CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 6 janvier 2016, n° 13-24472
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Miele (Sté)
Défendeur :
Président de l'Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fusaro
Avocat général :
Mme Guidoni
Avocats :
SCP Baechlin, Me Assemat
Le 9 octobre 2013, le juge des libertés et de la détention de Bobigny, a rendu, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux des sociétés suivantes :
Fagorbrandt
Eberhardt Frères
Samsung Electronics France
Groupe Seb France et groupe Seb retailing
Miele
Smeg France
Indesit Company France
BSH Electromenager
Electrolux Home Products France et Electrolux France
LG Electronics France
GPDIS France Sud Est (enseigne SLD) et Pulsat Synthèse
Gemdis groupe Findis (anciennement Cocelec Rhone-Alpes)
Etablissements Darty et Fils
Cette ordonnance faisait suite à une requête présentée suite à l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2°, 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
Cette requête était consécutive à une demande d'enquête du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence conformément aux dispositions de l'article L. 460-4 alinéa 1 du Code de commerce.
A l'appui de cette requête étaient joints une liste de 21 pièces ou documents en annexe.
Qu'il était allégué qu'une pratique prohibée consisterait à imposer des prix de revente dans le secteur de l'électroménager aux sites Internet qui distribuaient les produits dits " blancs " rassemblant le petit et gros électroménager notamment de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits dits " bruns " regroupant les appareils électriques et électroniques de loisirs (annexe 21).
Il était indiqué d'une part que des distributeurs se seraient plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire, d'autre part que les fournisseurs encadreraient les annonces de réductions de prix proposées par les distributeurs sur Internet et enfin que les fournisseurs limiteraient le niveau de remise octroyé aux consommateurs. Il était joint des procès-verbaux d'un distributeur et de revendeurs se plaignant de ces pratiques mettant en cause plusieurs marques de fournisseurs (Magimix, Liebherr, Miele, De Dietrich, Samsung).
Il était soutenu qu'au-delà de l'encadrement de la politique promotionnelle des distributeurs, des déclarations de revendeurs auraient fait état d'un véritable contrôle des prix de revente par les fournisseurs de produits blancs et bruns et plus particulièrement GPDIS, Fagorbrandt, Eberhardt Frères, Samsung, Seb, Smeg, Indesit, Electrolux et LG. Ainsi des consignes tarifaires seraient données par les fabricants tant à l'oral (pour la plupart), que par courriels. Le contrôle tarifaire exercé par les fabricants viserait à augmenter les prix de revente comme le confirmeraient les déclarations du 21 février 2011 d'un distributeur et les extraits de courriels d'un responsable commercial notamment.
Il apparaîtrait également que les courriels comminatoires des fabricants seraient le plus souvent " codés " le terme " stock " étant utilisé à la place du mot " prix ". Ainsi ce procédé consisterait dans le fait que les revendeurs auraient été fréquemment sollicités pour remonter leurs " stocks ", alors que le stock minimal des distributeurs aurait été fixé contractuellement à une ou deux unités seulement, plusieurs courriels annexés à la requête illustrant ce procédé.
Il était par ailleurs indiqué que les directives tarifaires seraient relayées par des grossistes comme le confirmait notamment par procès-verbal du 14 janvier 2013 le gérant de la SARL Web Achat en déclarant " nous étions en litige avec GPDIS notre fournisseur car " elle " se faisait le relais des fabricants sur leur mainmise sur notre politique commerciale ", déclaration qui serait corroborée par divers autres courriels.
Il était fait état que les prix de revente imposés aux distributeurs seraient diffusés par les fabricants et les grossistes au moyen de " black list ", de noms de couleur ou de tableaux ; qu'à cet égard le gérant d'une SARL avait communiqué une liste de produits pour lesquels les prix sont dits " bloqués " c'est-à-dire dont le prix devait strictement correspondre au prix de vente conseillé par le fabricant ou le prix généralement constaté ainsi qu'une autre liste de produits dits " sensibles " correspondant aux références pour lesquelles " il se devait de maintenir des prix élevés pour ne pas casser le marché si nous voulions être livrés ".
