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Décisions

CA Nouméa, ch. civ., 7 juin 2012, n° 11-00319

NOUMÉA

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Enoka (ès qual.)

Défendeur :

BR Ameublement (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Amaudric du Chaffaut

Conseillers :

MM. Billon, Lafargue

Avocats :

Selarl B. - D., Selarl Juriscal

TPI Nouméa, du 2 mai 2011

2 mai 2011

Procédure de première instance

Le 23 novembre 2007, M. Théodore E. a acquis plusieurs meubles dont un meuble destiné à supporter une télévision à la société BR Ameublement qui a procédé à l'installation des meubles au domicile des époux E.

L'enfant Joseph E., âgé de 15 mois, est décédé le 1er décembre 2007, après que la télévision et le meuble qui la supportait soient tombés sur lui le 29 novembre 2007.

Une enquête pénale été réalisée sans que des poursuites n'aient été engagées.

' Par requête déposée au greffe le 16 septembre 2009, M. Théodore E. a assigné la SARL BR Ameublement devant le Tribunal de première instance de Nouméa.

' Par jugement du 2 mai 2011, auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure et des moyens des parties, le Tribunal de première instance de Nouméa a statué ainsi qu'il suit :

- Vu les articles 1386-4 et 1386-13 du Code civil ;

- Dit que le meuble support de télévision installé par la société BR Ameublement présentait une instabilité qui n'offrait donc pas la sécurité qu'étaient en droit d'attendre M. Théodore E. et Mme Tiaha U. ;

- Dit que le manque de sécurité né de l'instabilité du meuble support de la télévision a concouru à hauteur de la moitié du dommage causé à la société BR Ameublement ;

- Dit que M. Théodore E. a commis une faute lors de l'installation de la télévision sur le meuble support en ne vérifiant pas l'étendue de la stabilité de l'ensemble ;

- Dit que la faute de M. Théodore E. a concouru à hauteur de la moitié du dommage causé à Joseph E. ;

- Fixe et évalue à un million cinq cent mille de francs (1 500 000 F CFP) le préjudice moral subi par Mme Taiha U. ;

- Condamne la société BR Ameublement à payer sept cent cinquante mille francs (750 000 F CFP) à Mme Taiha U. en réparation du préjudice moral ;

- Fixe et évalue à un million de francs (1 000 000 F CFP) le préjudice moral subi par M. Théodore E. ;

- Condamne la société BR Ameublement à payer cinq cent mille francs (500 000 F CFP) à M. Théodore E. en réparation du préjudice moral ;

- Fixe et évalue à cinq cent mille francs (500 000 F CFP) le préjudice moral subi par M. Noha E. ;

- Condamne la société BR Ameublement à payer deux cent cinquante mille francs (250 000 F CFP) à M. Théodore E. ès qualités d'administrateur de M. Noha E. en réparation du préjudice moral ;

- Fixe et évalue à sept cent mille francs (700 000 F CFP) le préjudice moral subi par M. Gustave E. ;

- Condamne la société BR Ameublement à payer trois cent cinquante mille francs (350 000 F CFP) à Mme Taiha U. es-qualité d'administrateur légal de Gustave E. en réparation du préjudice moral ;

- Dit que M. Théodore E. et Mme Taiha U. justifieront dans le mois du versement des fonds de leur placement sur un compte sécurisé ouvert au nom de l'enfant au juge des tutelles près le Tribunal de première instance de Nouméa ;

- Dit qu'une copie du présent jugement sera transmis par le greffe au juge des tutelles compétent ;

- Condamne la société BR Ameublement à payer deux cent mille francs (200 000 F CFP) à M. Théodore E. en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamne la SARL BR Ameublement aux dépens de l'instance avec distraction au profit de la Selarl B. D. qui pourra les recouvrir directement contre la société BR Ameublement en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;

- Rejette toute autre demande.

Procédure d'appel

' Par requête du 16 juin 2011, les consorts E. ont interjeté appel du jugement qui ne leur avait pas encore été signifié.

