Livv
Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 3 décembre 2015, n° 14-00284

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gem lunetterie (SAS)

Défendeur :

Inbaraj

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaget

Conseillers :

Mmes Clement, Rosnel

Avocats :

SCP Aguiraud, Nouvellet, Selarl Robert, Associés, Selarl Dana, Associés, Selarl MB & Associés

TGI Bourg-en-Bresse, ch. civ., du 25 nov…

25 novembre 2013

Vu le jugement en date du 25 novembre 2013 du Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse qui prononce la résiliation du contrat d'agent commercial liant Sagaya Inbaraj et la société Gem Lunetterie, qui condamne cette société à verser à Sagaya Inbaraj les sommes de 2 000 euro et 50 000 euro à titre de dommages et intérêts conformément à l'article L. 134-13 du Code de commerce et qui déboute Sagaya Inbaraj de ses autres demandes ;

Vu l'appel régulièrement formé par la société Gem Lunetterie le 13 janvier 2014 ;

Vu les conclusions en date du 20 novembre 2014 par lesquelles la société Gem Lunetterie tend à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Sagaya Inbaraj de ses demandes de communication de pièces et au titre du paiement des commissions et à sa réformation en ce qu'il a alloué à Sagaya Inbaraj la somme de 2 000 euro pour manquement à l'obligation d'assistance et la somme de 50 000 euro au titre de la rupture du contrat d'agent commercial ;

Vu les mêmes conclusions par lesquelles la société Gem Lunetterie demande à la cour :

- à titre principal :

1) de dire que Sagaya Inbaraj ne peut prétendre ni à des dommages et intérêts ni à une indemnité de rupture, ce dernier ayant résilié son contrat de manière unilatérale ;

- à titre subsidiaire :

2) de dire que Sagaya Inbaraj a commis une faute grave exclusive d'une indemnité de rupture du contrat d'agent commercial

- à titre très subsidiaire :

3) de dire que Sagaya Inbaraj ne peut prétendre qu'à une somme représentant au maximum 10 % du montant des deux dernières années de commissions au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial ;

Vu les conclusions en date du 23 octobre 2014 par lesquelles Sagaya Inbaraj tend à la réformation du jugement aux motifs que la société Gem Lunetterie a commis des manquements envers lui et qu'elle est à l'origine de la résiliation du mandat ;

Vu les mêmes conclusions par lesquelles Sagaya Inbaraj demande à la cour :

- à titre principal :

1) de prononcer la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société Gem Lunetterie ;

2) de condamner la société à lui verser la somme de 150 000 euro au titre de l'indemnité compensatrice du fait de la résiliation de son contrat d'agent commercial ;

3) de condamner la société Gem à lui communiquer sous astreinte l'ensemble des états de facturation et paiement pour les années 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011 ;

4) de condamner la société Gem à lui verser la somme de 5 000 euro pour manquement à l'obligation d'assistance ;

5) de condamner la société Gem à lui verser la somme de 115 240,40 euro au titre des commissions restant dues au titre des années 2007 à 2010 outre intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2011 ;

6) de condamner la société à lui verser la somme de 28 750 euro au titre des commissions restant dues au titre de l'année 2011 outre intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2011 ;

- à titre subsidiaire :

7) de désigner un expert aux frais exclusifs de la société Gem

- en tout état de cause :

8) de condamner la société Gem à lui verser les sommes de 10 000 euro pour préjudice moral et 5 000 euro pour préjudice d'image et de crédibilité professionnelle ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 9 décembre 2014.

Décision

1. La société Gem Lunetterie (ci-après dénommée Gem) a pour activité l'achat, la fabrication et la vente d'articles de lunetterie et d'accessoires optiques. Cette société a conclu un contrat d'agent commercial avec Sagaya Inbaraj en 2007. Il était déjà employé de Gem depuis 2003 en tant que salarié représentant exclusif.

2. Sagaya Inbaraj a estimé que la société Gem n'avait pas respecté ses obligations et l'a assignée en paiement des arriérés de commissions pour les années 2007 à 2011 et en résiliation de son contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société Gem.

