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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 6 janvier 2016, n° 13/24389

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BSH Électroménager (Sté)

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fusaro

Conseillers :

M. Leplat, Mme Soulmagnon

Avocats :

Mes Utzschneider, Jegou

TGI Bobigny, du 9 oct. 2013

9 octobre 2013

Le 9 octobre 2013, le juge des libertés et de la détention de Bobigny, a rendu, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux des sociétés suivantes :

· Fagorbrandt

· Eberhardt Frères

· Samsung Electronics France

· Groupe Seb France et Groupe Seb Retailing

· Miele

· Smeg France

· Indesit Company France

· BSH Electromenager

· Electrolux Home Products France et Electrolux France

· LG Electronics France

· GPDIS France Sud Est (Enseigne SLD) et Pulsat Synthèse

· Gemdis Groupe Findis (Anciennement Cocelec Rhone-Alpes)

· Etablissements Darty et Fils

Cette ordonnance faisait suite à une requête présentée suite à l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2°, 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Cette requête était consécutive à une demande d'enquête du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence conformément aux dispositions de l'article L. 460-4 alinéa 1 du Code de commerce.

A l'appui de cette requête étaient joints une liste de 21 pièces ou documents en annexe.

Qu'il était allégué qu'une pratique prohibée consisterait à imposer des prix de revente dans le secteur de l'électroménager aux sites Internet qui distribuaient les produits dits " blancs " rassemblant le petit et gros électroménager notamment de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits dits " bruns " regroupant les appareils électriques et électroniques de loisirs (annexe 21). Il était indiqué d'une part que des distributeurs se seraient plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire, d'autre part que les fournisseurs encadreraient les annonces de réductions de prix proposées par les distributeurs sur Internet et enfin que les fournisseurs limiteraient le niveau de remise octroyé aux consommateurs. Il était joint des procès-verbaux d'un distributeur et de revendeurs se plaignant de ces pratiques mettant en cause plusieurs marques de fournisseurs (Magimix , Liebherr, Miele, De Dietrich, Samsung).

Il était soutenu qu'au-delà de l'encadrement de la politique promotionnelle des distributeurs, des déclarations de revendeurs auraient fait état d'un véritable contrôle des prix de revente par les fournisseurs de produits blancs et bruns et plus particulièrement GPDIS, Fagorbrandt, Eberhardt Freres, Samsung, Seb, Smeg, Indesit, Electrolux et LG. Ainsi des consignes tarifaires seraient données par les fabricants tant à l'oral (pour la plupart), que par courriels. Le contrôle tarifaire exercé par les fabricants viserait à augmenter les prix de revente comme le confirmeraient les déclarations du 21 février 2011 d'un distributeur et les extraits de courriels d'un responsable commercial notamment.

Il apparaîtrait également que les courriels comminatoires des fabricants seraient le plus souvent " codés " le terme " stock " étant utilisé à la place du mot " prix ". Ainsi ce procédé consisterait dans le fait que les revendeurs auraient été fréquemment sollicités pour remonter leurs " stocks ", alors que le stock minimal des distributeurs aurait été fixé contractuellement à une ou deux unités seulement, plusieurs courriels annexés à la requête illustrant ce procédé.

Il était par ailleurs indiqué que les directives tarifaires seraient relayées par des grossistes comme le confirmait notamment par procès-verbal du 14 janvier 2013 le gérant de la SARL Web Achat en déclarant " nous étions en litige avec GPDIS notre fournisseur car " elle " se faisait le relais des fabricants sur leur mainmise sur notre politique commerciale ", déclaration qui serait corroborée par divers autres courriels. Il était fait état que les prix de revente imposés aux distributeurs seraient diffusés par les fabricants et les grossistes au moyen de " black list ", de noms de couleur ou de tableaux ; qu'à cet égard le gérant d'une SARL avait communiqué une liste de produits pour lesquels les prix sont dits " bloqués " c'est à dire dont le prix devait strictement correspondre au prix de vente conseillé par le fabricant ou le prix généralement constaté ainsi qu'une autre liste de produits dits " sensibles " correspondant aux références pour lesquelles " il se devait de maintenir des prix élevés pour ne pas casser le marché si nous voulions être livrés ".

Les distributeurs auraient été incités à respecter les consignes tarifaires en échange de service de mise en avant des produits par les fournisseurs, des courriels attesteraient de la soumission des distributeurs aux instructions tarifaires des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " et qu'à défaut de remonter les prix de revente comme l'auraient exigé les fournisseurs, ceux-ci ordonneraient aux revendeurs de retirer les références concernées sur leur site Internet. Enfin, les distributeurs récalcitrants auraient été victimes de blocages de leurs comptes, de refus ou d'arrêts de livraisons et les grossistes auraient été sollicités pour faire respecter la police des prix des fabricants.

