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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 17 décembre 2015, n° 14-05560

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Diffusion/Sofradif (SAS)

Défendeur :

Elsevier Masson (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Rohart-Messager, M. Dabosville

Avocats :

Mes Chauvin, Guerre, Ponsard

T. com. Paris, 9e ch., du 6 mars 2014

6 mars 2014

Faits et procédure

La société Elsevier Masson (ci-après Elsevier) est née en 2005 du rapprochement entre les sociétés Elsevier France et Masson, toutes deux spécialisées dans l'édition d'ouvrages médicaux et scientifiques.

La société Diffusion Sofradif qui fait partie du groupe Auzou, spécialisé dans l'édition et la commercialisation de livres pour la jeunesse dans 29 pays et qui en commercialise les ouvrages des éditions Auzou, a aussi commercialisé pendant près de 10 ans certains ouvrages de la société Elsevier.

Un premier contrat a été signé le 16 octobre 2002 avec un avenant du 23 février 2003 au terme duquel la société Elsevier a confié à la société Sofradif, d'une part, la distribution non exclusive de ses traités odontologiques et de stomatologie, de l'encyclopédie médico-chirurgicale et de l'encyclopédie médico-vétérinaire, d'autre part de manière exclusive de l'ouvrage intitulé " Soins infirmiers ". Il était stipulé une rémunération de 60 % et une durée initiale s'achevant le 31 décembre 2004, puis la possibilité d'un renouvellement par périodes successives de deux ans.

Le 8 décembre 2004, les parties ont conclu un second contrat portant sur la commercialisation de l'encyclopédie médico-chirurgicale, médico-biologique et abonnements aux sites EMC Consulte et Bio Consulte auprès d'une clientèle de médecins généralistes et de spécialistes sur 29 départements français et certains départements belges par voie de visites ; la rémunération était fixée à 55 % assise sur le prix de vente HT ; le contrat se renouvelait par période de deux ans.

La société Elsevier a résilié le premier contrat par courrier du 17 juin 2008 soit 6 mois avant son échéance ; les parties ont alors négocié un nouveau contrat qui a été conclu le 28 janvier 2009 ; aux termes de celui-ci la société Sofradif a bénéficié d'une l'exclusivité étendue à l'encyclopédie médico-vétérinaire et à l'ouvrage intitulé " Soins infirmiers " sur un secteur géographique comportant des départements français et une partie de la Belgique lorsque la vente intervenait par voie de visites à la clientèle ; la durée était fixée à deux ans avec possibilité de renouvellement pour des périodes successives de deux ans ; la rémunération restait inchangée pour les ventes de traités et les réabonnements ; quant à la rémunération pour l'ouvrage intitulé " Soins infirmiers, elle devenait variable à partir de 2010 et 2011 selon le nombre d'exemplaires vendus ; il était également stipulé une rémunération spécifique pour les ventes d'abonnement à la version du site EMC Consulte et pour les reliures.

Les deux contrats sont arrivés à échéance le 31 décembre 2011 : les parties ont engagé des négociations sur la base d'un seul contrat devant remplacer les deux précédents ; celles-ci n'ont pas abouti et la société Sofradif a alors réclamé à son mandant le paiement d'une indemnité de rupture ce que la société Elsevier a refusé, estimant que le non-renouvellement des contrats était le fait de la société Sofradif.

C'est dans ces conditions que la société Sofradif a saisi le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 6 mars 2014, a :

- débouté la SAS Elsevier Masson de sa demande de dommages-intérêts pour déloyauté pendant l'exécution du préavis,

- débouté la SAS Elsevier Masson de sa demande de dommages et intérêts pour abus de droit de renouveler les relations commerciales,

- débouté la SAS La Diffusion/Sofradif de sa demande de dommages-intérêts pour préavis insuffisant,

- débouté la SAS La Diffusion/Sofradif de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de son exclusivité,

- débouté la SAS La Diffusion/Sofradif de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamné la SAS Elsevier Masson à payer à la SAS La Diffusion/Sofradif la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la SAS Elsevier Masson aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euro dont 13,52 euro de TVA.

La société La Diffusion/Sofradif a interjeté appel le 11 mars 2014.