Dans leur mémoire ampliatif d'appel déposé le 24 août 2011, complété par des écritures du 21 mars 2012, ils font valoir, pour l'essentiel :

- qu'en application des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil , le producteur ou importateur ou distributeur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit et que cette responsabilité s'applique à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ; que l'article 1386-4 du Code civil énonce de manière expresse qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et qu'il qu'en l'espèce le meuble acheté par M. et Mme E. était un meuble destiné à recevoir une télévision dont on peut raisonnablement attendre qu'il présente une stabilité suffisante pour supporter un téléviseur, sans basculer sous la moindre pression exercée sur une quelconque de ses parties ; que la dangerosité de ce meuble est évidente, ainsi que cela a été mis en lumière par l'enquête des services de police ;

- qu'il importe peu, que M. E. n'ait pas constaté l'instabilité du meuble lorsqu'il y a posé le poste de téléviseur car il était en droit de faire confiance à un distributeur qui a lui-même installé le meuble, en déplaçant ses employés à deux reprises et en procédant ainsi à l'installation en fonction de l'emplacement final du meuble ; qu'en conséquence, on ne saurait lui imputer pour moitié la responsabilité du dommage sur la base de l'article 1386-13 du Code civil ;

- que la société BR Ameublement ne saurait contester l'applicabilité des dispositions de l' article 1386-6 alinéa 2 du Code civil , au motif que le bien litigieux a été importé en Nouvelle Calédonie, laquelle n'est pas membre de la communauté européenne prévue par cet article, alors même que les dispositions de l'article 22 de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux prévoit expressément que la loi est applicable dans les territoires d'outre- mer et donc en Nouvelle Calédonie ;

- que la société BR Ameublement n'est pas plus fondée à soutenir que dans la mesure où le nom du fabricant du meuble en cause était connu des demandeurs ceux-ci ne seraient pas fondés à engager sa responsabilité en application des dispositions de l'article 1386-7 du Code civil ; qu'en effet, la société BR Ameublement qui est assimilée à un producteur en vertu des dispositions de l'article 1386-6 2° du Code civil ('Est assimilé à un producteur pour l'application du présent titre toute personne agissant à titre professionnel :..2°) qui importe un produit dans la communauté européenne en vue d'une vente, d'une location avec ou sans promesse de vente ou toute autre forme de distribution) n'est donc pas concernée par les dispositions de l'article 1387-7 du Code civil qui prévoient que :

" Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit bailleur ou du loueur assimilable au crédit bailleur ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur dans un délai de 3 mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée " ;

- subsidiairement, en application des dispositions de l'article 1386-18 du Code civil qui prévoient que les dispositions du titre quatrième Bis du Code civil, ayant trait à la responsabilité du fait des produits défectueux, " ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité ", et dans l'hypothèse où la Cour suivrait l'argumentation de la société BR Ameublement selon laquelle le meuble n'était affecté d'aucune défectuosité, l'appelant soutient que la responsabilité de la société reste engagée sur les fondements combinés de l'article 1383 selon lequel " chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence " et de l'article 1384 du Code civil en vertu duquel : " On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l'on a sous sa garde.(...) " ;

- qu'il est ainsi établi, notamment par le procès-verbal d'audition de M. B. Jean Paul, gérant de la société du 3 décembre 2007, que le meuble était instable, quand bien même les pieds avaient été posés à l'emplacement des marques faites par le constructeur, et qu'en conséquence la société BR Ameublement a commis, par négligence et par imprudence, une faute dans le montage du meuble litigieux qui est à l'origine de l'accident ;

- qu'en tout état de cause, une revalorisation des sommes allouées est nécessaire, à titre de réparation du préjudice moral subi à la suite du décès du jeune Joseph E.

En conséquence, les consorts E. demandent à la cour de statuer ainsi qu'il suit :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

* Dit que le meuble support de télévision installé par la société BR Ameublement présentait une instabilité qui n'offrait donc pas la sécurité qu'étaient en droit d'attendre M. et Mme E. ;

* Dit que le manque de sécurité né de l'instabilité du meuble support de télévision a causé le décès de Joseph E. en retenant la responsabilité de la société BR Ameublement;

- Réformant sur le surplus en ce qu'il a :

* Retenu la faute de M. Théodore E. ayant concouru à la moitié du préjudice causé à son fils ;

