CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 6 janvier 2016, n° 13/24368
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SMEG France (Sté)
Défendeur :
Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fusaro
Avocat :
Me Nicod
Avocat général :
Mme Guidoni
Le 9 octobre 2013, le juge des libertés et de la détention de Bobigny, a rendu, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux des sociétés suivantes :
· Fagorbrandt
· Eberhardt Frères
· Samsung Electronics France
· Groupe Seb France et Groupe Seb Retailing
· Miele
· Smeg France
· Indesit Company France
· BSH Electromenager
· Electrolux Home Products France et Electrolux France
· LG Electronics France
· GPDIS France Sud Est (Enseigne Sld) et Pulsat Synthèse
· Gemdis Groupe Findis (Anciennement Cocelec Rhone-Alpes)
· Etablissements Darty et Fils.
A l'appui de cette requête étaient joints une liste de 21 pièces ou documents en annexe. Qu'il était allégué qu'une pratique prohibée consisterait à imposer dans le secteur de l'électroménager des prix de revente aux sites Internet qui distribuaient les produits dits " blancs " rassemblant le petit et gros électroménager notamment de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits dits " bruns " regroupant les appareils électriques et électroniques de loisirs (annexe 21).
Il était indiqué d'une part que des distributeurs se seraient plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire, d'autre part que les fournisseurs encadreraient les annonces de réductions de prix proposées par les distributeurs sur Internet et enfin que les fournisseurs limiteraient le niveau de remise octroyé aux consommateurs. Il était joint des procès-verbaux d'un distributeur et de revendeurs se plaignant de ces pratiques mettant en cause plusieurs marques de fournisseurs (Magimix, Liebherr, Miele, De Dietrich, Samsung).
Il était soutenu qu'au-delà de l'encadrement de la politique promotionnelle des distributeurs, des déclarations de revendeurs auraient fait état d'un véritable contrôle des prix de revente par les fournisseurs de produits blancs et bruns et plus particulièrement GPDIS, Fagorbrandt, Eberhardt Freres, Samsung, Seb, Smeg, Indesit, Electrolux et LG. Ainsi des 2 consignes tarifaires seraient données par les fabricants tant à l'oral (pour la plupart), que par courriels. Le contrôle tarifaire exercé par les fabricants viserait à augmenter les prix de revente comme le confirmeraient les déclarations du 21 février 2011 d'un distributeur et les extraits de courriels d'un responsable commercial notamment.
Il apparaîtrait également que les courriels comminatoires des fabricants seraient le plus souvent " codés " le terme " stock " étant utilisé à la place du mot " prix ". Ainsi ce procédé consisterait dans le fait que les revendeurs auraient été fréquemment sollicités pour remonter leurs " stocks ", alors que le stock minimal des distributeurs aurait été fixé contractuellement à une ou deux unités seulement, plusieurs courriels annexés à la requête illustrant ce procédé.
Il était par ailleurs indiqué que les directives tarifaires seraient relayées par des grossistes comme le confirmait notamment par procès-verbal du 14 janvier 2013 le gérant de la SARL Web Achat en déclarant " nous étions en litige avec GPDIS notre fournisseur car " elle " se faisait le relais des fabricants sur leur mainmise sur notre politique commerciale ", déclaration qui serait corroborée par divers autres courriels. Il était fait état que les prix de revente imposés aux distributeurs seraient diffusés par les fabricants et les grossistes au moyen de " black list ", de noms de couleur ou de tableaux ; qu'à cet égard le gérant d'une SARL avait communiqué une liste de produits pour lesquels les prix sont dits " bloqués " c'est à dire dont le prix devait strictement correspondre au prix de vente conseillé par le fabricant ou le prix généralement constaté ainsi qu'une autre liste de produits dits " sensibles " correspondant aux références pour lesquelles " il se devait de maintenir des prix élevés pour ne pas casser le marché si nous voulions être livrés ". Les distributeurs auraient été incités à respecter les consignes tarifaires en échange de service de mise en avant des produits par les fournisseurs, des courriels attesteraient de la soumission des distributeurs aux instructions tarifaires des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " et qu'à défaut de remonter les prix de revente comme l'auraient exigé les fournisseurs, ceux-ci ordonneraient aux revendeurs de retirer les références concernées sur leur site Internet.