Par ailleurs, une seconde pratique prohibée aurait consisté pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " à faire retirer de la vente sur Internet certaines de leurs références, les fabricants, comme pour la première pratique illicite présumée, auraient utilisé les mêmes supports de diffusion pour informer les distributeurs des produits interdits à la vente sur Internet à savoir Codes de couleur et listes noires, un gérant de SARL le confirmant en déclarant que le Code couleur " bleu " était utilisé par un fabricant pour désigner les appareils exclus de la vente sur Internet, étant précisé que des courriels émanant de plusieurs autres fabricants auraient confirmé cette pratique et les grossistes de la même manière que précédemment évoquée, auraient fait pression sur les revendeurs pour qu'ils retirent certains produits de leurs sites Internet.

Une troisième pratique prohibée aurait consisté à refuser l'agrément à des distributeurs. Il ressortirait des témoignages qu'à partir de 2009, la plupart des fabricants de produits " blancs " et " bruns " auraient mis en place un réseau de distribution sélective. Il en serait déduit de déclarations de plusieurs revendeurs que certains fournisseurs de produits " blancs " et " bruns " pourraient interdire à des distributeurs de commercialiser leurs produits au seul motif qu'ils les diffusent sur Internet, la déclaration du même gérant de SARL viendrait accréditer cette thèse dans sa relation commerciale avec le distributeur Boulanger; qu'il apparaîtrait que ces pratiques prohibées auraient comme finalité de circonscrire la concurrence sur Internet.

Qu'il pourrait également en être déduit que l'objectif des fabricants des produits " blancs " et " bruns " serait d'aligner les prix de la vente en ligne sur ceux pratiqués par les grandes enseignes spécialisées de détail et plus particulièrement Darty, cette allégation émanerait d'une déclaration d'un autre distributeur invoquant un projet de négociation commerciale présumé en cours entre la marque Smeg et le distributeur Darty, ainsi que d'un autre distributeur faisant état de pression du fabricant Fagorbrandt pour augmenter les prix pratiqués sur son site Internet jusqu'au niveau des prix pratiqués par leurs gros clients principaux à savoir Darty et Boulanger. Le gérant d'une SARL a déclaré que plusieurs commerciaux lui avaient dit oralement que s'ils voulaient que leurs clients de la grande distribution spécialisée notamment Darty (leader du marché) continuent de mettre en avant leurs produits il était nécessaire que les fabricants remontent les prix de vente des produits [...] la politique d'alignement étant essentiellement liée à la politique de commerciale de Darty qui avait plus de 20 % du marché de la distribution. Cela nous avait été précisé à l'oral par un autre commercial de Samsung notamment. Je ne peux cependant pas vous indiquer si les demandes de remontées de prix étaient uniquement liées à ce distributeur [...], l'objectif était qu'il existe le moins de différences possibles avec la grande distribution [...] que les gros sites de vente en ligne comme " rueducommerce.com " et " Cdiscount " subissaient les mêmes pressions que nous mais avaient l'avantage de la taille ".

Il résulterait de ces éléments que l'uniformisation des prix à la hausse serait de nature à préserver le canal de distribution des grandes enseignes de détails qui dominent le marché des produits 'blancs' et "bruns" et que la stratégie des fabricants permettait aux grandes enseignes spécialisées de détails de tirer profit de l'engouement pour la vente en ligne. Dans ce contexte, les grandes enseignes de détails miseraient sur leurs sites Internet pour dynamiser les ventes de leurs réseaux physiques et que ce développement multicanal aurait profité à plusieurs grandes enseignes spécialisées de détail.

Il s'en déduirait de ces différentes pratiques présumées illicites qu'elles limiteraient les capacités des consommateurs à faire jouer la concurrence entre le canal de la vente par Internet et celui de la distribution traditionnelle et ce en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101-1 du TFUE et que l'ensemble de ces agissements semblerait constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes horizontales et verticales à dimension nationale entre les fabricants de produits 'blancs' et "bruns", les grossistes et les grandes enseignes spécialisées de détail. Ces actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui auraient pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises et limiter ou contrôler l'entrée aux marchés seraient établis selon des modalités secrètes et qu'il serait nécessaire d'autoriser les agents de l'Autorité de la concurrence de rechercher la preuve desdites pratiques prohibées vraisemblablement détenues et conservées dans des lieux (en l'espèce les sociétés sus-mentionnées en début d'ordonnance) et sous des formes qui faciliteraient leurs dissimulation, leurs destruction ou altération en cas de vérification. Selon l'Autorité de la concurrence, le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché et que les opérations de visite et de saisie n'apparaîtraient pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre. Le juge des libertés et de la détention de Bobigny autorisait la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder, dans les locaux des entreprises sus-mentionnées et aux visites et aux saisies prévues par les dispositions des articles L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibés par les articles L. 420-1,1°,2° et 3° du Code de commerce et 101-1 a et b du TFUE, relevées dans le secteur de la distribution des produits " blancs " et " bruns " ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée.