Vu les dernières conclusions du 19 juin 2015 par lesquelles la société La Diffusion/Sofradif demande à la cour de :

- confirmer la décision entreprise en date du 6 mars 2014, sauf en ce qui concerne les demandes reconventionnelles de la société La Diffusion/Sofradif,

- réformer la décision entreprise en date du 06 mars 2014 en ce qu'elle a débouté la société La Diffusion/Sofradif de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

- constater que la société La Diffusion/Sofradif n'a pas sollicité devant le Tribunal de commerce de Paris, à quelque titre que ce soit, le versement de dommages et intérêts pour préavis insuffisant conformément à l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,

- constater que dans son jugement du 6 mars 2014, le Tribunal de commerce de Paris a omis de statuer sur la demande de la société La Diffusion/Sofradif fondée sur l'article L. 134-12 du Code de commerce.

En conséquence,

- statuer à nouveau des chefs infirmés et d'y ajouter ce qui suit :

* débouter la société Elsevier Masson de l'ensemble de ses demandes et prétentions,

* dire et juger que dans son jugement du 6 mars 2014, le Tribunal de commerce de Paris a statué extra petita en déboutant la société La Diffusion/Sofradif d'une demande en dommages et intérêts pour préavis insuffisant fondée sur l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce qu'elle n'a nullement formulée,

* dire et juger que la cessation des deux contrats d'agents commerciaux est exclusivement imputable à la société Elsevier Masson et que la société La Diffusion/Sofradif est bien fondée à réclamer une indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de cette cessation conformément à l'article L. 134-12 du Code de commerce,

* dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris n'a pas tiré les conséquences de sa décision en omettant de statuer sur la demande de la société La Diffusion/Sofradif fondée sur l'article L. 134-12 du Code de commerce,

* condamner la société Elsevier Masson à verser à la société La Diffusion/Sofradif la somme de 2 905 330,84 euro en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce,

* dire et juger que la société Elsevier Masson a tenté de soumettre la société La Diffusion/Sofradif à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,

* condamner la société Elsevier Masson à verser à la société La Diffusion/Sofradif la somme de 50 000 euro en réparation de son préjudice moral,

* déclarer recevable cette demande en réparation du préjudice moral,

* dire et juger que la société Elsevier Masson a fait preuve de mauvaise foi et de légèreté blâmable avant et lors de l'introduction de la présente instance,

* condamner la société Elsevier Masson à verser à la société La Diffusion/Sofradif la somme de 10 000 (dix mille) euro pour procédure abusive,

En tout état de cause,

* condamner la société Elsevier Masson à verser à la société La Diffusion/Sofradif la somme de 40 000 (quarante mille) euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* condamner la société Elsevier Masson aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu ses dernières conclusions du 24 juin 2015 par lesquelles la société Elsevier Masson demande à la cour de :

- la recevoir en son appel incident,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 6 mars 2014 en ce qu'il a débouté la société La Diffusion/Sofradif de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de son exclusivité, de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, et de toutes ses demandes autres plus amples ou contraires,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 6 mars 2014 sur tous les autres points,

- dire et juger que la demande de la société La Diffusion/Sofradif aux termes de laquelle elle sollicite de la cour de " dire et juger que la société Elsevier Masson a tenté de soumettre la société LA Diffusion/Sofradif à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties " constitue une demande nouvelle sur le fondement de l'article 564 du Code de procédure civile.

Et statuant à nouveau,

- déclarer irrecevable en cause d'appel la demande de la société La Diffusion/Sofradif aux termes de laquelle elle sollicite de la cour de " dire et juger que la société Elsevier Masson a tenté de soumettre la société La Diffusion/Sofradif à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties " et " condamner la société Elsevier Masson à verser à la société La Diffusion/Sofradif la somme de 50 000 euro en réparation de son préjudice moral ".

- condamner la société La Diffusion/Sofradif à payer à la société Elsevier Masson :

* La somme de 235,099 euro (à parfaire) au titre du chiffre d'affaires net de commissions qui aurait dû loyalement être réalisé au troisième et quatrième trimestre 2011,

* La somme de 2,746,396 euro (à parfaire) au titre du chiffre d'affaires net de commissions qui aurait légitimement dû être réalisé si la relation commerciale entre Elsevier Masson et la société La Diffusion/Sofradif s'était renouvelée,

* La somme de 137,500 euro au titre du remboursement des frais engagés pour le licenciement par Elsevier Masson de deux commerciaux,

- condamner la société La Diffusion/Sofradif à verser à la société Elsevier Masson la somme de 300 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance.

