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Décisions

Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-11.624

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Jaziri, Sam & Co (SARL)

Défendeur :

Casa concept services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP Gadiou, Chevallier

T. com. Paris, 1re ch. B, du 19 avr. 201…

19 avril 2013

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Casa concept services (le franchiseur), exploitante de fonds de débit de boissons et de restauration, ayant acquis les droits afférents à l'exploitation de la marque " Casa del Campo ", de l'enseigne, du concept et du savoir-faire Casa del Campo, a, le 3 avril 2009, après remise du document d'information précontractuelle, signé un contrat de franchise avec M. Jaziri, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant de la société Sam & Co (les franchisés) ; que les redevances n'étant plus payées à compter du mois de mars 2010, le franchiseur a notifié, le 6 septembre 2011, la résiliation du contrat à M. Jaziri et à la société Sam & Co, qui l'ont assigné en annulation, subsidiairement en résiliation de ce contrat, et ont demandé la réparation de leurs préjudices ; que la société Casa concept services a reconventionnellement demandé la condamnation des franchisés au paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen : - Attendu que les franchisés font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'annulation du contrat de franchise et de paiement par le franchiseur de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) que comme tout débiteur professionnel d'une obligation d'information, le franchiseur supporte la charge de la preuve de l'exécution de son obligation d'information précontractuelle ; qu'en faisant peser sur la société franchisée Sam & Co la charge de prouver un manquement du franchiseur à son obligation d'information précontractuelle, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ; 2°) que le franchiseur est tenu, préalablement à la signature du contrat de franchise, de fournir au futur franchisé un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ; que, parmi ces informations, il lui appartient de fournir toutes indications permettant d'apprécier l'expérience professionnelle acquise par l'exploitant ou par les dirigeants du franchiseur ; que les franchisés faisaient valoir, dans leurs conclusions, que le document d'information précontractuelle présentait M. Arrondeau comme ayant dirigé une société de quarante-cinq salariés, faisant 17 millions de francs de chiffres d'affaires, sans mentionner que cette société avait fait l'objet d'une liquidation judiciaire ; qu'ils en déduisaient que cette information était pourtant essentielle et déterminante du consentement du franchisé, dès lors qu'elle montrait la compétence et les qualités de gestionnaire de M. Arrondeau dans les fonctions de responsable d'un réseau de franchise ; qu'en se bornant à affirmer que M. Jaziri et la société Sam & Co ne démontraient pas en quoi la connaissance de cette circonstance par le franchisé aurait déterminé autrement l'expression de sa volonté, sans rechercher si cette présentation tronquée de l'expérience du responsable du réseau de franchise, qui aurait dirigé, sans écueil, une société réalisant des résultats à hauteur de 17 millions de francs, n'était pas de nature à tromper le franchisé sur le bilan global de la gestion de M. Arrondeau, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil, ensemble les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ; 3°) que l'erreur sur la rentabilité o de l'opération justifie la nullité du contrat dès lors qu'elle est la conséquence d'une erreur substantielle ; que M. Jaziri et la société Sam & Co faisaient valoir, dans leurs conclusions, que le compte d'exploitation prévisionnel avait été établi sur la base d'un concept qui avait été modifié et ne pouvait, en soi, générer de résultats positifs ; qu'ils en voulaient pour preuve les nombreux dépôts de bilan des autres franchises Casa del Campo à Paris, Lille et Marseille ; qu'en se bornant à affirmer qu'il n'était pas rapporté que le business plan, commandé par la société Sam & Co, aurait été établi sur la base d'informations erronées fournies par le franchiseur, sans rechercher si les nombreux échecs des établissements Casa del Campo invoqués par M. Jaziri et la société Sam & Co ne révélaient pas, même en l'absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d'information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l'activité entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 du Code civil ; 4°) que l'erreur sur la rentabilité de l'opération justifie la nullité du contrat dès lors qu'elle est la conséquence d'une erreur substantielle sur le potentiel financier allégué de la franchise, indépendamment de la gestion du franchisé ; que M. Jaziri et la société Sam & Co faisaient valoir, dans leurs conclusions, que le compte d'exploitation prévisionnel avait été établi sur la base d'un concept qui avait été modifié et ne pouvait, en soi, générer de résultats positifs ; qu'ils démontraient qu'aucune faute de gestion imputable au franchisé ne pouvait être la cause de l'absence de rentabilité de la franchise, puisque plusieurs autres franchises Casa del Campo à Paris, Lille et Marseille avaient, de la même manière, subi d'importantes pertes