Il laissait le soin de désigner les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence [...] pour effectuer les visites et saisies autorisées [...] et désignait Jean-Michel Mimram, commissaire-divisionnaire et Philippe Tireloque commissaire-divisionnaire pour nommer les officiers de police judiciaire compétents. Il donnait commission rogatoire pour les autres lieux de visites domiciliaires et de saisies aux juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Nanterre, Rouen, Senlis, Limoges, Lyon, Meaux et Strasbourg et indiquait que les occupants des lieux ou leurs représentants avaient la faculté de faire appel à un conseil de leur choix, sans que cette faculté n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisies ; [...] et en mentionnant que la présente ordonnance pouvait faire l'objet d'un appel devant le premier président de la Cour d'appel de Paris par déclaration au greffe dans un délai de dix jours, [...] que cet appel n'était pas suspensif et que l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris était susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation [...]. "

Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 17 et 18 octobre 2013. Elles ont été retranscrites dans des procès-verbaux en date du 18 octobre 2013 auquel ont été annexées les observations des avocats présents. Le 24 octobre 2013, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a été saisi d'un appel contre cette ordonnance par la société BSH et d'un recours à l'encontre du déroulement des opérations de visite et de saisie.

Par conclusions déposées le 1er décembre 2014 la société BSH a transmis des écritures tendant à l'annulation de l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le Juge des libertés et de la détention de Bobigny.

L'affaire a été appelée à l'audience du 21 janvier 2015 à 9 heures, mise en délibéré mais n'a pas été rendue. Une réouverture des débats a été fixée le 28 octobre 2015 et mise en délibéré pour être rendue le 6 janvier 2015.

Par conclusions récapitulatives enregistrées au greffe en date du 1er décembre 2014, la société BSH conteste la régularité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bobigny ainsi que celle des opérations de visite et de saisie subséquentes, et en demande l'annulation.

I. Sur la nullité de l'ordonnance à raison du caractère incomplet du dossier présenté par l'Autorité de la concurrence au Juge des libertés et de la détention

1. L'article 6§1 de la CESDH et le principe de l'égalité des armes imposent à l'Administration de présenter ensemble des documents en sa possession

La société BSH fait valoir que l'article 6§1 de la CESDH obligerait l'Administration quand elle présente une requête d'autorisation de visite domiciliaire à fournir les pièces à charge et à décharge afin que les sociétés concernées puissent connaître de toutes les pièces venant au soutien de la requête sans en laisser de côté parce qu'elle les considérerait comme inutiles.

Il est cité de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, de tribunaux de grande instance et de tribunaux correctionnels qui sanctionneraient le fait pour l'Administration de ne pas fournir toutes les pièces par la nullité de la procédure.

L'Administration précise que l'appelante a eu accès à l'intégralité du dossier sur lequel s'appuie l'ordonnance d'autorisation et a pu contester devant la cour de céans, en fait et en droit, dans le cadre d'un débat contradictoire, la légalité de l'ordonnance d'autorisation et chacune des pièces annexées à la requête qu'elle souhaitait combattre. L'article 6 de la CESDH n'est par ailleurs pas pleinement applicable au stade de constatation des infractions qui inclut la mise en œuvre de la recherche de preuve, l'assujettissement de telles enquêtes préparatoires à ces garanties procédurales gênerait en pratique la recherche et la constatation d'infractions (CEDH, IJL et autres c/RU, 19 septembre 2000).

Le principe du contradictoire serait inapplicable au stade de la mise en œuvre de la recherche de la preuve.

Une jurisprudence de la Cour de cassation est citée précisant que le principe du contradictoire, notamment la mise à disposition du dossier, ne commencerait qu'à la communication des griefs par l'Autorité de la concurrence (Cass.com, 23 novembre 2010). Le principe du contradictoire constituerait un droit conditionnel au regard de la CEDH, on pourrait donc le suspendre mais pas le restreindre sauf en cas d'application de la " clause d'ordre public " qui autorise l'Etat à limiter l'exercice du droit proclamé. La société appelante ne saurait exiger une garantie équivalente de ses droits à tous les stades de la procédure.