Enfin, les distributeurs récalcitrants auraient été victimes de blocages de leurs comptes, de refus ou d'arrêts de livraisons et les grossistes auraient été sollicités pour faire respecter la police des prix des fabricants.
Par ailleurs, une seconde pratique prohibée aurait consisté pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " à faire retirer de la vente sur Internet certaines de leurs références, les fabricants, comme pour la première pratique illicite présumée, auraient utilisé les mêmes supports de diffusion pour informer les distributeurs des produits interdits à la vente sur Internet à savoir codes de couleur et listes noires, un gérant de SARL le confirmant en déclarant que le Code couleur " bleu " était utilisé par un fabricant pour désigner les appareils exclus de la vente sur Internet, étant précisé que des courriels émanant de plusieurs autres fabricants auraient confirmé cette pratique et les grossistes de la même manière que précédemment évoquée, auraient fait pression sur les revendeurs pour qu'ils retirent certains produits de leurs sites Internet.
Une troisième pratique prohibée aurait consisté à refuser l'agrément à des distributeurs.
Il ressortirait des témoignages qu'à partir de 2009, la plupart des fabricants de produits " blancs " et " bruns " auraient mis en place un réseau de distribution sélective. Il en serait déduit de déclarations de plusieurs revendeurs que certains fournisseurs de produits " blancs " et " bruns " pourraient interdire à des distributeurs de commercialiser leurs produits au seul motif qu'ils les diffusent sur Internet, la déclaration du même gérant de SARL viendrait accréditer cette thèse dans sa relation commerciale avec le distributeur Boulanger; qu'il apparaîtrait que ces pratiques prohibées auraient comme finalité de circonscrire la concurrence sur Internet.
Qu'il pourrait également en être déduit que l'objectif des fabricants des produits " blancs " et " bruns " serait d'aligner les prix de la vente en ligne sur ceux pratiqués par les grandes enseignes spécialisées de détail et plus particulièrement Darty, cette allégation émanerait d'une déclaration d'un autre distributeur invoquant un projet de négociation commerciale présumé en cours entre la marque Smeg et le distributeur Darty, ainsi que d'un autre distributeur faisant état de pression du fabricant Fagorbrandt pour augmenter les prix pratiqués sur son site Internet jusqu'au niveau des prix pratiqués par leurs gros clients principaux à savoir Darty et Boulanger. Le gérant d'une SARL a déclaré que plusieurs commerciaux lui avaient dit oralement que s'ils voulaient que leurs clients de la grande distribution spécialisée notamment Darty (leader du marché) continuent de mettre en avant leurs produits il était nécessaire que les fabricants remontent les prix de vente des produits [...] la politique d'alignement étant essentiellement liée à la politique de commerciale de Darty qui avait plus de 20 % du marché de la distribution. Cela nous avait été précisé à l'oral par un autre commercial de Samsung notamment. Je ne peux cependant pas vous indiquer si les demandes de remontées de prix étaient uniquement liées à ce distributeur [...], l'objectif était qu'il existe le moins de différences possibles avec la grande distribution [...] que les gros sites de vente en ligne comme " rueducommerce.com " et " Cdiscount " subissaient les mêmes pressions que nous mais avaient l'avantage de la taille ".
Il résulterait de ces éléments que l'uniformisation des prix à la hausse serait de nature à préserver le canal de distribution des grandes enseignes de détails qui dominent le marché des produits " blancs " et " bruns " et que la stratégie des fabricants permettait aux grandes enseignes spécialisées de détails de tirer profit de l'engouement pour la vente en ligne. Dans ce contexte, les grandes enseignes de détails miseraient sur leurs sites Internet pour dynamiser les ventes de leurs réseaux physiques et que ce développement multicanal aurait profité à plusieurs grandes enseignes spécialisées de détail.
