ADLC, 27 novembre 2015, n° 15-D-16
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la demande de révision des engagements de la Fédération Française de Golf rendus obligatoires par la décision n° 12-D-29 du 21 décembre 2012
L'Autorité de la concurrence (commission permanente) ;
Vu la décision n° 15-SO-15 du 12 octobre 2015, enregistrée sous le numéro 15-0090 R, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de l'examen du bien-fondé de la demande de la Fédération Française de Golf de révision des engagements annexés à la décision n° 12-D-29 du 21 décembre 2012 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution d'assurances complémentaires à destination des joueurs de golf ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu le Code du sport ; Vu le Code des assurances ; Vu la demande de la Fédération Française de Golf en date du 9 octobre 2015 ; Vu les réponses au test de marché ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du gouvernement et les représentants de la Fédération Française de Golf entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 18 novembre 2015 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LA DEMANDE DE RÉVISION
1. RAPPEL DE LA PROCÉDURE
1. Par une décision n° 12-D-29 du 21 décembre 2012 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution d'assurances complémentaires à destination des joueurs de golf, l'Autorité de la concurrence (ci-après l'Autorité) a rendu obligatoire les engagements proposés par la Fédération Française de Golf (ci-après la FF Golf) pour clore une saisine du 13 avril 2012 de la société Eurogolf Liber'Tee (ci-après Eurogolf).
2. Le 22 janvier 2015, la FF Golf a sollicité la révision de ses engagements en application du point 46 a) du communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence. Elle a ensuite précisé sa demande par lettre du 9 octobre 2015.
3. La rapporteure générale de l'Autorité a recueilli, en mai 2015, les avis du ministère des Sports, du Groupement des Entreprises Mutuelles d'Assurance et de la Fédération Française des Sociétés d'Assurance sur la situation des assurances collectives des fédérations sportives et sur les nouvelles propositions de la FF Golf.
4. Par une décision n° 15-SO-15 en date du 12 octobre 2015, l'Autorité s'est saisie d'office de l'examen du bien-fondé de la demande de révision présentée par la FF Golf.
2. LE CONTEXTE DE LA DEMANDE DE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DE GOLF
5. Dans sa décision de 2012, l'Autorité avait identifié des préoccupations de concurrence relatives à l'existence de barrières au développement du marché de la distribution de produits d'assurance complémentaire destinés aux joueurs de golf par des intermédiaires d'assurance, sur une base individuelle et volontaire.
6. En effet, les conditions dans lesquelles la FF Golf commercialisait les assurances collectives de personnes (assurances " accident corporel ", " accident corporel grave " et " assistance rapatriement ") auprès de ses licenciés pouvaient avoir un effet d'exclusion sur les offres concurrentes proposées par des courtiers aux licenciés, à titre individuel. C'était notamment le cas du plaignant, la société Eurogolf qui soutenait que les 420 000 licenciés, représentant plus de la moitié des pratiquants de ce sport en 2012, étaient abusivement captés par une assurance collective qui, par certains aspects, avait un caractère obligatoire.
7. Les engagements pris avaient ainsi pour but de permettre le développement d'offres individuelles d'assurance complémentaire de personnes spécifiques au golf, à côté des assurances complémentaires classiques couvrant les risques de dommages corporels liés à différentes activités sportives, dont éventuellement le golf, et de l'assurance collective proposée par la FF Golf.
8. La FF Golf soutient dans sa demande de révision que le raisonnement qui avait été suivi par l'Autorité pour prendre sa décision n'est plus pertinent aujourd'hui et que l'échec des offres d'assurance complémentaire individuelles s'explique par d'autres causes que l'existence de l'assurance collective de la FF Golf, ce que l'évolution ultérieure du marché a mis en évidence.
B. LES CHANGEMENTS INTERVENUS SUR LE MARCHÉ
9. Plusieurs changements importants sont intervenus, depuis 2012, sur le marché de la distribution de produits d'assurance à destination des joueurs de golf et, plus généralement, sur la situation de l'assurance des joueurs de golf et sur la situation de la FF Golf.