Sur la communication de pièces :

3. Sagaya Inbaraj sollicite de la cour la condamnation de la société Gem à lui transmettre les états de facturation pour les années 2007, 2008, 2009, 2010, et 2011 sous astreinte. Mais la cour constate que Sagaya Inbaraj est bien en possession de ces pièces puisqu'il sollicite de la cour un complément de commissions au titre de ces années et qu'il produit lui-même la lettre de la société Gem lui transmettant celles-ci pour les années 2007 à 2009. Cette demande mal fondée est donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Sur l'obligation d'assistance et d'information :

4. Sagaya Inbaraj soutient que la société Gem a manqué à son obligation d'information en lui communiquant tardivement les états de facturation, lui ayant causé un préjudice, notamment lié à la désorganisation de son travail et à l'incertitude de sa rémunération. Il soutient également que la société Gem a manqué à son obligation d'assistance telle qu'elle résulte des articles 7 et 8 du contrat d'agent commercial car elle ne lui a pas transmis les échantillons des nouvelles collection lui permettant de posséder un inventaire à jour.

5. De son côté, la société Gem soutient que si en effet, elle a connu des retards dans la transmission des états de facturation, ceux-ci n'ont pas causé de préjudice à Sagaya Inbaraj. Elle soutient encore qu'elle n'a pas manqué à son obligation d'assistance concernant les échantillons car il appartenait à l'agent commercial de se déplacer pour se procurer les échantillons nécessaires à son activité.

6. La cour constate d'abord qu'au titre de la fourniture des échantillons, aucune pièce versée au débat, pas même le contrat d'agent commercial, ne permet de déterminer si Sagaya Inbaraj devait se déplacer pour retirer les échantillons ou si à l'inverse, il reposait sur la société Gem une obligation d'expédition de ces échantillons. Il est en revanche établi que la société Gem avait mis à disposition de Sagaya Inbaraj les échantillons et celui-ci ne démontre pas en quoi la seule mise à disposition contrevient aux articles 7 et 8 du contrat. En conséquence, la demande à ce titre est rejetée comme mal fondée et le jugement confirmé sur ce point.

7. En ce qui concerne les états de facturation, la société Gem reconnaît dans ses écritures qu'elle a envoyé tardivement à plusieurs reprises ces états de facturation. La cour constate qu'une telle pratique, qui contrevient à l'obligation contractuelle d'information de la société Gem a inévitablement causé une désorganisation et une déstabilisation de l'activité de Sagaya Inbaraj qui ne pouvait avoir de certitude quant à sa propre rémunération et résultats. La cour fixe, comme l'a fait à bon droit le premier juge, le préjudice de Sagaya Inbaraj à la somme de 2 000 euro à ce titre. La société Gem est donc condamnée à payer la somme de 2 000 euro à Sagaya Inbaraj au titre du manquement à son obligation d'information, le jugement est confirmé sur ce point.

Sur le taux de commission de Sagaya Inbaraj et les arriérés de commissions :

8. Sagaya Inbaraj estime que la société Gem a modifié unilatéralement et sans droit son taux de commission. Il estime également que les tarifs applicables ne lui ayant pas été communiqués, ceux-ci lui étaient inopposables.

Sagaya Inbaraj soutient que des commissions lui restent dues au titre de son mandat commercial pour les années 2007 à 2011, pour un montant total de 115 240,40 euro pour les années de 2007 à 2011 et la somme de 28 750 euro pour l'année 2011.

9. Mais la cour constate que le contrat d'agent commercial stipulait expressément que le taux de commission de 23 % n'était applicable que pour la première année. Ce n'est donc pas en contrariété avec le contrat que la société Gem a appliqué, pour les années suivantes, un taux de commission de 17 %.

10. Mais comme l'a retenu à bon droit le premier juge, les versements de la société Gem au titre de la rémunération de Sagaya Inbaraj ont bien été effectués conformément aux facturations de Sagaya Inbaraj, et ce avec des taux de commissions parfois inférieurs à 23 %.

11. La cour, qui est suffisamment éclairée sur ce point par les pièces versées aux débats, constate que les arriérés réclamés par Sagaya Inbaraj correspondent en réalité non pas à des manquements de paiement mais à la différence de montant des commissions calculées avec le taux de 23 % au lieu de 17 %, qui était appliqué par la société Gem mais également par l'agent commercial qui n'a pas renégocié ce taux lors de sa période d'activité. La cour ne fait donc pas droit à la demande de désignation d'un expert.