En tout état de cause,

- débouter la société La Diffusion/Sofradif de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société La Diffusion/Sofradif à verser à la société Elsevier Masson la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner la société La Diffusion/Sofradif aux entiers dépens d'instance et d'appel ces derniers distraits au profit de la Selarl Pmg.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Sur la demande de la société Sofradif demandant à la cour de dire que dans son jugement du 6 mars 2014, le Tribunal de commerce de Paris a statué ultra petita

La société Sofradif fait valoir que les premiers juges, en la déboutant d'une demande en dommages et intérêts pour préavis insuffisant fondée sur l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, ont statué ultra petita, dès lors qu'elle ne l'avait pas formulée.

La société Elsevier n'a pas fait d'observations sur ce point de sorte que la cour réformera le jugement et en donnera acte à la société Sofradif.

Sur la rupture du contrat d'agent commercial

La société Sofradif soutient que la société Elsevier a résilié en connaissance de cause les contrats d'agents commerciaux qui les liaient et qu'elle a abusivement provoqué la cessation de la relation contractuelle, alors que la société Elsevier affirme qu'elle n'a jamais eu l'intention de rompre la relation d'agence commerciale et que cette décision a été prise par la société Sofradif qui a brutalement mis fin aux pourparlers en cours qui avaient pour objet le renouvellement des contrats.

L'article L. 134-4 dispose que " Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties ".

Si l'intérêt commun qui caractérise le mandat d'agent commercial implique qu'il ne peut pas être révoqué pour des motifs économiques qui seraient propres au mandant, il ne saurait empêcher celui-ci de se réorganiser en fonction des évolutions économiques de son secteur économique ; les parties avaient déjà dans le passé renégocié les conditions du contrat d'agence commerciale les liant ; le développement du commerce en ligne ne constitue pas une circonstance économique qui serait propre à l'une des parties de sorte que la société Sofradif ne peut alléguer d'un intérêt personnel de son mandant à se réorganiser en raison de cette évolution technologique qui touche la vie économique dans son ensemble.

La société Sofradif ne conteste pas que le 2 mai 2011 lors de la notification par la société Elsevier de sa décision de ne pas renouveler le contrat en cours, elle savait que celle-ci avait l'intention de lui transmettre un nouveau contrat quand bien même elle affirme avoir été inquiète sur les modalités qui allaient lui être proposées, la société Elsevier lui ayant écrit " Comme convenu lors de notre dernier appel nous allons vous proposer un nouveau contrat (qui vous proposera aussi un traitement des impayés " ; lors de la notification de la résiliation du second contrat le 8 septembre, la société Elsevier lui a de nouveau écrit " Comme cela a été convenu lors de notre entretien du 30 août 2011, notre volonté est de vous faire une nouvelle proposition de contrat prenant en compte la nouvelle orientation de notre politique commerciale " ; elle ne conteste pas que l'intention des parties a été alors de remplacer les deux contrats existant par un seul contrat.

L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose que " en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ".

Ces dispositions visent la cessation des relations entre le mandant et son agent et non le contrat de sorte qu'en présence d'un contrat venu à son terme, son renouvellement, fût-ce sur des bases nouvelles, exclut le droit à commission ; or en l'espèce les parties ont entendu négocier les nouvelles conditions de leurs relations comme elles l'avaient déjà fait dans le passé nonobstant la résiliation des contrats en cours ; elles ont à cette fin engagé des négociations en cours d'exécution du préavis contractuel ; si la société Elsevier a alors invoqué sa propre réorganisation, il ne s'ensuit pas pour autant qu'elle a poursuivi son seul intérêt, la société Sofradif n'a d'ailleurs formulé aucune réserve qui l'aurait laissé supposer ; en conséquence les parties se trouvaient dans une situation de renouvellement des contrats en cours, dont le principe a été accepté par chacune d'elles de sorte que la société Sofradif ne saurait se prévaloir de la résiliation des contrats précédents sauf à démontrer la mauvaise foi de la société Elsevier.

La société Sofradif soutient que les propositions qui lui ont été faites ne prenaient en compte que les intérêts du mandant en ignorant ses demandes répétées notamment sur l'augmentation de son taux de commissionnement, faisant valoir que la société Elsevier a agi en connaissance de cause afin de provoquer son refus et de lui imputer le non-renouvellement des contrats en cours.