Les exigences fixées par l'article 6 de la CESDH avaient donc bien été respectées.

2. L'article L. 450-4 du Code de commerce et le principe de loyauté dans l'Administration de la preuve imposent à l'Autorité de la concurrence de présenter l'ensemble des documents en sa possession

L'appelante indique que l'article L. 450-4 du Code de commerce obligerait l'Administration à fournir toutes les pièces en sa possession sans qu'elle puisse occulter celles qui nuiraient à ses prétentions et donc effectuer une sélection avant de présenter la requête au juge. Cette sélection serait d'autant plus critiquable car il s'agit d'une ordonnance rendue sur requête et donc par définition sans possibilité de contradictoire. Cette démarche ne serait pas compatible avec le principe de loyauté qui s'imposerait à l'Administration. La Cour de cassation procéderait à la même interprétation de l'appelante de l'article L. 450-4 du Code de commerce comme la cour l'aurait indiqué dans le rapport annuel pour l'année 2000.

L'Administration répond que l'appelante ne saurait faire grief de ce que les documents ou partie des documents n'aient pas figuré à la procédure de demande d'autorisation de visite et saisie. Le principe de loyauté était garanti par la notification des ordonnances d'autorisation et sur commission rogatoire qui mentionnent l'objet de l'enquête, la connaissance et le respect des règles éthiques, déontologiques et de probité par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence, la présence possible d'un conseil, la présence d'officier de police judiciaire qui constituent une garantie pour le justiciable, la saisine en cas de difficulté et le déplacement possible du Juge des libertés et de la détention, et enfin le recours en contestation de la légalité de l'ordonnance et/ou du déroulement des opérations de visite et de saisie.

Le Juge des libertés et de la détention a pu autoriser la mesure sollicitée sur la base de pièces laissées au greffe de son tribunal et l'appelante a pu " analyser et contester chacun des éléments d'information retenus par le juge dans son ordonnance, même si les conclusions qu'elle tire de ce travail sont, à tout le monde, erronées ".

Une jurisprudence abondante de la Cour de cassation et communautaire est citée en ce sens.

3. Sur le caractère incomplet du dossier présenté au soutien de la requête de l'Autorité de la Concurrence

L'appelante indique qu'en l'espèce, l'Administration a présenté une requête incomplète en raison de l'omission de certaines pièces :

L'annexe 5 indique que Monsieur Julien Herbin aurait fourni 20 documents lors de son audition, or toutes ces pièces sont absentes de la requête ; Dans le même ordre d'idée, l'annexe 8 fait état de 5 documents remis qui sont là aussi absents de la requête ;

Dans l'annexe 12, il s'agirait de 13 documents non produits à la requête ; Dans l'annexe 15, il s'agirait de 7 documents qui ne figurerait pas au dossier ; Enfin, l'annexe 17 fait état de 8 documents non présentés dans le dossier. En tout, 5 procès-verbaux sont incomplets, ce qui ne permet pas à la société BSH de discuter du bien-fondé de ces documents et instaurer un véritable débat contradictoire sur le bien-fondé de l'ordonnance.

Cette grave violation des articles L. 450-4 du Code de commerce et 6§1 de la CESDH entacherait de nullité l'ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention.

L'Administration cite l'article L. 450-4 alinéa 2 du Code de commerce et souligne que la décision d'autorisation du Juge des libertés et de la détention de Bobigny du 9 octobre 2013 a été rendue sur le fondement des pièces annexées à la requête du 30 septembre 2013. Le dossier n'était pas incomplet et le juge a souverainement caractérisé l'existence de présomptions, de la pratique anticoncurrentielle d'entente, justifiant la décision. Le juge devait vérifier, de manière concrète, par l'appréciation des éléments d'information qui lui étaient fournis, que la demande d'autorisation était fondée sur une ou des simples présomptions de fraude, ce qu'il avait bien fait en l'espèce. Elle cite une jurisprudence abondante de la Cour de cassation en ce sens.

II. Sur la nullité de l'ordonnance à raison de l'absence de vérification du bien-fondé de la demande d'enquête présentée par l'Autorité de la concurrence au Juge des libertés et de la détention

La société BSH fait valoir que le Juge des libertés et de la détention aurait autorisé les opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société BSH alors qu'il résultait des éléments figurant au dossier que BSH n'a pas participé aux pratiques alléguées.

