Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-15.702
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Choquet, Assurances Oxygène finances (Sté)
Défendeur :
Assurtis (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 février 2014, RG n° 10/24826), qu'en 2006, la société Assurances Oxygène finances (la société AOF), dont M. Choquet était, avec d'autres, le cogérant, et la société Assurtis (le franchiseur) ont conclu un contrat de franchise portant sur la distribution de contrats d'assurance et de crédits à la consommation au sein d'un réseau exploité sous l'enseigne Assurtis, dans la zone de Nancy ; qu'en 2010, M. Choquet et la société AOF ont assigné le franchiseur en résiliation du contrat à ses torts exclusifs et en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen : - Attendu que M. Choquet et la société AOF font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages-intérêts formée au titre des manquements précontractuels du franchiseur alors, selon le moyen : 1°) que le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise une présentation sincère et sérieuse du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; qu'en se bornant à énoncer, pour décider que l'absence de remise d'une présentation du marché local et de ses perspectives de développement par la société Assurtis ne constituait pas un manquement précontractuel engageant sa responsabilité, que M. Choquet et son cogérant, M. Metzger, avaient une bonne connaissance du marché local en raison de leur vie professionnelle passée sur les secteurs Sud Meuse, Vosges et Est, ce sans rechercher et vérifier, ainsi qu'il lui était pourtant demandé, si M. Choquet et son cogérant disposaient de réelles compétences dans le domaine novateur du regroupement de crédits à la consommation, objet du concept Assurtis, d'une part, et s'ils disposaient personnellement d'informations suffisantes sur le marché local correspondant à leur nouveau lieu d'implantation, à savoir la ville de Nancy, alors qu'ils n'avaient ni travaillé ni habité dans cette ville auparavant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ; 2°) que le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise une présentation sincère et sérieuse du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; que la bonne connaissance du marché local par le franchisé n'affranchit pas le franchiseur de son obligation dès lors qu'il est seul à détenir des informations sur le potentiel de rentabilité et de compétitivité de son concept et de ses produits au plan local ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de M. Choquet et de la société AOF, que le non-respect par la société Assurtis des exigences légales relatives à la fourniture d'une présentation du marché local était en l'espèce indifférent au motif que M. Choquet et son cogérant, M. Metzger, auraient eu une bonne connaissance du marché local en raison de leurs activités professionnelles passées dans l'Est de la France, alors qu'il appartenait en toute hypothèse à la société Assurtis de fournir une présentation du marché local à la lumière de la spécificité de son concept et de ses produits, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ; 3°) que le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise une présentation sincère et sérieuse du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; que la bonne connaissance du marché local du franchisé n'affranchit pas le franchiseur de son obligation dès lors qu'il est seul à détenir des informations sur le potentiel de rentabilité et de compétitivité de son concept et de ses produits au plan local ; qu'en se bornant à énoncer par des motifs inopérants que M. Choquet et son cogérant avaient une bonne connaissance du marché local en raison de leurs activités professionnelles passées dans l'Est de la France et que le concept proposé par la société Assurtis présentait un caractère innovant, sans rechercher si la société Assurtis n'était pas en mesure de fournir à ses franchisés, et à M. Choquet et à la société Oxygène finance patrimoine en particulier, des informations sur le taux d'emprise, au moins potentiel, de son concept et de ses produits au plan local, et ce alors même qu'elle constatait que le concept était issu d'un savoir-faire conjugué, ce dont il résultait que la société Assurtis était pleinement capable de remettre à M. Choquet une présentation du marché local intégrant le taux d'emprise, au moins potentiel, de son concept et de ses produits sur le territoire contractuel concédé au franchisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 330-3 et R. 330-1du Code de commerce ; 4°) qu'il appartient au franchiseur de transmettre au franchisé un savoir-faire effectif ayant fait l'objet d'une expérimentation préalable ; qu'en énonçant, pour écarter tout manquement précontractuel de la part de la société Assurtis, que l'exploitation préalable du concept n'est pas une obligation à la charge du franchiseur avant la création du réseau, alors qu'il incombe au franchiseur de communiquer à ses franchisés un savoir-faire éprouvé, nécessaire pour que le contrat de franchise puisse conférer un avantage concurrentiel aux franchisés, la cour d'appel a violé les articles 1108, 1131 et 1134 du Code civil ; 5°) que les juges du fond doivent analyser, fût-ce sommairement, les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en énonçant péremptoirement que M. Choquet savait que le concept avait un caractère "innovant" et n'avait pas fait l'objet d'une exploitation préalable, ce sans analyser, fût-ce sommairement, les documents sur lesquels elle fondait son appréciation alors que M. Choquet soutenait dans ses écritures d'appel, offres de preuve à l'appui, qu'il n'avait jamais été informé de l'absence d'expérimentation du savoir-faire et du concept Assurtis mais simplement de son caractère innovant, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du Code de procédure civile ; 6°) que le franchiseur doit fournir au franchisé des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ; qu'en énonçant, pour écarter toute responsabilité de la société Assurtis au titre de la transmission d'information non sincères et déloyales, que les objectifs exposés par le franchiseur dans le contrat de franchise devaient être considérés comme tels et non comme des