait été initiée par la publication de lettres ouvertes de l'Association Nationale des Industries Alimentaires (Ania), la FNSEA et Coop de France du 11 juin 2014 et de la lettre de l'Ilec du 2 juin 2014 ; ces publications étant confortées par les témoignages anonymes.

Il existerait donc suffisamment d'éléments incontestables pour délivrer une autorisation de visite et de saisie.

IV. Sur la nullité de l'ordonnance à raison du caractère incomplet du dossier présenté au juge par l'Administration

- Sur l'absence de soumission au juge de procès-verbaux et a fortiori celui visé à l'annexe n° 5 de la requête de l'Administration

Selon l'appelante, dès l'instant où l'enquête spécifique justifiait le recours à un procès-verbal, le juge aurait dû en exiger la production ne serait-ce que pour vérifier si la teneur dudit procès-verbal confirmait ou non le rapport. De ce fait, l'Administration aurait violé l'article 6 § 1 de la CESDH se rapportant au principe de l'égalité des armes.

L'Administration rappelle le texte de l'article L. 450-4 du Code de commerce selon lequel la demande d'autorisation peut ne comporter que des indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée et cite une jurisprudence abondante pour conforter son propos.

- Sur l'absence de soumission des documents remis aux enquêteurs par les fournisseurs et visés aux annexes n° 4 et 5 de la requête de l'Administration et des éléments de son enquête ayant porté sur les 46 fournisseurs visés dans sa requête

Selon la société ITM AI, il ressortirait des rapports de constat établis par les DIRECCTE de Bourgogne et du Nord-Pas-de-Calais que les fournisseurs auraient déclarés remettre de nombreux documents aux enquêteurs qui ne figurent pas dans la requête soumise au juge. En conséquence, la société ITM AI ne peut pas discuter des éléments, notamment à décharge, soumis à l'appréciation du juge de l'autorisation.

Par ailleurs, ni l'enquête menée auprès des quarante-six fournisseurs, ni les données chiffrées contenues dans celle-ci ne figurent dans les pièces du dossier présenté au juge. Pourtant, l'ordonnance du Juge vise expressément cette enquête réalisée par l'Administration "auprès d'un panel de fournisseurs de l'enseigne Intermarché". Le juge a ainsi repris les termes de la requête sans exiger la production des pièces correspondantes que l'Administration avait obtenu.

Selon la société appelante, l'ordonnance se fonde sur un dossier manifestement incomplet en se référant aux résultats d'une enquête menée auprès de quarante-six fournisseurs, sans que les éléments qui la compose ne soient communiqués.

L'Administration soutient que les documents, dont il est question, sont ceux remis aux enquêteurs par les fournisseurs. Ils ne viennent que corroborer des constats faits antérieurement au regard des lettres ouvertes publiées par les fédérations de fournisseurs. Ces éléments d'enquêtes n'ont aucunement vocation à être communiqués à l'appelante autrement qu'à travers les rapports transmis.

La société ITM AI inverse à plusieurs reprises la chronologie des faits puisque l'enquête a commencé par la publication des lettres des fédérations de fournisseurs (Ania, Ilec, FNSEA, Coop de France) corroborées par les rapports d'enquêtes ultérieurs portant sur un panel de neuf fournisseurs d'Intermarché sur quarante-six.

Ce point est particulièrement important dans la mesure où contrairement aux rapports, les lettres des fédérations de fournisseurs contiennent des déclarations revendiquées par leurs auteurs signées et officielles; elles pré-existaient donc à la remise de documents par les fournisseurs.

Les lettres des fédérations de fournisseurs constituaient le point de départ de l'enquête et ont conduit aux opérations de visite et de saisie.

L'Administration s'oppose aux arguments de l'appelante qui remet en cause le fait que la loi ne soumet pas la délivrance de l'autorisation de procéder à des opérations de visite et de saisie à un débat contradictoire; cette autorisation reposant sur l'intime conviction du juge au vu des éléments communiqués par l'Administration à l'appui de sa requête.

- Sur la méconnaissance de l'article 6 § 1 de la CESDH et le principe de l'égalité des armes

Selon l'appelante, l'article 6 § 1 de la CESDH imposerait à l'Administration de fournir les pièces à charge et à décharge au juge afin de respecter le principe de l'égalité des armes et du droit à un procès équitable. L'appelante invoque plusieurs jurisprudences de la CEDH et de Tribunaux de grande instance qui sanctionneraient l'ordonnance par la nullité. Le fait pour l'Administration d'avoir écarté du dossier soumis au juge des pans entiers de son enquête, visés pourtant à sa requête est une violation flagrante de la CESDH.