1. La présence d'éléments à décharge pour BSH Electroménager concernant le refus allégué et la présence d'éléments à décharge pour BSH Electroménager concernant le retrait de produits des sites Internet

D'une part, selon la société appelante, à l'annexe 5 de la requête, Julien Herbin indiquerait que la société BSH Electroménager aurait donné l'agrément pour vendre ses produits. A l'annexe 8 de la requête, le plaignant déclare que la société BSH aurait régulièrement agréé des cybermarchands.

Donc, s'agissant du refus d'agrément, le dossier ne contient aucun élément incriminant la société BSH.

D'autre part, la société appelante indique que l'ordonnance contient aux pages 9 et 10 des développements relatifs à une deuxième pratique prohibée [qui] consisterait pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " à faire retirer de la vente sur Internet certaines de leurs références " qui ne concerneraient pas BSH. En effet, selon les propres déclarations de Monsieur Julien Herbin, la liste Disteo aurait été établie et transmise par le grossiste GPDIS et le plaignant ne pourrait pas affirmer si cette liste a été établie à la demande d'un ou plusieurs fabricants. Au surplus, Monsieur Julien Herbin ne cite pas BSH parmi les sociétés demandant de retirer leurs produits. Enfin, ce dernier prétend qu'il existe deux listes noires : une liée à la distribution sélective et l'autre non liée à la distribution sélective.

Pour la première liste, Monsieur Herbin aurait été agrée par BSH, il ne peut pas être soutenu que la société a une pratique anticoncurrentielle. Pour la seconde liste, le plaignant aurait soumis une liste des fabricants mais ne citerait pas la société BSH.

Ainsi, il ressort de l'examen du dossier que s'agissant de la deuxième pratique alléguée, il n'existe aucune présomption de pratique anticoncurrentielle à l'égard de la société BSH.

L'Autorité relève que si la société BSH nie sa participation à la pratique de refus d'agrément et à celle d'imposition de retrait de certains produits a vente sur Internet, cette dernière ne conteste pas sa participation à la troisième pratique consistant à l'imposition des prix de revente aux sites Internet qui distribuent les produits " blancs " et " bruns ". Par ailleurs, l'Autorité de la concurrence fait valoir qu'analyser les indices un par un pour en conclure que le Juge des libertés et de la détention n'avait aucun élément dans le dossier n'aurait aucun sens dans la mesure où seul le résultat de l'analyse de l'ensemble des faits portés à la connaissance du magistrat serait révélateur d'une ou plusieurs présomptions de pratiques anticoncurrentielles. Bien plus, c'est l'ensemble des agissements des différentes entités dans un secteur considéré qui importerait.

En l'espèce, le Juge aurait satisfait à son obligation de contrôle en analysant les 21 annexes de la requête (dont 5 concernaient BSH) puis en relevant l'existence possible d'une stratégie d'actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions.

De surcroît, il suffirait que l'appelante paraisse impliquée dans l'un des agissements frauduleux suspectés dont la preuve est recherchée (ce qui est l'objet de la visite domiciliaire). Dans son autorisation, le Juge des libertés et de la détention de Bobigny aurait pris soin d'indiquer au moins deux agissements prohibés à caractère horizontal entre les fabricants de produits " blancs " et " bruns ".

C'est à tort que la société BSH critique l'utilisation du verbe " sembler " et du conditionnel pour assurer que le Juge manquait d'assurance dans son analyse. Au contraire l'utilisation de ce mode (qui est celui du doute ou du possible) démontrerait que le magistrat ne porte aucune accusation envers les sociétés visées par l'ordonnance. Quant à l'ancienneté du courriel en date du 27 octobre 2009, rien n'interdirait de retenir comme éléments de présomptions des faits non prescrits, des documents ou éléments d'information datant de plus de 5 ans.

Contrairement aux allégations de l'appelante, le Juge des libertés et de la détention a pris soin dans son ordonnance d'indiquer plusieurs éléments solides aboutissant à de simples présomptions de pratiques anticoncurrentielles surtout dans une matière où par hypothèse les participants dissimulent leurs faits répréhensibles. La participation même passive à une seule réunion (ou à un seul échange illicite d'informations confidentielles par tout autre moyen) suffirait à montrer son adhésion à une entente expresse ou tacite verticale ou horizontale.

2. L'absence d'élément sérieux à l'encontre de BSH Electroménager s'agissant des prétendues impositions de prix La société BSH fait valoir que la pratique anticoncurrentielle d'imposition de prix serait développée dans les pages 6 à 9 de l'ordonnance. BSH ne serait citée qu'une seule fois dans une référence au procès-verbal d'audition n°5 dans lequel il ressortirait que Monsieur Julien HERBIN ne met pas en cause BSH mais tous les fabricants de manière générale. Or, une déclaration générale ne constituerait pas un indice de participation à une pratique anticoncurrentielle.