12. En conséquence, et comme l'a retenu à bon droit le premier juge, la demande de Sagaya Inbaraj au titre des arriérés de paiement qui ne correspond pas à un défaut de paiement de la part de la société Gem mais à un delta fondé sur des taux de commissions acceptées par les parties lors de la période d'activité doit être rejetée comme mal fondée. Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur la résiliation du contrat d'agent commercial :

13. Sagaya Inbaraj soutient que la société Gem a commis des fautes contractuelles directement à l'origine de la rupture du contrat d'agent commercial. Il estime donc être en droit d'obtenir réparation du préjudice lié à cette rupture conformément à l'article L. 134-13 du Code de commerce. Sagaya Inbaraj qui expose qu'il souhaitait la poursuite de son activité avant le litige, dans la mesure où il ne demandait pas, à l'origine, devant le tribunal la résiliation de son contrat mais uniquement le paiement d'arriérés. Sagaya Inbaraj réclame à ce titre la somme de 150 000 euro, correspondant à deux années de commissions.

14. De son côté, la société Gem soutient que Sagaya Inbaraj est déchu de son droit à réclamer cette indemnité, conformément à la prescription annale de l'article L. 134-2 du Code de commerce, dans la mesure où il n'a établi cette demande qu'au cours du mois de juin 2012 devant le tribunal alors que le contrat avait déjà été résilié début 2011 dans la mesure où il n'avait plus travaillé pour la société à partir de cette date.

La société Gem soutient encore qu'elle n'est pas à l'origine de la résiliation dans la mesure où le défaut de transmission des états de facturation n'est pas une cause déterminante du mandat d'agent commercial et ne peut entrainer la rupture de celui-ci. Elle expose encore que Sagaya Inbaraj a également commis des fautes en appliquant des tarifs trop bas et car il travaillait en réalité, à partir de 2011, pour une société concurrente.

15. La cour constate d'abord que la résiliation du contrat a été prononcée judiciairement, c'est donc par le jugement que le contrat a été résilié, et non antérieurement comme le soutient la société Gem. De ce fait, la prescription prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce n'était pas acquise. Sagaya Inbaraj n'était pas déchu de son droit de formuler cette demande et n'est donc pas à l'origine de la rupture.

16. La cour constate ensuite que si en effet la faute de la société Gem n'est pas déterminante de la rupture du contrat, cet élément ne permet pas d'exclure le droit à une indemnité compensatrice dont le versement n'est pas subordonné à une faute déterminante du mandant mais à la simple rupture du mandat. En conséquence, la réparation de la résiliation est indépendante de la réparation pour la faute contractuelle.

17. La cour constate encore que la société Gem n'apporte pas la preuve que Sagaya Inbaraj travaillait pour une société concurrente. Le constat d'huissier versé aux débats le démontre. Cette société ne rapporte pas davantage la preuve que Sagaya Inbaraj a commis une faute grave permettant d'exclure l'indemnité compensatrice qui est donc due pleinement. Le jugement est confirmé sur ce point.

18. L'indemnité compensatrice correspond, comme le soutient à bon droit Sagaya Inbaraj, à deux années de commissions au regard des trois dernières années d'activité. L'année 2011 n'étant pas complète en raison du litige, la cour se base sur les années 2008, 2009 et 2010 au cours desquelles Sagaya Inbaraj a perçu respectivement les sommes de 91 000 euro, 43 000 euro et 47 000 euro, soit un total de 181 000 euro, soit une moyenne annuelle de 60 333 euro. La cour alloue donc la somme de 120 666 euro à Sagaya Inbaraj au titre de l'indemnité compensatrice suite à la rupture de son mandat d'agent commercial. Le jugement est reformé sur ce point.

Sur les autres préjudices de Sagaya Inbaraj :

19. La cour constate que Sagaya Inbaraj ne rapporte ni la preuve d'un préjudice moral, ni la preuve d'un préjudice de crédibilité professionnelle. Ces demandes mal fondées sont rejetées. Le jugement est confirmé sur ce point.

20. L'équité commande d'allouer la somme de 5 000 euro à Sagaya Inbaraj au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

21. La société Gem Lunetterie qui perd au principal, en appel, est condamnée aux dépens de cette procédure.

Par ces motifs, LA COUR, - confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse en date du 25 novembre 2013 sauf en ce qu'il a limité l'indemnité compensatrice à la somme de 50 000 euro ; - statuant à nouveau sur ce point : - condamne la société Gem Lunetterie à verser la somme de 120 666 euro à Sagaya Inbaraj au titre de l'indemnité compensatrice de rupture du mandat commercial ; - déboute les parties du surplus de leurs demandes ; - condamne la société Gem Lunetterie à verser la somme de 5 000 euro à Sagaya Inbaraj au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; - condamne la société Gem Lunetterie aux dépens de l'appel, - autorise les mandataires des parties qui en ont fait la demande à les recouvrer aux formes et conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.