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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 27 mai 2015, n° 14/13859

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Gauthier Sohm (ès qual.), Motorstyle (SARL)

Défendeur :

Honda Motor Europe Limited (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Bernabe, Epelbaum, Ingold, Landault

TGI Paris, du 5 juin 2014

5 juin 2014

Vu le jugement du 5 juin 2014, par lequel le Tribunal de grande instance de Paris a débouté la société Motorstyle de ses demandes, l'a condamnée à déposer les panneaux et enseignes de la marque Honda dans les 30 jours de la signification du jugement, sous astreinte de 100 euro par jour de retard pendant trois mois passé ce délai, à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de la clause pénale afférente au non retrait des enseignes Honda, ainsi que celle de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

Vu l'appel interjeté par la société Motorstyle et la société Gauthier Sohm, ès qualités, le 1er juillet 2014, et leurs dernières conclusions, signifiées le 5 décembre 2014, par lesquelles il est demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, ordonner à la société Honda l'exécution d'un préavis de 24 mois, compte tenu de l'ancienneté des relations contractuelles, avec paiement journalier de différentes sommes (de 2 600 euro par jour calculée jusqu'au 1er juin 2013 au titre de la perte du fonds de commerce, 5 288 euro par jour au titre de la perte du chiffre d'affaires, 6 000 euro au titre de la perte sur les commissions " Consumer Finance ", 9 000 euro au titre de la perte sur les marges arrières, 500 000 euro au titre du détournement de clientèle), condamner la société Honda à reprendre, à la fin du contrat de concession, le stock de pièces Honda, valorisé à leur valeur comptable certifiée par l'expert-comptable de la société Motorstyle, à titre subsidiaire, condamner la société Honda au paiement de la somme de 862 700 euro au titre de la rupture brutale et abusive d'un contrat de concession de plus de 26 ans, celle de 707 000 euro au titre de la perte de la valeur de son fonds de commerce, celle de 500 000 euro au titre du détournement de clientèle, ordonner la reprise du stock de pièces détachées Honda à la valeur comptable certifiée, soit la somme de 385 000 euro HT (460 460 euro TTC), débouter la société Honda de sa demande de condamnation de la société Motorstyle au paiement de la somme de 28 600 euro titre de clause pénale pour non dépose de l'enseigne après la résiliation du contrat, débouter la société Honda de sa demande de voir fixer l'astreinte pour non dépose de l'enseigne à la somme de 500 euro par jour de retard passé le 8e jour de la signification de la décision à intervenir, dire et juger que l'accès de la société Motorstylc aux fiches techniques du site Honda sera autorisé jusqu'à ce qu'une décision définitive ait tranché la mise en place d'un préavis de 24 mois sollicité par la société Motorstyle, qu'il n'y aura pas lieu à compensation entre la créance de la société Honda telle qu'elle aura été admise au passif de la société Motorstyle et les sommes auxquelles elle serait condamnée au titre de la décision à intervenir, pour défaut de connexité et, enfin, condamner la société Honda au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Honda Motor Europe Ltd le 20 février 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a omis dans son dispositif de statuer sur l'accès aux fichiers techniques du fabricant, accueillir sur ce point la société Honda Motor Europe Ltd en son appel incident et, ce faisant, dire et juger que la société Motorstyle ne disposant plus de l'usage de la marque Honda, ne peut être autorisée à conserver l'accès aux fichiers techniques du fabricant, condamner la société Motorstyle à payer à la société Honda Motor Europe Ltd la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour, ainsi qu'aux entiers dépens, très subsidiairement, et au cas où par impossible, la cour croirait devoir infirmer en toute ou partie le jugement entrepris et entrer en voie de condamnation à l'encontre de la Société Honda, ordonner la compensation entre ces éventuelles condamnations et la créance déclarée et admise de la société Honda à hauteur dc 91 929,88 euro;

Sur ce,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Motorstyle exerce une activité de vente et réparation de motos, en tant que concessionnaire et distributeur de la marque Honda. A ce titre, elle a conclu avec la société Honda Motor Europe (ci-après Honda), société de droit britannique, plusieurs contrats, le dernier en date du 2 janvier 2012, devant s'achever le 31 décembre 2016.

Au 1er février 2012, Motorstyle s'est trouvée débitrice envers son fournisseur de la somme de 131 681,21 euro. Aux termes de différents courriers, des modalités de règlement ont été envisagées sans qu'un accord ne soit trouvé.

