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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 novembre 2015, n° 13-14944

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Roueil (SARL)

Défendeur :

CID Lines France (SARL), CID Lines NV (Sté), Pegaz Distribution (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Nicoletis, Mouthon Vidilles

Avocats :

Mes Fisselier, Grappotte-Benetreau, Tack, Ermeneux, Boccon Gibod, Manoukian

T. com. Rennes, du 9 juill. 2013

9 juillet 2013

La SARL Roueil, qui a pour activité principale le négoce de lubrifiants, de produits de nettoyage et d'hygiène, a eu pour fournisseur durant 17 ans, la société CID Lines France, qui a pour activité principale le commerce de gros de produits chimiques produits par le groupe CID Lines Belgique.

Le 15 mai 2010, M. Yves Giteau, salarié de la société Roueil depuis le 1er mai 1987, a démissionné. Son contrat de travail a pris fin le 15 août 2010, à l'issue de la période de préavis.

Le 10 août 2010, M. Giteau et M. Lionel Quargnul se sont associés pour créer la société Pegaz Distribution, qui exerce la même activité que la société Roueil, et a démarré son activité le 16 août 2010.

Par courrier du 14 janvier 2011, la société CID Lines France a mis un terme à la relation commerciale avec la société Roueil dans les termes suivants :

" Messieurs,

La relation commerciale entre nos deux sociétés s'est considérablement assombrie, suite aux différentes initiatives que vous avez prises courant 2010, portant préjudice aux intérêts de notre société :

- Référencements par vos services de produits concurrents.

- Offres par la direction générale de votre société de produits concurrents portant phonétiquement le même nom chez vos clients.

- Livraisons par votre société de produits concurrents chez des clients que nous avions pris en commun.

- Souhaits par vous-même de ne plus accepter nos propres services dans un mail datant du 21 septembre 2010.

A plusieurs reprises nous vous avons fait part de votre mécontentement sur cette situation, sur la déloyauté de vos initiatives et sur la chute inexorable du chiffre d'affaire de mois en mois (référence à nos précédents entretiens tant à Ypres qu'à Arquenay). Suite à ces événements et faute pour vous d'avoir pris les dispositions appropriées pour y mettre un terme, nous n'entendons plus travailler via votre société pour la distribution de nos produits.

Nous vous informons cesser toute relation commerciale entre nos deux sociétés au 31 mars 2011,

Ce délai prenant en compte à la fois

- les 10 mois écoulés depuis que vous distribuez des produits concurrents malgré notre désaccord formel et nos vives protestations ;

- et le fait que vous avez maintenant noué un partenariat avec nos concurrents directs.

Recevez, Messieurs nos salutations distinguées. "

Par 2 ordonnances du 22 avril 2011, de MM. les Présidents du tribunal de commerce et du tribunal de grande instance de Laval, la société Roueil a obtenu la désignation d'un huissier pour procéder à des constatations au siège social de la société Pegaz Distribution et au domicile de M. Giteau.

Le 16 juin 2011, Maîtres Dechaintre et Lucas, huissiers de justice, ont établi un procès-verbal de constat. Aucun document n'a été trouvé au domicile de M. Giteau et les documents saisis au siège de la société Pegaz Distribution ont été séquestrés par l'huissier.

Par ordonnance de référé du 17 octobre 2011, M. le président du Tribunal de commerce de Laval a ordonné la mainlevée des documents séquestrés et la remise aux parties des informations relatives aux produits CID Lines.

Par deux procès-verbaux de constat des 7 novembre et 16 décembre 2011, Maître Dechaintre a restitué sous forme de tableaux les informations relatives aux produits CID Lines.