Il s'en déduirait de ces différentes pratiques présumées illicites qu'elles limiteraient les capacités des consommateurs à faire jouer la concurrence entre le canal de la vente par Internet et celui de la distribution traditionnelle et ce en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101-1 du TFUE et que l'ensemble de ces agissements semblerait constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes horizontales et verticales à dimension nationale entre les fabricants de produits " blancs " et " bruns ", les grossistes et les grandes enseignes spécialisées de détail. Ces actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui auraient pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises et limiter ou contrôler l'entrée aux marchés seraient établis selon des modalités secrètes et qu'il serait nécessaire d'autoriser les agents de l'Autorité de la concurrence de rechercher la preuve desdites pratiques prohibées vraisemblablement détenues et conservées dans des lieux (en l'espèce les sociétés sus-mentionnées en début d'ordonnance) et sous des formes qui faciliteraient leurs dissimulation, leurs destruction ou altération en cas de vérification.
Selon l'Autorité de la concurrence, le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché et que les opérations de visite et de saisie n'apparaîtraient pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre. Le juge des libertés et de la détention de Bobigny autorisait la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder, dans les locaux des entreprises sus-mentionnées et aux visites et aux saisies prévues par les dispositions des articles L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibés par les articles L. 420-1,1°,2° et 3° du Code de commerce et 101-1 a et b du TFUE, relevées dans le secteur de la distribution des produits " blancs " et " bruns " ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée. Il laissait le soin de désigner les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence [...] pour effectuer les visites et saisies autorisées [...] et désignait Jean-Michel Mimram, commissaire-divisionnaire et Philippe Tireloque commissaire-divisionnaire pour nommer les officiers de police judiciaire compétents.
Il donnait commission rogatoire pour les autres lieux de visites domiciliaires et de saisies aux juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Nanterre, Rouen, Senlis, Limoges, Lyon, Meaux et Strasbourg et indiquait que les occupants des lieux ou leurs représentants avaient la faculté de faire appel à un conseil de leur choix, sans que cette faculté n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisies ; [...] et en mentionnant que la présente ordonnance pouvait faire l'objet d'un appel devant le premier président de la Cour d'appel de Paris par déclaration au greffe dans un délai de dix jours, [...] que cet appel n'était pas suspensif et que l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris était susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation [...].
Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 17 octobre 2013. Elles ont été retranscrites dans des procès-verbaux en date 17 octobre 2013. Le 28 octobre 2013, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a été saisi d'un appel contre cette ordonnance par la société Smeg.
Par conclusions récapitulatives déposées 9 janvier 2015, la société Smeg demande l'annulation de l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le Juge des libertés et de la détention de Bobigny et celle subséquente du Juge des libertés et de la détention de Rouen en date du 14 octobre 2013.
L'affaire a été appelée à l'audience du 21 janvier 2015 à 9 heures, mise en délibéré mais n'a pas été rendue. Une réouverture des débats a été fixée le 28 octobre 2015 et mise en délibéré pour être rendue le 6 janvier 2015.
I. Sur l'absence de contrôle effectif du Juge des Libertés et de la détention La société appelante cite l'article 8 de la CESDH selon lequel toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ainsi que l'article L. 450-4 du Code de commerce encadrant les opérations de visite et de saisie.
Le contrôle instauré par l'article L. 450-4 du Code de commerce s'entendrait en un contrôle in concreto effectif réalisé par le juge à partir des données et pièces justificatives fournies par l'Administration.
Il apparaîtrait en l'espèce que ce contrôle n'aurait pas été exercé, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention reprenant in extenso les termes de la requête de l'Autorité de la concurrence et aucun élément ne faisant état d'une quelconque entente horizontale. Or, l'ordonnance reprendrait in extenso la mention erronée d'une entente horizontale.
Par ailleurs, l'Autorité de la concurrence ne contesterait pas le caractère pré-rédigé de l'ordonnance tout en affirmant que le juge des libertés et de la détention aurait effectué un contrôle effectif du bien fondé de ses demandes. Les propos de l'appelante ne visent pas à remettre en cause la formation des juges, comme le sous-entend l'Administration, mais de relever qu'au cas d'espèce, le juge des libertés et de la détention n'avait pas pris le soin de vérifier si l'allégation de l'existence de présomptions d'ententes horizontales reposait sur un quelconque élément à l'appui de l'ordonnance pré-rédigée.
En outre, face à cette évidence, l'Autorité de la concurrence tenterait " maladroitement d'affirmer que la requête et l'ordonnance identifient clairement des indices de pratiques horizontales ", en soutenant que " l'utilisation du vocable " stock " et la mise en place d'un réseau de distribution sélective par certains fournisseurs constitueraient des 'indices' d'un parallélisme des comportements ".
