CA Riom, 3e ch. civ. et com., 18 novembre 2015, n° 14-01388
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Matex (SARL)
Défendeur :
Dupuy (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Riffaud
Conseillers :
MM. Juillard, Bochereau
Avocats :
Mes de Rocquigny, Sabatini
Exposé du litige
Par acte sous seing privé en date du 15 octobre 2012, M. Pascal Dupuy et Mme Florence Roy épouse Dupuy ont passé commande auprès de la SARL Matex, exerçant sous l'enseigne Cuisine Plus, de la fourniture et la pose d'une cuisine aménagée, au prix de 12 800 euro, la livraison étant prévue début mars 2013. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 22 novembre 2012, les époux Dupuy ont fait savoir à la société Matex qu'ils souhaitaient annuler leur commande et sollicitaient la restitution de l'acompte versé à hauteur de la somme de 4 000 euro.
Exposant que malgré diverses demandes amiables, le professionnel refusait de restituer l'acompte perçu, les époux Dupuy ont fait assigner la SARL Matex devant le Tribunal d'instance de Montluçon par acte du 25 février 2014, aux fins d'obtenir la résiliation du bon de commande aux torts exclusifs de la défenderesse, et sa condamnation au paiement des sommes suivantes :
- 4 000 euro en remboursement de l'acompte versé,
- 3 000 euro pour résistance abusive et préjudice moral,
- 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par jugement du 21 mai 2014 le tribunal a :
- annulé la vente du 15 octobre 2012,
- condamné la SARL Matex à payer à M. Pascal Dupuy et Mme Florence Roy épouse Dupuy les sommes suivantes :
* 4 000 euro à titre de restitution des sommes indûment perçues,
* 500 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
* 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties.
Par déclaration du 13 juin 2014 la SARL Matex a relevé appel de cette décision.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 23 juillet 2015.
Dans ses dernières conclusions, notifiées le 20 juillet 2015, la SARL Matex sollicite l'infirmation totale du jugement entrepris, le rejet de l'ensemble des prétentions adverses et la condamnation des époux Dupuy à lui payer la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de la société Collet - de Rocquigny - Chantelot - Brodiez & Associés.
Elle avance que les dispositions de l'article L. 122-3 du Code de la consommation invoquées par ses adversaires ne sont pas applicables puisque l'opération litigieuse n'est pas une vente forcée dans la mesure où ses clients ont discuté, avant la remise du chèque, des conditions de l'opération et étaient parfaitement au fait de ce qu'ils avaient commandé, quand bien même le bon de commande n'aurait été formalisé qu'ultérieurement. Elle considère que le contrat conclu est donc parfaitement valable.
Elle ajoute que la remise du chèque de 4 000 euro ne constitue pas un paiement immédiat ou différé mais un simple acompte sur le prix, étant en outre précisé que la remise d'un chèque ne peut valoir paiement que sous réserve de son encaissement, lequel encaissement est intervenu en l'espèce après la signature du bon de commande.
Aux termes de leurs dernières écritures, notifiées le 22 juillet 2015, les époux Dupuy sollicitent la confirmation du jugement, outre la condamnation de la SARL Matex à leur payer la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Ils maintiennent que la SARL Matex a exigé un chèque d'acompte pour " bloquer une promotion " avant la signature du bon de commande, que le vendeur a donc manqué à son obligation d'information prévue par l'article L. 111-1 du Code de la consommation, et que la pratique consistant à se faire remettre un chèque d'acompte sans signature d'un bon de commande préalable est constitutive d'une vente forcée au sens de l'article L. 122-3 du Code de la consommation, cet article ne distinguant pas selon qu'il y ait eu ou non discussion préalable.
Ils ajoutent que l'acompte de 4 000 euro formalisait bien une vente ferme et définitive et que, lors de la réception de ce chèque, le bon de commande n'avait pas été signé. Ils insistent sur le fait que ce chèque a bien été encaissé, de sorte que le paiement est effectif et doit à tout le moins être considéré comme un paiement différé également prohibé par le même texte.