Il convient de relever que par un courriel du 16 mai 2011 la société Sofradif a envisagé une date de signature du nouveau contrat remplaçant celui de 2004 et ce dès le 15 juillet 2011, calendrier qui a été perturbé du fait de la maladie incurable qui a touché M. Dessale, le responsable commercial de la société Sofradif ; en même temps la société Elsevier a proposé de nouvelles offres d'ouvrages ce qui était favorable à son mandataire qui les a acceptées et démontre la volonté de chacune des sociétés de poursuivre la relation commerciale, la société Sofradif ne formulant alors aucun grief quant à ses intérêts.

Il résulte des courriels échangés en juillet 2011 que les discussions ont alors porté sur la manière dont le réseau pourrait être réorganisé, la société Sofradif préconisant la mise en place de vendeurs supplémentaires pouvant aller jusqu'à 23 prévue en 2012/2013 et précisant alors qu'un même commercial pouvait travailler sur plusieurs départements.

Les négociations qui avaient été menées pour la société Sofradif par son responsable commercial, M. Dessale se sont poursuivies, en raison de la maladie de celui-ci, à la rentrée 2011, avec le PDG de la société Sofradif, M. Auzou ; le 26 septembre 2011, la société Elsevier a adressé un courriel à la société Sofradif pour lui confier avec effet immédiat 15 départements français ; M. Auzou a répondu dès le lendemain pour la remercier de la rapidité de sa réaction et pour " la modification des secteurs ", précisant avoir libéré la Belgique ; la société Sofradif n'a pas formulé la moindre réserve sur cette réorganisation sectorielle qu'elle a mise en œuvre ; elle n'en a pas davantage contesté l'intérêt dans les semaines qui ont suivi, ni formulé les moindres réserves quant à son organisation ; dès lors la modification du secteur de la société Sofradif résulte de la négociation entreprise entre les parties et de leur accord, le retrait de la Belgique étant la contrepartie de l'attribution de départements supplémentaires ; le 21 octobre 2011 la société Elsevier a adressé un projet de contrat qui stipulait que d'autres départements non couverts étaient confiés à la société Sofradif avec effet immédiat ce qui avait pour conséquence de doubler le nombre de ses territoires ; par ailleurs ce projet accordait l'exclusivité de la représentation à la société Sofradif pour tous les territoires couverts par un de ses représentants, l'absence d'exclusivité ne jouant que si sur ces territoires la société Sofradif n'estimait pas devoir y être représentée.

La société Elsevier ajoute que dans trois des départements du secteur confié, elle avait précédemment des représentants et qu'ils étaient à forte densité médicale de sorte que le potentiel commercial ouvert à la société Sofradif a fortement augmenté entre le début et la fin de l'année 2011.

Il ne peut être contesté néanmoins que les parties ne sont pas parvenues à un accord final, quand bien même la société Sofradif a redéployé immédiatement son secteur géographique puisque le contrat proposé n'a pas été signé et que de nouvelles réunions se sont tenues entre le 2 et le 14 novembre aboutissant à l'envoi d'une proposition de contrat de distribution que la société Sofradif a refusé, confirmant alors son choix quant au maintien de son statut d'agent commercial mais souhaitant alors une durée non plus de deux ans mais de 5 ans ce qui a été acté par la société Elsevier.

La société Sofradif fait valoir que le taux de commissionnement était un des éléments essentiels de la négociation ; toutefois, si M. Dessale avait écrit dès le 2 décembre 2010 " Puisque vous travaillez sur un avenant concernant la Diffusion des traités médicaux, pourquoi ne pas revoir les taux de commission car avec 55 % et 60 %, vous comprendrez qu'en nous demandant de partager votre risque nous serions placés dans une impasse. En 2008 nous perdons -84 000 euro, j'ai baissé les commissions drastiquement au risque de perdre des commerciaux. En 2009 nous perdons -34 000 euro. Malgré cela nous perdons une somme importante ", cette demande a été formulée avant l'évolution du secteur qui lui a été confié et elle ne justifie pas l'avoir ensuite renouvelée lors de son refus du contrat de distribution, son exigence ayant alors porté sur la durée du contrat d'agent commercial renouvelé.

La société Elsevier fait observer qu'elle avait accepté que la rémunération de la société Sofradif telle que prévue dans le projet initial du 21 octobre soit revue à la hausse, ajoutant que la réduction du taux de commission était au demeurant très limitée puisqu'elle n'a concerné que certains produits et que le taux a été augmenté sur d'autres produits de sorte que la rémunération a augmenté en valeur absolue.

