Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-15.710
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Cofias (Sté), Coffi
Défendeur :
Assurtis (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 février 2014, RG n° 10/21940), qu'en 2007, M. Coffi et la société Assurtis (le franchiseur) ont conclu un contrat de franchise portant sur la distribution de contrats d'assurance et de crédits à la consommation au sein d'un réseau exploité sous l'enseigne Assurtis dans la zone d'Evreux ; qu'en 2008, ce contrat a été transféré à la société Cofias, créée par M. Coffi à cette fin ; qu'en 2010, la société Cofias et M. Coffi ont assigné le franchiseur en résiliation du contrat à ses torts exclusifs et en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que M. Coffi et la société Cofias font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages-intérêts formée contre le franchiseur au titre de manquements précontractuels alors, selon le moyen :
1°) que le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise une présentation sincère et sérieuse du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; que la bonne connaissance du marché local par le franchisé n'affranchit pas le franchiseur de son obligation dès lors qu'il est seul à détenir des informations sur le potentiel de rentabilité et de compétitivité de son concept et de ses produits au plan local ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de M. Coffi et de la société Cofias, que le non-respect par la société Assurtis des exigences légales relatives à la fourniture d'une présentation du marché local (contrat de franchise initial) et à la fourniture d'un document d'information précontractuelle (avenant du 18 mars 2008) était en l'espèce indifférent au motif que M. Coffi avait une bonne connaissance du marché local en raison de ses expériences professionnelles passées dans le domaine de l'assurance et du crédit à Rouen et dans la région d'Evreux, alors qu'il appartenait en toute hypothèse à la société Assurtis de fournir une présentation du marché local à la lumière de la spécificité de son concept et de ses produits, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ;
2°) que le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise une présentation sincère et sérieuse du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; que la bonne connaissance du marché local du franchisé n'affranchit pas le franchiseur de son obligation dès lors qu'il est seul à détenir des informations sur le potentiel de rentabilité et de compétitivité de son concept et de ses produits au plan local ; qu'en se bornant à énoncer par des motifs inopérants que M. Coffi avait une bonne connaissance du marché local pour avoir exercé une activité de courtage dans le domaine de l'assurance et du crédit pendant vingt-huit années à Rouen et dans la région d'Evreux, et que le concept proposé par la société Assurtis présentait un caractère innovant, sans rechercher si la société Assurtis n'était pas en mesure de fournir à ses franchisés, et à M. Coffi et à la société Cofias en particulier, des informations sur le taux d'emprise, au moins potentiel, de son concept et de ses produits au plan local, et ce alors même qu'elle constatait que le contrat de franchise de la société Cofias avait été signé près de trois ans après le début d'exploitation du concept et que ce concept était issu d'un savoir-faire conjugué, ce dont il résultait que la société Assurtis était pleinement capable de remettre à M. Coffi une présentation du marché local intégrant le taux d'emprise, au moins potentiel, de son concept et de ses produits sur le territoire contractuel concédé au franchisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ;
3°) que le franchiseur doit remettre à l'autre partie un document des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause ; qu'il doit fournir au candidat à la franchise une présentation sincère et sérieuse du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; qu'en retenant que M. Coffi et la société Cofias " ne justifient pas d'un quelconque manquement de la société Assurtis au titre de l'information précontractuelle ", tout en constatant, d'une part, que " le document d'information précontractuelle adressé le 17 octobre 2007 à M. Coffi ne comportait pas la présentation du marché local et ses perspectives de développement qui sont obligatoires selon les termes de l'article R. 330-1 du Code de commerce ", et d'autre part que " le transfert du contrat de franchise par un avenant signé le 18 mars 2008 par la société Cofias n'a pas été précédé de la remise d'un document d'information précontractuelle ", ce dont il résulte que " M. Coffi peut invoquer les manquements de la société Assurtis avant la signature du contrat du 17 décembre 2007 et que la société Cofias peut invoquer les manquements de la société Assurtis à son obligation d'information précontractuelle avant la signature de l'avenant ", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, ensemble l'article 1382 du Code civil ;
4°) qu'on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs ; que le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise une présentation du marché local des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; qu'en jugeant qu'il incombait à M. Coffi, alors simple candidat à la franchise Assurtis, de faire une étude de marché au motif qu'une stipulation du contrat de franchise prévoyait que le franchisé "déclare avoir effectué sous sa propre responsabilité une étude de marché, et le cas échéant, une étude d'implantation dans la zone de recherche" et qu'il "assume la responsabilité de son étude d'implantation, de son étude de faisabilité et du choix de son point de vente s'il n'en dispose pas déjà d'un", alors que le franchiseur ne pouvait mettre à la charge de M. Coffi l'obligation d'ordre public lui imposant d'établir et de communiquer au candidat à la franchise un état du marché local et de ses perspectives de développement, la cour d'appel, qui a fait prévaloir une stipulation contractuelle sur des dispositions légales d'ordre public mettant à la charge exclusive du franchiseur la réalisation d'un état du marché local, a violé l'article 6 du Code civil, ensemble les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ;