Les distributeurs auraient été incités à respecter les consignes tarifaires en échange de service de mise en avant des produits par les fournisseurs, des courriels attesteraient de la soumission des distributeurs aux instructions tarifaires des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " et qu'à défaut de remonter les prix de revente comme l'auraient exigé les fournisseurs, ceux-ci ordonneraient aux revendeurs de retirer les références concernées sur leur site Internet.
Enfin, les distributeurs récalcitrants auraient été victimes de blocages de leurs comptes, de refus ou d'arrêts de livraisons et les grossistes auraient été sollicités pour faire respecter la police des prix des fabricants.
Par ailleurs, une seconde pratique prohibée aurait consisté pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " à faire retirer de la vente sur Internet certaines de leurs références, les fabricants, comme pour la première pratique illicite présumée, auraient utilisé les mêmes supports de diffusion pour informer les distributeurs des produits interdits à la vente sur Internet à savoir codes de couleur et listes noires, un gérant de SARL le confirmant en déclarant que le code couleur " bleu " était utilisé par un fabricant pour désigner les appareils exclus de la vente sur Internet, étant précisé que des courriels émanant de plusieurs autres fabricants auraient confirmé cette pratique et les grossistes de la même manière que précédemment évoquée, auraient fait pression sur les revendeurs pour qu'ils retirent certains produits de leurs sites Internet.
Une troisième pratique prohibée aurait consisté à refuser l'agrément à des distributeurs. Il ressortirait des témoignages qu'à partir de 2009, la plupart des fabricants de produits " blancs " et " bruns " auraient mis en place un réseau de distribution sélective. Il en serait déduit de déclarations de plusieurs revendeurs que certains fournisseurs de produits " blancs " et " bruns " pourraient interdire à des distributeurs de commercialiser leurs produits au seul motif qu'ils les diffusent sur Internet, la déclaration du même gérant de SARL viendrait accréditer cette thèse dans sa relation commerciale avec le distributeur Boulanger ; qu'il apparaîtrait que ces pratiques prohibées auraient comme finalité de circonscrire la concurrence sur Internet.
Qu'il pourrait également en être déduit que l'objectif des fabricants des produits " blancs " et " bruns " serait d'aligner les prix de la vente en ligne sur ceux pratiqués par les grandes enseignes spécialisées de détail et plus particulièrement Darty, cette allégation émanerait d'une déclaration d'un autre distributeur invoquant un projet de négociation commerciale présumé en cours entre la marque SMEG et le distributeur Darty, ainsi que d'un autre distributeur faisant état de pression du fabricant Fagorbrandt pour augmenter les prix pratiqués sur son site Internet jusqu'au niveau des prix pratiqués par leurs gros clients principaux à savoir Darty et Boulanger. Le gérant d'une SARL a déclaré que plusieurs commerciaux lui avaient dit oralement que s'ils voulaient que leurs clients de la grande distribution spécialisée notamment Darty (leader du marché) continuent de mettre en avant leurs produits il était nécessaire que les fabricants remontent les prix de vente des produits [...] la politique d'alignement étant essentiellement liée à la politique de commerciale de Darty qui avait plus de 20 % du marché de la distribution. Cela nous avait été précisé à l'oral par un autre commercial de Samsung notamment. Je ne peux cependant pas vous indiquer si les demandes de remontées de prix étaient uniquement liées à ce distributeur [...], l'objectif était qu'il existe le moins de différences possibles avec la grande distribution [...] que les gros sites de vente en ligne comme " rueducommerce.com " et " Cdiscount " subissaient les mêmes pressions que nous mais avaient l'avantage de la taille.
Il résulterait de ces éléments que l'uniformisation des prix à la hausse serait de nature à préserver le canal de distribution des grandes enseignes de détail qui dominent le marché des produits " blancs " et " bruns " et que la stratégie des fabricants permettait aux grandes enseignes spécialisées de détail de tirer profit de l'engouement pour la vente en ligne. Dans ce contexte, les grandes enseignes de détail miseraient sur leurs sites Internet pour dynamiser les ventes de leurs réseaux physiques et que ce développement multi-canal aurait profité à plusieurs grandes enseignes spécialisées de détail.