10. La société Eurogolf, à l'origine de la décision d'engagements de 2012, n'exerce plus d'activité d'intermédiaire d'assurance spécialisée dans le secteur du golf depuis février 2013, date de sa radiation du registre des intermédiaires en assurance (ORIAS), et n'a plus d'activité dans le secteur des assurances depuis près de trois ans. Elle semble même ne plus avoir aucune activité et ne dépose plus de comptes sociaux. Bien qu'Eurogolf ait indiqué, dans ses observations en réponse au test de marché de 2015, être en discussion avec de nouveaux assureurs pour relancer ses produits, elle n'a fourni aucun élément concret pour crédibiliser sa réinscription prochaine à l'ORIAS et une reprise imminente de son activité de courtage.
11. Aucun autre courtier offrant des produits d'assurance individuelle dédiés à des dommages liés à la pratique du golf n'est apparu sur le marché entre 2013 et 2015, et aucune contribution au test de marché n'a annoncé l'arrivée d'un nouvel offreur. Le marché est donc essentiellement servi aujourd'hui par les assurances corporelles multisports sans que l'on dispose d'information sur le nombre de golfeurs assurés à ce titre, ni sur l'étendue des risques couverts.
12. Pendant la même période, le nombre de licenciés de golf disposant d'une assurance corporelle spécifique au golf a considérablement baissé, passant d'environ 420 0000 en 2012 à moins de 700 en 2014. Le marché des assurances corporelles réservées aux golfeurs ne représente donc plus que 0,17 % de ce qu'il était près de trois ans auparavant.
13. Face à cette évaporation de la base des assurés, les primes des assurances complémentaires de la FF Golf, qu'elles concernent le dommage corporel ou d'autres risques propres aux joueurs de golf, ont considérablement augmenté : l'assurance de base est passée de 0,58 euro en 2012 à 5 euro dès 2013, l'assurance rapatriement est passée de 0,12 euro à 16 euro, l'assurance dommage étendue est passée de 10 euro à 29 euro, l'assurance annulation de 10 euro à 22 euro en 2013, puis à 90 euro en 2014. Plusieurs de ces offres ont disparu en 2015, faute de trouver des clients à ce niveau de prix.
14. Enfin, la FF Golf a constaté que le défaut d'assurance des joueurs de golf avait conduit certains d'entre eux à rechercher la responsabilité civile du club ou de la fédération, entraînant également une hausse des primes d'assurance " responsabilité civile " de ces structures. Ainsi, la FF Golf a indiqué que sa prime d'assurance par licencié avait augmenté de 45 % après 2012 et que les montants provisionnés pour faire face à ce type de contentieux avaient été multipliés par soixante entre 2010 et 2014.
C. LA PROPOSITION DE MODIFICATION D'ENGAGEMENTS PRÉSENTÉE PAR LA FF GOLF
15. Sur la base du point 46 a) du communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence, la FF Golf a proposé la modification des points 5 et 6 de l'engagement n° 2 sur la promotion de la licence par la FF Golf, pour pouvoir commercialiser à nouveau une assurance " individuelle accident " et " assistance rapatriement " optionnelle et facultative, en ce sens que tout licencié pourra déclarer (soit par courrier ordinaire ou recommandé, soit par courriel), dans un délai d'un mois à compter de la délivrance de la licence, qu'il refuse d'adhérer à ces assurances.
16. Cette information serait communiquée aux clubs (par lettre circulaire diffusée d'une part sur le site Extranet de la FF Golf et d'autre part dans la " Lettre aux clubs ") et aux pratiquants de golf (sur le site internet) dès la décision à intervenir.
17. La FF Golf propose de se réinscrire à l'ORIAS et de souscrire un contrat collectif d'assurance de personnes au sens de l'article L. 321-5 du Code du sport, après un appel à la concurrence, prestation qu'elle avait abandonnée à la suite de la décision de 2012.
18. Un appel d'offres sous conditions suspensives et résolutoires de la teneur de la décision de l'Autorité a d'ores et déjà été lancé par la FF Golf concernant les saisons 2016 et 2017, les conditions étant consultables en ligne. Une remise en concurrence serait organisée tous les deux ans.
19. La FF Golf souhaite par ces nouvelles mesures mieux protéger les licenciés tout en leur proposant de renoncer de manière expresse à cette protection, système dit d'" opt-out " qui serait compatible avec les dispositions de l'article L. 321-6 du Code du sport.
20. Accessoirement, la FF Golf souhaite supprimer le point 12 de l'engagement n° 4 qui stipule que la FF Golf " ne proposera plus l'assurance " détérioration de parcours " aux golfs dans le cadre du programme CAP 500 000, bien que cette assurance ne soit pas visée par les préoccupations de concurrence exprimées ". Elle indique vouloir ainsi se réserver la possibilité de faire bénéficier les golfs d'une mutualisation de la garantie " détérioration de parcours " que la FF Golf pourrait souscrire au bénéfice des clubs.