Motifs de la décision
Sur la nullité de la vente
Attendu que l'article L. 122-3 du Code de la consommation dispose : " il est interdit d'exiger le paiement immédiat ou différé de biens ou de services fournis par un professionnel ou, s'agissant de biens, d'exiger leur renvoi ou leur conservation, sans que ceux-ci aient fait l'objet d'une commande préalable du consommateur.
Le premier alinéa du présent article s'applique aux contrats portant sur la fourniture d'eau, de gaz ou d'électricité lorsqu'ils ne sont pas conditionnés dans un volume délimité ou en quantité déterminée ainsi que sur la fourniture de chauffage urbain et de contenu numérique non fourni sur support matériel.
La violation de cette interdiction est punie des peines prévues aux articles L. 122-12 à L. 122-14.
Tout contrat conclu consécutivement à la mise en œuvre de la pratique commerciale illicite visée au premier alinéa du présent article est nul et de nul effet.
Le professionnel doit, en outre, restituer les sommes qu'il aurait indûment perçues sans engagement exprès et préalable du consommateur. Ces sommes sont productives d'intérêts au taux légal calculé à compter de la date du paiement indu et d'intérêts au taux légal majoré de moitié à compter de la demande de remboursement faite par le consommateur " ;
Attendu que ce texte n'est pas limité à l'hypothèse des envois forcés puisqu'au contraire il distingue bien entre, d'une part, les biens et services payés avant la commande et, d'autre part, les bien envoyés avant toute commande ; Que ce texte ne distingue en revanche pas selon qu'il y ait eu ou non discussion préalables entre les parties ; Qu'il appartient au professionnel qui reçoit un paiement de démontrer que ce dernier l'a bien été en fonction d'une commande formalisée, laquelle se prouve en principe par la production d'un bon de commande signé du client ; Qu'en revanche, la circonstance, d'ailleurs non contestée par les époux Dupuy, qu'un préposé de la SA Matex se soit rendu à leur logement pour prendre des mesures concernant la cuisine commandée ne saurait suffire à établir que les intéressés étaient ainsi parfaitement avisés des caractéristiques et du prix du bien qu'ils envisageaient d'acquérir et ainsi que les parties avaient pu se mettre d'accord sur la chose et sur le prix ; Que le texte précité est donc parfaitement applicable au cas d'espèce ;
Attendu à cet égard que le premier juge a justement relevé que le bon de commande a été signé par M. Dupuy le 15 octobre 2012 alors que les époux Dupuy indiquent avoir remis un chèque d'acompte de 4 000 euro le 13 octobre 2012 à la SARL Matex, soit antérieurement à la signature du bon de commande ; que ce fait était confirmé par la mention manuscrite portée sur le bon de commande in fine et par l'échange de correspondance entre les parties, en particulier un courrier du directeur de la SARL Matex adressé le 5 janvier 2013 à l'association de consommateur consultée par les époux Dupuy : " il y a bien eu commande préalable du client même si celle-ci n'a été formalisée que le surlendemain ", " si le client n'a pas signé le document contractuel le jour même, c'est simplement parce qu'il n'avait pas le temps d'attendre l'impression ", " la remise du chèque n'est que l'expression de sa volonté de contracter ", " la situation ayant été régularisée par le client, il ne semble pas y avoir lieu de faire application de l'article L. 122-3 du Code de la consommation " ; Que la SA Matex maintient aujourd'hui dans ses écritures que la chronologie est bien celle retenue par le tribunal d'instance ;
Attendu que l'existence - reconnue - de discussions préalables ne dispense cependant pas le professionnel de respecter le texte d'ordre public précité et de formaliser un bon de commande permettant au consommateur d'être pleinement informé des caractéristiques du bien qu'il entend acquérir avant tout paiement de nature à forcer son consentement ; Que, s'il était bien prévu que les clients reviennent signer un bon de commande, rien n'empêchait la SA Matex d'attendre ce nouveau rendez-vous pour recevoir un chèque d'acompte ;