Il s'en déduirait de ces différentes pratiques présumées illicites qu'elles limiteraient les capacités des consommateurs à faire jouer la concurrence entre le canal de la vente par Internet et celui de la distribution traditionnelle et ce en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101-1 du TFUE et que l'ensemble de ces agissements semblerait constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes horizontales et verticales à dimension nationale entre les fabricants de produits " blancs " et " bruns ", les grossistes et les grandes enseignes spécialisées de détail. Ces actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui auraient pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises et limiter ou contrôler l'entrée aux marchés seraient établis selon des modalités secrètes et qu'il serait nécessaire d'autoriser les agents de l'Autorité de la concurrence de rechercher la preuve desdites pratiques prohibées vraisemblablement détenues et conservées dans des lieux (en l'espèce les sociétés sus-mentionnées en début d'ordonnance) et sous des formes qui faciliteraient leurs dissimulation, leurs destruction ou altération en cas de vérification.
Selon l'Autorité de la concurrence, le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché et que les opérations de visite et de saisie n'apparaîtraient pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre.
Le juge des libertés et de la détention de Bobigny autorisait la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder, dans les locaux des entreprises sus-mentionnées et aux visites et aux saisies prévues par les dispositions des articles L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibées par les articles L. 420-1, 1°, 2° et 3° du Code de commerce et 101-1 a et b du TFUE, relevées dans le secteur de la distribution des produits " blancs " et " bruns " ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée.
Il laissait le soin de désigner les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence [...] pour effectuer les visites et saisies autorisées [...] et désignait Jean-Michel Mimram, commissaire-divisionnaire et Philippe Tireloque commissaire-divisionnaire pour nommer les officiers de police judiciaire compétents.
Il donnait commission rogatoire pour les autres lieux de visites domiciliaires et de saisies aux juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Nanterre, Rouen, Senlis, Limoges, Lyon, Meaux et Strasbourg et indiquait que les occupants des lieux ou leurs représentants avaient la faculté de faire appel à un conseil de leur choix, sans que cette faculté n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisies ; [...] et en mentionnant que la présente ordonnance pouvait faire l'objet d'un appel devant le premier président de la Cour d'appel de Paris par déclaration au greffe dans un délai de dix jours, [...] que cet appel n'était pas suspensif et que l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris était susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation [...].
Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 17 et 18 octobre 2013. Elles ont été retranscrites dans des procès-verbaux en date du 18 octobre 2013.
Le 29 octobre 2013, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a été saisi d'un appel contre cette ordonnance par la société Miele et d'un recours le même jour à l'encontre du déroulement des opérations de visite et de saisie.
Par conclusions récapitulatives déposées le 4 novembre 2014, la société Miele a transmis des écritures tendant à l'annulation de l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le Juge des libertés et de la détention de Bobigny.
L'affaire a été appelée à l'audience du 21 janvier 2015 à 9 heures, mise en délibéré mais n'a pas été rendue.
Une réouverture des débats a été fixée le 28 octobre 2015 et mise en délibéré pour être rendue le 6 janvier 2015.
Par conclusions récapitulatives enregistrées au greffe en date du 4 novembre 2014, la société Miele conteste la régularité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bobigny ainsi que celle des opérations de visite et de saisie subséquentes, et en demande l'annulation.
I. L'Autorité de la concurrence " était pleinement avertie des modalités selon lesquelles la société Miele distribuait ses produits, notamment sur Internet "
La société Miele fait état de sa bonne foi et du fait que courant 2011/2012 elle s'est pliée aux demandes de l'Autorité de la concurrence en répondant à des questionnaires et en informant l'Autorité que ses gammes "Élégance" et "Prestige" étaient distribuées par le biais de contrats de distribution sélective pour lesquelles elle exigeait la détention d'un point de vente physique.
En réponse, l'Autorité indique que ce n'est pas le fait de recourir dans le cadre d'une politique commerciale autonome, à la distribution sélective qui est en cause dans cette affaire, mais la présomption d'avoir à déterminer ce choix d'un commun accord avec les autres fabricants à compter de 2009 pour évincer les distributeurs sur Internet qui ne disposaient pas de magasins physiques.