II. Discussion
21. Le point 46 a) du communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence prévoit qu' " [i]l revient à l'Autorité d'apprécier la nécessité de révision des engagements et d'une saisine d'office, au regard des changements intervenus sur le marché en cause. [...] si l'un des faits sur lesquels la décision repose subit un changement important [...] ".
22. Les éléments présentés ci-dessus montrent que des changements majeurs sont intervenus sur le marché de la distribution de produits d'assurance à destination des joueurs de golf. Les conditions de l'examen d'une demande de révision des engagements sont donc remplies.
A. SUR LE CHAMP DES ENGAGEMENTS À RÉVISER
23. Certains engagements rendus obligatoires par la décision de 2012 avaient un caractère instantané et n'ont donc pas vocation à être révisés pour une exécution dans la durée. Ainsi, les points 2 et 3 de l'engagement n° 1 relatifs à la modification du protocole d'affiliation de la FF Golf avec les golfs, l'engagement n° 3 relatif à la modification du site Extranet mis à la disposition des golfs par la FF Golf, ainsi que les points 10 et 11 de l'engagement n° 4 sur la modification du programme CAP 500 000, ont été exécutés dès 2013 et il n'y a pas lieu de les réexaminer à nouveau.
24. D'autres engagements n'avaient qu'un caractère périphérique par rapport aux préoccupations de concurrence exprimées, mais avaient été présentés par la FF Golf dans le cadre d'une modification générale de ses pratiques. Ainsi, le point 4 de l'engagement n° 1 relatif à la communication de la FF Golf relève de la protection des consommateurs ou des règles déontologiques de fédérations sportives et a vocation à se poursuivre pour cette raison.
25. De même, le point 12 de l'engagement n° 4 portant sur l'assurance " détérioration de parcours " avait été identifié dès 2012 comme une pratique non visée par les préoccupations de concurrence exprimées et avait été accepté dans le cadre d'une proposition globale de la FF Golf.
26. Le périmètre des dispositions qui nécessitent véritablement d'être réexaminées au vu des changements intervenus sur le marché depuis la décision est limité à l'engagement n° 2, relatif au découplage entre la délivrance de la licence et la vente des assurances " individuelle accident " et " assurance rapatriement ". La nouvelle analyse de marché doit donc porter sur les conditions d'une offre d'assurance collective par la FF Golf à ses licenciés.
B. LE RÔLE DE L'ASSURANCE COLLECTIVE OFFERTE PAR LES FÉDÉRATIONS SPORTIVES
27. La vente de produits d'assurance complémentaire à destination des pratiquants d'une activité sportive, par exemple les joueurs de golf, obéit aux mêmes principes que la vente de l'ensemble des produits d'assurance. Pour être en mesure de proposer une offre économiquement attractive et viable, l'assureur doit avoir accès à une assiette de souscripteurs suffisamment large afin de permettre une mutualisation des risques à garantir. Parmi les assurés potentiels, les sportifs licenciés constituent une catégorie particulière, car leur pratique est généralement plus intensive que celles des sportifs occasionnels, notamment parce qu'ils participent à des compétitions et s'entraînent en conséquence.
28. Dans ce cadre, trois canaux de distribution permettent théoriquement cette mutualisation :
- l'assurance multisports, couvrant généralement un grand nombre d'activités sportives à l'exclusion de certains sports extrêmes présentant des risques de dommages particulièrement importants ; l'assureur a ainsi accès aux pratiquants de divers sports, le licencié restant libre de contracter ce type d'offres ;
- l'assurance " mono-sport " proposée dans le cadre d'un contrat collectif par la fédération sportive à l'ensemble de ses licenciés, ceux-ci pouvant néanmoins refuser cette option ; l'assureur a ainsi immédiatement accès aux pratiquants de sports ;
- l'assurance " mono-sport " individuelle et volontaire, qui correspond en l'espèce à l'offre d'Eurogolf et à celle de la FF Golf après la décision de 2012 ; les offreurs devant alors faire l'effort de prospecter les clients afin de constituer progressivement une base d'assurés suffisamment large pour maintenir des prix attractifs ;
29. L'Autorité avait considéré dans sa décision de 2012 que la distribution des produits d'assurance complémentaire organisée par la FF Golf avant 2012 était susceptible de créer une barrière à l'entrée sur le marché des assurances complémentaires empêchant le développement d'un canal supplémentaire de vente, en captant une masse importante de souscripteurs potentiels, à savoir les licenciés.