* Estimé les préjudices moraux de Mme U., M. E., Noah E. et Gustave E. respectivement à 1 500 000 F CFP, 1 000 000 F CFP, 500 000 F CFP et 700 000 F CFP ;

* Condamné la société BR Ameublement à verser les sommes de 750 000 F CFP, 500 000 F CFP, 250 000 F CFP et 350 000 F CFP respectivement à Mme U., M. E., Noah E. et Gustave E. au titre des préjudices susmentionnés ;

- Statuant à nouveau,

- Dire et juger que la responsabilité de la société BP Ameublement en application des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil, est exclusive ;

En conséquence :

- Condamner la société BR Ameublement à payer à M. et Mme E. la somme de 4 000 000 F CFP chacun à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

- Condamner la société BR Ameublement à payer à M. et Mme E. la somme de 2 000 000 F CFP, ès qualités de représentants légaux de leur fils mineur Noah, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;

- Condamner la société BR Ameublement à payer à Mme E. la somme de 2 000 000 F CFP, ès qualités de représentante légale de son fils mineur Gustave, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;

- Condamner la société BR Ameublement à payer à M. et Mme E. la somme de 400 000 F CFP au titre de l'article 700 du Code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;

- Condamner la société BR Ameublement en tous les dépens dont distraction au profit de la Selarl B.-D., avocats, sur ses affirmations de droit.

Par conclusions du 14 décembre 2011 et du 5 avril 2012, la S.A.R.L. BR Ameublement, qui forme un appel incident, fait valoir, pour l'essentiel :

- qu'à titre principal, l'irrecevabilité et le rejet des demandes formées à l'encontre de la société BR Ameublement sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, doit être constatée, au motif que, contrairement à ce que soutiennent les consorts E., il n'est nullement possible de considérer que la société BR Ameublement importe des produits de manière régulière au sein de la Communauté Européenne ; que la société BR Ameublement est située et a son siège en Nouvelle-Calédonie, laquelle n'est pas membre de la Communauté Européenne ; que la société BR Ameublement a acheté le meuble télévision en cause auprès d'une société M., sise en Malaisie, pour mettre en vente ce même meuble sur le Territoire de la Nouvelle-Calédonie, et non au sein de la Communauté Européenne et qu'il convient de préciser que la Nouvelle-Calédonie n'est plus un Territoire d'Outre-Mer depuis l'Accord de Nouméa, en date du 5 mai 1998 ; qu'on ne saurait, dans ces conditions, sachant que la société BR Ameublement n'importe nullement des biens dans la Communauté européenne, tenter de l'assimiler à un producteur, sans travestir voire modifier les dispositions de la loi du 19 mai 1998 ;

- que les dispositions de l'article 1386-7 du Code civil prévoient que la responsabilité du producteur doit prévaloir sur la responsabilité du vendeur : 'Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée' ; qu'en l'espèce, les consorts E. ont eu connaissance au cours de l'enquête pénale de l'identité réelle du producteur du meuble en cause, ainsi qu'il est démontré par les pièces versées aux débats en annexe de leur requête introductive, et qu'il leur appartenait dans ces conditions de diligenter leur action à l'encontre de la société M., et non à l'encontre de la société BR Ameublement ;

- qu'enfin, s'agissant de la demande subsidiaire des consorts E. tendant à retenir la faute de la société BR Ameublement sur le fondement des articles 1383 et 1384 du Code civil, rien ne permet d'établir que le meuble en cause a basculé du fait du mauvais positionnement des pieds, en dépit des déclarations de M. B. lors de son audition par les services de police ; que toutes les personnes qui ont eu accès à ce meuble avant ledit accident ont ainsi confirmé que ce dernier était stable, les consorts E. admettant dans leurs écritures que leur jeune enfant a quasiment été contraint de monter sur ledit meuble pour atteindre le téléviseur qui avait été placé bien en retrait ; qu'en conséquence aucune négligence ne peut être reprochée à la société BR Ameublement qui, en outre, n'ayant plus la garde de ce meuble au moment même de l'accident, ne saurait se voir reprocher une quelconque responsabilité sur le fondement de l' article 1384 du Code civil.