Le 11 avril 2012, le Tribunal de commerce de Créteil a mis Motorstyle, à sa demande, sous sauvegarde de justice. Le 22 mai 2012, Honda déclarait une créance de 138 365,37 euro et appelait la caution de 45 000 euro fournie par Motorstyle auprès de la banque Crédit du Nord le 6 février 2007.

Par courrier du 25 juin suivi d'une lettre recommandée avec accusé de réception du 26 juillet 2012 valant mise en demeure, Honda a demandé à Motorstyle la constitution d'une nouvelle caution bancaire, à fournir sous trois mois, dont elle fixait le montant à 100 000 euro en application de l'article 3.19 du contrat. Dans cette attente, elle réclamait un chèque d'acompte de 12 000 euro pour couvrir les commandes de pièces détachées. A défaut, elle indiquait qu'elle mettrait fin aux relations contractuelles, conformément à l'article 21 du contrat.

Le 12 juillet 2012, Motorstylc proposait un dépôt de garantie de 4 000 euro et une facturation à quinzaine pour les pièces détachées. Elle proposait au concédant de régler les motos par chèque à la commande et contestait la fixation d'une caution supplémentaire, dès lors qu'il en existait déjà une au Crédit du Nord et qu'elle n'était pas en mesure d'en fournir une autre. Elle réitérait cette proposition le 2 août 2012.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 octobre 2012, Honda notifiait à Motorstyle que la mise en demeure relative à la fourniture de la caution bancaire arrivait à son terme le 26 octobre 2012 et rappelait qu'elle mettrait fin aux relations contractuelles, à défaut de régularisation à cette date.

Par courrier du 20 octobre 2012, la société Motorstyle s'opposait une nouvelle fois à la demande de fourniture d'une caution bancaire de 100 000 euro et estimait que les conditions de résiliation du contrat n'étaient pas réunies. Honda procédait à la résiliation du contrat avec effet immédiat le 12 novembre 2012, ce que contestait Motorstyle le 14 novembre. L'administrateur dc Motorstyle notifiait le 14 novembre 2012 à Honda la poursuite du contrat, en application de l'article L. 622-13 du code de commerce.

Par ordonnance du tribunal de commerce du 20 février 2013, le Crédit du Nord était condamné à honorer son engagement de caution au profit de Honda à hauteur de 45 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure de payer du 27 août 2012.

Par jugement du 21 février 2013, le Tribunal de commerce de Paris, saisi le 22 novembre 2012 par Motorstyle de la poursuite du contrat jusqu'à l'homologation du plan de continuation et d'une demande d'octroi d'un préavis de 24 mois à compter de cette date, pour rupture brutale des relations commerciales, se déclarait incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Paris, du fait de l'existence d'une clause attributive de compétence.

Le 24 juillet 2013, le Tribunal de commerce arrêtait le plan de sauvegarde de Motorstyle.

Par ordonnance du 16 avril 2013, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris ordonnait à Honda de permettre à Motorstyle l'accès aux fiches techniques constructeur.

Le 1er aout 2013, Honda mettait en demeure Motorstyle de déposer ses enseignes.

Motorstyle s'y opposait.

Dans le jugement présentement entrepris, le tribunal de grande instance a estimé que la société Motorstyle avait commis un manquement aux obligations contractuelles, en refusant de souscrire la caution sollicitée, d'une gravité suffisante pour justifier la rupture du contrat sans préavis. Il l'a donc déboutée de ses demandes.

Considérant que la Société appelante rappelle que les contrats en cours ne peuvent être résiliés du seul fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, le co-contractant devant remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture ; qu'aucun "manquement" ne lui est imputable et qu'il s'agit d'une rupture brutale du contrat; qu'en effet, la demande de mise en place d'un cautionnement bancaire complémentaire, inutile puisqu'elle était astreinte à une obligation de paiement comptant, démontrerait la mauvaise foi de la société intimée ;

Considérant que l'intimée soutient que le contrat n'a nullement été résilié du fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, mais simplement en raison de l'inexécution, par la société appelante, d'une obligation contractuelle essentielle ; qu'il s'agit donc d'une résiliation conventionnelle ; qu'elle prétend que le refus de fourniture d'une nouvelle caution de la société Motorstyle constituerait un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture avec effet immédiat des relations contractuelles ; qu'elle réfute donc l'argument selon lequel le paiement comptant à la livraison dispenserait la société Motorstyle de la fourniture d'une caution ; qu'elle refuse la reprise des relations contractuelles, soulignant qu'elle ne pourrait se voir contrainte â renouer les liens du contrat, une telle mesure étant contraire au principe de la liberté contractuelle ; que la société Motorstyle se trouve dans l'obligation de déposer les panneaux et enseignes de la marque Honda, et qu'elle ne peut être autorisée à avoir accès au fichier technique du fabricant ;