Dans la page 9, l'ordonnance mentionnerait pour la première fois un élément unique concernant BSH Electroménager constitué par un courriel. En premier lieu, l'ordonnance se montrerait particulièrement prudente en qualifiant ce mail de " non équivoque ".

En deuxième lieu, au vu de l'objet du mail (Produits Domus) il semblerait que ce mail fasse référence au distributeur Media Saturn qui avait ouvert un point de vente dans le centre commercial Domus en 2009 et qui s'est depuis " retiré " du marché. Or, ce distributeur ne disposait pas de point de vente Internet à l'époque mais seulement de point de vente physique. Il s'en déduirait que ce courriel n'aurait aucun rapport avec les pratiques visées par l'ordonnance. En conclusion, aucun indice sérieux ne désigne BSH et l'ordonnance doit être annulée. L'Autorité de la concurrence fait valoir en premier lieu que la société appelante tenterait de discréditer le contenu de l'ordonnance d'autorisation en relevant qu'elle " reproduit servilement sur ce point les termes de la requête " et reprend " mot pour mot les termes de la requête ".

Or, l'Autorité de la concurrence présente au Juge des libertés et de la détention avec la requête un projet d'ordonnance en version papier et en version numérique. Ainsi, le magistrat pourrait modifier le projet d'ordonnance comme il l'entend, substituer d'autres motifs et même refuser de donner son autorisation.

De surcroît, le dossier aurait été présenté au Juge des libertés et de la détention le 4 octobre 2013 et l'ordonnance aurait été rendue le 9 octobre 2013. Ainsi, en 6 jours, le Juge a pu s'assurer de l'adéquation entre les pièces produites et les énonciations de l'ordonnance. En outre, les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés être établis par le Juge qui l'a rendue et signée, lequel en endosse la responsabilité, position confirmée par la jurisprudence de la Cour de cassation et du Premier Président de la Cour d'appel de Paris. En second lieu, comme au stade de l'autorisation de visite et de saisie où aucune accusation n'est portée, l'Autorité de la concurrence n'aurait pas à produire d'éléments de preuve de pratiques anticoncurrentielles mais seulement des indices qui par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison aboutiraient à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées.

A ce stade, le rôle du Juge se limiterait à recueillir et analyser les faits utiles afin d'en extraire une ou plusieurs présomptions de pratiques anticoncurrentielles.

III. Sur la nullité de l'ordonnance à raison de l'atteinte au principe de proportionnalité s'agissant du champ de l'enquête autorisée

Selon l'appelante, il résulterait de l'article L. 450-4 du Code de commerce que le champ de l'autorisation doit être directement corrélé aux éléments d'information soumis au juge des libertés et de la détention. Un arrêt rendu par la Cour de cassation du 15 mars 1994 ayant censuré une ordonnance autorisant des opérations de visite et de saisie est cité en appui de cet argument. Il ressortirait de l'article 8 de la CESDH qu'il ne peut y avoir ingérence d'une Autorité publique dans l'exercice du droit de toute personne au respect de son domicile que si celle-ci est proportionnée au but légitime qu'elle poursuit en fonction des circonstances de l'espèce. Il est cité un arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2011 exigeant une adéquation entre les présomptions retenues par le juge des libertés et de la détention et le champ des visites et saisies ainsi que de la jurisprudence communautaire.

L'autorisation des visites et saisies serait étendue à l'ensemble des pratiques, horizontales et verticales, prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2° et 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) TFUE relevées dans le secteur des produits " bruns " et " blancs ", alors que les présomptions retenues par le juge n'auraient visé exclusivement que trois pratiques verticales déterminées destinées à limiter la concurrence sur Internet (à savoir une pratique tendant à imposer un prix de revente à des sites Internet, une pratique tendant à faire retirer de la vente sur Internet certains produits et une pratique consistant à refuser l'agrément de certains revendeurs). Cette extension serait disproportionnée et injustifiée et l'ordonnance serait en conséquence irrégulière.

Ce champ de l'ordonnance large ne reposerait sur aucun élément tangible et serait excessif et justifierait l'annulation de l'ordonnance.

Selon l'Autorité, le Juge de l'autorisation aurait tout d'abord bien précisé le secteur économique concerné par son autorisation : celui relatif à la distribution des produits " blancs " et " bruns " et il convient de faire la distinction entre un secteur économique et un marché (plus restreint que le précédent) et dont l'appréciation appartiendrait à l'Autorité de la concurrence et aux juridictions compétentes.