Par acte du 2 février 2012, la société Roueil a assigné les sociétés Pegaz Distribution, CID Lines France et la société de droit belge CID Lines NV devant le Tribunal de commerce de Rennes en reprochant aux sociétés Pegaz Distribution et CID Lines des actes de concurrence déloyale, et à la société CID Lines France une rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par jugement du 9 juillet 2013, le tribunal de commerce a :

Mis hors de cause la société de droit belge CID Lines NV ;

Écarté des débats les extraits de courriel reproduits aux pages 15 à 18 du procès-verbal de constat du 16 juin 2011 ;

Débouté la société Roueil de sa demande en indemnisation pour concurrence déloyale et parasitaire envers la société Pegaz Distribution et la société CID Lines France ;

Condamné la société CID Lines France à payer à la société Roueil la somme de 356 250 euro à titre de préjudice économique causé par la rupture brutale des relations commerciales ;

Condamné CID Lines France à payer à la société Roueil la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la société Roueil à payer à la société CID Lines France la somme de 1 500 euro et à la société Pegaz Distribution la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la société CID Lines France aux dépens ;

Prononcé la capitalisation des intérêts à compter de la date d'assignation ;

Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

Débouté les parties de toutes leurs autres demandes.

La société CID Lines France a interjeté appel de ce jugement le 22 juillet 2013 et la société Roueil le 2 août 2013. Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 13 janvier 2014.

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 14 septembre 2015, par lesquelles la société Roueil demande à la cour de :

Vu l'article 6 de la CEDH

Vu l'article 1382 du Code civil

Vu l'article 10 bis de la Convention de l'Union de Paris du 20 mars 1983

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce

Vu l'article 1154 du Code civil

Vu les articles 285 à 295 du Code de procédure civile

Confirmer le jugement en ce qu'il a consacré la responsabilité de la société CID Lines causée par la rupture brutale des relations commerciales et l'a condamnée à verser 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

Le réformer pour le surplus.

Ordonner, au cas où la cour l'estimerait utile, la production des courriels séquestrés par l'huissier dans son procès-verbal de constat du 16 juin 2011 (pièce 13).

Condamner solidairement la société Pegaz Distribution, la société CID Lines France et la société CID Lines NV à payer à la société Roueil la somme de 663 366 euro de dommages-intérêts au titre du préjudice économique causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

Condamner solidairement la société CID Lines France et la société CID Lines NV à payer à la société Roueil la somme de 1 105 600 euro de dommages-intérêts au titre du préjudice économique causé par la rupture brutale des relations commerciales ;

Autoriser la société Roueil à publier la décision à intervenir dans 3 journaux de son choix aux frais solidaires des défendeurs, chaque insertion ne devant pas excéder la somme de 4 500 euro HT ;

Ordonner la publication aux frais de la société Pegaz Distribution, de la société CID Lines France et de la société Cidlines NV, en haut de la page d'accueil de ses sites Internet accessibles aux adresses http://www.cidlines.com/fr/fr, http://www.quargnul.com/lubrifiants.html et http://www.cidlines.com/fr/be, la publication du jugement à intervenir, par extraits au choix de la société Roueil, de façon visible, et en caractères " times new roman ", de taille 12, sans italique, de couleur noire et sur fond blanc, sans mention ajoutée, dans un encadré de 468 x 120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être immédiatement précédé du titre communique judiciaire en lettres capitales, de taille 18, sans italique, de couleur noire sur fond blanc, pendant une durée d'un mois à compter de sa première mise en ligne et ce, dans un délai de 48 h à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euro par jour de retard ;

Condamner la société Pegaz Distribution, la société CID Lines France et CID Lines NV à payer solidairement à la société Roueil la somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la société Pegaz Distribution, la société CID Lines France et la société CID Lines NV solidairement aux entiers dépens qui comprendront les frais des constats d'huissiers, lesquels seront directement recouvrés par la SCP Grappotte Benetreau dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Prononcer la capitalisation des intérêts à compter de la date de l'assignation introductive ;

A titre subsidiaire :

Ordonner au GIE Pays d'Auge (pièce 51) de communiquer l'intégralité, en original, des offres reçues par la société Roueil depuis qu'ils sont en relations commerciales pour procéder à une vérification d'écriture conformément aux articles 285 à 295 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 4 septembre 2015, par lesquelles les sociétés CID Lines France et CID Lines NV demandent à la cour de :

Vu l'article L. 442-6 5° du Code de commerce,

Vu l'article 1382 du Code civil,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause la société de droit belge CID Lines NV et lui a alloué une indemnité de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Condamner la société Roueil au paiement d'une indemnité complémentaire de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel Le confirmer en ce qu'il a débouté la société Roueil de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale ;

Le réformer pour le surplus ;

Dire la société Roueil mal fondée en toutes ses demandes dirigées contre les concluantes et l'en déboute ;

Condamner la société Roueil au paiement d'une somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né des actes de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de la société CID Lines France.