En conséquence, la société BR Ameublement demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :

- Recevoir les écritures de la société BR Ameublement, les dire justes et bien fondées ;

- Prendre acte de l'appel incident formé par la société BR Ameublement à l'encontre du jugement rendu le 2 mai 2011 n°11-498 et réformer ce dernier en toutes ses dispositions ;

- Constater que la société BR Ameublement exerce des activités de vente de meubles et non de production et/ ou de fabrication de meubles, qu'elle n'appose nullement sa marque ou autre signe distinctif sur les produits vendus, et qu'elle n'importe aucun meuble dans la Communauté Européenne de telle sorte qu'elle ne peut en aucune manière être assimilée à un producteur ;

- Constater également que l'identité du véritable producteur était connu des consorts E./U., puisqu'il s'agit de la société M., sise en Malaisie, les factures établies par ce producteur ayant été versées aux débats par les consorts E./ Draina eux-mêmes, en annexe de leur requête introductive d'instance ;

- Dire et juger, en conséquence, qu'il appartenait aux consorts E./ U. de diligenter leur recours en responsabilité du fait des produits défectueux à l'encontre de ce producteur dont l'identité était connue par ces derniers ;

Statuant à nouveau,

- Déclarer irrecevables les demandes formées par les consorts E./ U. à l'encontre de la société BR Ameublement, laquelle ne peut nullement revêtir la qualité de producteur ou être assimilée à ce dernier, ni même voir sa responsabilité engagée au titre des articles 1386-6 et 1386-7 du Code civil, lesquels lui sont inapplicables en l'espèce ;

- Mettre purement et simplement hors de cause la société BR Ameublement, laquelle ne peut être poursuivie, ni même voir sa responsabilité engagée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil ;

- Constater, en toutes hypothèses, qu'aucun défaut affectant le meuble télévision acheté par les consorts E./U. auprès de la société BR Ameublement n'a été objectivement et précisément établi ;

- Dire et juger en conséquence que la responsabilité de la société BR Ameublement ne peut être engagée sur la base des articles 1386-1 et suivants du Code civil ;

- Constater également qu'aucune faute, manquement ou négligence n'a été prouvée à l'encontre de la société BR Ameublement, laquelle ne peut voir sa responsabilité engagée au titre des articles 1382,1383 et 1384 alinéa 3 du Code civil ;

- Débouter ainsi, et en conséquence de tout ce qui précède, les consorts E./ U. en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre infiniment subsidiaire, et si par impossible la cour de céans entendait entrer en voie de condamnation à l'encontre de la société BR Ameublement :

- Confirmer le jugement rendu le 2 mai 2011 en ce qu'il a reconnu la responsabilité partielle de M. Théodore E. et en ce qu'il a fixé les indemnités pouvant être allouées en fonction de la jurisprudence actuelle des juridictions calédoniennes en pareille matière ;

- En toutes hypothèses, débouter les consorts E./U. du surplus de leurs demandes et dans l'hypothèse où l'intégralité de leurs prétentions serait rejetée, les condamner au paiement de la somme de 250.000 F CFP au titre de l'article 700 du Code de procédure civile de la Nouvelle Calédonie, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Selarl Juriscal.

La clôture et la fixation de la date de l'audience ont été fixées par ordonnances des 21 et 24 février 2012.

Motifs de la décision

Attendu que l'appel principal et l'appel incident, formés dans les délais légaux, sont recevables ;

Attendu que l'article 15 du Code de procédure civile de la Nouvelle Calédonie dispose que : " les parties doivent faire connaître en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense " ;

Attendu que le dépôt de conclusions récapitulatives par les consorts E. le 27 avril 2012, soit postérieurement à la date de clôture des débats fixée au 6 avril 2012 par l'ordonnance du magistrat de la mise en état du 24 février 2012, met l'adversaire dans l'incapacité d'y répondre; qu'en conséquence, ce dépôt doit être considéré comme tardif, le principe de la contradiction ne pouvant être assuré ;

Attendu en conséquence que les conclusions ainsi déposées doivent être écartées des débats ;

De la responsabilité du fait des produits défectueux prévue au titre IV bis du livre III du Code civil

Attendu que les consorts E. fondent leur action et leurs demandes, à titre principal, sur les articles 1386-6 et suivants du Code civil, lesquels concernent la responsabilité du fait des produits défectueux ;

Attendu que cette responsabilité, issue de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, tend à sanctionner, à titre principal, les producteurs et fabricants de produits n'offrant pas la sécurité à laquelle peut légitimement s'attendre un consommateur et ayant entraîné des dommages corporels aux utilisateurs ;

Attendu que l'article 1386-6 du Code civil est ainsi rédigé :

" Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.