Elle a en toute hypothèse proposé un nouveau projet le 14 novembre 2011 améliorant au profit de la société Sofradif sa proposition du 21 octobre en ce qu'elle :

- actait une durée initiale de 5 ans.

- étendait à tout le territoire français le mandat de la société Sofradif au lieu de 29 départements.

- les objectifs de vente étaient renvoyés en annexe sans être qualifiés d'objectifs.

- la rémunération était augmentée soit :

54 % au lieu de 50 % pour les traités EMC et Akos,

58 % au lieu de 55 % pour le traité du Savoir et des Soins Infirmiers,

25 % pour les reliures.

La société Sofradif fait valoir que sa rémunération subissait néanmoins une diminution par rapport aux contrats résiliés de 1% pour les traités EMC et Akos, qu'elle était bloquée à 58 % pour le traité 2SI alors qu'elle pouvait atteindre 61 % en fonction du nombre d'exemplaires vendus, de 5 % pour les reliures ; elle ajoutait qu'étaient maintenues les clauses de résiliation pour non-respect des objectifs et de partage du risque d'impayé.

Il convient de relever que la clause de résiliation en cas de non-réalisation des objectifs de chiffre d'affaires figurait déjà dans le contrat du 8 décembre 2004 de même que l'interdiction de prospecter sur les congrès médicaux ; si le risque d'impayé avait été quelque peu augmenté, il restait très limité puisque ne représentant en moyenne que 1 % du chiffre d'affaires.

En contrepartie la société Sofradif avait vu son territoire et son exclusivité largement étendu ; par ailleurs elle ne peut prétendre que la promotion et la vente en ligne lui étaient retirées puisque le projet de contrat stipulait une commission au titre des ventes en ligne des produits dont la distribution lui était confiés.

Enfin si la société Sofradif soutient que ce dernier projet ne lui convenait pas davantage, elle ne produit aucun écrit en ce sens ; elle ne fait état que de contestations orales et ne justifie d'aucune contreproposition ; elle a seulement écrit le 21 novembre 2011, sans avoir donné de réponse à la dernière proposition qu'elle avait reçue, qu'elle prenait acte des résiliations des deux contrats de 2004 et 2009 en sollicitant une indemnité de résiliation.

Le 9 décembre 2011 la société Elsevier lui a alors indiqué " Comme nous vous l'avons indiqué il (le nouveau contrat) doit vous permettre de dégager une marge supérieure aux contrats précédents. Nous devons vous préciser cependant que si vous souhaitez conserver les mêmes rémunérations que par le passé nous vous confirmons en tant que de besoin notre accord pour maintenir les mêmes rémunérations ", courrier auquel la société Sofradif n'a pas répliqué.

Il résulte de ces éléments que la société Elsevier a proposé dans des conditions loyales le renouvellement des contrats précédents par un nouveau contrat qui ne remettait pas en cause les intérêts économiques de la société Sofradif et que cette dernière, après en avoir accepté et mis en œuvre certaines modalités, a décidé de refuser ce renouvellement alors même qu'elle ne démontre pas que ce nouveau contrat modifiait de façon substantielle les conditions économiques de sa relation commerciale avec son mandant ; la rupture est dès lors de son fait et elle ne saurait pas prétendre à l'indemnité de résiliation.

En conséquence il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Sofradif de ses demandes autres plus amples ou contraires quand bien même il n'a pas visé expressément l'indemnité de rupture.

Sur l'abus du droit de rompre les pourparlers allégués par la société Elsevier

La société Elsevier soutient que la société Sofradif a abusé de son droit de rompre les pourparlers alors même qu'elle pouvait croire que celle-ci allait signer le nouveau contrat proposé qui avait intégré ses exigences.

La société Sofradif était en droit de ne pas renouveler son contrat d'agent commercial sauf à le faire de façon non équivoque ; or elle a poursuivi des pourparlers pendant 7 mois, mis en œuvre la modification de son secteur et alors que les négociations avaient abouti à une proposition économique au moins aussi favorable que celle résultant des précédents contrats, elle a mis fin à ces négociations sans pour autant justifier de son refus ; elle a en conséquence manifestement abusé de son droit.

