CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 8 décembre 2015, n° 14-24275
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Paris (SARL)
Défendeur :
Vendôme Fermetures (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roy-Zenati
Conseillers :
Mmes Bodard-Hermant, Quentin de Gromard
Avocats :
Mes Masliah, Le Pasteur, Olivier, Tchakaloff, Le Fustec
FAITS ET PROCEDURE
La SARL Paris commercialise et installe des dispositifs de clôtures, portails, stores, portes et portes de garages pour le grand public. La SAS Vendôme Fermetures fabrique quant elle notamment des portails et des portes de garages sous la marque du même nom. Les deux sociétés entretiennent des relations commerciales.
Le 14 septembre 2011 ces sociétés ont régularisé un " contrat de partenariat agréé Charuel " relatif à la commercialisation d'une gamme de produits fabriqués par la SAS Vendôme Fermetures sous la marque " Charuel ", à savoir des portails et des clôtures, pour une durée initiale de deux ans, renouvelable par tacite reconduction pour une année.
Par lettre recommandée avec AR en date du 1er octobre 2014 la SAS Vendôme Fermetures a procédé à la résiliation du contrat de partenariat sur les produits Charuel.
Par acte du 27 octobre 2014 la SARL Paris a assigné la SAS Vendôme Fermetures devant le président du Tribunal de commerce de Rennes, dans le cadre d'un référé d'heure à heure, aux fins de voir suspendre les effets de la résiliation du contrat et dire qu'il resterait applicable entre les parties jusqu'à ce que le juge du fond rende une décision définitive.
Par ordonnance contradictoire du 7 novembre 2014 ce juge des référés a, au visa de l'article 873 du Code de procédure civile :
- décerné acte à la SAS Vendôme Fermetures de ses propositions de maintien du contrat de partenariat, tant par voie de conclusions qu'à l'audience,
- ordonné la poursuite du contrat de partenariat du 14 septembre 2011 dans toutes ses dispositions, y compris pour ses conditions de paiement, jusqu'à la date anniversaire du 13 septembre 2015,
- condamné la SARL Paris à payer à la SAS Vendôme Fermetures la somme de 1 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la SAS Vendôme Fermetures du surplus de ses demandes,
- condamné la SARL Paris aux dépens de l'instance.
La SARL Paris a interjeté appel de cette décision le 1er décembre 2014.
Dans ses conclusions régulièrement transmises le 15 décembre 2014, auxquelles il convient de se reporter, la SARL Paris demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance de référé querellée en ce qu'elle l'a condamnée à payer à la SAS Vendôme Fermetures la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- confirmer l'ordonnance entreprise pour le surplus,
Y ajoutant en cause d'appel,
- dire qu'elle bénéficiera des mêmes délais de paiement que ceux en vigueur avant le 1er octobre 2014, à savoir un délai de paiement de 30 jours fin de mois le 15 suivant à compter de la date de la facturation,
- dire que dans le cadre des relations commerciales entre la SAS Vendôme Fermetures et la SARL Paris cette dernière bénéficiera d'encours de paiement d'un montant de 40 000 euro,
- condamner la SAS Vendôme Fermetures aux dépens et à payer à la SARL Paris la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL Paris fait valoir que la modification des délais de paiement imposée par la SAS Vendôme Fermetures suite au report de la résiliation du contrat de partenariat, constitue " une rupture brutale des relations commerciales établies " existant entre les parties, au sens des dispositions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, et représente un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du Code de procédure civile.
