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Décisions

CJUE, 6e ch., 19 novembre 2015, n° C-74/15

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tarcau

Défendeur :

Banca Comerciala Intesa Sanpaolo România SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Borg Barthet

Avocat général :

Mme Kokott

Juges :

Mme Berger (rapporteur), M. Rodin

Avocats :

Mes Herta, Bercea

CJUE n° C-74/15

19 novembre 2015

LA COUR (sixième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 1er, paragraphe 1, et 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. et Mme Tarcau à Banca Comerciala Intesa Sanpaolo România SA e.a. au sujet d'un contrat de garantie immobilière et d'un contrat de cautionnement.

Le cadre juridique

Le droit de l'Union

3 Les neuvième et dixième considérants de la directive 93/13 sont rédigés comme suit:

"[...] les acquéreurs de biens ou de services doivent être protégés contre les abus de puissance du vendeur ou du prestataire, en particulier contre les contrats d'adhésion et l'exclusion abusive de droits essentiels dans les contrats;

[...] une protection plus efficace du consommateur peut être obtenue par l'adoption de règles uniformes concernant les clauses abusives; [...] ces règles doivent s'appliquer à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur; [...] par conséquent, sont notamment exclus de la présente directive les contrats de travail, les contrats relatifs aux droits successifs, les contrats relatifs au statut familial ainsi que les contrats relatifs à la constitution et aux statuts des sociétés".

4 L'article 1er, paragraphe 1, de cette directive dispose :

"La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur."

5 L'article 2 de ladite directive définit les notions de "consommateur" et de "professionnel" de la manière suivante :

"Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b) " consommateur " : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle;

c) " professionnel " : toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu'elle soit publique ou privée."

Le droit roumain

6 La loi n° 193/2000 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus entre les commerçants et les consommateurs (Legea nr. 193/2000 privind clauzele abuzive din contractele încheiate între comercianti si consumatori), dans sa version republiée (Monitorul Oficial al României, partie I, n° 305, du 18 avril 2008) vise à transposer la directive 93/13 dans le droit interne.

7 L'article 1er, paragraphe 1, de cette loi prévoit :

"Tout contrat conclu entre un commerçant et un consommateur en vue de la vente de marchandises ou de la fourniture de services contient des clauses contractuelles claires, non équivoques et qui ne nécessitent pas de connaissances spécifiques pour être comprises."

8 L'article 2, paragraphe 1, de la même loi précise :

"Il convient d'entendre par 'consommateur' toute personne physique ou tout groupe de personnes physiques constitué en association qui, dans le cadre d'un contrat relevant du domaine d'application de la présente loi, agit dans des buts étrangers à ses activités commerciales, industrielles ou de production, artisanales ou libérales."

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9 Le 24 octobre 2008, un contrat de crédit a été conclu entre Banca Comerciala Intesa Sanpaolo România SA (ci-après "Sanpaolo"), en qualité de prêteur, et SC Crisco SRL (ci-après la "société Crisco"), une société commerciale agissant en qualité d'emprunteur. Cette dernière était représentée par M. Cristian Tarcau, en qualité d'associé unique et de gérant.

10 À la demande de leur fils, M. Cristian Tarcau, qui souhaitait obtenir une augmentation de la ligne de crédit qui avait été accordée à la société Crisco, M. Dumitru Tarcau et Mme Ileana Tarcau ont signé, le 7 août 2009, un avenant au contrat de crédit conclu entre cette société et Sanpaolo. Cet avenant reprenait les clauses essentielles du contrat de crédit initial et ajoutait aux garanties déjà constituées lors de la conclusion de ce contrat deux nouvelles garanties consenties par M. et Mme Tarcau.

11 Les nouvelles garanties, destinées à garantir le remboursement du crédit accordé à la société Crisco, ont été consenties par M. et Mme Tarcau sous la forme d'un contrat de garantie immobilière, en date du 7 août 2009, par lequel ils ont constitué une hypothèque sur un bien immobilier leur appartenant au profit de Sanpaolo, et d'un contrat de cautionnement, portant également la date du 7 août 2009, par lequel ils se sont portés garants du paiement de toutes les sommes dues par la société Crisco en exécution du contrat de crédit.

12 Selon les affirmations de M. et Mme Tarcau, ceux-ci n'ont accepté de se porter garants pour le crédit accordé à la société Crisco qu'en considération du fait que leur fils était l'unique associé et gérant de cette société.