II. Sur la nécessité d'infirmer l'ordonnance de tout indice de participation de la société Miele à des ententes verticales, secrètes justifiant le recours à des visites et saisies
- Pour la première pratique visée dans l'ordonnance, il n'existe aucune présomption ni aucun indice sérieux concernant la société Miele
La société Miele, s'agissant de la première pratique à savoir que les fabricants imposeraient des prix de revente aux sites Internet, indique qu'elle ne serait pas concernée par l'existence d'un encadrement au niveau des prix et la mise en place d'une police des prix par certains fabricants de produits " bruns " et " blancs ". Elle fait valoir qu'elle n'est jamais citée par les distributeurs parmi les marques qui limiteraient ou contrôleraient le niveau des prix et que le seul fait pour elle de faire partie des fabricants de produits " blancs " ne constituerait pas à lui seul un indice permettant de présumer la participation à des pratiques illicites.
Elle fait observer qu'elle ne serait citée qu'une seule fois par l'ordonnance et qu'un distributeur dont les déclarations ont été anonymisées a déclaré (cf annexe 8) " cette marque (Miele) m'empêche de faire des pop-up annonçant un rabais pour l'achat d'un produit, dans ce cas-là j'estime ne pas être libre de ma politique commerciale ".
Par ailleurs, aucun indice ne permettrait de présumer que " la société Miele se serait rendue responsable d'une pratique de prix imposés " ; que les 21 annexes jointes à l'ordonnance ne la concernerait pas et que de ce fait, l'ordonnance devrait être infirmée.
En réponse, l'Autorité fait valoir que la discussion concernant la mise en cause de la société Miele sur la première pratique prohibée qui consiste à imposer les prix de vente aux sites Internet qui distribuent les produits blancs et bruns relève du fond et est prématuré à ce stade, que le rôle du juge ne porte pas sur la qualification des pratiques prohibées présumées et se limite à recueillir et analyser les faits utiles afin d'en extraire une ou des simples présomptions de pratiques anticoncurrentielles, ce qu'il a fait en l'espèce en examinant 21 pièces, dont la concordance, en fonction des agissements reprochés, lui a permis de suspecter l'entreprise visée de pratiques prohibées.
Par ailleurs, remettre en cause la véracité de l'indice selon lequel la société Miele en concertation avec les autres fabricants et grossistes imposerait des prix aux distributeurs au motif qu'il ne reposerait que sur un seul procès-verbal de déclaration (annexe 8) est dénué de fondement. Un indice peut valablement s'appuyer sur une seule pièce alors que la simple présomption de prix imposés par l'ensemble des fabricants et grossistes visés reposerait sur des pièces nombreuses et variées.
- Pour la deuxième ou troisième pratique visée dans l'ordonnance, il n'existe aucune présomption de pratiques anti-concurrentielles secrètes justifiant le recours à des visites et saisies domiciliaires
Concernant la deuxième pratique à savoir que les fabricants feraient retirer de la vente sur Internet certaines de leurs références, l'ordonnance indique à ce titre que les fabricants feraient pression sur leurs distributeurs pour qu'ils retirent leurs produits de la vente sur Internet et que les grossistes feraient de même, pression sur les revendeurs pour qu'ils retirent certains produits de leurs sites Internet.
La société Miele fait valoir que s'agissant de sa mise en cause par le gérant de la société Arobase Trade qui a déclaré à l'Administration que le grossiste GPDIS avait fait interdiction aux sites Internet de commercialiser les produits dans la liste Disteo, parmi lesquels les produits de la marque Miele, elle n'était pas à l'origine de cette liste laquelle émanait du seul grossiste GPDIS.
Elle mentionne qu'il n'y pas eu de pression de sa part pour refuser d'alimenter les grossistes.
S'agissant de la troisième pratique, à savoir que les fabricants auraient mis en place un réseau de distribution sélective en refusant l'agrément aux sites Internet, ou interdiraient aux distributeurs de commercialiser leurs produits aux motifs qu'ils les diffuseraient sur Internet, elle fait valoir que les deux distributeurs qui la mettent en cause : la société Arobase Trade et la Boutique du Forez se sont présentées aux enquêteurs comme des " Pure Players " Internet, ne disposant pas de point de vente physique et ne pouvaient en tout état de cause satisfaire aux critères de sélection applicables à l'époque.
Ces éléments à les supposer avérés en tout ou partie ne constituent pas des indices faisant présumer d'une pratique anticoncurrentielle secrète justifiant du recours à des opérations de visite et de saisie et en tout état de cause les " Pure Players " Internet ne pouvaient pas être agrées du réseau de distribution sélective des lignes " Élégance " et " Prestige ".