Le respect des droits de la défense issus des normes supérieures consacrées par la CESDH devrait donc sans contestation possible être assuré dès le début de la procédure relative à des opérations de visite et de saisie. Un débat contradictoire aurait dû s'instaurer sur les pièces qui fondent la requête et l'ordonnance.

Selon l'Administration, l'appelante tend à transformer le contentieux de l'autorisation en contentieux du fond, aucun débat contradictoire n'ayant à s'instaurer sur l'existence avérée ou non de pratiques prohibées par la loi et imputables à l'entreprise à ce stade de la procédure. Donc, les références jurisprudentielles avancées par l'appelante ne sont pas pertinentes. La DIRECCTE cite la jurisprudence de la CEDH du du 19 septembre 2000, IJL c/RU, selon laquelle assujettir l'enquête préparatoire aux garanties procédurales énoncées à l'article 6 § 1 gênerait indûment, en pratique, la réglementation efficace dans l'intérêt public d'activités financières et commerciales complexes.

- Sur la méconnaissance de l'article L. 450-2 du Code de commerce et du principe de loyauté dans l'Administration de la preuve

La société appelante, considère que l'article L. 450-2 du Code de commerce, obligerait l'Administration à fournir toutes les pièces du dossier au Juge afin de préserver les droits de l'appelante telles que consacrés par les dispositions de l'article 6 § 1 de la CESDH.

La position de la DIRECCTE constituerait une méconnaissance des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, conduisant " à nier purement et simplement le principe de loyauté dans l'Administration de la preuve qui doit présider au fonctionnement de tout service public, fût-ce un service d'enquête. "

La prétention de l'Administration selon laquelle elle serait en droit de dissimuler les pièces qui pourraient être utiles à la décision du juge serait une atteinte flagrante à la fonction de ce dernier qui reste un arbitre, et devrait en conséquence être fermement censurée.

La société ITM AI affirme que le juge au rang de ses devoirs les plus impérieux devait s'assurer de la nécessité de garder secrète l'identité des fournisseurs, et que cette absence du contrôle du juge serait critiquable, l'intégralité de l'enquête ayant été dissimulée par l'Administration et pas seulement l'identité des quarante-six fournisseurs.

Selon l'Administration, l'appelante s'efforcerait d'obtenir des éléments lui permettant d'identifier les fournisseurs ayant fait des déclarations aux enquêteurs, sans véritablement contester le bien-fondé de l'autorisation délivrée.

Par ailleurs, la DIRECCTE considérerait qu'elle est tout à fait fondée à ne pas fournir des pièces dans sa requête qu'elle cite, l'article L. 450-4 disposant que " la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée ".

Enfin, l'Administration fait valoir qu'elle serait dans l'impossibilité de fournir les éléments à décharge car ces derniers n'existeraient pas.

V - Sur la nullité de l'ordonnance en l'absence de contrôle juridictionnel effectif

Selon l'appelante, l'exigence d'un contrôle effectif de la part du juge duquel est sollicité l'autorisation de procéder à des opérations de visite et de saisie devrait avoir des conséquences très strictes et ce notamment en ce qui concerne la pratique des ordonnances pré-rédigées. Elle cite les articles L. 450-4 du Code de commerce, 8 de la CESDH ainsi que des jurisprudences à l'appui de son moyen.

En l'espèce, de nombreux éléments de l'ordonnance permettraient de comprendre que le juge n'a pas exercé son contrôle correctement :

- le juge a rendu son ordonnance sans qu'aucun procès-verbal ne soit dressé pour chaque acte d'enquête.

- les pièces sur lesquelles l'ordonnance se fonde sont absentes du dossier qui lui a été présenté, de sorte que le juge n'a pas pu procéder à une vérification de leur contenu.

- une erreur quant au lieu d'appel (il était mentionné le greffe du Tribunal de grande instance de Paris au lieu du greffe du Tribunal de grande instance d'Evry) dans l'ordonnance confirme l'absence de contrôle par le juge du bien-fondé de l'absence de contrôle de la demande de visite et de saisie.

Selon l'Administration, il a déjà été répondu à ces moyens précédemment. Elle rappelle que les erreurs matérielles n'entraînent pas la nullité de l'ordonnance.