Est assimilée à un producteur pour l'application du présent titre toute personne agissant à titre professionnel :

1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ;

2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution " ;

Attendu qu'en l'espèce, il convient de constater que la société BR Ameublement n'a pas pour activité principale la fabrication et la production de meubles, mais la vente de biens mobiliers et qu'elle n'a jamais apposé son nom ou sa marque ou un autre signe distinctif quelconque sur le meuble de télévision acheté par les consorts E. le 23 novembre 2007 ; qu'elle ne peut par conséquent être assimilée à un producteur au titre des dispositions prévoyant une assimilation des personnes ayant apposé " sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif " ;

Attendu que s'agissant de la seconde condition alternative pouvant être relevée pour qualifier un importateur de producteur, il convient de constater que la loi du 19 mai 1998 a expressément prévu qu'elle concernait : " toute personne agissant à titre professionnel, qui importe un produit dans la Communauté européenne ", de telle sorte que la société BR Ameublement ne peut être réputée producteur sur la base de cet article, pour ne pas avoir procédé à une importation de produits dans la Communauté européenne, la Nouvelle-Calédonie n'en étant pas membre en tant que telle et les Directives européennes dont est issue la loi du 19 mai 1998 n'étant pas applicables directement en Nouvelle-Calédonie ; que le fait que les dispositions de l'article 22 de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 aient prévus expressément que la loi était applicable dans les territoires d'outre- mer et donc en Nouvelle Calédonie est sans portée juridique quant au règlement du présent litige ;

Attendu qu'en conséquence, et au visa de l'article 1386-6 du Code civil , la société BR Ameublement ne saurait être reconnue comme ayant la qualité de producteur, alors même que la société concluante n'est qu'une société ayant pour activité principale la vente de meubles et non la fabrication ;

Attendu qu'au surplus, la responsabilité de la société BR Ameublement ne saurait être recherchée sur la base des dispositions de l'article 1386-7 du Code civil, issues de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 modifiées par la loi n° 2006-406 du 5 avril 2006 relative à la garantie de conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur et à la responsabilité du fait des produits défectueux, rendues expressément applicables en Nouvelle-Calédonie, lesquelles prévoient expressément que la responsabilité du producteur doit prévaloir sur la responsabilité du vendeur ; qu'ainsi ces dispositions précisent que : 'Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée' ; qu'en l'espèce, la société BR Ameublement est fondée à relever que les consorts E. ont eu connaissance, au cours de l'enquête pénale, de l'identité réelle du producteur du meuble en cause, fait non contredit par les appelants et démontré par les pièces qu'ils ont versées aux débats en annexe de leur requête introductive ; qu'il leur appartenait, dans ces conditions, de diligenter leur action à l'encontre de la société M., et non à l'encontre de la société BR Ameublement ;

Attendu qu'en conséquence, la société BR Ameublement, qui a toujours été un simple revendeur du meuble en cause, ne pouvait se voir poursuivie sur la base de l'article 1386-7 du Code civil, l'identité du fabricant du meuble en cause étant expressément connue par les appelants ; que les demandes ainsi formées doivent être déclarées purement et simplement irrecevables ;

De la responsabilité de la société BR Ameublement au titre des articles 1383 et 1384 du Code civil

Attendu que les consorts E. sont fondés à rappeler que les dispositions de l'article 1386-18 du Code civil prévoient que les dispositions du titre IV Bis du livre III du Code civil, ayant trait à la responsabilité du fait des produits défectueux, ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité ; qu'ainsi ils demandent que la responsabilité de la société BR Ameublement soit retenue sur les fondements combinés des articles 1383 et 1384 du Code civil, se prévalant notamment de l'audition en date du 3 décembre 2007 du gérant de la société, M. B., faisant part que les pieds du meuble, bien qu'installés conformément à la notice du montage, auraient pu être positionnés plus en avant afin d'assurer une stabilité accrue ;