L'appelante relève que l'ordonnance ne précise à aucun moment que ces éléments viendraient étayer l'hypothèse d'un quelconque parallélisme des comportements ou d'une action concertée susceptible de constituer une présomption sérieuse de pratiques anticoncurrentielles; les trois pratiques visées par l'Autorité de la concurrence étant des pratiques verticales et non horizontales.
Cette seule circonstance devrait conduire à l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention selon l'appelante, qui cite une jurisprudence abondante pour confirmer son propos. Enfin, la société souligne que ce n'est que dans le cadre d'une deuxième requête présentée par l'Administration en mai 2014 au Juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris que cette dernière a communiqué des éléments relevant de la qualification d'entente horizontale. L'ordonnance du 21 mai 2014 viserait, en outre, le GIFAM et non Smeg.
L'Autorité de la concurrence rappelle en premier lieu que si effectivement l'Administration présente au Juge des libertés et de la détention, dans un souci de commodité, une requête et un projet d'ordonnance, elle le fait toujours en version papier accompagnée d'une version numérique, ce qui permet au magistrat, qui n'a nullement l'obligation d'en faire un quelconque usage, de modifier s'il désire s'en servir le projet d'autorisation qui lui est soumis autant qu'il le souhaite. De plus, si le juge n'est pas convaincu par les indices et présomptions apportés par l'Administration, il peut refuser de donner son autorisation.
Les juges sont formés et habitués à traiter des dossiers fournis en quelques heures. Or, au cas présent, le dossier a été présenté au juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny le 4 octobre 2013 pour l'obtention de l'autorisation judiciaire qui est intervenue le 9 octobre 2013, soit 6 jours après, laissant le temps au Juge des libertés et de la détention de procéder aux vérifications qui s'imposaient. En outre, les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés être établis par le juge qui l'a rendue et signée, lequel en endosse la responsabilité; la circonstance que l'ordonnance soit une reproduction de la requête de l'Administration étant sans incidence sur la régularité de sa décision, selon une jurisprudence constante. En deuxième lieu, l'Administration précise que dans son autorisation, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny avait pris soin d'indiquer au moins deux agissements prohibés à caractère horizontal entre les fabricants de produits " blancs " et " bruns ":
Le premier indice concernerait l'utilisation du vocable " stock " à la place du mot " prix " par les fabricants, dont Smeg, comme subterfuge, pour imposer des remontées de prix aux revendeurs. ·
Le second indice relaterait la mise en place par les fabricants, à compter de 2009, d'un réseau de distribution sélective; le parallélisme de comportements des entreprises pouvant constituer une présomption sérieuse de pratiques anticoncurrentielles au stade de la demande d'autorisation de visite et saisie et seule l'instruction en cours, par l'examen des documents saisis lors des investigations, pourra permettre de déterminer si le parallélisme des comportements des fabricants, dont Smeg, reposait ou non sur une action concertée, convention ou entente.
· En troisième lieu, la société appelante invoquerait l'exigence de proportionnalité garantie par l'article 8 de la CESDH sans en tirer de réelles conclusions. L'article L. 450-4 du Code de commerce n'a jamais été remis en cause par la jurisprudence nationale ou de la CEDH, la violation alléguée de l'article 8-1 de la CESDH étant écartée lorsqu'elle est justifiée par l'article 8-2 de la même convention, ce qui était le cas en l'espèce.
II. Sur l'insuffisance des présomptions retenues
- Rien ne permet de présumer de l'existence de pratiques susceptibles de caractériser une entente horizontale
- Rien ne permet de présumer de l'existence d'une pratique de refus d'agrément
- Sur l'absence de présomptions suffisantes concernant la volonté de Smeg de faire retirer certains produits de la vente sur Internet La société appelante argue qu'une autorisation de visite et saisie était disproportionnée, et qu'une simple demande d'information suffisait.
Par ailleurs, l'ordonnance reprendrait in extenso le paragraphe de la requête faisant état de présomptions d'ententes horizontales.