13 Estimant qu'ils avaient agi en tant que consommateurs et que les dispositions de la loi n° 193/2000 leur étaient applicables, M. et Mme Tarcau ont saisi le Tribunalul Satu Mare (tribunal de Satu Mare) aux fins d'obtenir l'annulation de l'avenant du 7 août 2009 ainsi que des contrats de garantie immobilière et de cautionnement ou, à titre subsidiaire, celle de certaines des clauses de ces contrats qu'ils considèrent comme étant abusives.

14 Par jugement du 8 mai 2014, le Tribunalul Satu Mare (tribunal de Satu Mare) a rejeté cette demande au motif que, selon son article 1er, paragraphe 1, la loi n° 193/2000 ne s'applique qu'aux contrats ayant pour objet la vente d'un bien ou la fourniture d'un service à un consommateur, condition qui ne serait pas remplie dans le litige au principal dès lors que le bénéficiaire du crédit est la société Crisco. Cette juridiction a également considéré que le fait que les contrats de garantie immobilière et de cautionnement présentent un caractère accessoire par rapport au contrat de crédit ne permet pas non plus de les inclure dans le champ d'application de la loi n° 193/2000, étant donné que le bénéficiaire du crédit est une société commerciale qui n'a pas la qualité de consommateur.

15 M. et Mme Tarcau ont interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

16 C'est dans ces conditions que la Curtea de Apel Oradea (cour d'appel d'Oradea) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) En ce qui concerne la définition de la notion de 'consommateur', l'article 2, sous b), de la directive 93/13 doit-il être interprété en ce sens qu'il inclut ou, au contraire, en ce sens qu'il exclut de cette définition les personnes physiques qui ont signé, en qualité de garant, des avenants et des contrats accessoires (contrats de cautionnement ou de garantie immobilière) au contrat de crédit conclu par une société commerciale en vue de l'exercice de son activité, dans une situation dans laquelle ces personnes physiques n'ont aucun lien avec l'activité de ladite société commerciale et ont agi dans un but étranger à leur activité professionnelle ?

2) L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit-il être interprété en ce sens que seuls les contrats conclus entre commerçants et consommateurs ayant pour objet la vente de biens ou la fourniture de services relèvent du champ d'application de cette directive, ou bien en ce sens que les contrats accessoires (les contrats de garantie ou de cautionnement) à un contrat de crédit dont le bénéficiaire est une société commerciale, conclus par les personnes physiques qui n'ont aucun lien avec l'activité de ladite société commerciale et qui ont agi dans un but étranger à leur activité professionnelle, relèvent également du champ d'application de ladite directive ?"

Sur les questions préjudicielles

17 En vertu de l'article 99 de son règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l'avocat général entendu, décider de statuer par voie d'ordonnance motivée.

18 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

19 Par ses questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 1er, paragraphe 1, et 2, sous b), de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que cette directive peut s'appliquer à un contrat de garantie immobilière ou de cautionnement conclu entre une personne physique et un établissement de crédit en vue de garantir les obligations qu'une société commerciale a contractées envers cet établissement dans le cadre d'un contrat de crédit, lorsque cette personne physique n'a aucun lien de nature professionnelle avec ladite société.

20 À cet égard, il convient de rappeler que cette directive s'applique, ainsi qu'il ressort de ses articles 1er, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, aux clauses des "contrats conclus entre un professionnel et un consommateur" qui n'ont "pas fait l'objet d'une négociation individuelle" (voir arrêt Šiba, C-537/13, EU :C :2015 :14, point 19).

21 Ainsi que l'énonce le dixième considérant de la directive 93/13, les règles uniformes concernant les clauses abusives doivent s'appliquer à "tout contrat" conclu entre un professionnel et un consommateur, tels que définis à l'article 2, sous b) et c), de ladite directive (voir arrêts Asbeek Brusse et de Man Garabito, C-488/11, EU :C :2013 :341, point 29, ainsi que Šiba, C-537/13, EU :C :2015 :14, point 20).

22 L'objet du contrat est ainsi, sous réserve des exceptions énumérées par le dixième considérant de la directive 93/13, sans pertinence pour définir le champ d'application de cette directive. En cela, cette dernière se distingue notamment de la directive 87/102/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation (JO 1987, L 42, p. 48), qui n'est applicable qu'aux contrats en vertu desquels un prêteur consent à un consommateur un crédit sous la forme d'un délai de paiement, d'un prêt ou de toute autre facilité de paiement similaire, ce qui a conduit la Cour à exclure le contrat de cautionnement du champ d'application de cette dernière directive (arrêt Berliner Kindl Brauerei, C-208/98, EU :C :2000 :152, points 17 à 23).