Si la société Elsevier peut dès lors invoquer un préjudice, celui-ci ne peut résulter que de la rupture des pourparlers et non du défaut de poursuite des contrats résiliés à leur terme, ni sur celui en cours de négociation ; or elle invoque un préjudice résultant du chiffre d'affaires net non réalisé lequel ne résulte pas de la rupture fautive des pourparlers mais du non-renouvellement du contrat précédent sur de nouvelles bases ; elle fait également état du préjudice lié au licenciement de cinq de ses commerciaux affectés exclusivement aux nouveaux territoires attribués à la société Sofradif ; si elle produit copie de son registre du personnel démontrant que deux d'entre eux l'ont quittée respectivement les 7 novembre et 31 décembre 2011, et qu'elle a engagé des frais d'un montant de 137 500 euro pour les licencier, ces frais sont antérieurs à la rupture et sont la conséquence de la mise en œuvre de nouvelles conditions contractuelles et non de la rupture des pourparlers eux-mêmes ; c'est à bon droit que les premiers juges l'ont déboutée de sa demande.

Sur les manquements contractuels allégués par la société Elsevier

La société Elsevier soutient que la société Sofradif a manqué à ses obligations à l'occasion de l'exécution du préavis contractuel en ce qu'elle n'a pas exécuté celui-ci en bon professionnel, manquant délibérément d'efficacité et de diligence.

Elle relate que les ventes de produits et d'abonnement ont lourdement chuté au cours des 3e et 4e trimestres 2011, soit une baisse en valeur de 32 et 36 % et en volume de 34 et 37 %. Le nouveau Traité Soins et Infirmiers connaissant même une baisse de 58 % et de 67 % par rapport au troisième et quatrième trimestres de l'année précédente.

La société Sofradif ne conteste pas cette baisse, indiquant que celle-ci est intervenue au moment où M. Dessale, son responsable commercial a vu sa maladie s'aggraver ; elle ajoute que seul le contrat du 8 décembre 2004 comportait des objectifs et que ceux-ci ont été atteints, la preuve contraire n'étant pas rapportée.

Si elle ne conteste pas avoir diminué le nombre de ses commerciaux passé de 25 à 17, le désengagement qui en résulte caractérise sa volonté de ne pas poursuivre sa relation d'agent commercial comme il a été exposé précédemment ; la réorganisation de son activité était alors son droit, le préavis étant destiné à permettre au mandataire de prendre des dispositions pour l'avenir en s'adaptant aux nouvelles conditions de son activité à la suite de la résiliation de son mandat, la diminution de ses agents et donc de son chiffre d'affaires n'en étant que la conséquence.

La société Elsevier ne démontre donc pas qu'elle aurait subi un préjudice du fait d'un abus de droit commis par la société Sofradif dans l'exécution de son préavis ; c'est donc à bon droit qu'elle a été déboutée de sa demande.

Sur les manquements contractuels allégués par la société Sofradif

La société Sofradif soutient que la société Elsevier ne l'a pas mise en mesure d'exécuter son mandat, faisant valoir qu'il a été imposé unilatéralement des modifications dont celle de retirer la Belgique de son secteur, de mettre en ligne le traité 2SI et un accès aux autres ouvrages sur des supports numériques.

Comme il a été vu, la modification du secteur d'intervention de la société Sofradif a été négociée et acceptée par les parties elles-mêmes ; par ailleurs, si la société Elsevier a développé la numérisation de ses ouvrages, cette politique liée à l'évolution technologique ne constitue pas un manquement à ses obligations vis à vis de son agent qui était aussi rémunéré sur les ventes en ligne.

La société Sofradif fait état d'un comportement déloyal de son mandant car un de ses commerciaux est intervenu sur les départements 27, 76 et 78 qui relevaient de son secteur. Pour autant la société Elsevier indique avoir pris en compte cette situation, imputable à un de ses agents et avoir commissionné la société Sofradif ce que ne conteste pas celle-ci qui ne démontre pas avoir subi une perte de commissions ni un préjudice d'image ; c'est donc à bon droit qu'elle a été déboutée de sa demande par les premiers juges.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Elsevier a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs, Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la société Sofradif de demande du chef d'un préavis insuffisant. Donne acte à la société Sofradif qu'elle n'a pas formulé de demande du chef d'un préavis insuffisant. Condamne la société Sofradif à payer à la société Elsevier la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Sofradif aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.