Condamner la société Roueil au paiement d'une indemnité de 15 000 euro au profit de la société CID Lines France, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

La condamner en tous les frais et dépens de 1re instance et d'appel, outre les frais et honoraires articles 8 et 10 de recouvrement forcé par voie d'Huissier, à titre de complément d'indemnité article 700 du Code de procédure civile, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP AFG, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 4 septembre 2015, par lesquelles la société Pegaz Distribution demande à la cour de :

Vu l'article 1382 du Code civil

Dire et juger que la société Roueil n'apporte la démonstration d'aucune faute dans la commercialisation des produits CID Line par la société Pegaz.

Dire et Juger que la société Roueil ne justifie d'aucun préjudice né de la commercialisation des produits CID Line par la société Pegaz.

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Roueil de sa demande d'indemnisation pour concurrence déloyale et parasitaire contre la société Pegaz et condamné la société Roueil à payer à la société Pegaz la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 Code de procédure civile, outre les dépens.

Y Ajoutant,

Condamner la société Roueil à payer à la société Pegaz la somme complémentaire de 5 000 euro au titre des frais exposés en cause d'appel outre les dépens dont distraction au profit de son postulant.

PAR CES MOTIFS :

Sur les courriels des 31 mars et 16 mai 2011 :

Considérant que la société Roueil expose que les sociétés CID Lines et Pegaz Distribution, conscientes du caractère gênant pour elles des courriels échangés entre MM. Dossin et Martin le 31 mars 2011 et entre MM. Dossin et Giteau le 16 mai 2011, en demandent le rejet ; que, cependant, le contenu de ces courriels ne porte pas atteinte au secret des affaires, ni au secret des correspondances, puisque ces courriels ont été séquestrés par l'huissier et ne sont donc pas en possession de la société Roueil ; que la copie de ces courriels, qui permettent de prouver le captage de la clientèle, entre dans le champ de l'ordonnance du 17 octobre 2011, puisque l'huissier devait chercher si des clients de la société Roueil se retrouvaient chez la société Pegaz Distribution ;

Que l'huissier peut accomplir tous les actes qui sont nécessaires à la constatation de la concurrence déloyale, même s'ils ne portent pas en eux-mêmes strictement et directement sur des éléments visés par l'ordonnance, tel est le cas des courriels échangés les 31 mars et 16 mai 2011, qui sont nécessaires à la constatation de la concurrence déloyale ;

Qu'écarter des débats ces courriels, qui démontrent la volonté des sociétés CID Lines et Pegaz Distribution d'éradiquer la société Roueil, serait contraire à l'article 6 de la CEDH et au procès équitable qui doit permettre la manifestation de la vérité ;

Considérant que la société Pegaz Distribution répond que ces courriels, protégés par le secret des correspondances, bien que séquestrés, sont hors du champ d'investigation des ordonnances du 22 avril 2011 et ont donc été obtenus frauduleusement ; que, en vérifiant si l'huissier instrumentaire bénéficiait ou non de l'autorisation judiciaire de porter atteinte au secret des correspondances, le tribunal a effectué un juste contrôle de la loyauté et de la licéité de l'administration de la preuve au sens de l'article 9 du Code de procédure civile ;

Mais considérant que le droit au procès équitable implique que le justiciable ait une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves ; que la production en justice de courriels, même portant atteinte à des droits substantiels, est admissible dès lors qu'elle est indispensable à l'exercice du droit à la preuve, que les courriels n'ont pas été obtenus par un procédé déloyal et que l'atteinte ainsi portée reste proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence ;

Considérant que l'huissier de justice, agissant dans les locaux de la société Pegaz Distribution, en exécution d'une ordonnance sur requête du 22 avril 2011, a effectué dans la messagerie de M. Giteau une recherche limitée au mot clé " Roueil " ; que l'huissier a mis sous séquestre les courriels relatifs à la société Roueil et en a reproduit la substance ou le contenu aux pages 14 à 18 de son procès-verbal de constat du 16 juin 2011 ; que la mission confiée à l'huissier instrumentaire par l'ordonnance du 22 avril 2011, moins large que celle demandée dans la requête du 15 avril 2011, se limite à la recherche de documents appartenant à la société Roueil et à l'établissement de la liste des clients communs aux sociétés Roueil et Pegaz Distribution ; que la retranscription de courriels échangés au sujet de la société Roueil n'entre pas dans la mission confiée à l'huissier de justice ;

