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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 27 novembre 2015, n° 15-08773

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Disanto (SA)

Défendeur :

Scadif (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dabosville

Conseillers :

Mmes Bouvier, de Grommard

Avocats :

Mes Rota, Pihery, Parleani, Janssens

T. com. Nanterre, du 6 nov. 2014

6 novembre 2014

Le 24 janvier 2002, la SA Disanto, qui exploitait à Antony (92) un supermarché sous l'enseigne Leclerc, a notifié son retrait à la SA Coopérative d'approvisionnement de l'Île de France (Scadif) compte tenu de son passage sous l'enseigne Atac (groupe Auchan) à compter du 27 mars 2002.

Par acte du 3 septembre 2002, la Scadif a assigné la société Disanto devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre aux fins notamment de règlement de sommes au titre des factures de marchandises, de cotisations et de frais ainsi que des avances financières consenties par la Scadif à la société Disanto, et à titre subsidiaire, de désignation d'un expert.

Par ordonnance de référé rendue le 15 novembre 2002, le juge des référés a ordonné une expertise.

L'expert ayant déposé son rapport le 19 juin 2006, le juge des référés saisi, retenant les nombreuses difficultés de comptes entre les parties, a débouté la Scadif de ses demandes de paiement de sommes provisionnelles au motif des nombreuses difficultés de comptes entre les parties.

Par actes des 5 décembre 2011 et 22 mai 2012, la Scadif a assigné au fond la société Disanto devant le Tribunal de commerce de Nanterre notamment aux fins de condamnation au paiement des sommes qu'elle affirme lui être dues.

Par jugement contradictoire du 6 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Nanterre a :

- joint les affaires enrôlées sous les numéros n° 2011F4800 et n° 2012F2055,

- dit la Scadif recevable et bien fondée en son exception d'incompétence au profit du Tribunal de commerce de Paris et s'est déclaré incompétent au profit de ce tribunal,

- dit qu'à défaut de contredit dans le délai légal, il sera fait application de l'article 97 du Code de procédure civile,

- débouté la Scadif de sa demande au titre de dommages-intérêts,

- dit n'y avoir lieu, dans la présente partie de l'instance, à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

- condamné la Scadif aux dépens de l'incident.

Par acte du 20 novembre 2014, la société Disanto a formé contredit.

Ce contredit a été transmis à la Cour d'appel de Versailles.

Par arrêt contradictoire rendu le 14 avril 2015, la Cour d'appel de Versailles a dit que la Cour d'appel de Paris est seule compétente pour statuer sur le contredit et ordonné son renvoi au secrétariat du Tribunal de commerce de Nanterre aux fins de transmission à la Cour d'appel de Paris.

Initialement fixée à l'audience de la Cour d'appel de Paris du 25 septembre 2015, l'affaire enregistrée sous le numéro RG 15-08773 a été renvoyée à l'audience du 16 octobre suivant afin de permettre aux parties de présenter leurs observations sur la recevabilité d'un contredit formé à l'encontre d'un jugement de première instance qui déclare incompétente la juridiction saisie et statue sur une demande de dommages-intérêts pour abus du droit d'ester en justice.

Par ses écritures déposées et soutenues à l'audience du 16 octobre 2015, la société Disanto demande à la cour de :

- dire et juger aussi bien fondé que recevable le contredit par elle formé par la société Disanto,

- constater que le moyen de défense tiré de l'application des articles L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce est une fin de non-recevoir et non une exception d'incompétence,

- dire et juger qu'il appartient au Tribunal de commerce de Nanterre d'examiner la fin de non-recevoir par elle soulevée,

- constater, en tant que besoin, que la prétendue exception d'incompétence n'a pas été soulevée par la Scadif avant toute défense au fond devant le Tribunal de commerce de Nanterre,

- dire et juger l'article 97 du Code de procédure civile inapplicable au présent litige,

- constater qu'en sa qualité de demanderesse, la Scadif ne pouvait en tout état de cause soulever d'exception d'incompétence devant le Tribunal de commerce de Nanterre,

En conséquence,

- " infirmer " le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 6 novembre 2014 en ce qu'il a dit la Scadif recevable et bien fondée en son exception d'incompétence au profit du Tribunal de commerce de Paris et s'est déclaré incompétent au profit de ce tribunal,

- renvoyer l'affaire au Tribunal de commerce de Nanterre afin qu'il se prononce sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Disanto sur le fondement des articles L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce et 122 et suivants du Code de procédure civile,

- " confirmer " le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 6 novembre 2014 pour le surplus,

En tout état de cause,

- rejeter toutes prétentions adverses,

- condamner la Scadif à lui payer à la société Disanto une somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la Scadif aux entiers " dépens ".

