CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 janvier 2016, n° 14-08432
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
MJL21 Analytique (SARL)
Défendeur :
Agilent Technologies France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Dabosville
Avocats :
Mes Miosga, Panthou, Cadiot, Priet, Fournier
Rappel des faits et procédure
Par jugement, assorti de l'exécution provisoire, du 26 février 2014 le Tribunal de commerce de Paris a :
- rejeté comme irrecevables les arguments exposés dans la note en délibéré de la SARL MJL21 Analytique du 13 décembre 2013,
- débouté la SARL MJL21 Analytique de toutes ses demandes,
- débouté la SAS Agilent Technologies France de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la SARL MJL21 Analytique à payer 3 000 euro à la SAS Agilent Technologies France au titre de l'article 700 du CPC, déboutant pour le surplus,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- dit les parties mal fondées en leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent jugement et les en déboute,
- condamné la SARL MJL21 Analytique aux dépens du présent jugement dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82, 44 euro dont 13,52 euro de TVA.
La société MJL21 Analytique a interjeté appel le 15 avril 2014.
Dans ses dernières conclusions du 27 octobre 2014 la société MJL21 Analytique demande à la cour de :
- Dire et juger que la société MJL21 Analytique n'a pas brutalement rompu ses relations commerciales avec la société Agilent Technologies de sorte que sa responsabilité ne peut être recherchée.
- Dire et juger que la société Agilent Technologies a brutalement et partiellement rompu les relations commerciales établies avec la société MJL21 Analytique.
- Dire et juger que de ce fait la responsabilité de la société Agilent Technologies est pleinement engagée.
En conséquence,
- Confirmer le jugement déféré en qu'il a débouté la société Agilent Technologies de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale de relations commerciales établies.
- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société MJL21 Analytique de toutes ses demandes.
Et statuant à nouveau,
- Condamner la société Agilent Technologies à verser à la société MJL21 Analytique la somme de 176 000 euro (soit 24 mois de marge brute) à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.
En tout état de cause,
- Rejeter toute demande incidente et reconventionnelle d'Agilent Technologies.
- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société MJL21 Analytique à verser à la société Agilent Technologies la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
- Condamner la société Agilent Technologies à verser à la société MJL21 Analytique la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la même aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions du 11 décembre 2014 la société Agilent Technologies France demande à la cour de :
A titre principal,
- Constater l'absence de rupture brutale des relations commerciales établies imputable à Agilent et dire que les demandes de MJL21 Analytique à ce titre sont fantaisistes et non étayées.
- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 26 février 2014.
A titre reconventionnel,
- Dire et juger que MJL21 Analytique a rompu brutalement le contrat de fournisseur d'assistance agréé conclu avec Agilent, sans respecter de préavis, en violation de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.
- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 26 février 2014.
- Faire droit à l'appel incident que forme par les présentes Agilent.
- Y faisant droit, Condamner MJL21 Analytique à verser à Agilent la somme de 10 000 euro correspondant au préjudice subi.
En tout état de cause,
- Condamner MJL21 Analytique à payer à Agilent la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner MJL21 Analytique aux dépens, dont le montant pourra être recouvré par la SELARL Hands représentée par Maître Luc Couturier, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 septembre 2015.
Il résulte de l'instruction du dossier les faits suivants :
La société Hewlett Packard, avait conclu avec la société MJL21 Analytique un contrat de fournisseur et d'assistance agréée, qui avait pour objet de sous-traiter à cette dernière des activités de maintenance, d'installation et de réparation du matériel de chromatographie vendu par la société Hewlett-Packard dans la région Rhône-Alpes. Celle-ci a cédé sa branche d'activité en 2001 à la société Agilent Technologies (société Agilent).
Par la suite, la société Agilent et la société MJL21 Analytique ont conclu un premier contrat de fournisseur et d'assistance agréée le 3 juin 2002, renouvelé les 1er juillet 2006, puis le 17 août 2011.
Il résulte de ces contrats que la société MJL21 Analytique était rémunérée à la commande, sans garantie d'un chiffre d'affaires minimal et sans exclusivité.