Ainsi, l'Autorité de la concurrence violant le principe de loyauté dans la recherche de preuve a délibérément omis d'informer le Juge des libertés et de la détention qu'elle était pleinement informée du recours à la distribution sélective par certains fabricants de produits éléctrodomestiques.
Si l'ordonnance indique que les pratiques suspectées " sont établies selon des modalités secrètes' c'est parce que le Juge des libertés et de la détention a été trompé par l'Autorité de la concurrence non seulement sur la nature des pratiques qu'elle suspectait mais aussi sur les informations qu'elle détenait déjà.
En réponse, l'Autorité soutient que le principe de loyauté a été respecté et que le juge était pleinement informé du recours à la distribution sélective. En effet figure en annexe 5 le procès-verbal de Monsieur Julien Herbin qui mentionne " s'agissant des listes noires liées à la distribution sélective, les fournisseurs (par groupe) concernés par la pratique par ordre décroissant de volume sont les suivants : BSH (gamme Excellis et Preference) [...], Miele (totalité de la gamme) ".
S'agissant de l'existence potentielle d'entente horizontale entre les fabricants de produits courants blancs et bruns, il est fait observer qu'au stade de la demande d'autorisation de visite et saisie il ne fait aucun doute que le parallélisme de comportement d'entreprise peut constituer une présomption sérieuse de pratique anticoncurrentielle et seule l'instruction en cours par l'examen des documents saisis pourra permettre de déterminer si le parallélisme de comportement des fabricants dont Miele repose en réalité sur une action concertée, convention, ou entente entre eux.
- L'ordonnance devra être infirmée faute pour l'Autorité de la concurrence d'apporter la preuve qui lui incombe d'indices de la participation de la société Miele dans les agissements frauduleux justifiant le recours à des visites et saisies domiciliaires.
La société Miele fait valoir qu'elle ne figure pas parmi les fabricants cités par la SARL Web Achat comme refusant la vente de ses produits aux sites Internet, du fait d'une volonté (réelle ou supposée) de réserver leur produit à certains opérateurs et qu'aucun des indices cités par l'ordonnance attestant de la volonté des fabricants de faire remonter les prix de vente sur ceux pratiqués par les enseignes de détail et notamment la société Darty, ne la concernerait.
De ce fait, les visites et saisies ne seraient absolument pas justifiées.
L'Autorité soutient qu'au regard de la complexité des agissements illicites présumés et leur caractère secret, l'Autorité de la concurrence n'avait pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure, dite lourde, de l'article L. 450-4 du Code de commerce laquelle n'a pas un caractère subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées.
Il est cité une jurisprudence selon laquelle l'enquête lourde n'est pas subsidiaire et devient inévitable quand les pratiques anticoncurrentielles qui sont présumées procèdent d'agissements complexes et secrets [...].
Il est soutenu qu'une enquête de concurrence sans mise en œuvre concomitante des pouvoirs de visite et de saisie a peu de chances de prospérer dans un domaine, où l'opacité des affaires et la prudence de l'expression écrite des acteurs rend nécessaire de puiser dans des éléments épars, pour établir ou non la pratique anticoncurrentielle soupçonnée.
La mise en œuvre de pouvoirs simples de l'article L. 450-3 du Code de commerce ne ferait en définitive qu'alerter l'entreprise suspectée qui prendrait des mesures afin de faire disparaître de ses locaux tous les documents utiles à la manifestation de la vérité.
III. Sur la nécessité d'infirmer l'ordonnance en l'absence de tout indice de participation de la société Miele à une entente horizontale secrète
Selon la société Miele, l'Autorité de la concurrence ne ferait état d'aucun élément factuel (échange de courriers, courriels, traces de réunion ou autres) faisant apparaître des contacts entre concurrents pouvant éventuellement constituer des indices d'une entente horizontale. Elle soutient que l'Autorité se bornerait à faire état de deux éléments qui ne sauraient constituer des indices concernant la pratique des prix imposés ; le premier étant constitué par l'utilisation du vocable " stock " à la place du mot " prix " pour faire remonter les prix et que rien ne viendrait accréditer l'idée selon laquelle la société Miele aurait pu avoir des contacts avec les fabricants pour utiliser ces vocables à des fins répréhensibles ; et le second élément tiendrait dans la mise en place par plusieurs fabricants de réseau de distribution sélective et que selon l'Administration le parallélisme des comportements constituerait une présomption sérieuse de pratique anticoncurrentielle, que cette analyse ne serait fondée ni en fait ni en droit.
