CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 18 décembre 2015, n° 13-09764
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Innovation et Techniques Industrielles (SAS)
Défendeur :
Alvira (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mme Prigent, M. Richard
Avocats :
Mes Dorel, Clergue, Fisselier, Sardinha Marques
Vu le jugement rendu le 6 février 2013 par le Tribunal de commerce de Lyon qui a :
- dit l'opposition à injonction de payer formée par la société Innovation et techniques industrielles recevable et fondée,
- débouté la société Innovation et techniques industrielles de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Innovation et techniques industrielles à payer à la société Alvira les sommes de :
12 087,97 euro en principal, correspondant au montant des trois factures n° 54111, 46011 et 46111, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 mai 2011,
5 000 euro, à titre de dommages-intérêts, pour résistance abusive et comportement dilatoire,
10 000 euro, à titre de dommages-intérêts, pour rupture brutale des relations commerciales établies,
2 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Innovation et techniques industrielles aux dépens;
Vu l'appel relevé par la société Innovation et techniques industrielles qui demande à la cour, par ses dernières conclusions notifiées le 9 avril 2015, de :
- réformer le jugement en toutes ses dispositions,
- débouter la société Alvira de toutes ses demandes,
- condamner la société Alvira à lui payer la somme de 5 000 euro, à titre de dommages-intérêts, et celle de 5 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux dépens de première instance et d'appel;
Vu les dernières conclusions signifiées le 28 septembre 2015 par la société Alvira qui demande à la cour, au visa de l'article 1134 du Code civil et de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- y ajoutant, condamner la société Innovation et techniques industrielles à lui payer la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens;
Sur ce LA COUR
Considérant que la société Alvira, qui a pour activité la commercialisation de matériels destinés à la sécurité des biens et des personnes, installe notamment des alarmes intrusion; que la société Innovation et techniques industrielles, qui vient aux droits de la société Minulle équipement, exerce une activité de vente et d'exploitation de matériels électroniques, dont des alarmes, sous le nom commercial " Iris sûreté installation maintenance " et possède l'agrément de l'APSAD, c'est-à-dire de l'assemblée plénière des sociétés d'assurances diverses ;
Que les débitants de tabac, pour pouvoir être assurés, doivent sécuriser leurs locaux en les équipant d'alarmes intrusion, le service des douanes leur remboursant 80 % du prix HT des installations sur la base du devis le moins disant ;
Qu'en 2007, un accord a été conclu par lequel la société Minulle équipement a confié à la société Alvira, qui n'a pas l'agrément APSAD, mission de démarcher les bureaux de tabac pour diagnostiquer leurs besoins, établir les devis correspondant et procéder à l'installation des équipements ; que cette société facturait les clients et rétrocédait 90 % des sommes ainsi perçues à la société Alvira, laquelle assurait la maintenance et le service après-vente ;
Considérant que la société Alvira a réclamé à la société Innovation et techniques industrielles le paiement des trois factures suivantes :
- facture n° 54111 du 10 janvier 2011 d'un montant de 4 434,77 euro correspondant à l'installation d'un système d'alarme dans le tabac Le Sud Est,
- facture n° 46011 du 16 janvier 2011 d'un montant de 4 445,53 euro correspondant à l'installation d'un système d'alarme dans le tabac Le Babylone,
- facture n° 46111 du 16 janvier 2011 d'un montant de 3 207,67 euro correspondant à l'installation d'un système d'alarme dans le tabac Le Trèfle ;
Que le 18 janvier 2011, la société Innovation et techniques industrielles, se référant à un rendez-vous du 17 décembre 2010, a confirmé à la société Alvira que compte tenu des coûts directs et indirects générés par les opérations, elle souhaitait modifier les conditions financières de l'accord et conserver un commissionnement de 25 % à compter de ce jour; que la société Alvira lui a répondu, le même jour, qu'aucun accord n'était encore intervenu sur ce montant, en demandant une rencontre pour en discuter ; que par la suite, les parties n'ont pas réussi à trouver un accord ; que le 25 février 2011, la société Innovation et techniques industrielles a informé la société Alvira que les prochains règlements du mois de mars 2011 solderaient définitivement leurs comptes et qu'elle ne traiterait plus aucune nouvelle affaire ;
Que la société Alvira, qui n'avait pas été payée de ses factures en dépit d'une mise en demeure du 16 mai 2011, a obtenu à l'encontre de la société Innovation et techniques industrielles une ordonnance d'injonction de payer le 20 septembre 2011 pour un montant de 12 087,97 euro ;