VI - Sur la nullité de l'ordonnance en l'absence de fondement légal de l'enquête invoquée par l'Administration

Selon ITM AI, la requête présentée par la DIRECCTE Ile de France porterait sur la recherche d'une prétendue pratique commerciale abusive prévue par l'article L. 442-6 du Code de commerce constituée par des prétendues demandes de garanties de marge formulées par ITM à l'égard de ses fournisseurs. Or, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 ne sanctionnerait ce type de pratique que pour les contrats conclus à partir du 1er juillet 2014, alors que les contrats en l'espèce ont été conclus le 1er mars 2014.

Donc, la prétendue infraction pour laquelle la société appelante est poursuivie n'aurait pas de fondement légal car la loi en question ne contient pas de dispositions rétroactives. L'Administration aurait agi en violation manifeste du principe de non-rétroactivité d'une disposition répressive, les principes de légalité et de stricte nécessité des délits et des peines impliquant ceux de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, comme ce serait le cas de l'article L. 442-6, III du Code de commerce. Ces principes seraient prévus par les articles 5 et 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et consacrés par l'article 7 §1 de la CESDH.

L'Administration rappelle que ce qui est susceptible d'engager la responsabilité, au sens de l'article L. 442-6, I, alinéa 1 du Code de commerce n'est pas la 'demande de compensation de marge' telle que codifiée par la loi du 17 mars 2014 mais toute pratique visant à 'obtenir ou tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu', cette dernière disposition ayant été codifiée à la suite de la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 dite " Loi LME ".

La demande d'autorisation serait, en l'espèce, fondée sur une tentative d'obtention d'un avantage sans contrepartie.

Madame l'Avocat général demande à ce que l'ordonnance soit confirmée, en précisant qu'il existe des indices laissant apparaître des présomptions simples et que les pièces jointes en annexes rentrent dans le champ d'application de l'ordonnance.

En conséquence, l'appelante demande la nullité de l'ordonnance et la condamnation de la DIRECCTE aux entiers dépens.

La DIRECCTE demande la confirmation de l'ordonnance ainsi que la condamnation de la société ITM AI aux entiers dépens.

SUR CE,

I - Sur la nullité de l'ordonnance en ce qu'elle n'organiserait pas l'accès au juge

- Sur les carences de l'ordonnance sur les droits de la défense de l'appelante, sur l'insuffisance de la présence des officiers de police judiciaire pour combler ces carences et sur les erreurs matérielles qui entraîneraient la nullité de l'ordonnance

La société ITM AI invoque la nullité de l'ordonnance au motif de défaut d'accès au juge, l'officier de police judiciaire n'ayant pas le pouvoir de décider, en opportunité, quels incidents doivent être déférés au Juge des libertés et de la détention ;

Il résulte des alinéas 3 et 4 de l'article L. 450-4 du Code de commerce que " La visite et la saisie s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Il désigne le chef du service qui devra nommer les officiers de police judiciaire chargés d'assister à ces opérations et d'apporter leur concours en procédant le cas échéant aux réquisitions nécessaires, ainsi que de le tenir informé de leur déroulement. Lorsqu'elles ont lieu en dehors du ressort de son tribunal de grande instance, il délivre une commission rogatoire pour exercer ce contrôle au juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel s'effectue la visite. Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention. A tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite " ;

La loi ne prévoit pas l'assistance personnelle du juge aux opérations, mais la faculté, pour les officiers de police judiciaire chargés d'assister à celles-ci, de le saisir en cas de difficultés d'exécution ; qu'en cas de saisine du juge par l'officier de police judiciaire, aucune procédure contradictoire permettant aux parties d'exposer elles-mêmes leurs arguments n'est prévue par la loi ; que, par ailleurs, la loi ne prévoit nullement que les entreprises faisant l'objet de visite et saisie puissent directement saisir le juge, seul l'officier de police judiciaire disposant de cette faculté ; que les impératifs d'efficacité de l'enquête lourde, qui doit se dérouler dans une certaine urgence, seraient définitivement compromis si toute contestation portant sur le déroulement des opérations pouvait être sur le champ portée devant le juge des libertés et de la détention dans le cadre d'un débat contradictoire, alors qu'existe par ailleurs un recours prévu par la loi devant le premier président de la cour d'appel, après les opérations ; que, d'ailleurs, la mention selon laquelle les parties pourraient en référer au juge pendant le déroulement des opérations ne figure pas parmi les mentions de l'ordonnance d'autorisation, prescrites à peine de nullité, seule l'étant la mention selon laquelle celles-ci peuvent user des voies de recours ; que les coordonnées du juge et surtout son numéro portable, n'ont pas davantage à figurer sur l'ordonnance, seul important le fait que le juge soit joignable en son tribunal ; que l'officier de police judiciaire est juge de l'opportunité de la saisine du Juge des libertés et de la détention ; que tenu de l'obligation de le tenir informé et de veiller au respect des droits de la défense, il doit en référer au juge en cas de problème, mais c'est lui seul qui en décide ; que seule la méconnaissance des droits de la défense pourrait ainsi être reprochée à l'officier de police judiciaire et pourrait être de nature à entraîner l'annulation des opérations ;