Or, aucun des éléments au soutien de la requête ne se rapporte à l'existence d'une quelconque entente horizontale entre concurrents; alors qu'il apparaît comme de première importance que les opérations de visite et saisie soient précises dans leurs objets et que le juge doit notamment vérifier que les mesures portaient sur des pratiques anticoncurrentielles clairement identifiées.
Ainsi, en indiquant à tort que les agissements relevés permettaient de présumer de l'existence d'un système d'ententes horizontales, l'Autorité de la concurrence a exagéré la gravité même des pratiques suspectées; une telle présentation ayant pu influencer le juge des libertés et de la détention et faciliter l'obtention de l'autorisation de procéder à des visites et saisies. La société appelante affirme n'être mentionnée ni dans la requête ni dans l'ordonnance et les annexes 5, 8 et 16 de l'ordonnance s'agissant de cette deuxième pratique de refus d'agrément.
Par ailleurs, aucun des éléments à l'appui de la requête ne permettrait de présumer que Smeg aurait refusé d'agréer certains revendeurs Internet. Smeg précise par ailleurs que ses contrats de distribution sélective (le contrat Gamme années 50 et le contrat Elite) n'interdisent aucunement la vente par Internet; ces contrats ayant été proposés à de nombreux revendeurs sur Internet, dont Webachat. Webachat ne soutiendrait à aucun moment dans ses déclarations à l'Autorité de la concurrence que Smeg aurait refusé de l'agréer en tant que distributeur sélectif Smeg.
Selon la société appelante, le fichier Disteo serait une liste interne au grossiste GPDIS répertoriant plusieurs références produites par différents fabricants dont Smeg. Selon l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'existence de ce fichier Disteo permettrait de présumer de la volonté de Smeg d'émettre des pressions sur les revendeurs afin qu'ils retirent certains produits de leurs sites Internet. Or, aucune pièce à l'appui de la requête ne permettrait de soutenir que Smeg avait connaissance de l'existence de ce fichier interne au grossiste GPDIS ou aurait été en contact avec GPDIS dans le cadre de son élaboration et encore moins de sa diffusion.
Par ailleurs, il existerait de nombreuses incertitudes s'agissant de cette liste de produits communiquée par M. Herbin, l'échange de courriers entre lui et M. Kerguelen, rapporteur de l'Autorité de la concurrence démontrant que ce fichier n'était pas suffisamment clair et que les explications de M.Herbin étaient " confuses, voire contradictoires ".
M.Herbin admettrait lui-même ne pas connaître la signification de certains onglets du fichier; dans cette mesure " un simple listing de références, comprenant des intitulés d'onglets difficilement compréhensibles " et " expliqué de manière évasive par le plaignant, ne saurait constituer une présomption d'entente susceptible de justifier l'autorisation de visites et saisies dans les locaux de Smeg. "
L'Autorité de la concurrence rappelle qu'au stade de l'autorisation de visite et de saisie aucune accusation n'est portée, que l'Administration n'a pas à produire d'éléments de preuves de pratiques anticoncurrentielles mais seulement des indices qui par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées, comme en attesterait une jurisprudence abondante.
La mesure autorisée a par conséquent pour unique objectif de vérifier que les comportements illicites soupçonnés existent ou non dans le secteur de la distribution des produits " blancs " et " bruns ".
L'Administration précise ensuite qu'il a déjà été répondu au moyen relatif à l'existence de pratiques susceptibles de caractériser une entente horizontale supra.
Par ailleurs, si Smeg argue de l'absence de présomptions suffisantes de sa participation à la pratique de refus d'agrément et à celle d'imposition de retrait de certains produits de la vente sur Internet, Smeg ne contesterait pas sa participation à la troisième pratique suspectée, soit celle relative à l'imposition des prix de revente aux sites Internet qui distribuent les produits " blancs " et " bruns ". Le fait d'analyser les indices un à un ou les pièces annexées à la requête une à une comme le fait l'appelante n'aurait aucun sens, seul le résultat de l'analyse de l'ensemble des faits portés à la connaissance du magistrat étant révélateur d'une ou plusieurs présomptions de pratiques anticoncurrentielles.