La société MJL21 Analytique fait valoir que peu à peu, à compter de 2011, la société Agilent aurait cessé de lui confier des missions de maintenance et aurait supprimé des missions existantes. Elle ajoute qu'elle s'était inquiétée de sa situation par un courrier électronique du 13 septembre 2011, indiquant que depuis le mois de juillet aucune nouvelle activité ne lui aurait été confiée.
Toutefois il résulte de l'échange des courriels que le 26 octobre 2011 les parties étaient en négociation pour la signature d'un nouveau contrat, à l'occasion duquel la société MJL21 Analytique indiquait qu'elle souhaitait que son taux horaire d'intervention soit augmenté et précisait également qu'elle n'entendait plus intervenir au-delà d'un rayon de 100 km.
S'agissant de la baisse de commandes depuis le mois de juillet, la société Agilent lui répondait le 27 octobre que le contexte économique était difficile, lui précisait ne pas pouvoir, dans le cadre d'un nouveau contrat, augmenter son taux horaire et s'étonnait de son refus d'intervenir au-delà d'un rayon de 100 km, lui faisant observer qu'elle limitait d'elle-même les commandes qui pourraient lui être passées.
Néanmoins la société MJL21 Analytique adressait à la société Agilent le planning de ses interventions du 28 octobre au 14 novembre et précisait que Monsieur Gudefin, associé et seul intervenant de la société Agilent, était en congé du 15 novembre au 16 décembre inclus, laissant entendre qu'aucune intervention ne pouvait avoir lieu pendant cette période.
Le 20 décembre 2011, c'est-à-dire au retour de vacances de Monsieur Gudefin, la société MJL21 Analytique informait, par courrier électronique, la société Agilent que " compte tenu de la rupture brutale de vos relations commerciales depuis le mois de juin 2011, je suis dans l'obligation, après entretien avec mon conseiller, de mettre ma société en cessation d'activité très rapidement au 31 décembre 2011. L'ensemble des activités confiées jusqu'en juin 2011 en sous-traitance représentait la majeure partie des chiffres d'affaires réalisés par ma société et vous en aviez la connaissance. Cette rupture de relations, sans préavis, ni avertissement, ni concertation ne m'a pas permis en ce milieu d'année 2011 de trouver des ressources complémentaires pouvant aider la société à subsister. "
Le 22 décembre 2011 la société Agilent adressait un courriel à la société MJL21 Analytique, se plaignant de ne pouvoir la joindre malgré les messages téléphoniques laissés, et lui demandant de la rappeler rapidement concernant des activités début janvier en Suisse et en Allemagne. Un nouveau courriel lui était adressé le 23 décembre lui communiquant le numéro de téléphone de la personne à joindre à Bâle en Suisse pour les interventions prévues début janvier 2012.
Puis par courrier recommandé du 28 mars 2012, le conseil de la société Agilent écrivait à la société MJL21 Analytique pour lui reprocher une brusque rupture de relations commerciales établies et lui demander des dommages équivalents à 24 mois de marge brute, soit une somme de 180 000 euro.
Par courrier officiel du 16 avril 2012, le conseil de la société Agilent contestait être l'auteur de la rupture et indiquait que c'est par le mail du 20 décembre 2011 que la société MJL21 Analytique avait mis fin à ces relations.
C'est dans ces circonstances que par acte du 14 août 2012 la société MJL21 Analytique assignait la société Agilent en paiement principalement d'une somme de 176 000 euro, correspondant à 24 mois de marge brute, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle aurait subi.
C'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement entrepris.
Motifs de la décision
Sur la demande de la société MJL21 Analytique au titre d'une brusque rupture des relations commerciales établies
La société MJL21 Analytique indique avoir subi une baisse d'activité de 41,96 % car les commandes de la société Agilent auraient représenté 80 % de son activité. Elle soutient qu'à partir de juillet 2011 aucune commande ne lui aurait été passée, réduisant de ce fait de façon significative son chiffre d'affaires. Elle prétend que, de longue date, la société Agilent aurait décidé de cesser toute relation puisqu'elle aurait prévu de travailler avec Monsieur Nicolas Belmonte, gérant d'une société NB Ingenierie.