Et ce d'autant plus, qu'en l'espèce les opérations ont débuté le 22 juillet 2014 à 9h45 et se sont poursuivies toute la journée et le lendemain; qu'il était loisible de soumettre toute difficulté pendant la journée à l'officier de police judiciaire afin de contacter le Juge des libertés et de la détention ou son service sans attendre des heures très tardives. En tout état de cause, c'est au Juge des libertés et de la détention, contacté par l'officier de police judiciaire, de décider si une difficulté est sérieuse et de donner ses instructions à l'officier de police judiciaire;

L'arrêt Ravon, dont excipe l'appelante, ne s'est pas prononcé sur la conformité du contrôle du Juge des libertés et de la détention sur le déroulement des opérations à l'article 6 § 1 de la CESDH; qu'il n'a statué que sur la conformité du contentieux de l'autorisation et a estimé le recours existant à l'époque insuffisant pour garantir son effectivité, après avoir souligné, parmi d'autres indices, que le contrôle du Juge des libertés et de la détention sur le déroulement des opérations ne saurait y pallier ;

Il ressort de ce qui précède qu'il n'a pas été porté atteinte aux droits de la défense de l'entreprise concernée.

Par ailleurs, les erreurs matérielles de l'ordonnance concernant les mentions erronées figurant sur l'ordonnance, à savoir la saisine du greffe du Tribunal de grande instance de Paris au lieu et place du greffe du Tribunal de grande instance d'Evry et la mention relative au pourvoi ne font pas grief.

Ces moyens seront donc rejetés.

II - Sur la nullité de l'ordonnance en ce qu'elle reposerait sur une enquête préalable irrégulière de l'Administration

L'enquête préalable irrégulière reposerait sur :

- la prétendue obligation d'établir un procès-verbal par acte d'enquête imposée par l'article L. 450-2 du Code de commerce, l'absence d'option entre procès-verbal et rapport et le caractère substantiel des formalités en question;

- le fait que l'absence de procès-verbal établi par l'Administration rendrait nulle l'enquête et, par voie de conséquence, l'ordonnance;

- le recueil des déclarations anonymes qui ne modifierait pas les obligations de l'Administration en termes d'établissement de procès-verbaux.

L'article L. 450-4 alinéa 2 du Code de commerce dispose que " Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée. "

Cet article est complété par l'article L. 450-2 alinéa 1 du Code de commerce selon lequel " Les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports ", auquel s'ajoutent les dispositions de l'article L. 470-5 du même Code énonçant que " Pour l'application des dispositions du présent livre, le ministre chargé de l'économie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience. Il peut également produire les procès-verbaux et les rapports d'enquête. "

En l'espèce, le fait de produire des rapports contenant des déclarations anonymes ne rend pas la procédure irrégulière. Il y a lieu que ces procès-verbaux soient étayés par d'autres éléments de la requête, que dans le cas précis, des rapports d'enquête sont joints et corroborent la publication de lettres ouvertes de l'Association Nationale des Industries Alimentaires (Ania), la FNSEA et Coop de France du 11 juin 2014 et de la lettre de l'Ilec du 2 juin 2014, que l'ensemble de ces éléments a permis au juge d'analyser ces indices et à partir de ceux-ci de délivrer l'autorisation de visite et de saisie.

Par ailleurs, concernant les déclarations anonymes, la référence aux dispositions de l'article 706-57 et surtout en l'espèce à l'article 706-58 du Code de procédure pénale (issues des lois Perben) est inopérante en l'espèce, cet article visant essentiellement des infractions pénales généralement de nature criminelle et nécessitant une saisine du Juge des Libertés et de la Détention soit par le Procureur de la République soit par le Juge d'instruction.

Si l'ensemble du procès-verbal ne correspond pas à une procédure équitable, au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH, le fait que la requête soit étayée par d'autres éléments laissant apparaître des indices et qui permettent au juge de motiver son autorisation et rend la procédure régulière.