Considérant que les courriels en cause, des 31 mars et 16 mai 2011, ne portent atteinte ni au respect de la vie privée, ni au secret des affaires, mais sont protégés par le secret de la correspondance ; qu'il n'est pas démontré par la société Roueil que la production de ces courriels, postérieurs à la rupture des relations commerciales entre les sociétés Roueil et CID Lines France, soit indispensable à l'appelante pour lui permettre de faire valoir ses droits et rapporter la preuve des actes de concurrence déloyale qu'elle invoque, détournement de sa clientèle ou collusion entre les sociétés CID Lines France et Pegaz Distribution en vue de l'écarter ; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu d'ordonner la production des courriels litigieux ;

Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire reprochés à la société Pegaz Distribution :

Considérant que la société Roueil expose que Pegaz Distribution a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à son encontre ; que M. Giteau, qui a effectué de nombreuses photocopies de documents appartenant à la société Roueil, alors qu'il était encore salarié de la société a détourné ses fichiers ; que Mme Chupin, comptable de la société Roueil, atteste que M. Giteau a photocopié tous les fichiers clients de la société, ainsi que l'ensemble des historiques des clients, contenant les détails de facturation appliqués pour chacun d'eux depuis 2000 ; que la société Pegaz Distribution détient ainsi des fichiers stratégiques et confidentiels qui lui permettent de démarcher déloyalement les clients de la société Roueil ; que ce détournement est confirmé par les constatations faites par l'huissier dans son procès-verbal de constat du 7 novembre 2011 ;

Que grâce au détournement des fichiers-clients, la société Pegaz Distribution a instauré un démarchage systématique des clients de la société Roueil afin de les détourner, comme cela ressort du procès-verbal de constat d'huissier du 16 juin 2011 ; que si l'on compare le nombre de clients de la société Roueil démarchés par la société Pegaz Distribution avec l'ensemble des clients de cette dernière, on s'aperçoit que, pour le mois de décembre 2010 par exemple, 58 % des clients facturés par la société Pegaz Distribution sont des clients de la société Roueil ; qu'ainsi plus de la moitié des clients facturés par la société Pegaz Distribution sont des clients de la société Roueil ;

Que M. Giteau a tenté de débaucher cinq salariés de la société Roueil alors même qu'il effectuait sa période de préavis ; que la société Pegaz Distribution a fait une offre de travail à M. Jacky Jouie, commercial de la société Roueil, et la société GDS, concurrente de la société Roueil avec laquelle société Pegaz Distribution entretient des relations commerciales, a proposé un emploi à MM. Ludovic Plancheneault et Marc Balidas ;

Que M. Giteau a tenté de dénigrer la société Roueil dans un courrier du 4 juin 2010, dont l'envoi a pu être évité ;

Que la société Pegaz Distribution pratique une politique tarifaire systématiquement inférieure à celle mise en place par la société Roueil, ce qui est établi par le procès-verbal de constat du 7 novembre 2011 ;

Considérant que la société Pegaz Distribution répond que le contrat de travail de M. Giteau ne comporte pas de clause de non-concurrence mais une clause implicite de confidentialité qui stipule " M. Giteau tiendra à jour un fichier des clients qui lui sera confié, lequel fichier demeurera la propriété exclusive de la société et devra lui être restitué au cas où le présent contrat prendrait fin pour quelque raison que ce soit " ; que la société Roueil ne rapporte pas la preuve des faits qu'elle invoque ; que pour constituer une faute le débauchage de salariés doit prendre la forme d'une manœuvre déloyale de désorganisation ; que la circonstance que ses prix soient inférieurs à ceux de la société Roueil démontre que ses charges de structure sont inférieures à celle de la société Roueil ou encore que cette dernière pratique un taux de marge supérieur ; que la tentative de dénigrement reprochée à M. Giteau n'était qu'un projet manuscrit de lettre rédigé sur un brouillon, raturé, qui ne comporte aucun destinataire et qui ne pouvait en l'état être posté ; que les constatations faites par huissier de justice dans les procès-verbaux des 16 juin et 7 novembre 2011, ainsi que la comparaison des chiffres d'affaires mensuels des deux sociétés montrent que la clientèle de l'appelante n'a pas été appréhendée par la société Pegaz Distribution, que ce soit pendant la période de concurrence ou après la fin du contrat de distribution dont bénéficiait la société Roueil ;