De son côté la société Agilent fait valoir que Monsieur Gudefin, gérant de la société MJL21 Analytique avait, depuis longtemps, prévu de cesser ce partenariat commercial, puisqu'alors qu'il avait annoncé le 21 décembre 2011, à son retour de congés, sa décision d'arrêter l'activité de sa société, dès le 16 janvier 2012 il était embauché en qualité de salarié dans une société concurrente, la société Game.
Toutefois il résulte, en premier lieu, des e-mails versés aux débats que le 18 décembre 2011, Monsieur Nicolas Belmonte, gérant de la société NB Ingenierie, qui était auparavant en relations d'affaires avec la société Agilent et qui était basé dans la région bordelaise, envoyait un mail à diverses entreprises pour faire savoir qu'il était à nouveau sur le marché du travail et ce n'est que le 4 janvier 2012, c'est-à-dire postérieurement à l'annonce de la cessation d'activité de la société MJL21 Analytique que la société Agilent décidait de prendre contact avec Monsieur Nicolas Belmonte et de lui demander s'il était disponible pour travailler dans la région lyonnaise, pour un taux horaire de 55 euro hors taxes, équivalent à celui pratiqué par la société MJL21 Analytique et non pour un taux horaire de 35 euro hors taxes, comme cette dernière prétend, de sorte qu'il n'est pas démontré que la société Agilent avait eu la volonté délibérée de cesser de travailler avec la société MJL21 Analytique pour la remplacer par la société NB Ingénierie.
En deuxième lieu, il résulte des échanges d'e-mails susmentionnés que les parties avaient convenu de continuer à travailler ensemble et qu'elles étaient en train de négocier un nouveau contrat, ce qui démontre l'absence d'intention de cesser les relations.
En troisième lieu, s'agissant de la baisse d'activité, la société MJL21 Analytique verse aux débats le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé, duquel il résulte que si le mois de juillet 2011 a été de 6 065,50 euro, ce qui est inférieur au mois de juillet 2010 d'un montant de 14 079,50 euro, il était néanmoins supérieur à celui de juillet 2009 d'un montant de 4 230 euro. De la même façon, les chiffres d'affaires de septembre, octobre et novembre 2011 ne se sont pas effondrés par rapport à ceux des deux années précédentes. En revanche le chiffre d'affaires de décembre 2011 a été très peu important, d'un montant de 1 180,50 euro, ce qui peut toutefois être mis en corrélation avec le fait que le dirigeant avait pris ses congés pendant un mois, du 15 novembre 16 décembre 2011.
Il en résulte que si les commandes passées par la société Agilent ont baissé, dans un contexte économique qu'elle qualifiait de difficile, elles ne se sont pas effondrées et celle-ci a démontré sa volonté de poursuivre les relations avec la société MJL21 Analytique en tentant de lui confier des nouveaux marchés, notamment en Suisse.
De surcroît le contrat passé entre les parties ne prévoyait aucune obligation de garantir un volume de commandes minimum.
Il sera relevé que la diminution, même significative, des commandes est insuffisante, dans un contexte économique difficile pour la société Agilent, dès lors qu'elle ne procède pas d'un comportement déloyal, à caractériser une rupture brutale des relations.
En quatrième lieu, il sera fait observer que c'est bien la société MJL21 Analytique qui a refusé les propositions qui lui étaient faites par la société Agilent et qui a organisé la cessation de son activité.
En conséquence il ne peut être reproché à la société Agilent une rupture brutale des relations commerciales établies et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société MJL21 Analytique de ses demandes de dommages-intérêts.
Sur la demande reconventionnelle de la société Agilent
La société Agilent soutient que c'est la société MJL21 Analytique qui est l'auteur de la rupture et sollicite sa condamnation au paiement d'une somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts.
Toutefois, en l'absence de tout élément de nature à démontrer un comportement déloyal de la part de la société MJL21 Analytique, dans un contexte de baisse d'activité tel que précédemment décrit, elle ne peut reprocher à la société MJL21 Analytique avoir cessé ses activités.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Agilent de sa demande de dommages-intérêts.
Par ces motifs, Confirme le jugement, Condamne la société MJL21 Analytique aux dépens, la Condamne également à payer à la société Agilent la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.