La société BSH se prévaudrait d'un arrêt de la Cour de cassation obsolète car rendu sous l'empire de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour affirmer que l'ordonnance aurait un objet général, indéterminé et disproportionné.

Or, la jurisprudence la plus récente invaliderait ce raisonnement.

Concernant la contestation du champ de la visite et saisie à l'ensemble de la distribution, l'Administration fait valoir que le Juge aurait indiqué très clairement dans son ordonnance que les présomptions d'ententes anticoncurrentielles concernant l'imposition de prix de revente s'étendaient à tous les circuits de distribution. De surcroît, le Juge se serait également appuyé sur le fait que certains revendeurs Internet disposeraient de magasins de proximité.

D'ailleurs, l'argument de BSH consistant à vouloir limiter le champ de l'autorisation à la distribution sur Internet n'aurait pas de sens car le but de ces pratiques prohibées serait justement d'aligner les prix de vente sur Internet avec ceux proposés par les grandes enseignes spécialisées de détail et les magasins de proximité.

Enfin, concernant le principe de proportionnalité de l'article 8 de la CESDH, il doit être rappelé que l'article L. 450-4 du Code de commerce n'a jamais été mis en cause par la jurisprudence de la CEDH. En effet, la violation de l'article 8-1 de la CESDH est écartée lorsqu'elle est justifiée par l'article 8-2 de la même convention, et pour être admissible, l'ingérence de l'Autorité publique doit être prévue par la loi (article L. 450-4 du Code de commerce), viser un but légitime (la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielles) et être nécessaire dans une société démocratique (bien être économique du pays).

Cette position serait confirmée par la jurisprudence de la Cour de cassation et de la CEDH. Il s'ensuivrait que les visites domiciliaires prévues à l'article L. 450-4 du Code de commerce seraient respectueuses des exigences fixées par l'article 8 de la CESDH et de la jurisprudence.

Pour toutes ces raisons, le Premier Président ne pourra que constater que l'autorisation judiciaire visait à bon droit l'entreprise BSH. Madame l'Avocat général rappelle dans son avis du 21 janvier 2015 que le principe du contradictoire ne reçoit application qu'à compter de la notification des griefs par l'Autorité de la concurrence et que l'égalité des armes n'est pas requise au stade de l'enquête. Il est estimé que l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de Bobigny faisait état de présomptions d'ententes anticoncurrentielles et de l'éventualité que des documents incriminés se trouvaient dans les locaux de la société BSH. Le Ministère public estimait en conclusion que le Premier Président ne pourrait que confirmer l'ordonnance du 9 octobre 2013 du Juge des libertés et de la détention du TGI de Bobigny.

En conséquence la société BSH demande à titre principal l'annulation de l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention. A titre subsidiaire est demandée la limitation du champ de l'autorisation à la recherche de preuve des seules pratiques verticales entre distributeurs et fabricants visant à limiter la distribution des produits " blancs " et " bruns " sur Internet. La société appelante demande également la condamnation de l'Administration aux entiers dépens. L'Autorité de la concurrence demande la confirmation de l'ordonnance d'autorisation rendue le 9 octobre 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny et de condamner la société BSH aux entiers dépens.

SUR CE

I. Sur la nullité de l'ordonnance à raison du caractère incomplet du dossier présenté par l'Autorité de la concurrence au Juge des libertés et de la détention

1. L'article 6§1 de la CESDH et le principe de l'égalité des armes imposent à l'Administration de présenter ensemble des documents en sa possession

Le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'Administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée; qu'à cette fin le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soit caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques; que les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées.

Au stade de la phase préparatoire de l'enquête, un débat contradictoire n'a pas lieu d'être, aucune accusation n'étant formulée à l'encontre de la société BSH, les opérations de visite et de saisie ayant pour objet de rechercher d'éventuels documents rentrant dans le champ d'application de l'ordonnance.

En conséquence, les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce respectent le principe du contradictoire instauré par l'article 6§1 de la CESDH dans la mesure où la société visitée a la possibilité d'exercer un appel et un recours devant le Premier Président de la cour d'appel, ce qu'elle a fait en l'espèce.

Ce moyen sera donc écarté.