Aux termes de ses écritures, la contredisante fait valoir que le Tribunal de commerce de Nanterre a commis une erreur de droit en qualifiant le moyen de défense tiré de l'application des articles L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce d'exception d'incompétence et non de fin de non-recevoir ; que le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 6 novembre 2014 est contraire à la solution de principe affirmée par la Cour de cassation en son arrêt du 21 février 2012 que le non-respect de l'article L. 420-7 du Code de commerce est sanctionné par une fin de non-recevoir et non par une exception d'incompétence ; que cette jurisprudence doit s'appliquer en cas de saisine d'une juridiction de première instance n'ayant pas le pouvoir juridictionnel pour connaître des affaires impliquant l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Elle fait valoir que, s'agissant d'une fin de non-recevoir, le Tribunal de commerce de Nanterre, qui n'avait pas le pouvoir de connaître des pratiques anticoncurrentielles, objet du litige, devait renvoyer la Scadif " à mieux se pourvoir " et ne pouvait renvoyer, comme il l'a fait, l'affaire devant le tribunal spécialisé ayant le pouvoir juridictionnel pour la connaître ; qu'en conséquence, l'instance ne peut être poursuivie en l'état devant la juridiction spécialisée, le demandeur devant intenter une nouvelle instance pour reformuler les mêmes demandes au fond.

Par ses écritures transmises le 22 septembre 2015, la Scadif, défenderesse au contredit, demande à la cour de :

- " rejeter " le contredit formé par la SA Disanto,

- dire et juger que c'est à bon droit que le Tribunal de commerce de Nanterre n'a pas prononcé l'irrecevabilité des demandes de la Scadif et tout particulièrement de sa demande tendant au paiement de marchandises d'un montant de 1 406,962 euro TTC, nullement concernée par l'application des règles de compétence spéciale en matière de droit de la concurrence,

- confirmer le jugement rendu le 6 novembre 2014 par le Tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris, juridiction spécialisée compétente pour examiner la présente affaire,

- renvoyer l'affaire au Tribunal de commerce de Paris,

- débouter la SA Disanto de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la SA Disanto à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers " dépens ".

En rappelant à titre liminaire les créances de la Scadif à son encontre de la SA Disanto, la Scadif soutient que le débat est un débat de compétence puisqu'il s'agit de choisir quel tribunal, de celui de Nanterre ou de Paris, est compétent pour connaître du litige.

Elle soutient qu'en application des dispositions de l'article L. 420-7 du Code de commerce, une juridiction non spécialisée régulièrement saisie d'un litige peut, en cours d'instance, et notamment au gré de la défenderesse au fond, devenir incompétente au profit d'une juridiction spécialisée ; qu'en l'espèce, le Tribunal de commerce de Nanterre saisi est devenu incompétent en cours d'instance, le défendeur ayant soulevé un moyen tiré de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Elle fait valoir, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass 2e civ., 16 oct. 2003, n° 01-13.036 ; Cass 2e civ., 1er oct. 2009, n° 08-14.135), en matière de procédure orale, une exception d'incompétence peut être soulevée oralement lors de l'audience même si des écritures ont été déposées préalablement à l'audience et même si ce déclinatoire de compétence ne figurait pas dans ses écritures ; qu'en l'espèce, la SA Disanto, défenderesse au principal, était également demanderesse reconventionnelle ; que dès lors, la Scadif, devenue défenderesse reconventionnelle, était fondée à soulever une exception d'incompétence.

Elle soutient que l'article L. 420-7 du Code de commerce prévoit expressément le renvoi de l'affaire à la juridiction spécialisée compétente ; que c'est de manière particulièrement fallacieuse que la SA Disanto prétend que le Tribunal de commerce de Nanterre ne pouvait pas renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris ; que la jurisprudence citée par la contredisante ne concerne que l'irrecevabilité de l'appel alors qu'en l'espèce, la cour d'appel est saisie d'un contredit.

Elle fait valoir que l'incompétence d'une juridiction qu'elle a soutenue tendait précisément à ce que le litige soit porté devant un autre juge ; qu'en tout état de cause, le défaut de pouvoir invoqué d'une juridiction par la société Disanto implique le choix entre plusieurs juridictions.

Sur la question de la recevabilité d'un contredit à l'encontre d'un jugement qui déclare incompétente la juridiction saisie et statue sur une demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, la société Disanto soutient ses écritures déposées sur la question à l'audience de renvoi du 16 octobre 2015, aux termes desquelles seule la voie du contredit lui était ouverte à l'encontre du jugement rendu le 6 novembre 2014, la demande de règlement de dommages-intérêts formée par la société Scadif, nécessairement accessoire, ne tranche pas le fond du litige et verse aux débats la jurisprudence l'affirmant, en l'occurrence deux arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 25 mai 1981 ( n° 80-11.167) et du 4 novembre 1988 (n° 85-43.720) et un arrêt du 30 avril 2009 de la 2ème chambre civile (n° 08-14.883 et a.).

La société SCARDIF s'en rapporte à justice sur la question.