financières, avaient fermé, voire avaient déposé leur bilan ; qu'en affirmant, pour écarter la demande en nullité du contrat de franchise, que des paramètres multiples liés au commencement de l'activité, à la conjoncture économique, à la gestion du gérant intervenaient dans la détermination de la rentabilité, sans rechercher si la récurrence des échecs connus par les franchisés Casa del Campo, qui avaient ouvert leur établissement dans des zones géographiques et à des dates différentes, n'était pas de nature à démontrer que le concept lui-même, tel que mis en œuvre par la société Casa concept services, était défaillant, de sorte que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l'activité entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que le document précontractuel remis aux franchisés présente l'état et les perspectives de développement du marché, ainsi que l'historique du concept et de son exploitation, et le curriculum vitae du gérant de la société avec le détail de l'ensemble des sociétés qu'il a gérées, la création récente de la société Casa concept services et du réseau de franchise étant mentionnée ; qu'il relève qu'il n'est pas démontré en quoi la connaissance, par les franchisés, de l'information selon laquelle une société dirigée par le même gérant a été mise en redressement judiciaire, en 1993, aurait déterminé autrement l'expression de leur volonté et que les franchisés ont fait établir un " business plan " (un plan d'affaires) sur la base des informations fournies par le franchiseur, sans qu'il soit démontré qu'elles fussent erronées ; qu'il retient que le fait que la rentabilité se soit avérée inférieure aux résultats escomptés résulte de paramètres multiples, et en particulier de la gestion des franchisés eux-mêmes, pourtant mis en garde par le franchiseur sur différents dysfonctionnements, d'autant que les autres établissements exploitant le même concept connaissaient dans le même temps des résultats bénéficiaires ; qu'ayant, par ces constatations et ces appréciations souveraines, fait ressortir que les franchisés avaient, avant de signer le contrat, reçu les informations leur permettant de s'engager en connaissance de cause, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, qui a procédé à la recherche invoquée et qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen : - Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel de condamner solidairement les franchisés à payer à la société Casa concept services la somme de 22 318,13 euro avec les intérêts au taux légal alors, selon le moyen : 1°) que la partie, qui a obtenu la résolution d'un contrat, ne peut cumuler cette résolution avec l'exécution, totale ou partielle, de l'obligation de l'autre partie ; qu'en prononçant la résiliation du contrat de franchise aux torts partagés du franchiseur et du franchisé, et en condamnant ce dernier à payer au premier le montant des redevances impayées dues au titre du contrat, la cour d'appel a violé l'article 1184 du Code civil ; 2°) qu'en cas de résiliation d'un contrat aux torts réciproques des deux parties, chacune ne doit réparation à l'autre que dans la mesure de la responsabilité qui lui incombe dans la rupture des relations contractuelles ainsi intervenues ; qu'en prononçant la résiliation du contrat de franchise aux torts partagés du franchiseur et du franchisé, et en se bornant à affirmer, pour condamner ce dernier à payer au premier le montant des redevances impayées, que le franchiseur avait adressé vainement plusieurs mises en demeure de payer les sommes dues au titre des redevances, sans rechercher quelle était la part de responsabilité incombant à la société Sam & Co dans la rupture des relations contractuelles ainsi intervenues, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir prononcé la résiliation du contrat de franchise, et constaté que le franchiseur avait mis en demeure la société Sam & Co de s'acquitter des redevances impayées, la cour d'appel a exactement décidé que ces redevances étaient dues ; que le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour constater la résiliation du contrat aux torts respectifs des parties à compter du 6 septembre 2011 et rejeter la demande de dommages-intérêts des franchisés, l'arrêt retient que le franchiseur a assisté la société Sam & Co au début de l'exécution du contrat par des propositions de choix de recrutement du personnel, sans toutefois se substituer à elle, et tout au long de son exécution par une assistance technique et commerciale, par une mise en garde contre une gestion inappropriée de son personnel et des choix de politique commerciale inadaptés, la mettant en garde contre une insuffisance de surveillance du fonctionnement de l'établissement, par le rappel des principes d'hygiène, de péremption des produits, la conseillant sur tous ces points ;

Qu'en statuant ainsi, sans préciser sur quelles pièces versées aux débats elle se fondait pour procéder à de telles affirmations, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a méconnu les exigences du texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il prononce la résiliation du contrat aux torts respectifs des parties et rejette les demandes de dommages-intérêts de M. Jaziri et de la société Sam & Co et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 4 décembre 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.