Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-10.628
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Strasser
Défendeur :
ArcelorMittal Revigny (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Laporte
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Monod, Colin, Stoclet, SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Strasser que sur le pourvoi incident relevé par la société ArcelorMittal Revigny ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société ArcelorMittal Revigny (la société) ayant résilié le contrat d'agent commercial, pour la représentation de ses produits à titre exclusif sur le territoire allemand, qui la liait à M. Strasser, celui-ci l'a assignée en paiement de certaines sommes ;
Sur le pourvoi principal : - Sur le deuxième moyen : - Attendu que M. Strasser fait grief à l'arrêt de déclarer recevable le moyen nouveau tiré de l'application du droit allemand au litige alors, selon le moyen, que selon les principes de loyauté des débats, de l'estoppel et de concentration des moyens, il est interdit de se contredire au détriment d'autrui et il incombe aux parties de présenter dès la première instance l'ensemble des moyens qu'elles estiment de nature, soit à fonder la demande, soit à justifier son rejet total ou partiel ; qu'en l'espèce, devant les premiers juges, la société se prévalait de l'application de l'article L. 134-12 du Code de commerce aux fins de voir limiter l'indemnité due à son agent commercial au seul préjudice subi ; que, pour la première fois en cause d'appel, elle a soutenu que le contrat était soumis à la législation allemande sur les agents commerciaux et, en conséquence, que l'agent commercial ne pouvait prétendre à aucune indemnité ; que ce moyen était donc contraire au moyen soutenu devant les premiers juges ; qu'en retenant toutefois que le changement de position, en droit, de la société appelante, n'apparaissait pas avoir été de nature à induire la partie adverse en erreur sur ses intentions de défendre à l'argumentation de M. Strasser, la cour d'appel a méconnu les articles 15, 122 et 563 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que le principe de la concentration des moyens ne fait pas obstacle à l'invocation devant la cour d'appel de moyens nouveaux ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que M. Strasser fait grief à l'arrêt de dire que le litige est soumis à la loi allemande avant de limiter sur ce fondement l'indemnisation qui lui est due alors, selon le moyen, que la loi du 25 juin 1991, transposant la directive européenne de 1986 et codifiée dans les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, qui régit le statut des agents commerciaux, est une loi protectrice d'ordre public interne ; qu'en déclarant la loi allemande applicable au litige, sans rechercher si l'application en l'espèce de la loi française régissant le statut des agents commerciaux n'était pas impérative et, dans la négative, en s'abstenant de mettre en œuvre la règle de conflit de loi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du Code civil ;
Mais attendu que la loi du 25 juin 1991, codifiée aux articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, loi protectrice d'ordre public interne, n'étant pas une loi de police applicable dans l'ordre international, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen : - Attendu que M. Strasser fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts complémentaires alors, selon le moyen : 1°) que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, M. Strasser a sollicité la condamnation de la société à lui payer, indépendamment de l'application du §89 b du Code de commerce allemand, la somme de 450 000 euro de dommages-intérêts au titre du préjudice subi du fait de la fin du contrat ; que cette demande était également distincte de celle faisant état de l'incidence fiscale du préjudice subi par M. Strasser ; qu'en se bornant, après avoir statué sur la demande d'application du §89 b du Code de commerce allemand, à retenir que la demande de dommages-intérêts complémentaires pour cause d'incidence fiscale excédait les limites posées par la loi allemande et qu'en toute hypothèse, l'incidence fiscale ne constitue pas un préjudice réparable, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et ainsi violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en ne motivant pas le rejet de la demande de dommages-intérêts formulée par M. Strasser, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) que M. Strasser se prévalait, dans ses conclusions d'appel, de ce que la rupture anticipée par le mandant, d'un contrat d'agence commerciale donne droit, pour l'agent, à la réparation de l'intégralité du préjudice résultant de la rupture, et notamment des circonstances dans lesquelles la rupture est intervenue ; qu'il faisait valoir que la société avait agi de manière déloyale en retardant l'issue de la procédure en ne produisant pas ses pièces permettant d'établir le volume de clients et en réduisant volontairement le volume des ventes au détriment de son agent, sans l'en informer ; qu'en s'estimant limitée par la limite d'un an de commissions prévue par le §89 b du Code de commerce allemand au lieu d'évaluer, au regard de son entière étendue, le préjudice résultant du comportement de la société, la cour d'appel a méconnu le principe de réparation intégrale du préjudice et violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que sous le couvert d'une méconnaissance des termes du litige et du principe de la réparation intégrale du préjudice, ainsi que d'un défaut de motifs, le moyen critique une omission de statuer sur un chef de demande ; que l'omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du Code de procédure civile, le moyen n'est pas recevable ;