Mais considérant que l'attestation de Mme Chupin, salariée de la société Roueil, est insuffisante à rapporter la preuve du détournement par M. Giteau, au cours de l'exécution de son contrat de travail, du fichier clients ou de documents stratégiques pour l'appelante ; que la simple proposition d'embauche faite à quelques salariés, qui n'a pas été suivie d'effet et n'a entraîné aucune désorganisation du personnel ou de l'activité n'est pas fautive ;

Que le brouillon de courrier, non envoyé, destiné à certains clients de la société Roueil pour les informer d'une modification de la grille tarifaire des graisses ne contient aucun propos dénigrant à l'encontre de l'appelante ;

Que le procès-verbal de constatations du 16 juin 2011, qui liste les factures de la société Pegaz Distribution du mois d'août 2010 au mois de mai 2011, ne se réfère qu'au fichier client de M. Giteau et à l'historique des ventes de celui-ci entre 2008 et 2010 et non à la liste complète des clients de la société Roueil ; que rapporté au fichier client de la société Roueil, d'environ 1181 clients, le tribunal a justement retenu qu'avec 37 clients communs aux deux sociétés le détournement de clientèle ou le démarchage massif de la clientèle de l'appelante n'était pas établi, même si, au début de son activité, la majorité des clients de la société Pegaz Distribution étaient des clients de M. Giteau ;

Que le choix par la société Pegaz Distribution de pratiquer une politique tarifaire inférieure à celle de la société Roueil n'est pas en soi fautif ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société Roueil de toutes ses demandes à l'encontre de la société Pegaz Distribution ;

Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire reprochés aux sociétés CID Lines :

Considérant que la société Roueil expose que la société CID Lines France a augmenté les tarifs proposés de 5 % pour les trois mois précédant la fin des relations commerciales, alors que cette augmentation n'a pas été appliquée aux autres distributeurs et que la société Pegaz Distribution a obtenu 16 % de diminution sur le tarif appliqué à la société Roueil ;

Que la société CID Lines est devenue immédiatement le fournisseur de la société Pegaz Distribution, car il existe entre ces deux sociétés une collusion frauduleuse manifeste tendant uniquement à nuire gravement à la société Roueil et à récupérer ses clients, comme cela résulte des courriels trouvés sur l'ordinateur professionnel de M. Giteau ;

Considérant que les sociétés CID Lines demandent que la société de droit belge CID Lines NV soit mise hors de cause, en soutenant que la société Roueil n'avait aucune relation commerciale et financière avec la société de droit belge CID Lines NV, son seul fournisseur étant la société de droit français CID Lines France ;

Qu'un fournisseur est en droit de déterminer sa politique tarifaire et de négocier librement avec ses clients - distributeurs, les prix et les augmentations de prix liées aux conditions économiques ; que les augmentations de prix ont été généralisées auprès de l'ensemble de sa clientèle durant les années 2011 et 2012 ;

Que la société Roueil ne peut se fonder sur les courriels des 31 mars 2011, 16 mai 2011 et 25 mai 2011, qui sont contraires à l'ordonnance rendue le 17 octobre 2011 et ne sont pas versés aux débats, pour lui reprocher de vouloir lui nuire ; qu'il n'est pas anormal par principe qu'un fournisseur octroie des tarifs préférentiels à un nouveau distributeur, lesquels sont justifiés par le démarrage de ce nouveau distributeur et la situation de défense et de nécessaire contre-offensive dans laquelle se trouve le fournisseur pour contrer l'implantation déloyale d'un concurrent ;