Le juge aurait satisfait à son obligation de contrôle en l'espèce en s'assurant de la qualité des personnes ayant demandé l'autorisation (recevabilité de la demande) et du caractère suffisant des faits produits par l'Autorité de la concurrence (bien-fondé de la demande). Le juge de l'autorisation, après description et analyse de 21 annexes à la requête concernant le secteur de la distribution des produits " blancs " et " bruns " dont 6 mentionnaient Smeg (annexes 4, 5, 7, 12, 13 et 19) a relevé l'existence d'une possible stratégie d'actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites, coalitions.
Il serait par conséquent " vainement prétendu qu'aucun des faits visés par l'ordonnance n'est de nature à constituer un indice d'une implication personnelle de la requérante dans les pratiques prohibées présumées. " Il suffisait en effet que l'appelante paraisse impliquée dans l'un des agissements frauduleux suspectés dont la preuve est recherchée pour que la mesure d'autorisation soit justifiée.
Or, tous les indices semblaient mêler directement l'appelante aux trois pratiques prohibées présumées.
Par ailleurs, " dans une matière où, par hypothèse, les participants à l'entente dissimulent, souvent avec une grande habileté, leurs faits répréhensibles, il est de plus en plus rare qu'une preuve parfaite soit trouvée par les enquêteurs dès les premières investigations ". Divers documents pris dans leur ensemble, selon la méthode du faisceau d'indices, permettraient de faire présumer les comportements litigieux justifiant visites et saisies.
L'Administration affirme ensuite que ce n'était pas le fait de recourir, dans le cadre d'une politique commerciale autonome, à la distribution sélective qui était en cause dans cette affaire mais la présomption d'avoir déterminé ce choix d'un commun accord avec les autres fabricants à compter de 2009 pour évincer des distributeurs sur Internet qui ne disposaient pas de magasin physique.
Concernant le fait que le fichier Disteo ne serait pas suffisamment clair et que les explications du distributeur Web Achat sur ce point seraient confuses, l'Administration répond que Smeg se garde bien de faire état des réponses apportées par M. Herbin, gérant de Web Achat, expliquant la distinction entre " prix bloqué " et " prix sensible ".
Quant aux relations et contacts entre Smeg et GPDIS, il suffirait de nouveau de lire l'ordonnance pour constater que ce dernier assure la continuité des instructions tarifaires des fabricants.
Selon l'Autorité de la concurrence, ce serait à tort que l'appelante prétendrait que la mise en œuvre des pouvoirs simples de l'article L. 450-3 du Code de commerce, alternative de l'article L. 450-4 du Code de commerce, aurait été suffisante pour mener l'enquête par une simple demande d'information, eu égard à la complexité des agissements illicites présumés et de leur caractère secret et en raison du caractère non subsidiaire de la procédure dite lourde de l'article L. 450-4 du Code de commerce. Ces éléments seraient confirmés par une jurisprudence constante de la Cour de cassation et de la cour d'appel.
En définitive, seule l'instruction en cours, par l'examen des documents saisis lors des investigations, pourra permettre de connaître la véritable motivation de la société Smeg et sa participation ou non à une ou plusieurs pratiques prohibées.
Dans son avis en date du 18 décembre 2014, Madame l'Avocat général indique que l'argumentation selon laquelle le Juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de Bobigny n'aurait pas réalisé de contrôle effectif ne saurait être retenu; en effet la jurisprudence ne prohiberait pas la pratique de projet d'ordonnance accompagnant la requête et ses annexes; d'autant qu'aucun élément probant n'aurait été versé à l'appui du grief fait au Juge des libertés et de la détention de Bobigny de n'avoir pas procédé à l'examen attentif des 21 pièces annexées à la requête. Par ailleurs, aucune accusation n'étant porté à l'encontre des sociétés au stade de l'autorisation de visite et de saisie, l'Autorité n'avait pas à produire d'éléments de preuves de pratiques anticoncurrentielles mais seulement des indices qui par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées.
Le Juge des libertés et de la détention aurait rempli sa mission en l'espèce et satisfait aux exigences de l'article L. 450-4 du Code de commerce. L'ordonnance du Juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de Bobigny faisait état de présomptions d'ententes anticoncurrentielles et de l'éventualité que des documents incriminant se trouvaient dans les locaux de la société visée dans la requête de l'Autorité. Par ailleurs, la société Smeg serait bien mentionnée dans la requête de l'Autorité, contrairement à ce qu'elle soutiendrait.
