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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 15 décembre 2015, n° 15-10615

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

AVR BVBA (Sté)

Défendeur :

Etablissements Proutheau Laboute (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guihal

Conseillers :

Mmes Dallery, Bouvier

Avocats :

Mes Pimor, Buffon, Sevellec, Guerin-Auzou

T. com. Paris, du 11 mai 2015

11 mai 2015

La société de droit belge AVR BVBA a pour activité la conception et la production de matériel agricole notamment pour la culture de la pomme de terre.

La SARL Etablissements Proutheau-Laboute a pour activité la vente de matériels et de pièces agricoles neufs ou d'occasion.

Les relations d'affaires qui existaient entre ces deux sociétés depuis l'année 2003 ont cessé en janvier 2010.

Proutheau-Laboute invoquant la distribution à partir de l'année 2003, en Eure et Loir, des matériels destinés au traitement des pommes de terre produits par AVR BVBA, a fait assigner cette dernière par acte du 26 août 2014 devant le Tribunal de commerce de Paris pour rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce pour obtenir réparation de son préjudice.

Par jugement du 11 mai 2015, le Tribunal de commerce de Paris, rejetant l'exception d'incompétence au profit du Tribunal belge de commerce de Courtrai soulevée par AVR BVBA, s'est déclaré compétent.

AVR BVBA a formé contredit à ce jugement.

Aux termes de ses conclusions n° 2 reprises oralement à l'audience, elle prie la cour la recevant en son contredit, d'infirmer le jugement, de dire le Tribunal de commerce de Paris incompétent au profit du Tribunal de commerce de Courtrai, de dire que le droit applicable est le droit belge, de débouter Proutheau-Laboute de ses demandes et de condamner celle-ci à lui verser 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La contredisante soutient en premier lieu que la clause attributive de compétence mentionnée notamment sur les factures et les contrats de vente est valable sur le fondement de l'article 17 de la Convention de Bruxelles et de l'article 23 du Règlement (CE) 44-2001 du 22 décembre 2000, qu'elle n'y a pas renoncé et que, selon la jurisprudence française, elle doit être mise en œuvre même en présence de dispositions impératives constitutives de lois de police applicables au litige. Elle dit que cette clause doit s'appliquer y compris pour un litige relevant du domaine délictuel comme c'est le cas de l'article L. 442-6 du Code de commerce dès lors que cette clause, rédigée en termes généraux visent tout litige quel que soit son fondement.

En second lieu, la société belge fait valoir qu'en tout état de cause, le tribunal de commerce de Courtrai est compétent au regard du droit communautaire applicable sur le fondement des articles 2 et 5 du Règlement (CE) 44-2001 du 22 décembre 2000, ajoutant qu'au regard de la notion de lien le plus étroit avec l'obligation en cause, la Cour de cassation considère que dans le cadre d'une action fondée sur une prétendue rupture de relations d'affaires établies, la juridiction territorialement compétente est celle du lieu où se trouve le siège social de la société qui aurait dû donner un préavis.

Par des conclusions déposées et reprises oralement à l'audience, Proutheau-Laboute, se prévalant du principe de l'estoppel et de l'article 122 du Code de procédure civile, demande de constater que la contredisante a volontairement renoncé à l'application de la clause attributive de compétence aux juridictions belges ainsi qu'à l'application de la loi belge et que les juridictions françaises sont compétentes pour trancher le litige. Subsidiairement, elle dit que les conditions générales de vente d'AVR BVBA sont inopposables ou en tout cas inapplicables à la responsabilité délictuelle, fondement de son action, de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris et très subsidiairement, de dire ce tribunal compétent en vertu du droit communautaire, le dommage issu du fait générateur résultant de la décision de AVR BVBA étant survenu en France, de débouter la contredisante de ses demandes, d'évoquer le litige et d'inviter la société belge à présenter son argumentation au fond, enfin, de condamner celle-ci à lui verser 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR QUOI,

Considérant que la société de droit belge AVR BVBA a vendu pendant plusieurs années à la société française Proutheau-Laboute du matériel agricole que celle-ci distribuait en Eure et Loir sans contrat-cadre ni exclusivité ;

Considérant qu'en assignant la société française Proutheau-Laboute en paiement d'un solde de factures sur le fondement des articles 1134, 1135 et 1147 du Code civil, devant les juridictions françaises, en l'espèce le Tribunal de commerce de Chartres, la société de droit belge AVR BVBA a tacitement mais nécessairement et en pleine connaissance de cause renoncé à se prévaloir de la clause attributive de compétence au profit des juridictions belges figurant notamment sur les factures prévoyant (clause 11): " En cas de différend, seuls les tribunaux du siège du vendeur sont compétents " ;

Considérant que seules les règles de conflit de juridictions doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente combien même des dispositions impératives constitutives de lois de police, comme en l'espèce celles de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, seraient applicables au fond du litige ;

Considérant que l'article 5 du Règlement CE 44-2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose : " Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre:

1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

b) aux fins d'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu de l'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est:

- pour la vente de marchandises, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

- pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat membre où en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c) le point a s'applique si le point b ne s'applique pas ;

3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire " ;

Considérant que si en droit français, la rupture brutale d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit engage la responsabilité délictuelle de son auteur, il n'en demeure pas moins que selon la jurisprudence constante de la CJCE devenue CJUE, la notion de "matière contractuelle" doit être interprétée de manière autonome en se référant aux systèmes et aux objectifs de la convention, en vue d'assurer l'application uniforme de celle-ci dans tous les Etats contractants, cette notion ne saurait, dès lors, être comprise comme renvoyant à la qualification que la loi nationale applicable donne au rapport juridique en cause devant la juridiction nationale ;

Que selon la Cour de justice de l'Union européenne, la matière délictuelle a un caractère résiduel et une demande qui ne repose pas sur " un engagement librement assumé d'une partie envers l'autre " se rattache à la matière délictuelle ; que cette matière comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l'article 5.1 du Règlement ;

Considérant qu'en l'espèce, la rupture des relations contractuelles, son caractère licite ou abusif relève de la matière contractuelle au sens de l'article 5.1 du Règlement n° 44-2001;

Considérant que selon l'article 5.1 b) du Règlement précité, pour la vente de marchandises, le lieu de l'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ;

Considérant qu'il résulte de l'article 5 " Lieu de livraison " des conditions générales des contrats de vente conclus entre les parties que " Les marchandises sont censées livrées à partir de nos magasins avant expédition " ; Qu'en conséquence, au regard du lieu de livraison en Belgique où a eu lieu la vente, il convient, accueillant le contredit, de déclarer le Tribunal de commerce de Paris incompétent et de renvoyer les parties à se mieux pourvoir ;

Considérant que la détermination de la loi applicable ne relève pas du contredit ;

Considérant que Proutheau-Laboute est condamnée à payer à AVR BVBA la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Reçoit le contredit, Infirme le jugement, Déclare le Tribunal de commerce de Paris incompétent, Renvoie les parties à se mieux pourvoir, Condamne la société Proutheau-Laboute aux frais du contredit ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.