Dans ses conclusions régulièrement transmises le 3 juin 2015, auxquelles il convient de se reporter, la SAS Vendôme Fermetures demande à la cour, sur le fondement des articles 1134 du Code civil, L. 442-6 I 5° et R. 232-22 du Code de commerce, 122, 564, 700 et 873 du Code de procédure civile, de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- à titre principal juger irrecevables les demandes nouvelles formulées par la SARL Paris,
- à titre subsidiaire, juger infondées les prétentions de la SARL Paris et les rejeter,
- condamner la SARL Paris aux dépens et au paiement d'une somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que les demandes de la SARL Paris tendant à " dire que la SARL Paris bénéficiera du maintien des délais de paiement dont elle bénéficiait avant le 1er octobre 2014, à savoir un délai de paiement de 30 jours fin de mois le 15 suivant à compter de la date de la facturation, et dire que dans le cadre des relations commerciales entre la SAS Vendôme Fermetures et la SARL Paris cette dernière bénéficiera d'encours de paiement d'un montant de 40 000 euro " sont nouvelles en cause d'appel et doivent être rejetées en application de l'article 564 du Code de procédure civile. Elle soutient, en tout état de cause, que l'application stricte du contrat liant les parties, notamment quant aux conditions de paiement, ne peut constituer un trouble manifestement illicite et, qu'à tout le moins, le juge des référés n'est compétent ni pour modifier ni pour interpréter les clauses du contrat relatives aux conditions de règlement.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'en application de l'article 565 du Code de procédure civile " Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent " ;
Considérant qu'en l'espèce la SARL Paris demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise, sauf s'agissant de sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et de la confirmer pour le surplus et y ajoutant de " dire que la SARL Paris bénéficiera du maintien des délais de paiement dont elle bénéficiait avant le 1er octobre 2014, à savoir un délai de paiement de 30 jours fin de mois le 15 suivant à compter de la date de la facturation, et dire que dans le cadre des relations commerciales entre la SAS Vendôme Fermetures et la SARL Paris cette dernière bénéficiera d'encours de paiement d'un montant de 40 000 euro " ;
Que cette demande formulée en cause d'appel est recevable car tendant aux mêmes fins que celle présentée devant le premier juge s'agissant de la mise en œuvre par les parties des conditions de paiement du contrat partenaire ; que le moyen soulevé par la SAS Vendôme Fermetures doit, partant, être rejeté ;
Considérant qu'aux termes de l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile, invoqué par la SARL Paris, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de sa compétence, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Que le dommage imminent s'entend du " dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer " et le trouble manifestement illicite résulte de " toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit " ;
Considérant par ailleurs que l'article L. 442-6 5° du Code de commerce dispose que " I. Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant (...) :
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels " ;
Considérant que l'article 3 " Durée et résiliation " du " contrat partenaire agréé Charuel " dispose que :
" 3.1. Durée
Le contrat est conclu pour une période initiale de 2 années à compter de sa signature.
Durant la première année, les Parties ont la possibilité de mettre unilatéralement fin à la convention à tout moment, sans indemnité, moyennant le respect d'un préavis de trente (30) jours, par courrier recommandé avec accusé de réception.
Le Contrat sera ensuite prorogé par tacite reconduction pour des périodes de une année, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties au minimum trois (3) mois avant la date d'échéance, par lettre recommandée avec accusé de réception.
3.2. Résiliation
Outre les cas expressément prévus dans le Contrat, le Contrat pourra être résilié de plein droit par anticipation, par l'une ou l'autre des Parties, en cas d'inexécution de l'une quelconque des obligations y figurant et/ou de l'une quelconque des obligations inhérentes à l'activité exercée, après mise en demeure adressée à la Partie défaillante par courrier recommandé avec accusé de réception restée sans effet pendant une durée de trente (30) jours.
En outre, si l'Installateur-conseil venait à ne plus être garanti par l'assureur-crédit, l'Entreprise sera en droit, à son choix, soit de résilier tout ou partie du Contrat de plein droit, sans préavis et sans indemnité pour l'Installateur-conseil, soit de modifier les conditions de paiement accordées à l'Installateur-conseil. "
Considérant que par courrier RAR du 1er octobre 2014 la SAS Vendôme Fermetures a informé la SARL Paris de ce qu'elle résiliait l'accord de partenariat les liant suite à la signification par son organisme de crédit de la perte de ses garanties financières concernant la SARL Paris ;
Que par courrier RAR du 23 octobre 2014 la SAS Vendôme Fermetures a accepté de reporter au 31 décembre 2014 la date d'effet de la rupture du contrat Charuel tout en précisant que compte tenu de la perte de toute garantie octroyée par son organisme d'assurance-crédit sur les encours de la SARL Paris, elle demandait à cette dernière le paiement intégral par virement de toute nouvelle commande comme préalable à son lancement en fabrication ;