Il est proposé à la Cour par le Ministère public de conclure à la validité de l'autorisation de visiter les locaux de ces sociétés et d'écarter le moyen tiré de l'absence d'éléments sérieux présumant de la participation de la société Smeg à une pratique anticoncurrentielle. En conséquence, la société appelante Smeg demande que le Premier Président constate que le juge des libertés et de la détention n'a pas exercé le contrôle des présomptions présentées par l'Autorité de la concurrence qui lui incombait en vertu de l'article L. 450-4 du Code de commerce et d'ordonner l'annulation de l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de Bobigny en date du 9 octobre 2013.
L'Autorité de la concurrence demande que le Premier Président confirme l'ordonnance d'autorisation rendue le 9 octobre 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de Bobigny.
Sur ce
I. Sur l'absence de contrôle effectif du Juge des Libertés et de la détention
Le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'Administration aient une apparence de licéité et sont 9 suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée; qu'à cette fin le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soient caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques; que les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées.
S'agissant du Juge des Libertés et de la détention de Bobigny, signataire de l'ordonnance querellée et qui de ce fait se l'est approprié, étant précisé qu'il est destinataire d'une copie de l'ordonnance en version numérique, entre le moment où la requête est déposée à son greffe et la signature de celle-ci un délai de 5 jours s'est écoulé, ce qui a laissé amplement le temps au juge des libertés et de la détention d'examiner la pertinence de la requête, d'étudier les pièces jointes à celle-ci, de vérifier les habilitations et le jour de la signature, de demander aux agents de l'Autorité de la concurrence toute information pertinente préalablement à la signature de son ordonnance. Il disposait donc de la faculté de modifier l'ordonnance proposée et le cas échéant de refuser de l'accorder.
L'examen in concreto effectué par le juge des libertés et de la détention sur l'ordonnance et ses 21 annexes permet d'écarter l'absence de contrôle de l'autorisation délivrée.
Concernant l'existence supposée d'ententes horizontales entre les fabricants de produits courants " blancs " et " bruns " , il est à noter que cette notion figure dans l'ordonnance d'autorisation et a été recherchée dans l'examen des 21 pièces en annexe de la requête; que plusieurs sociétés visées à la requête ont utilisé le vocable " stocks " à la place du mot " prix " et l'analyse dans son ensemble de ces pièces visant plusieurs fabricants a permis au Juge des libertés et de la détention de constater cette analogie laquelle par un subterfuge sémantique laissait apparaître des indices susceptibles de constituer des présomptions simples d'agissements prohibés dans le secteur des produits " blancs " et " bruns ".
Il importe peu que les pièces examinées isolément mettent en cause directement ou indirectement telle ou telle société, le parallélisme du comportement entre entreprises du même secteur étant susceptible de constituer une présomption simple de pratique anticoncurrentielle, au même titre que les actions concertées dans le même laps de temps. Comme il a été indiqué précédemment, cet élément n'est qu'une présomption parmi d'autres qui en elle seule n'est pas significative mais qui ajoutée à d'autres éléments peut constituer un indice, qui sera laissé à l'appréciation de la juridiction du fond.
Enfin, l'article 8§2 de la CESDH dispose, tout en énonçant le droit au respect de sa vie privée et familiale, que " Il ne peut y avoir ingérence d'une Autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
Il a lieu de rappeler que le Juge des libertés et de la détention lorsqu'il a été saisi de la requête de l'Autorité a pris connaissance de ces éléments et des recherches effectuées par l'Autorité de la concurrence concernant des indices laissant apparaître des présomptions simples d'agissements prohibés; qu'il a effectué en l'espèce un contrôle de proportionnalité entre les indices évoqués ci-dessus et l'atteinte aux libertés. En l'espèce, il a considéré eu égard aux indices laissant présumer des présomptions simples d'agissements prohibés dans le secteur des produits " bruns " et " blancs ", les autres mesures d'investigation moins coercitives étaient inadaptées et a ainsi décidé d'autoriser une enquête dite " lourde ".
Ce moyen sera écarté.