Que la société Innovation et techniques industrielles ayant formé opposition à cette ordonnance, le tribunal a statué par le jugement déféré en condamnant cette société au paiement des factures, outre des dommages-intérêts à hauteur de 5 000 euro pour résistance abusive et 10 000 euro pour rupture brutale des relations commerciales établies ;
Considérant que la société Innovation et techniques industrielles, appelante, fait valoir :
- qu'elle devait valider les devis avant que la société Alvira ne les soumette à l'acceptation du client final, sa responsabilité à l'égard de ce dernier pouvant être mise en cause,
- qu'à compter de fin 2009, début 2010, elle a découvert que les factures lui étaient adressées avant qu'elle n'ait pu vérifier les devis qui lui étaient transmis,
- qu'elle a refusé de payer les factures litigieuses dans la mesure où, d'une part les documents susceptibles de justifier de l'acceptation préalable des devis ne lui avaient pas été fournis, d'autre part parce qu'elle a été informée de l'utilisation de son en-tête sur des documents commerciaux constituant des faux de nature à lui porter préjudice,
- que le 11 mars 2011, la direction des Douanes, organisme payeur des installations de sécurité mises en place dans les débits de tabac, lui a communiqué une lettre non datée éditée sur du papier à en-tête " Iris sûreté " sur lequel il était précisé à M. Darcheville, tabac Le Flash, que " Iris sûreté ne procédait plus à aucune installation de bureaux de tabac, et ce dans un cadre de politique commerciale ",
- que cette lettre constitue un faux, comme portant le 3 rue Pascal à Villeurbanne comme siège social de " Iris sûreté ", au lieu du 1 rue Pascal à Villeurbanne, et la mention " La direction N. Carcelles " avec en face un tampon " Iris installation maintenance " revêtu d'une signature, le tampon étant un faux - démuni du numéro de fax et comportant une erreur de chiffre sur le numéro RCS - et la signature n'étant pas celle de Mme Carcelles,
- que le 15 mars 2011, elle a répondu à la direction des Douanes que la lettre n'était pas un document émanant de son entreprise et qu'elle acceptait de procéder à l'installation de l'alarme de M. Darcheville,
- que plainte a été déposée auprès des services de police pour faux et usage de faux concernant des devis et la lettre adressée à M. Darcheville,
- que M. Delattre, gérant de la société Alvira, a été renvoyé devant le Tribunal de grande instance de Pontoise à l'audience du 9 juin 2015, dans le cadre d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ;
Que concernant les trois factures en litige, l'appelante souligne :
- qu'elles ont été établies sur la base de devis et procès-verbaux de réception mentionnant un siège social erroné : 3 rue Pascal au lieu de 1 rue Pascal à Villeurbanne,
- que les dates d'acceptation des devis sont les mêmes que celles de réception des installations,
- que le tampon apposé sur le devis pour le tabac Le Trèfle est un faux ;
Que s'agissant de la rupture des relations commerciales, l'appelante allègue :
- que les relations ont été suspendues, la société Alvira ne voulant pas lui fournir les devis, ni régulariser les contrats de maintenance, ni renégocier sa commission,
- que la lettre de cette société annonçant que la société Innovation et techniques industrielles ne procède plus à aucune installation dans les bureaux de tabac, qui constitue un faux, suffit à justifier une rupture immédiate et sans indemnité;
Considérant que la société Alvira soutient, concernant les factures en litige :
- que la société Innovation et techniques industrielles est de mauvaise foi, qu'elle a émis des factures auprès des clients pour les travaux réalisés en son nom par Alvira et en a obtenu paiement, sans rétrocéder les sommes devant lui revenir à elle,
- qu'il n'existe aucun lien de cause à effet entre ces factures qui correspondent à des prestations parfaitement exécutées et l'utilisation prétendument frauduleuse de l'en-tête de la société Innovation et techniques industrielles,
- qu'à l'issue de l'audience de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le substitut du procureur de la République a classé la plainte sans suite,
- que l'appelante lui avait fourni son papier à en-tête et ne validait jamais les devis,
- que conformément à leurs accords, c'est elle qui y apposait le tampon commercial " Iris " et que toutes les prestations qu'elle a effectuées n'ont fait l'objet d'aucune plainte de la part des clients ou de l'appelante,
- que l'appelante a proposé de lui payer la somme de 10 000 euro pour clore les comptes dans ses livres,
- qu'elle a résisté de façon abusive à sa demande en paiement ;
Que l'intimée prétend, sur la rupture des relations commerciales établies :
- que c'est la société Innovation et techniques industrielles qui a pris l'initiative de rompre sans préavis ces relations qui perduraient depuis 2007,
- que son préjudice est certain dans la mesure où elle a réalisé avec la société Innovation et techniques industrielles, au cours des années 2008, 2009 et 2010, un chiffre d'affaires moyen de 28 699,33 euro HT,
- que c'est à juste titre que le tribunal lui a alloué la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice qu'elle a souffert du fait de cette brusque rupture ;