5°) qu'il appartient au franchiseur de transmettre au franchisé un savoir-faire effectif ayant fait l'objet d'une expérimentation préalable ; qu'en énonçant, pour écarter tout manquement précontractuel de la part de la société Assurtis, que l'exploitation préalable du concept n'est pas une obligation à la charge du franchiseur avant la création du réseau, alors qu'il incombe au franchiseur de communiquer à ses franchisés un savoir-faire éprouvé, nécessaire pour que le contrat de franchise puisse conférer un avantage concurrentiel aux franchisés, la cour d'appel a violé les articles 1108, 1131 et 1134 du Code civil ;
6°) que les juges du fond doivent analyser, fût-ce sommairement, les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en énonçant péremptoirement que M. Coffi savait que le concept avait un caractère "innovant" et n'avait pas fait l'objet d'une exploitation préalable avant la création du réseau, ce sans analyser, fût-ce sommairement, les documents sur lesquels elle fondait son appréciation alors que M. Coffi soutenait dans ses écritures d'appel, offres de preuve à l'appui, qu'il n'avait jamais été informé de l'absence d'expérimentation du savoir-faire et du concept Assurtis mais simplement de son caractère innovant, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du Code de procédure civile ;
7°) que les juges du fond doivent analyser, fût-ce sommairement, les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que dans leurs écritures d'appel, M. Coffi et la société Cofias faisaient valoir que dès lors que des candidats franchisés, la société Cofias à Evreux et la société J2M crédit à Douai, qui ne se connaissaient pas et exerçaient sur des territoires différents, étaient en possession de prévisionnels chiffrés strictement identiques en nombre de contrats et de chiffres d'affaires, ainsi que sur la forme et sur le fond, il ne pouvait que s'en déduire qu'ils avaient pour origine un même auteur, et que cet auteur ne pouvait être que le franchiseur Assurtis ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir que la société Assurtis n'était pas à l'origine des chiffres prévisionnels litigieux, que "les documents fournis sont imputés à des franchisés sans certitude", et que "la comparaison des données chiffrées qu'ils comportent ne peut donner lieu à la déduction que la société Assurtis était à l'origine de ces chiffres prévisionnels", ce sans analyser ni comparer, fût-ce sommairement, les prévisionnels de la société Cofias et de la société J2M crédit, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du Code de procédure civile ;
8°) que le franchiseur doit fournir au franchisé des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ; qu'en énonçant, pour écarter toute responsabilité de la société Assurtis au titre de la transmission d'information non sincères et déloyales, que les objectifs exposés par le franchiseur dans le contrat de franchise devaient être considérés comme tels et non comme des prévisions, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à établir que la société Assurtis n'avait pas sciemment transmis des chiffres exagérément optimistes sur la rentabilité de son réseau et de son concept de nature à exercer une influence sur le consentement du franchisé, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 330-3 du Code de commerce et 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt rappelle que les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code du commerce imposent au franchiseur de remettre au franchisé un document d'information précontractuelle (DIP) contenant, notamment, une présentation de l'état général et local du marché des produits devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; qu'après avoir relevé que le transfert du contrat de franchise au profit de la société Cofias, représentée par son gérant, M. Coffi, n'avait pas été précédé de la remise d'un DIP et que celui qui avait été initialement adressé à M. Coffi, en sa qualité de candidat à la franchise, ne comportait pas la présentation du marché local et ses perspectives de développement, l'arrêt constate que M. Coffi exerçait depuis vingt-huit ans une activité de courtage en matière d'assurance et de crédit dans la ville de Rouen, et qu'il a également exercé une activité de courtier en finances, de 1989 à 2006, dans la région d'Evreux ; qu'il constate également qu'aux termes du contrat, le franchisé déclare avoir effectué sous sa propre responsabilité une étude de marché ; qu'il en déduit que M. Coffi avait une bonne connaissance du marché local ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, qui ne méconnaissent pas l'étendue des obligations légales pesant sur le franchiseur, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée à la deuxième branche qui ne lui était pas demandée, a, abstraction faite du motif critiqué par la troisième branche que ces constatations et appréciations rendent inopérante, légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé, sans être contredite, que M. Coffi avait été informé du caractère innovant du concept et constaté que le DIP mentionnait que la date de création de la société Assurtis était concomitante à celle du réseau et précisait le domaine dans lequel chacune des deux sociétés fondatrices avait développé son expertise, ce dont il se déduisait que l'expérience acquise par ces dernières ne portait pas sur le concept innovant associant l'assurance et le crédit, l'arrêt retient que le franchisé a été informé de l'absence d'exploitation préalable du concept ; qu'en cet état, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la cinquième branche, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer davantage sur les éléments de preuve qu'elle retenait, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en dernier lieu, qu'après avoir retenu, au terme d'une appréciation souveraine et motivée des éléments de preuve, qu'il n'était pas établi que le franchiseur ait participé à la réalisation du compte d'exploitation prévisionnel sur la base duquel le franchisé a envisagé la rentabilité du concept, l'arrêt relève qu'aucun résultat n'a été contractuellement prévu par le franchiseur ni n'a été garanti ; qu'il retient que les objectifs de souscription de contrats mentionnés dans la convention ne sont pas des prévisions, faisant ressortir qu'ils ne pouvaient raisonnablement servir de base d'analyse pour apprécier la rentabilité du contrat, et en déduit que rien n'établit que le franchisé ait été conduit à apprécier d'une façon erronée la rentabilité de l'exploitation projetée, par le fait de la société Assurtis, et qu'il lui appartenait en sa qualité de commerçant indépendant et responsable d'apprécier la valeur économique du projet ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.