Attendu cependant que le gérant déclare n'avoir jamais rencontré de problème de stabilité avec le meuble en cause, l'avoir mis en présentation dans son magasin surmonté d'une télévision de 72 centimètres susceptible de peser 30 ou 40 kilogrammes (la télévision ayant entraîné le décès de l'enfant étant de 80 centimètres, pesait une quarantaine de kilogrammes selon l'enquête de police) et que les pieds avaient bien été montés en fonction des indications du fabricant ;

Attendu que les monteurs du meuble ont pour leur part déclaré avoir suivi la notice de montage pour l'installation des six pieds montés à l'atelier, avant que le meuble ne soit livré au domicile des consorts E., sans que la télévision n'ait été cependant posé sur le meuble en leur présence ;

Attendu que M. E., père de l'enfant, expliquait par ailleurs que lorsque l'accident est arrivé, il avait veillé à mettre les deux pieds arrière de la télévision dans le vide, afin que son fils ne puisse accéder aux boutons, sans cependant remarquer l'instabilité de l'ensemble ;

Attendu qu'en outre, ni M. R. qui a procédé au montage du meuble, ni M. C. qui a livré le meuble et y a fixé des étagères, ni M. E. qui a posé seul le téléviseur sur le meuble ainsi monté après que les livreurs soient repartis, ni Mme E. qui a aidé son époux, n'ont relevé le caractère instable du meuble ;

Attendu, dans ces conditions, que les suppositions et hypothèses qui ont été formulées par les services enquêteurs et qui n'ont nullement été vérifiées dans le cadre de tests réalisés sur le meuble en cause, ne sont pas de nature à permettre d'établir de manière formelle que le meuble était atteint d'un défaut mettant en danger la sécurité des personnes ;

Attendu, qu'en tout état de cause, les dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil ne pouvant être invoquées à l'encontre de la société BR Ameublement, seules les dispositions basées sur un fondement autre que celui des produits défectueux peut être invoqué, ce que font précisément les consorts E. qui visent les articles 1383 et 1384 du Code civil ;

Attendu cependant qu'en n'établissant pas une erreur dans le montage du meuble, les consorts E. échouent ainsi à démontrer un lien de causalité certain et direct entre le dommage et la faute alléguée dont la preuve n'est pas rapportée ;

Attendu qu'en conséquence, la responsabilité de la société BR Ameublement ne peut être engagée et qu'il convient de rejeter les demandes des consorts E. ;

Des autres demandes des parties

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles exposés et que leurs demandes formées à ce titre doivent être rejetées ;

Attendu que les consorts E. qui succombent, doivent être condamnés aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SELARL JURISCAL.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire déposé au greffe ; Déclare l'appel principal et l'appel incident recevables ; Rejette des débats pour tardiveté les conclusions déposées par les consorts E. / U. le 27 avril 2012, soit postérieurement à la date de clôture des débats fixée au 6 avril 2012 par l'ordonnance du magistrat de la mise en état du 24 février 2012 ; Infirme le jugement du Tribunal de première instance de Nouméa en date du 2 mai 2011 en toutes ses dispositions, et Statuant à nouveau : Déclare irrecevables les demandes formées par les consorts E. / U. à l'encontre de la société BR Ameublement, laquelle ne peut revêtir la qualité de producteur ou être assimilée à ce dernier, ni même voir sa responsabilité engagée au titre des articles 1386-6 et 1386-7 du Code civil, lesquels lui sont inapplicables en l'espèce ; Dit en conséquence que la responsabilité de la société BR Ameublement ne peut être engagée sur la base des articles 1386-1 et suivants du Code civil ; Constate également qu'aucune faute, manquement ou négligence n'a été prouvée à l'encontre de la société BR Ameublement, laquelle ne peut voir sa responsabilité engagée au titre des articles 1382,1383 et 1384 alinéa 3 du Code civil ; Déboute ainsi, et en conséquence de tout ce qui précède, les consorts E. / U. en toutes leurs demandes, fins et conclusions ; Laisse les frais irrépétibles à la charge des parties ; Rejette les prétentions plus amples ou contraires ; Condamne les consorts E. aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Selarl Juriscal.