La société Miele estime qu'aucun indice, qu'aucun début de preuve de pratique horizontale ne justifiait le recours à des visites et saisies.
L'Autorité de la concurrence indique qu'elle a déjà répondu à ce moyen.
IV. Sur le rejet des arguments de l'Autorité de la concurrence
La société Miele rappelle qu'il ne suffit pas que l'Autorité de la concurrence pense possible des pratiques anticoncurrentielles, pour qu'elle soit autorisée à pratiquer des visites et saisies ; il faut qu'elle fournisse au Juge des éléments concrets rendant ces soupçons crédibles, ce qu'elle n'aurait pas fait.
Elle cite les articles 6 et 8 de la CESDH ; en effet si une première entreprise met en œuvre des pratiques verticales, comme une entente sur les prix dans ses relations avec les distributeurs, rien ne saurait justifier qu'un comportement similaire soit imputé à une seconde entreprise du secteur, au seul motif qu'elle appartient à ce secteur.
La société Miele émet enfin des réserves sur le caractère manifestement pré-rédigé de l'ordonnance rendue.
Selon l'Autorité, la violation alléguée de l'article 8 de la CESDH est écartée quand elle est justifiée par l'article 8§2 de la CESDH ; pour être admissible l'ingérence de l'Autorité publique dans le droit garanti par l'article 8§1 de la CESDH est subordonnée à une triple condition : être prévue par la loi (article L. 450-4 du Code de commerce), viser un but légitime (la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielles qui constituent une mesure nécessaire au bien-être économique du pays) et être nécessaire dans une société démocratique ; l'Etat Français remplirait ces trois conditions.
Il importe également de préciser que l'allégation du défaut de proportionnalité de la mesure judiciairement autorisée par rapport au but poursuivi doit être évaluée par rapport à l'importance des enjeux économiques lors de cette enquête, visant à rechercher la preuve de la pratique anticoncurrentielles d'entente illicite, nécessaire au bien-être économique du pays, dans le secteur de la distribution de produits " blancs " et " bruns ".
Quant à la violation de l'article 6 de la CESDH l'Administration rappelle que l'appelante a eu accès ça l'intégralité du dossier sur lequel s'appuie l'ordonnance d'autorisation et pu contester devant la cour de céans en fait et en droit, dans le cadre d'une procédure contradictoire, la légalité de l'ordonnance d'autorisation et chacune des pièces annexées à la requête qu'elle souhaitait combattre.
Quant au caractère prétendument pré-rédigé de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bobigny a ainsi disposé de 6 jours pour apprécier la requête et les 21 annexes jointes étant précisé que si l'Administration par commodité propose un projet d'ordonnance celui-ci est toujours accompagné d'une version numérique ce qui permet au magistrat de modifier s'il le désire le projet d'ordonnance d'autorisation qui lui est soumis et ce autant qu'il le souhaite. Le juge peut également simplement refuser de donner son autorisation.
De ce fait les motifs de l'ordonnance sont réputés être établis par le juge qui l'a rendue et signée lequel en endosse la responsabilité.
Madame l'Avocat Général faisait valoir que le juge des libertés et de la détention de Bobigny avait rempli sa mission et satisfait aux exigences de l'article L. 450-4 du Code de commerce en appréciant souverainement que l'ensemble des informations utiles communiquées par l'Autorité de la concurrence permettait de présumer l'existence d'agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée [...], la lecture de l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 montre qu'au terme d'une analyse motivée le magistrat a estimé que les divers documents versés à l'appui de la requête de l'Autorité de la concurrence permettaient de retenir des présomptions de pratiques prohibées entre les fournisseurs de produits " blancs " et " bruns " mais également avec leurs grossistes et grandes enseignes de détail et la possibilité que les documents se rapportant à ces pratiques prohibées se trouvaient dans les locaux des sociétés visées. Elle concluait à la confirmation de l'ordonnance querellée.
