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Décisions

Cass. com., 5 janvier 2016, n° 13-22.563

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Le Bras

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel

Cass. com. n° 13-22.563

5 janvier 2016

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Sage que sur le pourvoi incident relevé par la société Orditech ;- Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 22 mai 2013), que la société Orditech, qui vend du matériel informatique et propose à ses clients des logiciels et des contrats de maintenance et de mise à jour, était revendeur agréé de la société Sage, concepteur de logiciels ; que la société Sage lui a retiré son agrément et s'est adressée directement, à la fin de l'année 2007 et début 2008, pour les informer de ce retrait, aux clients qui avaient acquis des licences auprès de la société Orditech et passé des contrats d'assistance avec celle-ci ; que plusieurs clients ayant dénoncé les contrats de maintenance et d'assistance qui les liaient à elle, la société Orditech a assigné la société Sage en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; que la société Sage, invoquant la diffusion par la société Orditech d'informations trompeuses auprès de ses clients, a demandé reconventionnellement sa condamnation à des dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Sage fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Orditech la somme de 125 000 euro à titre de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) que pour retenir que la société Sage avait commis une faute, la cour d'appel lui a reproché d'être entrée en contact directement avec les clients de la société Orditech pour leur délivrer une information erronée, à savoir que la " seule possibilité pour eux d'assurer la maintenance de leurs logiciels était de contracter directement avec elle ou avec d'autres revendeurs "; que la société Sage, dans le courriel litigieux, précisait seulement que le contrat, faute d'agrément, " ne pourrait être reconduit aux conditions Sage "; c'est-à-dire avec les garanties de compétence et de contrôle que la société Sage assure à ses utilisateurs quand elle agrée un distributeur ; qu'en énonçant que par ce courriel, la société Sage indiquait que la société Orditech ne serait plus en mesure d'assurer la maintenance des logiciels, quand seules étaient en cause les conditions auxquelles cette maintenance allait continuer à être fournie, la cour d'appel l'a dénaturé et a violé le principe selon lequel les juges ne doivent pas dénaturer les éléments de la cause ; 2°) qu'en offrant à ses clients une maintenance et une assistance sous agrément Sage, la société Orditech avait introduit l'agrément dans le champ contractuel la liant à ses clients, qui devaient être informés de ce que les prestations fournies le seraient désormais sous d'autres conditions, c'est-à-dire sans agrément et sous la seule garantie de la société Orditech ; qu'en retenant que l'intervention de la société Sage constituait une intrusion fautive dans les relations contractuelles existant entre la société Orditech et ses clients, sans rechercher si l'agrément n'était partie intégrante du contrat existant entre la société Orditech et ses clients, de sorte que la société Sage n'avait pas commis de faute en informant les clients de sa perte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que l'agrément, s'il procurait au distributeur des avantages, constituait également pour les utilisateurs des logiciels un intérêt certain par la garantie de qualité et de formation des techniciens qu'il leur procurait ; qu'il n'était pas indifférent pour les utilisateurs que les prestations d'assistance dont ils bénéficiaient soient agréées par la société Sage ou ne le soient pas ; qu'en ne recherchant pas si l'agrément ne constituait pas pour les clients de la société Orditech un élément important dont ils devaient être informés avant de renouveler le contrat d'assistance informatique, justifiant l'intervention de la société Sage afin d'informer ces clients, qui étaient également les utilisateurs de ses produits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°) qu'en ne recherchant pas si l'intervention directe de la société Sage auprès des clients de la société Orditech n'était pas justifiée et rendue nécessaire par le comportement de cette dernière, qui avait tenté d'obtenir le renouvellement des contrats de maintenance et d'assistance sans informer ses clients de la perte de l'agrément, de sorte que la société Sage n'avait fait que défendre l'intérêt de ses utilisateurs et son image contre le comportement déloyal de son distributeur, peu importe que le " contrat n'ait rien prévu de particulier " à cet égard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que sous le couvert du grief infondé de dénaturation, le moyen, en sa première branche, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que l'agrément de la société Sage était sans doute important, mais que les clients de la société Orditech n'étaient engagés envers cette société que dans les termes des contrats d'assistance passés avec cette dernière, indépendamment de l'agrément de la société Sage, et que la maintenance des logiciels pouvait être assurée par la société Orditech, à charge pour elle d'acquérir les nouvelles versions ; qu'il retient que s'il ne faut pas méconnaître que l'agrément de la société Sage donnait à la clientèle de la société Orditech des garanties de soutien et de contrôle, le contrat d'agrément lui-même ne prévoyait rien de particulier quant aux effets de sa résiliation à l'égard des clients du centre anciennement agréé et que, dans ces conditions, la société Sage, qui ne pouvait pas prendre directement contact avec la clientèle de la société Orditech, à laquelle elle pouvait tout au plus demander d'informer ses clients de son retrait d'agrément, a commis une faute au détriment de son revendeur, dont