Attendu à cet égard que la remise d'un chèque d'acompte constitue bien un paiement au sens de l'article L. 122-3 précité qui n'exige pas que le paiement incriminé soit un paiement intégral ; Que, si la remise d'un chèque ne vaut paiement que sous condition de son encaissement, dès lors qu'il est établi qu'il a bien été encaissé, l'effet de la condition doit nécessairement rétroagir à la date d'émission du chèque et de sa remise au professionnel ; Qu'en l'espèce, il est constant que le chèque d'acompte de 4 000 euro a bien été encaissé, certes postérieurement à la signature du bon de commande, mais le paiement doit bien être regardé comme ayant été fait le 13 octobre 2012, soit antérieurement à la signature du bon de commande correspondant ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments que le professionnel a bien perçu un paiement immédiat du consommateur, sans commande préalable de ce dernier ; Que le premier juge a justement relevé que les raisons invoquées par la SARL Matex sont à cet égard inopérantes, les dispositions du Code de la consommation étant précisément édictées pour éviter la perception d'un acompte par le vendeur ou le fournisseur de service sans avoir auparavant passé une commande et qu'aucun élément objectif ne vient confirmer le fait que les époux Dupuy auraient en réalité passé commande de la cuisine dès le 13 octobre 2012 et en en connaissant alors toutes les caractéristiques ;
Que c'est donc à bon droit que le tribunal a fait application à la présente espèce des dispositions de l'article L. 122-3 précité ; qu'il sera donc confirmé en ce qu'il a prononcé l'annulation de la vente du 15 octobre 2012 et condamné le professionnel au remboursement de la somme de 4 000 euro ;
Sur les autres demandes
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 32-1 du Code de procédure civile que l'exercice d'une action en justice, ou la défense à une telle action constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équivalente au dol ; Que l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute au sens de ce texte ;
Attendu en l'espèce que la société Matex, professionnelle de la vente de cuisines, ne peut prétendre avoir ignoré les dispositions protectrices du Code de la consommation édictées dans un domaine qu'elle pratique à titre habituel ; Que son attention a été attirée à plusieurs reprises sur l'irrégularité des conditions de la vente par les époux Dupuy, leur avocat et une association de consommateur ; Que la SARL Matex a d'ailleurs proposé un "report de la commande" et une restitution d'une partie de l'acompte ; Qu'il apparaît ainsi que le professionnel avait ou aurait dû avoir connaissance de l'irrégularité de la vente, et qu'il a persisté dans sa démarche tendant à la maintenir malgré l'illicéité des conditions de sa conclusion ; Que cette résistance du professionnel, dépassant la simple erreur sur l'étendue et la portée de ses droits, apparaît abusive au sens du texte précité et a nécessairement causé un préjudice aux époux Dupuy dont le premier juge a justement évalué la réparation à la somme de 500 euro ;
Attendu que la SARL Matex succombe à l'instance ; Qu'elle supportera la charge des dépens de première instance et d'appel ainsi que celle des frais mentionnés à l'article 700 du Code de procédure civile qu'il apparaît conforme à l'équité de fixer à la somme de 1 500 euro au titre des frais exposés en cause d'appel, la somme allouée de ce chef en première instance méritant par ailleurs confirmation ;
Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement rendu le 21 mai 2014 par le tribunal d'instance de Montluçon en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la SARL Matex à payer à M. Pascal Dupuy et Mme Florence Roy épouse Dupuy la somme de 1 500 euro au titre des frais exposés non compris dans les dépens exposés en cause d'appel, Condamne la SARL Matex aux dépens d'appel, Déboute les parties du surplus de leurs demandes.