En conséquence, l'appelante demande de constater l'absence d'élément justifiant les visites et saisies pour ce qui concerne la société Miele, constater le caractère disproportionnée du recours à ces visites et saisies et infirmer l'ordonnance du 9 octobre 2013 du juge des libertés et de la détention de Bobigny [...] et la condamnation d'une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'Autorité de la concurrence demande de confirmer l'ordonnance dans toutes ses dispositions et la condamnation de la société Miele à hauteur de 5 000 euro de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE
I. L'Autorité de la concurrence " était pleinement avertie des modalités selon lesquelles la société Miele distribuait ses produits, notamment sur Internet "
Le fait d'indiquer que l'Administration était au courant de la politique de distribution sélective de Miele (" Élégance " et " Prestige ") par le biais de questionnaires que l'Autorité avait envoyé à cette société précédemment, n'exclut pas qu'il soit procédé par la suite à une procédure dite lourde dans l'hypothèse où il existerait une présomption que ce choix soit commun avec d'autres fabricants pour exclure les distributeurs sur Internet ne disposant pas de magasins physiques.
L'Autorité de la concurrence n'a pas à justifier de son choix de recourir à la procédure de l'article L. 450-4 du Code de commerce laquelle n'a pas un caractère subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant et ayant déjà été utilisées.
Ce moyen sera rejeté.
II. Sur la nécessité d'infirmer l'ordonnance de tout indice de participation de la société Miele à des ententes verticales, secrètes justifiant le recours à des visites et saisies et sur la nécessité d'infirmer l'ordonnance en l'absence de tout indice de participation de la société Miele à une entente horizontale secrète
- Pour la première pratique visée dans l'ordonnance, il n'existerait aucune présomption ni aucun indice sérieux concernant la société Miele et pour la deuxième ou troisième pratique visée dans l'ordonnance, il n'existerait aucune présomption de pratiques anti-concurrentielles secrètes justifiant le recours à des visites et saisies domiciliaires
Le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'Administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée ; qu'à cette fin le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soit caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques ; que les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées.
En l'espèce, il ressort de l'ordonnance querellée que le juge des libertés et de la détention près du Tribunal de grande instance de Bobigny, a sur requête de la Rapporteure Générale de l'Autorité de la concurrence rendu une ordonnance visant les produits " blancs " qui rassemblent le petit et le gros électroménager notamment de nettoyage, de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits " bruns " qui regroupent les appareils électriques et électroniques de loisirs au motif que les distributeurs ou revendeurs se sont plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire ; que cette immixtion s'effectue selon trois pratiques : la première, consistant à imposer des prix de reventes à des sites Internet qui distribuent les produits précités, la seconde pratique prohibée consisterait pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " de faire retirer de leur sites Internet certaines de leurs références et une troisième pratique prohibée, à refuser l'agrément à des distributeurs.
Le juge des libertés et de la détention de Bobigny qui n'est pas le juge du fond mais le juge de l'apparence a relevé dans l'ordonnance des présomptions d'ententes horizontales entre les fabricants et verticales entre les fabricants, les grossistes et le cas échéant des sociétés de grande distribution de détail et après un examen " in concreto " des 21 annexes jointes à la requête selon la méthode dite " du faisceau d'indices " a estimé qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies.
Ainsi, il a examiné les 21 annexes jointes et a constaté que certains fabricants de ce secteur étaient susceptibles de participer à une entente horizontale et/ou verticale notamment en comparant certaines annexes qui prises isolément n'établissent pas en elles-mêmes des indices mais par leurs comparaisons, leurs rattachements à d'autres annexes concernant les fabricants ou des revendeurs peuvent établir un faisceau d'indices. Ainsi, dans les annexes présentées il pouvait être déduit que certains protagonistes de ces ententes échangeaient des courriels avec des mots codés, le vocable " stocks " remplaçant celui de " prix " ; que des listes étaient établies concernant des produits à retirer si des revendeurs ne s'alignaient pas sur les Prix Publics Indiqués (PPI) des fabricants, que des produits étaient siglés par couleur (le bleu étant utilisé pour exclure certains produits), que des courriels comminatoires émanaient de représentants des fabricants, que des grossistes n'étaient pas exclus de ces schémas d'ententes ; que leur rôle consistait à relayer les instructions des fabricants auprès des revendeurs.