Mais considérant que la société Roueil ne rapporte pas la preuve de l'existence de relations commerciales avec la société CID Lines NV, que le fait que les marchandises étaient expédiées par la société CID Lines NV, qui est la société mère, est insuffisant dès lors que la politique et les relations commerciales étaient le fait de la société CID Lines France ; que les griefs articulés par la société Roueil ne concernent que ses rapports avec la société CID Lines France ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a mis hors de cause la société CID Lines NV ;

Considérant que la société Roueil produit un courriel du 9 décembre 2010 par lequel la société CID Lines France l'informe de l'augmentation de sa grille tarifaire à partir du 1er janvier 2011, mais n'établit ni que cette augmentation était injustifiée, ni qu'elle n'a pas été appliquée aux autres distributeurs ; que la circonstance que la société CID Lines France, qui est libre de fixer sa politique commerciale, ait accordé des tarifs préférentiels à la société Pegaz Distribution, afin de lui permettre de débuter son activité, n'est pas fautif, d'autant que les parties n'étaient liées par aucun contrat ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société Roueil de ses demandes au titre de la concurrence déloyale à l'encontre de la société CID Lines France ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies :

Considérant que la société CID Lines France expose que la lettre de rupture du 14 janvier 2011 énonce 5 griefs, qui caractérisent l'inexécution par la société Roueil de ses obligations et ont conduit à la rupture des relations commerciales ; qu'il a toujours été de règle entre les sociétés CID Lines France et Roueil, que la loyauté de leurs relations d'affaires impliquait que cette dernière ne distribue pas de produits concurrents de ceux figurant dans la gamme CID Lines France, qu'en contrepartie la société Roueil a bénéficié de son soutien exceptionnel par la prise en charge des frais de participation notamment à des salons annuels ;

Que la société Roueil a commis une faute distincte de celle de son nouveau fournisseur Hydrachim en diffusant auprès de la clientèle des offres sur lesquelles sont juxtaposés les produits " Eko " et " Eco " et en intitulant les uns et les autres sous l'enseigne " CID Lines " ;

Que la société Roueil a livré des produits concurrents aux clients GIE Pays d'Auge et Est Lavage, qui avaient été pris en commun ;

Que dans un courriel du 20 septembre 2010, la société Roueil a multiplié les

critiques à l'encontre de CID Lines France, tout en posant des conditions formelles à la poursuite de sa relation commerciale avec CID Lines France ; que les termes de ce courriel caractérisent une mésentente grandissante entre les partenaires, la société Roueil se livrant même à une mise en cause nominative du directeur commercial de CID Lines France, dans un contexte de forte dégradation des relations entre les parties ; que les 4 conditions proposées par la société Roueil pour la poursuite de son partenariat avec la société CID Lines France étaient inadmissibles ;

Que la société Roueil a fortement diminué ses achats auprès de la société CID Lines France durant l'année 2010, la chute a atteint 9 % en volume et 15 % en marge, par rapport à 2009 ; que cette chute ayant pour cause l'achat/revente de produits directement concurrents de ceux de la gamme CID Lines et leur commercialisation sous des dénominations identiques, sous l'entête CID Lines, et sous de fausses allégations d'homologation et de support vétérinaire, il existait un réel péril pour la société CID Lines France de perdre l'intégralité de l'implantation locale de ses produits ;

Que le préavis accordé était en rapport avec l'évolution des relations commerciales entre les parties et justifié par l'impossibilité de poursuivre les relations antérieures, au regard des comportements persistants de la société Roueil, lesquels auraient justifié une résiliation sans préavis ;

Considérant que la société Roueil soutient que la société CID Lines France a rompu brutalement leurs relations commerciales établies depuis plus de 17 ans ; qu'elle était le distributeur principal, pour le Grand Ouest, des produits de marque CID Lines ; que cette rupture a été préméditée par les sociétés Pegaz Distribution et CID Lines France, qui souhaitaient évincer la société Roueil ; que les griefs allégués par la société CID Lines France pour justifier la rupture sont artificiels ;

Qu'aucune exclusivité ne lui a été consentie par la société CID Lines France ; que seul une faible quantité de produits concurrents a été vendue par la société Roueil, en parfaite transparence ; que la société Roueil a référencé des produits Hydrachim uniquement parce que les produits Eco Chlore et Eco CID proposés par la société CID Lines étaient trop chers ; que le courriel du 11 janvier 2011 est sorti de son contexte ;