30. Cependant, près de trois ans après la décision, aucun acteur n'a saisi l'opportunité de proposer une offre via ce nouveau canal de l'assurance individuelle " mono-sport " et Eurogolf qui avait soutenu la viabilité de ce mode de distribution n'a plus d'activité.
31. L'Autorité considère donc qu'il n'a pas été démontré que ce troisième canal de distribution constituait un modèle économique viable lorsqu'il a été offert comme une alternative à l'assurance individuelle volontaire multisports ou à l'assurance collective " mono-sport ".
32. Dans le même temps, l'affaiblissement puis la disparition de l'offre collective de la FF Golf a conduit à ce que la quasi-totalité des licenciés de golf ne disposent plus d'une assurance dédiée aux risques propres à ce sport, sans que l'on puisse être assuré qu'ils soient tous couverts par une assurance individuelle multisports. On ne peut donc, en l'état du dossier, se prononcer sur le bénéfice que les consommateurs auraient tiré des engagements pris par la FF Golf.
33. Par conséquent, les préoccupations de concurrence identifiées dans la décision de 2012 ne sont plus pertinentes aujourd'hui et l'engagement n° 2 de la FF Golf rendu obligatoire en décembre 2012 est devenu sans objet.
C. L'APPRÉCIATION DES NOUVEAUX ENGAGEMENTS PROPOSÉS PAR LA FF GOLF
34. Dès lors qu'il n'existe plus de préoccupations de concurrence sur le marché de la distribution des produits d'assurance complémentaires aux joueurs de golf en 2015, la FF Golf se retrouve soumise au droit commun et à la législation applicable en matière d'organisation de la pratique sportive et d'assurance sportive. Il n'appartient toutefois pas à l'Autorité d'apprécier la conformité du nouveau dispositif d'assurance collective envisagé par la FF Golf aux règles édictées par le Code du sport ou le Code des assurances.
35. Il revient aux autorités compétentes, et notamment au ministère des Sports qui assure la tutelle des fédérations sportives, de contrôler cette conformité, en veillant notamment à assurer une certaine égalité de traitement entre les fédérations qui ont très largement recours à l'assurance collective des licenciés.
36. Tout au plus l'Autorité peut-elle relever que l'offre d'assurances complémentaires par les fédérations sportives à leurs licenciés est régie par les articles L. 321-4, L. 321-5 et L. 321-6 du Code du sport. Ces dispositions prévoient notamment, qu'aux fins de compenser le fait que seule une fédération sportive peut offrir une massification de la demande des licenciés, la sélection de l'assureur doit être opérée par appel d'offres (tel qu'il est indiqué au dernier alinéa de l'article L. 321-5).
37. La concurrence entre les assureurs au bénéfice des consommateurs est donc effective même s'il s'agit en l'espèce d'une concurrence pour le marché global des licenciés et non d'une concurrence sur le marché des offres individuelles, licencié par licencié.
38. Le fait que les appels d'offres soient lancés pour une durée courte, de un à trois ans, est également une garantie d'animation du marché. À titre d'exemple, la Fédération française de tennis a sélectionné pour les deux saisons 2015-2017 un assureur différent de celui qu'elle avait retenu pour les deux saisons précédentes.
39. Lors de la séance, la FF Golf a elle-même indiqué qu'elle souhaitait organiser un appel d'offres tous les deux ans et qu'elle avait reçu plus d'une douzaine de candidatures de sociétés d'assurance pour sa prochaine consultation.
40. Au vu de ce qui précède, il n'y a donc pas lieu d'accepter des engagements nouveaux ni de porter une appréciation, de nature concurrentielle, sur le dispositif présenté par la FF Golf.
DÉCISION
Article 1er : L'engagement n° 2 souscrit par la Fédération française de Golf et annexé à la décision n° 12-D-29 du 21 décembre 2012 ne revêt plus, à compter de la notification de la présente décision, un caractère obligatoire à l'égard de la fédération.
Article 2 : Tous les autres engagements souscrits par la Fédération Française de Golf et annexés à la décision n° 12-D-29 du 21 décembre 2012 sont devenus sans objet.
Article 3 : L'affaire enregistrée sous le numéro 15-0090 R est close.