A la lumière de ces éléments, certains documents étaient relevés notamment la déclaration anonymisée d'un distributeur (cf. Annexe 8) mettant en cause la société Miele mais aussi d'autres pièces faisant état d'une liste Disteo dans laquelle des produits de Miele figureraient. A ce stade de l'enquête préalable, notre juridiction se borne à relever d'éventuelles présomptions simples pouvant constituer des indices sans pour autant qualifier des infractions présumées lesquelles sont la conséquence de la juridiction qui statuera sur le fond et qui appréciera le bien-fondé ou le cas échéant l'absence de bien-fondé de ces éléments étant précisé qu'au stade de la phase préparatoire aucune accusation n'est portée à l'encontre des sociétés visées par l'ordonnance.
S'agissant du principe de loyauté, le juge des libertés et de la détention en examinant notamment la totalité des 21 annexes était informé du recours à la distribution sélective pratiqué par la société Miele. L'annexe 5 relatant le procès-verbal de Monsieur Julien Herbin, gérant de la société SARL Web Achat, faisait état de la mention suivante : " s'agissant des listes noires liées à la distribution sélective, les fournisseurs (par groupe) concernés par la pratique par ordre décroissant de volume sont les suivants : BSH (gamme Excellis et Preference) [...], Miele (totalité de la gamme) ".
L'existence supposée d'entente horizontale entre les fabricants de produits courants blancs et bruns peut être constituée par le parallélisme du comportement entre entreprises du même secteur et susceptible de constituer une présomption simple de pratique anticoncurrentielle, au même titre que les actions concertées dans le même laps de temps et comme il a été indiqué précédemment cet élément n'est qu'une présomption parmi d'autres qui en elle seule n'est pas significative mais qui ajoutée à d'autres éléments peut constituer un indice, qu'il sera laissé à l'appréciation de la juridiction du fond.
Ces moyens seront écartés.
- L'ordonnance devra être infirmée faute pour l'Autorité de la concurrence d'apporter la preuve qui lui incombe d'indices de la participation de la société Miele dans les agissements frauduleux justifiant le recours à des visites et saisies domiciliaires
Il a déjà été répondu ci-dessus à ce moyen.
En conséquence, ce moyen sera rejeté.
III. Sur le rejet des arguments de l'Autorité de la concurrence
- Sur la pratique des ordonnances pré-rédigées par l'Administration
Le juge des libertés et de la détention signataire de l'ordonnance et qui de ce fait se l'approprie en y apportant le cas échéant des rectifications ou des modifications, étant précisé qu'il est destinataire d'une copie de l'ordonnance en version numérique, entre le moment où la requête est déposée à son greffe et la signature de celle-ci. Il peut également décider de ne pas faire droit à la requête, son rôle ne se limitant pas à une simple mission de chambre d'enregistrement.
En l'espèce, la requête a été présentée le 4 octobre 2013 et signée le 9 octobre 2013, ce qui a laissé amplement le temps au juge des libertés et de la détention d'examiner la pertinence de la requête, d'étudier les pièces jointes à celle-ci, de vérifier les habilitations et le jour de la signature, de demander aux agents de l'Autorité de la concurrence toute information pertinente préalablement à la signature de son ordonnance.
- Sur la violation alléguée des articles 6 et 8 de la CESDH
L'examen in concreto effectué par le juge des libertés et de la détention sur l'ordonnance et ses 21 annexes permet d'écarter l'absence de contrôle de proportionnalité entre la requête présentée et l'autorisation délivrée permettant une visite et saisie au sein de la société eu égard à l'importance des enjeux économiques de ce secteur.
Sur l'atteinte alléguée à l'article 8 de la CESDH, celle-ci est tempérée par une disposition de l'article 8§2 de la CESDH qui subordonne cette intrusion dans les locaux d'une société à trois conditions, être prévue par la loi, viser un but légitime et dans le cas d'espèce constituait une mesure nécessaire au bien-être économique du pays et être nécessaire dans une société démocratique ; ces trois conditions étant remplies, l'ingérence de l'Administration est justifiée.
Ces moyens seront rejetés.
Par ces motifs, Statuant contradictoirement et en dernier ressort, Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny, Rejetons les autres demandes, Disons que la charge des dépens sera supportée par la société appelante.