Que la société Roueil n'est pas responsable de la proposition adressée au GIE Pays d'Auge ; qu'elle ne peut être tenue responsable du nom donné par la société Hydrachim à ses produits ;

Qu'elle n'a jamais voulu rompre ses relations commerciales avec la société CID Lines France ; que dans un courriel du 20 septembre 2010, elle a envisagé la poursuite des relations commerciales entre les deux sociétés et a rappelé sa volonté de travailler à 95 % avec la société CID Lines sous certaines conditions, qui étaient parfaitement applicables ;

Qu'un délai de préavis dérisoire de 2 mois et 2 semaines, lui a été accordé, alors que celui-ci aurait dû être de 20 mois ; que du jour au lendemain, elle a dû rechercher des produits de substitution aux produits CID Lines et à ce jour, elle n'a toujours pas trouvé tous les produits équivalents en remplacement, tant en qualité qu'en politique tarifaire ; que durant une période elle n'a pas pu assurer la distribution de produits de nettoyage et d'entretien à ses clients ;

Mais considérant que selon l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels... Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure " ;

Considérant que la durée et le caractère établi des relations commerciales existant entre les sociétés Roueil et CID Lines France ne sont pas contestés ; qu'il est également constant que les parties ne sont liées par aucune clause d'exclusivité, peu important la prise en charge par la société CID Lines France de frais de participation à des salons professionnels, à des voyages ou la fourniture d'échantillons, qui ne constituent pas une mesure exceptionnelle à l'égard d'un distributeur important ;

Que la vente par la société Roueil de produits concurrents de ceux de la société CID Lines France, à compter de l'année 2010, était marginale et s'explique par le prix très élevé des produits Eco Chlore et Eco CID ; que la similitude phonétique entre les produits concurrents ne peut être reprochée à la société Roueil ;

Que dans son courriel du 11 janvier 2011, M. Roueil ne reconnaissait nullement avoir pris un engagement de ne pas distribuer de produits concurrents ou avoir été déloyal et contestait avoir été informé de la proposition faite au GIE du Pays d'Auge ;

Que les courriels produits aux débats montrent l'existence d'une mésentente à compter de l'année 2010 entre M. Roueil et M. Dossin mais nullement le souhait de la société Roueil de ne plus travailler avec la société CID Lines France ; que dans le courriel du 20 septembre 2010 M. Roueil faisait état de la nécessité de dialoguer, de l'intention de M. Dossin d'évincer la société Roueil et proposait de continuer à travailler à 95 % avec CID Lines, sous 4 conditions ; que ce courriel n'était pas un courrier de rupture mais une proposition en vue d'une négociation pour solutionner les difficultés existantes ;

Que la baisse du chiffre d'affaires reproché à la société Roueil sur l'année 2010 par rapport à l'année 2009, peut notamment s'expliquer par la concurrence qui lui a été faite par l'arrivée de la société Pegaz Distribution, qui a bénéficié de tarifs de 16 % inférieurs à ceux de la société Roueil ;

Que la société CID Lines France ne rapporte pas la preuve des fautes et de la déloyauté qu'elle reproche à la société Roueil et qui justifieraient une rupture sans préavis de la relation commerciale ; que, compte tenu de la durée, de la stabilité et de l'importance pour la société Roueil de la relation d'affaires, la rupture des relations commerciales par la société CID Lines France avec un préavis de 2 mois et demi, à laquelle la société Roueil ne s'attendrait pas, est contraire aux dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; que le jugement doit être confirmé de ce chef ;

Sur le préavis :

Considérant que la société Roueil expose que les relations avec la société CID Lines France ont duré plus de 17 ans, que la vente des produits CID Lines représentait près de 40 % de son chiffre d'affaires, soit environ 2 millions d'euro annuels et la marge la plus importante ; que du jour au lendemain elle a dû rechercher des produits de substitution aux produits CID Lines et qu'à ce jour elle n'a toujours pas trouvé tous les produits équivalents en remplacement, tant en qualité qu'en politique tarifaire ; qu'un préavis de 20 mois est justifié ;

Que de septembre 2010 à août 2011, son chiffre d'affaires a diminué de 46 % s'agissant des produits CID Lines ; que la variation de chiffre d'affaires constaté est de :