Que lors de l'audience devant le premier juge la SAS Vendôme Fermetures a proposé de repousser la date de résiliation à la date anniversaire du contrat, le 13 septembre 2015 ; que le juge des référés a, en conséquence, dans la décision querellée du 7 novembre 2014 " ordonné la poursuite du contrat de partenariat du 14 septembre 2011 dans toutes ses dispositions, y compris pour ses conditions de paiement, jusqu'à la date anniversaire du 13 septembre 2015 " ;
Que par courrier RAR du 20 février 2015 la SAS Vendôme Fermetures a confirmé à la SARL Paris " la non-reconduction du contrat de partenariat à sa prochaine échéance et donc sa cessation au 13 septembre 2015 " ;
Considérant que selon la SARL Paris "bien plus que la résiliation de ce contrat, ce sont les modifications des délais de paiement qui constituent une rupture brutale des relations commerciales établies puisqu'en imposant un paiement dès la commande de ses produits" la SAS Vendôme Fermetures lui interdit de se fournir auprès d'elle du jour au lendemain ; qu'elle lui reproche en outre, depuis l'ordonnance de référé dont appel, d'appliquer des délais de règlements qui varient d'une commande à l'autre ce qui perturberait son activité ;
Considérant qu'en application de l'annexe 4 " conditions commerciales " du contrat partenaire du 14 septembre 2011 les conditions de règlement sont les suivantes :
- " traite magnétique à trente (30) jours,
- l'encours accordé pourra varier en fonction de l'évolution de la garantie donnée par la société d'assurance-crédit de l'entreprise,
- en cas de perte ou de dégradation importante de cette garantie ou d'impayés, les conditions de règlement des commandes seront les suivantes : Encaissement à la commande sur facture pro forma " ;
Que les allégations de la SARL Paris quant au caractère potestatif de ces conditions de paiement qui permettraient selon elle à la seule SAS Vendôme Fermetures de se " dispenser d'exécuter l'une de ses obligations, en l'espèce celle d'accorder des délais de paiement à la SARL Paris " ne sont pas fondées dès lors que l'annexe 4 précitée ne prévoit pas d'obligation à la charge de la SAS Vendôme Fermetures de lui accorder des " délais de paiement " ; qu'au surplus, la décision de l'assureur-crédit d'accorder ou non sa garantie est basée sur une évaluation de la solvabilité du débiteur laquelle repose sur des critères objectifs ainsi que l'établit l'échelle de notation de la société de financement Euler Hermes Crédit France communiquée par l'intimée laquelle ne dispose dès lors d'aucun pouvoir pour influencer la décision de son assureur-crédit ;
Qu'en l'espèce au 29 septembre 2014 le montant de l'encours effectivement garanti par l'assureur-crédit de la SAS Vendôme Fermetures - la société Euler Hermes Crédit France - pour la SARL Paris était de 0 euro ; qu'en conséquence la SAS Vendôme Fermetures était manifestement fondée à solliciter, conformément aux dispositions contractuelles prévues à l'annexe 4 précitées et compte tenu de la dégradation importante de la garantie donnée par la société d'assurance-crédit de l'entreprise, l'encaissement à la commande sur facture pro forma ainsi qu'elle le rappelait à la SARL Paris dans sa lettre de résiliation du 1er octobre 2014 ;
Que de même cet encours étant passé à 30 000 euro au 24 avril 2015, ainsi que l'établit le document de la société Euler Hermes Crédit France, les commandes sont désormais payables à 30 jours fin de mois dans la limite de l'encours garanti par cet assureur-crédit, toute commande excédant cet encours étant payable à la commande ;
Que dès lors les modifications de paiement réclamées par la SAS Vendôme Fermetures compte tenu de l'évolution de la solvabilité de la société débitrice SARL Paris, conformes aux dispositions contractuelles liant les parties, ne constituent manifestement pas, et avec l'évidence requise en référé, une rupture brutale des relations commerciale établies et un trouble illicite ;
Considérant que la demande de la SARL Paris de pouvoir continuer à bénéficier des mêmes délais de paiement que ceux en vigueur avant le 1er octobre 2014 doit être rejetée dès lors, et au vu des développements précédents, que ces délais de paiement sont conditionnés à l'évolution de sa solvabilité et ce en application du contrat ;
Que s'agissant de l'encours de paiement réclamé à hauteur de 40 000 euro, il n'appartient pas au juge des référés de se substituer à la société d'assurance-crédit, de sorte que cette prétention doit être également rejetée ;
Considérant dès lors que l'ordonnance déférée doit être confirmée en toutes ses dispositions ; qu'y ajoutant les demandes de la SARL Paris relatives aux modalités de paiement de ses factures doivent être rejetées ;
Considérant que le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge ;
Qu'à hauteur de cour, il convient d'accorder à la SAS Vendôme Fermetures, contrainte d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité complémentaire de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que la SARL Paris qui succombe doit supporter les dépens d'appel et ne saurait bénéficier d'une somme au titre des frais irrépétibles.
Par ces motifs, Confirme l'ordonnance de référé en date du 7 novembre 2014 rendue par le Tribunal de commerce de Rennes, Y ajoutant, Rejette les demandes de la SARL Paris, Condamne la SARL Paris à verser à la SAS Vendôme Fermetures la somme complémentaire de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Paris aux dépens d'appel.