Considérant que la société Innovation et techniques industrielles ne démontre pas que dans le cours des relations antérieures à novembre 2009, il était exigé de la société Alvira la fourniture de devis pour acceptation ;
Que même si les devis afférents aux travaux qui ont donné lieu aux factures litigieuses mentionnent un siège social erroné pour la société Innovation et techniques industrielles et portent un cachet commercial qui n'est pas ou plus le sien, ces éléments n'ont causé aucun préjudice à l'appelante puisqu'elle a été payée par les débitants de tabac qui n'ont soulevé aucun contestation sur la réalisation des prestations de la société Alvira ; qu'il convient d'observer que le 21 juin 2011, soit avant les procédures judiciaires, l'appelante avait proposé de payer la somme de 10 000 euro à titre transactionnel, l'intimée ayant répondu en demandant la somme de 11 000 euro ; qu'en conséquence le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société Innovation et techniques industrielles au paiement ;
Que la société Alvira ne démontrant pas un préjudice distinct de celui réparé par le cours des intérêts à compter du 16 mai 2011, sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive sera rejetée ;
Considérant par ailleurs qu'il apparaît des pièces versées aux débats qu'en décembre 2010, la société Innovation et techniques industrielles a souhaité renégocier les conditions financières de la convention conclue en 2007 ; que les parties ne sont pas parvenues à un accord, l'appelante souhaitant un commissionnement de 25 % (courriel du 18 janvier 2011), l'intimé ne proposant que 20 % (courriel du 22 janvier 2011), ce qui a été refusé par l'appelante (courriel du 31 janvier 2011) ;
Que par lettre du 15 mars 2011, la société Innovation et techniques industrielles a officialisé la rupture des relations en reprochant à la société Alvira de ne pas lui transmettre les dossiers d'installations réclamés dans le cadre de la traçabilité de celles-ci dont elle avait l'entière responsabilité en cas de dysfonctionnements ou de sinistre du fait de l'utilisation de la certification APSAD, dans le respect des normes en découlant, et d'avoir émis un courrier relatif à sa politique commerciale en son nom sans l'avoir consultée au préalable ;
Qu'effectivement, au cours du mois de mars 2011, la société Alvira a adressé à un client qu'elle avait démarché, M. Darcheville, une lettre pour l'informer que la société Innovation et techniques industrielles ne procédait plus à l'installation d'alarmes dans les débits de tabac; que pour ce faire, elle a utilisé du papier à en-tête de l'appelante et apposé un cachet commercial au nom de celle-ci ; qu'elle n'apporte aucune explication dans ses conclusions sur la signature apposée au nom de Mme Carcelles, laquelle a déclaré lors de l'enquête pénale qu'il ne s'agissait pas de la sienne; mais que dans une lettre du 14 mars 2011, la société Alvira a déclaré aux services des douanes avoir adressé à M. Darcheville " un courrier signé Iris " l'avisant que la société " Iris sûreté " ne souhaitait plus effectuer les installations dans les débits de tabac, expliquant s'être trouvée en porte à faux avec le client qu'elle avait démarché parce que la société " Iris sûreté " ne voulait plus traiter les dossiers qu'elle lui apportait ;
Qu'il en résulte que la société Alvira a commis une faute en se faisant passer pour la société Innovation et techniques industrielles pour diffuser sans son autorisation des informations sur sa politique commerciale; que la gravité de cette faute justifie la rupture des relations, laquelle au surplus ne revêt pas de caractère brutal puisque précédée par des négociations en vue de leur poursuite qui n'ont pas abouti ;
Que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a alloué des dommages-intérêts à la société Alvira en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Considérant que la procédure engagée par la société Alvira ne revêtant pas un caractère abusif ou vexatoire, la société Innovation et techniques industrielles sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;
Considérant, que chaque partie, qui succombe partiellement en ses prétentions, gardera la charge de ses dépens de première instance et d'appel; que vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu de rejeter leurs demandes de ce chef ;
Par ces motifs, Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Innovation et techniques industrielles à payer à la société Alvira la somme de 12 087,97 euro avec intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2011, l'Infirme en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau, Déboute la société Alvira de ses demandes de dommages-intérêts pour résistance abusive et pour rupture brutale des relations commerciales établies, Déboute la société Innovation et techniques industrielles de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire, Rejette les demandes de chaque partie fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que chacune des parties gardera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.