II. Sur l'insuffisance des présomptions retenues - Rien ne permet de présumer de l'existence de pratiques susceptibles de caractériser une entente horizontale
- Rien ne permet de présumer de l'existence d'une pratique de refus d'agrément
- Sur l'absence de présomptions suffisantes concernant la volonté de Smeg de faire retirer certains produits de la vente sur Internet
Il ressort de l'ordonnance querellée que le juge des libertés et de la détention près du Tribunal de grande instance de Bobigny a sur requête de la Rapporteure Générale de l'Autorité de la concurrence rendu une ordonnance visant les produits " blancs " qui rassemblent le petit et le gros électroménager notamment de nettoyage, de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits " bruns " qui regroupent les appareils électriques et électroniques de loisirs au motif que les distributeurs ou revendeurs se sont plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits " blancs " et " bruns " dans leur politique tarifaire; que cette immixtion s'effectue selon trois pratiques : la première, consistant à imposer des prix de reventes à des sites Internet qui distribuent les produits précités, la seconde pratique prohibée consisterait pour les fabricants de produits " blancs " et " bruns " de faire retirer de leur sites Internet certaines de leurs références et une troisième pratique prohibée, à refuser l'agrément à des distributeurs. Le Juge des libertés et de la détention de Bobigny qui n'est pas le juge du fond mais le juge de l'apparence a relevé dans l'ordonnance des présomptions d'ententes horizontales entre les fabricants et verticales entre les fabricants, les grossistes et le cas échéant des sociétés de grande distribution de détail et après un examen " in concreto " des 21 annexes jointes à la requête selon la méthode dite " du faisceau d'indices " a estimé qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies.
Ainsi, il a examiné les 21 annexes jointes et a constaté que des fabricants étaient susceptibles de participer à une entente horizontale notamment en comparant certaines annexes qui prises isolément n'établissent pas en elles-mêmes des indices mais par leur comparaison, leur rattachement à d'autres annexes concernant les fabricants ou des revendeurs peuvent établir un faisceau d'indices. Ainsi, dans les annexes présentées il pouvait être déduit que certains protagonistes de ces ententes échangeaient des courriels avec des mots codés, le vocable " stocks " remplaçant celui de " prix "; que des listes étaient établies concernant des produits à retirer si des revendeurs ne s'alignaient pas sur les Prix Publics Indiqués (PPI) des fabricants, que des produits étaient siglés par couleur (le bleu étant utilisé pour exclure certains produits), que des courriels comminatoires émanaient de représentants des fabricants, que des grossistes n'étaient pas exclus de ces schémas d'ententes; que leur rôle consistait à relayer les instructions des fabricants auprès des revendeurs.
S'agissant plus précisément de la société Smeg, un certain nombre d'annexes la citeraient et sans être exhaustif le rapprochement entre le parallélisme des comportements des fabricants incriminés révélé notamment par l'utilisation collective du subterfuge sémantique " stocks/prix " ainsi que le reflète, sans que cela soit exhaustif l'annexe 13 faisant état d'un échange de courriel le 21 avril 2011 entre Stéphane Peronnin, responsable commercial secteur sud-ouest Ile de France pour Smeg, et un revendeur ou grossiste anonymisé dont l'intitulé est " remonté des " stocks et relatif à 6 produits de la marque Smeg a pu légitimement faire penser au Juge des libertés et de la détention lors d'un examen in concreto que des indices existaient faisant apparaître des présomptions simples d'ententes horizontales.
Par ailleurs, il est fait état que le fichier Disteo ne serait pas suffisamment clair et que les déclarations de M. Julien Herbin seraient peu précises; que cependant celui-ci explique bien la distinction entre " prix bloqués " et " prix sensibles " lorsqu'il est interrogé sur procès-verbal. Enfin, la non-production d'un refus d'agrément n'apparaît pas être un élément pertinent, en décidant de rendre une ordonnance de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a de ce fait en examinant les documents qui lui étaient soumis estimé que les autres moyens de recherche de preuve moins coercitifs dont dispose l'Administration étaient insuffisants et a exercé de fait un contrôle de proportionnalité entre l'atteinte portée aux libertés et les objectifs poursuivis par l'Administration. Ces moyens seront écartés.
Par ces motifs Statuant contradictoirement et en dernier ressort ; Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny ; Disons que la charge des dépens sera supportée par la société appelante.