Considérant que, selon l'article 3.19 du contrat, et à la demande du concédant, le concessionnaire lui remettra ou remettra à l'organisme financier désigné par le concédant un ou plusieurs cautionnements bancaires dont le montant sera déterminé par le concédant en fonction de l'engagement de vente souscrit par le concessionnaire (..). La remise de ce ou ces cautionnements constitue une condition essentielle du présent contrat dont le non-respect pourra justifier sa résiliation avec effet immédiat et sans indemnité " ; qu'en vertu de l'article 22.1 du même contrat, tout manquement du concessionnaire à l'une quelconque de ses obligations entraînera la résiliation du contrat, avec effet immédiat, par l'envoi d'une lettre recommandée avec demande d'accusé de réception du concédant ; que l'article précise qu' "en cas de manquement susceptible d'être réparé, le concédant n 'exercera son droit de résiliation qu'à l'issue d'un délai de 30 jours à compter de la réception par le concessionnaire d'une fuse en demeure par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception restée sans effet " ;

Considérant, en l'espèce, que la société Honda a demandé à la société Motorstyle d'obtenir une caution bancaire par courrier du 25 juin 2012 et, ce, avant le 31 juillet2012 ; que le 26 juillet 2012, la société Honda a mis en demeure la société Motorstyle de lui fournir sous trois mois la caution bancaire ; que le délai ayant expiré le 27 octobre 2012 sans aucune régularisation de la situation, la société Honda a pu se prévaloir de la résiliation du contrat avec effet immédiat, par courrier du 12 novembre 2012 ;

Considérant que la société Motorstyle soutient vainement que le contrat ne pouvait être résilié alors qu'elle avait été placée en sauvegarde de justice, cette situation n'empêchant nullement le contrat d'être exécuté formellement à ses prévisions et d'être résilié en cas de non-exécution des obligations mises à sa charge; que la mauvaise foi de la Société Honda n'est pas démontrée par la société Motorstyle, celle-ci s'étant rendue responsable, à l'égard du concédant, de nombreux impayés non régularisés dès janvier 2012 et ayant refusé de constituer une caution, alors même que la caution bancaire de 45 000 euro, déjà souscrite, avait été mobilisée pour couvrir une partie de ses dettes ; que ce montant de 100 000 euro ne paraît pas disproportionné au regard des impayés de la société Motorstyle et, compte tenu de la situation financière obérée du concessionnaire, la non constitution de la caution, à la demande du concédant, constitue bien un manquement à une obligation essentielle du contrat ; que le paiement comptant ne saurait constituer une garantie équivalente à la caution, compte tenu des décalages pouvant exister entre la livraison et le paiement effectif ; qu'il y a lieu de rejeter la demande de la société Motorstyle pour rupture brutale des relations commerciales et de confirmer le jugement entrepris ;

Considérant que la société Motorstyle ne démontre pas que la société Honda se serait rendue coupable de détournement de clientèle, la circonstance que cette société ait adressé aux propriétaires de motos Honda un courrier leur notifiant que la société Motorstyle n'assurait plus la représentation de la marque Honda, ne pouvant constituer un procédé déloyal ; que, par ailleurs, il n'est pas démontré de détournement de fichiers de la société Motorstyle par des manœuvres illicites ;

Considérant qu'aucune disposition contractuelle n'impose la reprise des stocks par le concédant ; que cette demande sera donc rejetée

Considérant que la société Motorstyle ne donne à la cour aucun élément susceptible de justifier qu'elle soit dispensée du paiement de la clause pénale ; que cette demande sera donc également rejetée ;

Considérant enfin qu'il y a lieu de réparer une omission du jugement entrepris ; qu'en effet, le président du Tribunal de grande instance de Paris a, par ordonnance du 16 avril 2013, ordonné à la société Honda de permettre un accès à ses fiches techniques relatives aux pièces détachées, afin que Motorstyle puisse assurer le service après-vente des motos Honda vendues ; qu'aujourd'hui, le contrat étant résilié depuis plus de deux ans et demi, il n'y a pas lieu, pour la société Motorstyle, de conserver ces fichiers, qui devront donc être restitués à Honda ;

Par ces motifs, - confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, - enjoint à la société Motorstylc de restituer à Honda Motor Europe les fichiers techniques du fabricant, - ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective, - fixe à la somme de 10 000 euro la créance de la société Honda Motor Europe au passif de la société Motorstyle, au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.