prévisions, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à établir que la société Assurtis n'avait pas sciemment transmis des chiffres exagérément optimistes sur la rentabilité de son réseau et de son concept de nature à exercer une influence sur le consentement du franchisé, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 330-3 du Code de commerce et 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé qu'aucune présentation du marché local et de ses perspectives ne figurait dans le document d'information précontractuelle (DIP) remis à la société AOF représentée par ses deux cogérants, comme le prévoit l'article R. 330-1 du Code de commerce, l'arrêt constate que ces derniers avaient une expérience professionnelle, acquise, dans le domaine de l'assurance pour l'un, dans le secteur du courtage et de la banque pour l'autre ; qu'il relève qu'ils se sont engagés après avoir reçu les avertissements de leur avocat concernant la portée des indications portées au DIP, selon lesquelles le franchisé déclarait réaliser lui-même une étude de marché cependant que le franchiseur ne fournissait aucune référence d'activité du fait de la création récente du réseau ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié l'absence de caractère déterminant de l'état du marché local et de ses perspectives pour les deux gérants de la société AOF, lesquels ont poursuivi leur projet en toute connaissance de cause, et qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que cette appréciation rendait inopérante, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé que le DIP mentionnait que la société Assurtis ne pouvait communiquer au franchisé aucun résultat chiffré du fait de sa création récente et précisait le domaine dans lequel chacune des deux sociétés fondatrices avait développé son expertise, ce dont il se déduisait que l'expérience acquise par ces dernières ne portait pas sur le concept innovant associant l'assurance et le crédit, l'arrêt retient que le franchisé a été informé de l'absence d'exploitation préalable du concept ; qu'en cet état, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la quatrième branche, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer davantage sur les éléments de preuve qu'elle retenait, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en dernier lieu, qu'après avoir retenu qu'il n'était pas établi que le franchiseur ait participé à la réalisation du compte d'exploitation prévisionnel sur la base duquel le franchisé a envisagé la rentabilité du concept, l'arrêt relève qu'aucun résultat n'a été contractuellement prévu par le franchiseur, ni n'a été garanti ; qu'il retient que les objectifs de souscription de contrats mentionnés dans la convention ne sont pas des prévisions, faisant ressortir qu'ils ne pouvaient raisonnablement servir de base d'analyse pour apprécier la rentabilité du contrat, et en déduit que rien n'établit que M. Choquet et la société AOF aient été conduits, par le fait de la société Assurtis, à apprécier d'une façon erronée la rentabilité de l'exploitation projetée et qu'il leur appartenait, en leur qualité de commerçants indépendants et responsables, d'apprécier la valeur économique du projet ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen : - Attendu que M. Choquet et la société AOF font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de résiliation du contrat de franchise aux torts et griefs exclusifs de la société Assurtis, de rejeter leur demande de dommages-intérêts au titre des manquements contractuels commis par le franchiseur, de prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société AOF, et de condamner cette dernière à payer à la société Assurtis une certaine somme au titre des redevances impayées et de l'indemnité de résiliation alors, selon le moyen : 1°) que la violation de conventions légalement formées permet au juge d'en prononcer la résiliation, laquelle n'est pas subordonnée à l'existence d'un préjudice ; que la résiliation d'un contrat peut résulter d'un manquement contractuel d'une certaine gravité imputable au débiteur de l'obligation indépendamment des conséquences qui en résultent pour le créancier de l'obligation inexécutée ; qu'en retenant qu'aucun grief ne peut être retenu contre la société Assurtis du fait de la suppression unilatérale, par cette dernière, du comparateur-auto, au motif que M. Choquet ne s'était plaint que tardivement de sa suppression, et que s'il avait indiqué que ses résultats en assurance-auto avaient été affectés par cette suppression, il ne justifiait pas de telles conséquences sur ses résultats, la cour d'appel, qui constatait dans le même temps que ce comparateur avait pris une part importante dans l'argumentaire développé par Assurtis pour la signature du contrat de franchise, et faisait ainsi ressortir des motifs de son arrêt que la suppression du comparateur-auto constituait un manquement contractuel d'une particulière gravité de la part de la société Assurtis, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 1134, 1147 et 1184 du Code civil ; 2°) qu'en estimant qu'aucun grief ne peut être retenu contre la société Assurtis du fait de la suppression unilatérale, par cette dernière, du comparateur-auto, au motif que M. Choquet ne s'est plaint que tardivement de la suppression de ce comparateur, et qu'il n'a pas justifié que ses résultats en ont souffert, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à justifier son arrêt, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 1147 et 1184 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que le comparateur-auto présenté par le franchisé comme la " principale plus-value " de son cabinet avait pris une part importante dans l'argumentaire développé par le franchiseur, l'arrêt retient que le franchisé ne justifie toutefois pas que ses résultats aient souffert de sa suppression en octobre 2007 et constate qu'il ne s'est déclaré surpris de sa disparition qu'en mars 2009, soit un an et demi plus tard ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que le comparateur-auto n'avait pas constitué un élément essentiel de la franchise, de sorte que sa suppression aurait caractérisé un manquement contractuel d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat aux torts du franchiseur, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.