23 C'est donc par référence à la qualité des contractants, selon qu'ils agissent ou non dans le cadre de leur activité professionnelle, que la directive 93/13 définit les contrats auxquels elle s'applique (voir arrêts Asbeek Brusse et de Man Garabito, C-488/11, EU :C :2013 :341, point 30, ainsi que Šiba, C-537/13, EU :C :2015 :14, point 21).

24 Ce critère correspond à l'idée sur laquelle repose le système de protection mis en œuvre par cette directive, à savoir que le consommateur se trouve dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d'information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir arrêts Asbeek Brusse et de Man Garabito, C-488/11, EU :C :2013 :341, point 31, ainsi que Šiba, C-537/13, EU :C :2015 :14, point 22).

25 Cette protection est particulièrement importante dans le cas d'un contrat de garantie ou de cautionnement conclu entre un établissement bancaire et un consommateur. Un tel contrat repose en effet sur un engagement personnel du garant ou de la caution à payer la dette contractée par un tiers. Cet engagement entraîne pour celui qui y consent des obligations lourdes qui ont pour effet de grever son propre patrimoine d'un risque financier souvent difficile à mesurer.

26 Quant au point de savoir si une personne physique qui s'engage à garantir les obligations qu'une société commerciale a contractées envers un établissement bancaire dans le cadre d'un contrat de crédit peut être considérée comme un "consommateur" au sens de l'article 2, sous b), de la directive 93/13, il y a lieu de relever qu'un tel contrat de garantie ou de cautionnement, s'il peut être décrit, quant à son objet, comme un contrat accessoire par rapport au contrat principal dont est issue la dette qu'il garantit [voir, dans le contexte de la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31) arrêt Dietzinger, C-45/96, EU :C :1998 :111, point 18], se présente, du point de vue des parties contractantes, comme un contrat distinct dès lors qu'il est conclu entre d'autres personnes que les parties au contrat principal. C'est donc dans le chef des parties au contrat de garantie ou de cautionnement que doit être appréciée la qualité dans laquelle celles-ci ont agi.

27 À cet égard, il convient de rappeler que la notion de "consommateur", au sens de l'article 2, sous b), de la directive 93/13, a un caractère objectif (voir arrêt Costea, C-110/14, EU :C :2015 :538, point 21). Elle doit être appréciée au regard d'un critère fonctionnel, consistant à apprécier si le rapport contractuel en cause s'inscrit dans le cadre d'activités étrangères à l'exercice d'une profession.

28 Il incombe au juge national saisi d'un litige portant sur un contrat susceptible d'entrer dans le champ d'application de cette directive de vérifier, en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce et de l'ensemble des éléments de preuve, si le contractant concerné peut être qualifié de "consommateur" au sens de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt Costea, C-110/14, EU :C :2015 :538, points 22 et 23).

29 Dans le cas d'une personne physique qui s'est portée garante de l'exécution des obligations d'une société commerciale, il appartient ainsi au juge national d'établir si cette personne a agi dans le cadre de son activité professionnelle ou en raison de liens fonctionnels qu'elle a avec cette société, tels que la gérance de celle-ci ou une participation non négligeable à son capital social, ou si elle a agi à des fins d'ordre privé.

30 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux questions posées que les articles 1er, paragraphe 1, et 2, sous b), de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que cette directive peut s'appliquer à un contrat de garantie immobilière ou de cautionnement conclu entre une personne physique et un établissement de crédit en vue de garantir les obligations qu'une société commerciale a contractées envers cet établissement dans le cadre d'un contrat de crédit, lorsque cette personne physique a agi à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle et n'a pas de lien de nature fonctionnelle avec ladite société.

Sur les dépens

31 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

Les articles 1er, paragraphe 1, et 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que cette directive peut s'appliquer à un contrat de garantie immobilière ou de cautionnement conclu entre une personne physique et un établissement de crédit en vue de garantir les obligations qu'une société commerciale a contractées envers cet établissement dans le cadre d'un contrat de crédit, lorsque cette personne physique a agi à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle et n'a pas de lien de nature fonctionnelle avec ladite société.