elle lui doit réparation ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis : - Attendu que la société Sage et la société Orditech font grief à l'arrêt de fixer à la somme de 125 000 euro le préjudice subi par la société Orditech alors, selon le moyen : 1°) que les dommages et intérêts doivent réparer intégralement le préjudice subi, sans perte ni gain pour la victime ; qu'en énonçant, pour évaluer le préjudice de la société Orditech à la somme de 125 000 euro, qu'il y avait lieu de " procéder par voie d'estimation forfaitaire minimale ", la cour d'appel a violé l'article 1149 du Code civil ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice ; 2°) que seule la perte de marge brute constitue un chef de préjudice indemnisable ; qu'en se référant, pour fixer le montant du préjudice, à la perte de chiffre d'affaires, la cour d'appel a violé l'article 1149 du Code civil ; 3°) que pour fixer le préjudice en perte de chiffre d'affaires, la cour d'appel a énoncé que la société Orditech est une société de service dont la principale charge est constituée de ses frais de personnels ; qu'en soulevant d'office cette circonstance, qui n'était invoquée par aucune des parties, la cour d'appel a violé le principe du contradictoire et l'article 16 du Code de procédure civile ; 4°) que le dommage qu'il appartient au juge de réparer est celui qui se trouve dans un lien de causalité avec la faute commise ; que la cour d'appel, qui a constaté que la société Sage avait commencé ses agissements fautifs à la fin de l'année 2007 - en octobre 2007, en réalité - pour décider ensuite que l'ensemble des résiliations prononcées au cours de l'année 2007 ne pouvait être imputé à la société Orditech dès lors qu'elles auraient toutes été antérieures aux agissements fautifs de celle-ci, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il s'évinçait qu'une partie au moins des résiliations prononcées en 2007 avait eu lieu postérieurement à la faute commise et pouvait donc être imputée à faute à la société Sage ; qu'elle a ainsi violé l'article 1382 du Code civil ; 5°) qu'en ne recherchant pas si, comme le soutenait la société Orditech dans ses conclusions d'appel, au regard de la durée moyenne des contrats d'assistance et de maintenance, qui est classiquement de cinq ans, le préjudice de la société Orditech ne devait pas lui-même être calculé, pour l'ensemble des contrats résiliés à la suite des agissements fautifs de la société Sage, par référence au chiffre d'affaires perdu sur cette même période de cinq ans, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 6°) que dans ses conclusions d'appel, la société Orditech soutenait qu'indépendamment du chiffre d'affaires généré par les contrats d'assistance et de maintenance, elle avait subi un préjudice, qu'elle évaluait à 47 000 euro, en matière d'achat et de fourniture de matériels ; que la cour d'appel, qui ne consacre aucun motif à ce chef du préjudice invoqué par la société Orditech, n'a pas répondu aux conclusions dont elle était saisie et a ainsi méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 7, alinéa 2, du Code de procédure civile, le juge peut prendre en considération, parmi les éléments du débat, même les faits que les parties n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions ; que la cour d'appel, qui a, par des motifs non critiqués, relevé que la société Orditech était une société de service dont les charges les plus importantes étaient des charges de personnel qu'elle n'aurait pu limiter dans l'immédiat, a pu retenir que son préjudice consistait en une perte de chiffre d'affaires ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé que les agissements fautifs de la société Sage ont commencé à la fin de l'année 2007 cependant que la société Orditech connaissait un recul important dès l'année 2007 de son chiffre d'affaires de maintenance des produits Sage, qu'il est difficile d'apprécier le préjudice subi par la société Orditech compte tenu de ce recul intervenu avant les faits, et qu'une expertise ne permettrait pas d'y remédier, l'arrêt retient qu'en extrapolant pour 2008 un recul normal identique à celui de 2007, il ne pourrait être imputé au conflit avec la société Sage qu'un recul supplémentaire dont il estime que la moitié seulement est imputable aux pressions fautives de la société Sage auprès de la clientèle de son revendeur, en l'absence de ventilation des résiliations intervenues au cours du premier et du second semestre 2008 et alors que les résiliations intervenues pendant cette période pouvaient résulter d'un choix normal des clients qui avaient pris connaissance du retrait d'agrément de la société Orditech ; qu'il relève encore que pour la période postérieure, certains clients qui ont résilié prématurément au début de l'année 2008 auraient pu se retrouver encore en 2009 ; qu'il retient enfin que, tous chefs de préjudice confondus, l'estimation du dommage de la société Orditech en relation directe et certaine avec les agissements fautifs de la société Sage doit être portée à 125 000 euro ; qu'en l'état de ces appréciations souveraines, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, n'a pas méconnu le principe de réparation intégrale ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Sage fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes reconventionnelles alors, selon le moyen, que la cassation de l'arrêt sur le premier moyen entraînera par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt sur la question du rejet des demandes reconventionnelles de la société Orditech, expressément fondées sur la faute retenue à l'encontre de la société Sage, en application des dispositions de l'article 625 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que le premier moyen ayant été rejeté, le moyen qui invoque une cassation par voie de conséquence est devenu inopérant ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois principal et incident.