LA COUR

Sur la recevabilité du contredit :

Attendu que selon l'article 80 du Code de procédure civile, lorsque le juge se prononce sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision ne peut être attaquée que par la voie du contredit, quand bien même le juge aurait tranché la question de fond dont dépend la compétence ; que, sous réserve des règles particulières à l'expertise, la décision ne peut pareillement être attaquée du chef de la compétence que par la voie du contredit lorsque le juge se prononce sur la compétence et ordonne une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ;

Attendu qu'en application de l'article L. 420-7 du Code de commerce du titre II " Des pratiques anticoncurrentielles ", livre IV relatif à la liberté des prix et de la concurrence du Code de commerce, les litiges relatifs à l'application des règles fixées aux articles L. 420-1 à L. 420-5 du même Code sont attribués à des juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ;

Attendu que selon l'article R. 420-3 du Code de commerce :

" Pour l'application de l'article L. 420-7 sus visé, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément aux tableaux de l'annexe 4-1 du présent livre. ";

Qu'en application de l'annexe 4-1, intitulé " Juridictions compétentes pour connaître, en application de l'article L. 420-7, des procédures applicables aux personnes qui ne sont ni commerçants ni artisans ", le Tribunal de commerce de Paris connait de façon exclusive des procédures relevant, en matière de pratiques anticoncurrentielles, du ressort de la Cour d'appel de Versailles ;

Attendu qu'en l'espèce, le Tribunal de commerce de Nanterre, retenant que les deux parties sont d'accord pour estimer que leur différend, relatif à des pratiques anticoncurrentielles, doit être examiné par le Tribunal de commerce de Paris, a " dit la société Coopérative d'approvisionnement de l'Île de France, dite Scadif, recevable et bien fondée en son exception d'incompétence au profit du Tribunal de commerce de Paris et s'est déclaré incompétent au profit de ce tribunal " et a débouté " la Scadif de sa demande au titre de dommages-intérêts " pour abus du droit d'ester en justice " ;

Attendu qu'en statuant ainsi, le tribunal de commerce ne s'est pas prononcé sur le fond du litige et n'a pas mis fin à l'instance, la demande en dommages-intérêts pour abus de procédure constituant une demande accessoire qui n'est pas afférente au fond du litige ;

Attendu qu'en l'espèce, les parties s'accordent sur le fait que le litige qui les oppose relève du Tribunal de commerce de Paris, juridiction spécialisée en matière de pratiques anticoncurrentielles, dès lors que les demandes de sommes par la Scadif sont fondées sur des clauses contestées par la société Disanto en raison de leur objet anticoncurrentiel au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Que toutefois, le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel du Tribunal de commerce de Nanterre pour connaître de l'affaire en application des articles L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce constitue une fin de non-recevoir et non une exception d'incompétence comme l'a à tort retenu le jugement déféré ;

Qu'en effet, l'objection relative au pouvoir de la juridiction de juger d'une affaire ne concerne pas sa compétence mais le respect des règles d'ordre public régissant ses pouvoirs et donc la recevabilité de l'instance ;

Qu'ainsi, s'il est exact que le Tribunal de commerce de Paris a seul le pouvoir juridictionnel de connaître du litige opposant la société Disanto à la société Scadif en raison de la spécialisation édictée par les articles L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce, le Tribunal de commerce de Nanterre, qui l'a constaté à bon droit, n'en a pas tiré les conséquences légales en se déclarant " incompétent " et en désignant le Tribunal de commerce de Paris seul " compétent " pour connaître de l'affaire alors qu'en outre, il ne lui appartenait pas de désigner la juridiction qu'il estimait compétente et devait inviter les parties à mieux se pourvoir ;

Qu'en outre, il résulte de l'ensemble de ces constatations et énonciations que se pose la question de la voie de recours ouverte aux parties à l'encontre du jugement du 6 novembre 2014, étant relevé d'une part que le Tribunal de commerce de Nanterre, en statuant sur une fin de non-recevoir tirée de ses pouvoirs juridictionnels tout en rejetant la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, ne n'est pas prononcé sur le fond du litige et d'autre part, que le contredit, prévu par l'article 80 du Code de procédure civile, qui figure à la sous-section III, de la section I consacrée aux " exceptions d'incompétence " du chapitre II " Les exceptions de procédure " du Titre V dudit Code, n'est recevable que lorsque le juge se prononce sur " la compétence " sans statuer sur le fond du litige et que ne peuvent être immédiatement frappés d'appel que les jugements qui statuent sur une fin de non-recevoir et mettent fin à l'instance en application des articles 544 et 545 du Code de procédure civile ;

Qu'il convient en conséquence d'ordonner la réouverture des débats à la date fixée dans le dispositif et d'inviter les parties à conclure sur la recevabilité du contredit au regard des dispositions des articles 80, 544 et 545 du Code de procédure civile et L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce ;

Par ces motifs, Ordonne la réouverture des débats à l'audience du jeudi 17 décembre 2015 à 11 heures, Invite les parties à conclure avant cette audience sur la recevabilité du contredit formé à l'encontre du jugement rendu le par le Tribunal de commerce de Nanterre au regard des dispositions des articles 80, 544 et 545 du Code de procédure civile et L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce, Sursoit à statuer sur les demandes, Réserve les dépens.