2. L'article L. 450-4 du Code de commerce et le principe de loyauté dans l'Administration de la preuve imposent à l'Autorité de la concurrence de présenter l'ensemble des documents en sa possession et sur le caractère incomplet du dossier présenté au soutien de la requête de l'Autorité de la concurrence

Le Juge des libertés et de la détention signataire de l'ordonnance et qui de ce fait se l'approprie en procédant à des rectifications ou à des modifications puisqu'il dispose d'une copie numérisée de l'autorisation proposée par l'Autorité de la concurrence, a préalablement examiné la requête et ses annexes et peut le cas échéant refuser de la signer, son rôle ne se limitant pas à une simple mission de chambre d'enregistrement. Rien n'impose à l'Administration de transmettre d'éventuels documents qui seraient " à décharge " selon la société appelante étant précisé comme nous l'avons indiqué ci-dessus qu'il s'agissait de la phase préparatoire de l'enquête et que ces éléments "à décharge" peuvent très bien être soumis lors de l'audience et de façon contradictoire devant le Premier Président de la cour d'appel. Dès lors l'atteinte au principe de loyauté ne serait pas caractérisé. Ces moyens seront donc rejetés.

II. Sur la nullité de l'ordonnance à raison de l'absence de vérification du bien-fondé de la demande d'enquête présentée par l'Autorité de la concurrence au Juge des libertés et de la détention

- La présence d'éléments à décharge pour BSH Electroménager concernant le refus allégué

- La présence d'éléments à décharge pour BSH Electroménager concernant le retrait de produits des sites Internet

- L'absence d'élément sérieux à l'encontre de BSH Electroménager s'agissant des prétendues impositions de prix

Le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'Administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée; qu'à cette fin le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soit caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques; que les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées; un contrôle de proportionnalité a été effectué par le Juge lorsqu'il décide de faire droit à la requête de l'Autorité de la concurrence.

Il est précisé que le Juge doit examiner suivant la méthode du faisceau d'indices, si les éléments d'informations produits par le requérant pris dans leur ensemble et non pas individuellement sont de nature à faire présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles, dont la preuve est recherchée. S'agissant de l'utilisation du conditionnel et des expressions " est susceptible de " ou " semble ", cette terminologie est employée à dessein dans la mesure où comme nous l'avons indiqué précédemment aucune accusation n'est portée à l'encontre de la société visitée dans la phase préparatoire de l'enquête. Cette utilisation ne serait en aucun cas le signe " du manque d'assurance " du Juge des libertés et de la détention. Par ailleurs, l'ancienneté du mail daté du 27 octobre 2009, n'interdirait pas de retenir comme éléments de présomptions des faits non prescrits, des documents ou éléments d'information datant de plus de 5 ans.

Enfin, le Juge des libertés et de la détention a pris soin dans son ordonnance d'indiquer plusieurs indices laissant apparaître un faisceau de présomptions simples de pratiques anticoncurrentielles sans pour autant porter un jugement de valeur sur l'implication de la société dans les agissements prohibés, qui relève du ressort du juge du fond. S'agissant de la reprise des termes de la requête dans l'ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention, nous avons déjà répondu à ce moyen précédemment. Ces moyens seront écartés.

III. Sur la nullité de l'ordonnance à raison de l'atteinte au principe de proportionnalité s'agissant du champ de l'enquête autorisée. L'article 8§2 de la CESDH dispose, tout en énonçant le droit au respect de sa vie privée et familiale, que " Il ne peut y avoir ingérence d'une Autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays [...] ".

Il a lieu de rappeler que le Juge des libertés et de la détention lorsqu'il a été saisi de la requête de l'Administration a connaissance de ces éléments et des recherches effectuées a posteriori par l'Autorité de la concurrence; qu'il effectue un contrôle de proportionnalité entre les présomptions qui lui sont produites et l'atteinte aux libertés ; que le nombre de documents saisis importe peu au regard des éléments qui lui étaient soumis au moment de sa prise de décision. En décidant de rendre une ordonnance de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a de ce fait en examinant les documents qui lui étaient soumis estimé que les autres moyens de recherche de preuve moins coercitifs dont dispose l'Autorité de la concurrence étaient insuffisants et a exercé de fait un contrôle de proportionnalité entre l'atteinte portée aux libertés et les objectifs poursuivis par l'Administration. S'agissant de l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention, celle-ci visait bien un secteur de l'économie et non pas un marché et que le champ d'application de son ordonnance s'étendait aux 13 présomptions d'ententes anticoncurrentielles concernant l'imposition de prix de revente pour tous les circuits de distribution de ce secteur y compris les revendeurs disposant de magasins de proximité, les distributeurs et les enseignes spécialisées de détail (ces circuits ne se limitant pas uniquement aux " Pure Player ").

L'atteinte à l'article 8 de la CESDH étant tempérée par l'article 8-2 de la même convention, cet argument ne saurait prospérer. Ce moyen sera rejeté.

Par ces motifs, Statuant contradictoirement et en dernier ressort ; Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny ; Rejetons les autres demandes ; Disons que la charge des dépens sera supportée par la société appelante.