Sur les premier et quatrième moyens, réunis : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le pourvoi incident : - Sur le troisième moyen : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. Strasser la somme de 85 394,40 euro avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2009 au titre de la clause d'échantillonnage alors, selon le moyen, que le contrat d'agent commercial conclu avec M. Strasser contenait une clause de retour sur échantillonnage permettant à ce dernier d'obtenir une commission sur les commandes et ventes transmises à la société dans l'année ayant suivi la rupture du contrat, par les clients qu'il avait apportés ; que le juge saisi d'une demande de paiement d'une indemnité de retour sur échantillonnage ne peut en fixer librement le montant et doit constater le montant des ordres transmis du fait de l'intéressé après son départ et rechercher si les commandes transmises au mandant sont la suite directe des prestations effectuées par le demandeur du temps où il était le représentant de son mandant ; qu'en se bornant, pour allouer à M. Strasser, pas moins de 85 394,40 euro en application de cette clause, à relever que ce montant, qui était avancé par M. Strasser sans la moindre offre de preuve, " apparaîssait cohérent par rapport au montant de commissions antérieurement atteint ", la cour d'appel, qui s'est satisfaite d'une évaluation forfaitaire de l'indemnité de retour sur échantillonnage, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la société ne produisait pas d'élément de preuve de nature à fonder son argumentation selon laquelle elle n'aurait reçu aucune commande postérieurement à la rupture du contrat et relevé que cette assertion était invraisemblable compte tenu du caractère exclusif du mandat de M. Strasser dans le territoire allemand, tandis que le montant mis en compte par celui-ci apparaissait cohérent par rapport au montant de commissions antérieurement atteint, pour retenir qu'il devait être fait droit à sa demande, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le sixième moyen du pourvoi principal : - Vu les articles 1153 et 1153-1 du Code civil ; - Attendu que l'arrêt condamne la société à payer à M. Strasser les commissions et l'indemnité au titre de la clause d'échantillonnage, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 18 décembre 2009 ;
Qu'en statuant ainsi, sans opérer de distinction entre le point de départ de ces intérêts selon qu'ils assortissent une condamnation au paiement d'une somme d'argent ou une condamnation à une indemnité, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour condamner la société à payer à M. Strasser la somme de 133 953,86 euro avec intérêts légaux, au titre de l'indemnité de rupture, l'arrêt retient que les griefs concernant le démarchage direct par celui-ci de clients des correspondants habituels de la société et le développement du volume d'activité ne sont pas établis et que les autres reproches qui lui ont été faits au sujet du non-respect de la procédure de validation des prix et de ses obligations de rendre compte de ses visites chaque semaine ainsi que des doléances d'un client, qui sont ponctuels, ne sont pas révélateurs d'un comportement contraire au bon esprit de collaboration ;
Qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur les autres manquements invoqués par la société, qui faisait aussi grief à M. Strasser de ne pas assurer le suivi des commandes, de ne pas répercuter la hausse du prix de la matière première, de vendre à perte, de proposer des prix n'étant plus pratiqués depuis trois ans, de prendre des décisions techniques sans en informer la mandante, ce qui lui imposait de rectifier ou d'annuler des commandes, de délivrer à des clients des fausses adresses de livraison et de s'engager à des délais qui ne pouvaient être tenus suscitant des plaintes, ni rechercher si de tels manquements, joints à ceux qu'elle avait retenus, n'étaient pas de nature à établir le motif sérieux de résiliation du contrat par la mandante tenant au comportement fautif de l'agent, privatif de l'indemnité de rupture en vertu de l'article 89b du Code de commerce allemand, applicable en la cause, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Et sur le deuxième moyen de ce pourvoi : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que l'arrêt condamne la société à payer à M. Strasser la somme de 60 788,89 euro, toutes taxes comprises, au titre des commissions sur les commandes non facturées à la fin du mois d'octobre 2005 ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la mandante qui soutenait avoir réglé cette somme en produisant le chèque envoyé à cette fin au conseil de l'agent, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société ArcelorMittal Revigny à payer à M. Strasser la somme de 133 953,86 euro avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2009 au titre de l'indemnité de rupture et celle de 60 788,89 euro, toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2009, au titre du solde des commissions, fixe le point de départ de ces intérêts à la date du 18 décembre 2009, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 octobre 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Metz.