Ces moyens seront donc rejetés.

III. Sur les conditions auxquelles la Cour de cassation soumet la possibilité pour le juge de faire état de déclarations anonymes n'auraient pas été respectées

L'enquête préalable irrégulière reposerait sur :

- les documents établis par l'Administration ne permettant pas d'apprécier la teneur des déclarations anonymes;

- la prise de décision du juge sans s'assurer que les déclarations anonymes en question étaient corroborées par d'autres éléments;

- les trois rapports joints par la DIRECCTE Ile-de-France à l'appui de sa requête se borneraient à retranscrire des déclarations parcellaires, orales et à charge de neuf fournisseurs non identifiés sur les quarante-six fournisseurs concernés par les rapports.

Il y a lieu de relever qu'il a déjà été répondu sur les deux premiers sous-moyens; que s'agissant du troisième, celui-ci est relatif au fond de l'affaire.

Ces moyens seront donc rejetés.

IV. Sur la nullité de l'ordonnance à raison du caractère incomplet du dossier présenté au juge par l'Administration

L'enquête préalable irrégulière reposerait sur :

- l'absence de soumission au juge de procès-verbaux et a fortiori celui visé à l'annexe n° 5 de la requête de l'Administration;

- l'absence de soumission des documents remis aux enquêteurs par les fournisseurs et visés aux annexes n° 4 et 5 de la requête de l'Administration et des éléments de son enquête ayant porté sur les 46 fournisseurs visés dans sa requête;

- la méconnaissance de l'article 6 § 1 de la CESDH et le principe de l'égalité des armes;

- la méconnaissance de l'article L. 450-2 du Code de commerce et du principe de loyauté dans l'Administration de la preuve.

Les documents versés à l'appui de la requête sont constitués de déclarations faites aux enquêteurs par les fournisseurs et synthétisées dans les rapports de l'Administration. Comme il a été indiqué précédemment, ils viennent corroborer les lettres ouvertes publiées par les fédérations de fournisseurs. Les éléments d'enquête qui pourraient avoir pour effet de révéler l'identité des fournisseurs n'ont pas vocation à figurer dans le dossier de la procédure, et ce pour préserver leur anonymat (des risques de représailles notamment économiques pouvant être encourus).

Par ailleurs, l'autorisation accordée par le juge ressort des indices qu'il aura pu relever au vu des éléments communiqués par l'Administration à l'appui de sa requête; qu'à ce stade de la procédure, ou de l'enquête préparatoire, un débat contradictoire n'a pas à s'instaurer, celui-ci ayant lieu, le cas échéant, devant le délégué du Premier Président.

Ces moyens seront donc rejetés.

V - Sur la nullité de l'ordonnance en l'absence de contrôle juridictionnel effectif

A l'appui de ce moyen, il est indiqué que:

- le juge a rendu son ordonnance sans qu'aucun procès-verbal ne soit dressé pour chaque acte d'enquête;

- les pièces sur lesquelles l'ordonnance se fonde sont absentes du dossier qui lui a été présenté, de sorte que le juge n'a pas pu procéder à une vérification de leur contenu;

- une erreur quant au lieu d'appel (il était mentionné le greffe du Tribunal de grande instance de Paris au lieu du greffe du Tribunal de grande instance d'Evry) dans l'ordonnance confirme l'absence de contrôle par le juge du bien-fondé de l'absence de contrôle de la demande de visite et de saisie.

Il y a lieu de rappeler que nous avons déjà répondu à ces points qui étaient intégrés dans les précédents moyens susvisés.

Ce moyen sera écarté.

VI - Sur la nullité de l'ordonnance en l'absence de fondement légal de l'enquête invoquée par l'Administration

Il est invoqué l'absence de fondement légal de l'enquête dans la mesure où la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 ne sanctionnerait ce type de pratique que pour les contrats conclus à partir du 1er juillet 2014, alors que les contrats en l'espèce ont été conclus le 1er mars 2014.

La demande d'autorisation serait fondée sur une tentative d'obtention d'un avantage sans contrepartie, mais qu'il n'appartient pas au Juge des Libertés et de la Détention de rechercher si l'infraction supposée est constituée dans tous ses éléments.

Ce moyen sera rejeté.

Par ces motifs, Statuant contradictoirement et en dernier ressort, Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 16 juillet 2014 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance d'Evry, Disons que la charge des dépens sera supportée par la société appelante.