-335 486 euro pour la période de septembre 2010 à décembre 2010 et de - 1 335 906 euro pour la période de janvier 2011 à novembre 2011; que la marge brute moyenne annuelle s'élève avant la rupture à 663 366 euro ; que la durée du préavis nécessaire étant de 20 mois, l'indemnité réparatrice ne peut être inférieure à la somme de (663 366 euro : 12 mois) = 55 280 euro x 20 mois = 1 105 600 euro ;

Considérant que la société CID Lines France répond que la société Roueil ne démontre aucun préjudice qui résulterait de la brièveté du préavis appliqué, de sorte que ses réclamations ne peuvent qu'être écartées ; que, pour la période postérieure à la rupture notifiée le 14 janvier 2011, les pertes de marge alléguées par la société Roueil au titre de la " période de janvier 2011 à novembre 2011 et pour décembre 2011 " ne peuvent être imputées à la société CID Lines France ; qu'en effet, la somme 356 250 euro allouée par le tribunal a été calculée comme suit : 1 500 000 (CA annuel moyen des produits CID Lines) x 0,3 (marge brute retenue) x 9,5 (12 mois - 2,5 mois) = 356 250 euro, alors qu'en réalité, les chiffres d'affaires annuels de référence n'ont jamais dépassé 1 261 988 euro et le taux de marge à 30 % n'est aucunement établi ;

Que la rupture n'a eu aucun impact financier sur la société Roueil qui avait depuis plus de 10 mois noué un partenariat avec la société Hydrachim, qui l'approvisionnait en produits identiques, avec une gamme plus étendue et des prix moins élevés que ceux de la société CID Lines France ; qu'ainsi au moment de la notification de la rupture, la société Roueil avait d'ores et déjà opéré sa reconversion et développé son partenariat avec la société Hydrachim, concurrente de la société CID Lines France ; qu'au surplus, la société Roueil a continué à commercialiser les produits CID Lines pendant de nombreux mois après le 31 mars 2011, puisqu'elle a continué à se fournir en produits CID Lines jusqu'en mars 2011 ;

Mais considérant que, en cas de rupture d'une relation commerciale établie, le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture, et en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire ; que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même ;

Considérant que pour fixer le préavis raisonnable il convient de tenir compte de l'ancienneté, de la stabilité et du caractère significatif des relations commerciales, le chiffre d'affaires réalisé par la société Roueil avec les produits CID Lines était de 40 % en 2009 et de 36 % en 2010, ainsi que du fait que dans le courant de l'année 2010 la société Roueil a pu commercialiser deux produits d'un concurrent de la société CID Lines, pour un chiffre d'affaires insignifiant ; que la circonstance que, après la rupture, la société Roueil ait pu progressivement remplacer les produits CID Lines et écouler son stock de produits CID Lines, est sans incidence sur la fixation du délai de préavis nécessaire ; que le préavis nécessaire a justement été fixé à 12 mois par le tribunal ;

Considérant que la société Roueil justifie par une attestation de son expert-comptable que la marge brute sur les produits CID Lines était en moyenne de 30 % ; que l'évaluation du préjudice effectuée par le tribunal sur la base du chiffre d'affaires moyen lissé réalisé par la société Roueil sur les produits CID Lines doit être confirmée ;

Sur les autres demandes :

Considérant que la société Roueil sollicite la publication de l'arrêt à intervenir dans 3 journaux de son choix, aux frais des sociétés CID Lines, ainsi que sur leur site internet ; que le préjudice de la société Roueil ayant été indemnisé par l'attribution de dommages-intérêts, il y a lieu de rejeter cette demande qui n'est pas nécessaire ;

Considérant que la société CID Lines France sollicite la condamnation de la société Roueil au paiement d'une somme de 30 000 euro sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en réparation du préjudice qui lui aurait été causé du fait d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme dans le dossier GIE Pays d'Auge ; qu'aucun acte de concurrence déloyale n'ayant été établi à l'encontre de la société Roueil, la demande doit être rejetée ;

Par ces motifs, Confirme le jugement, Et y ajoutant, Condamne la société Roueil à verser à la société Pegaz Distribution la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la société CID Lines France aux dépens d'appel.