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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 janvier 2016, n° 13-10960

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Conserverie du Languedoc (SAS)

Défendeur :

Raynal et Roquelaure (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Nicoletis, Mouthon Vidilles

Avocats :

Mes Dauchel, Goyard, Moreuil

T. com. Créteil, du 13 mai 2013

13 mai 2013

Faits et procédure

La SAS Conserverie du Languedoc produit et commercialise des plats cuisinés du sud-ouest en conserve sous la marque " La Belle Chaurienne ", sur le segment des produits de qualité supérieure. La SAS Raynal et Roquelaure a la même activité dans des gammes diverses, dont une gamme supérieure qui se divise en deux :"Liseré Or " et "Artisanale".

Reprochant à la société Raynal et Roquelaure la commercialisation de certains de ses produits dans sa gamme artisanale sous un nouvel habillage créant un risque de confusion avec ses propres produits, la société Conserverie du Languedoc l'a mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 août 2011 de cesser ces agissements.

A la suite du refus le 12 août 2011 de la société Raynal et Roquelaure d'interrompre cette commercialisation, la société Conserverie du Languedoc l'a assignée par exploit du 23 mai 2012 devant le Tribunal de commerce de Créteil en dénonçant, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, des faits de concurrence déloyale et de concurrence parasitaire.

Par jugement en date du 13 mai 2013, le Tribunal de commerce de Créteil a :

- débouté la Société Conserverie du Languedoc de toutes ses prétentions, en retenant une absence de faute de la société Raynal et Roquelaure et une absence de préjudice subi par la demanderesse,

- condamné la société Conserverie du Languedoc à payer à la société Raynal et Roquelaure la somme de 2 500 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté la société Raynal et Roquelaure du surplus de sa demande.

Le 31 mai 2013, la société Conserverie du Languedoc a interjeté appel de cette décision.

Suivant dernières conclusions signifiées le 18 décembre 2013, la société Conserverie du Languedoc demande à la cour :

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- de retenir que la société Raynal et Roquelaure, en faisant évoluer les habillages de ses produits de conserve de sa gamme artisanale du sud-ouest de manière à leur donner une impression d'ensemble les rapprochant de ceux de la société Conserverie du Languedoc, a commis une faute constitutive à la fois de concurrence déloyale en créant un risque de confusion dans l'esprit du public et de concurrence parasitaire en accaparant de sa valeur économique,

- de faire interdiction à la société Raynal et Roquelaure de commercialiser ses produits dans les habillages litigieux sous astreinte de 500 euro par acte de constat d'infractions commises à compter de quinze jours suivant la signification de la présente décision et ce, pendant une période de trois mois à l'issue de laquelle il sera le cas échéant à nouveau statué par la juridiction compétente,

- d'ordonner la confiscation de tous les produits détenus par la société Raynal et Roquelaure et ses clients, recouverts des habillages litigieux pour lui être remis aux fins de leur destruction en présence d'un huissier auquel il sera fait appel au frais de la société Raynal et Roquelaure, se réservant la faculté de liquider l'astreinte conformément aux dispositions de l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991, - d'ordonner la publication du présent arrêt dans trois journaux ou revues à son choix au coût de 10 000 euro par insertion aux frais de la société Raynal et Roquelaure,

- de condamner cette dernière à lui verser la somme de 680 000 euro à titre de réparation du préjudice qu'elle a subi,

- de condamner la société Raynal et Roquelaure au paiement de la somme de 20 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.

Selon dernières conclusions signifiées le 18 octobre 2013, la société Raynal et Roquelaure sollicite la confirmation du jugement querellé en toutes ses dispositions ainsi que la condamnation de la société Conserverie du Languedoc à lui payer la somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 octobre 2015.

L'affaire a été plaidée le 28 octobre 2015 et les parties ont été avisées qu'elle était mise en délibéré au 13 janvier 2016, date à laquelle la présente décision a été rendue par mise à disposition au greffe.

Sur ce,

Considérant que la société Conserverie du Languedoc reproche, en premier lieu, à la société Raynal et Roquelaure, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, des actes de concurrence déloyale en ce qu'elle a lancé, en décembre 2010, dans sa gamme artisanale un nouvel habillage de ses conserves créant un risque de confusion avec ses propres conserves dans l'esprit de la clientèle ;

qu'elle fait valoir qu'en abandonnant le bandeau de couleur de ses anciens habillages et en adoptant une police de caractère manuscrit quasiment identique à la sienne, l'intimée a établi une ressemblance manifeste avec les habillages de la marque "La Belle Chaurienne" ;

qu'elle soutient que les premiers juges ont commis une erreur en s'attachant aux différences de détail entre les packagings alors qu'il convient de se référer seulement à l'impression globale de ressemblance pouvant être ressentie par le consommateur ;

qu'elle se prévaut de l'accord transactionnel signé entre les parties le 29 janvier 2001 aux termes duquel la société intimée a été "autorisée à continuer de diffuser ses cassoulets dans leur présentation actuelle", fixant ainsi les limites des habillages respectifs des parties pour éviter les risques de confusion avec la marque "La Belle Chaurienne" ;

Considérant que la société Raynal et Roquelaure conteste avoir commis des actes de 3 concurrence déloyale en indiquant qu'elle n' a souhaité, en 2010, que renforcer le positionnement artisanal de cette gamme qui ne comprend que deux références : cassoulet au canard et cassoulet au porc et se distinguer de ses concurrents en travaillant avec des matières premières d'origine "Sud-Ouest" ; qu'elle affirme avoir alors fait appel à une agence de communication qui a réalisé un nouveau packaging reprenant les éléments intrinsèques déjà existants : marque dans une cartouche ovale de couleur noire, dessin de l'animal correspondant à la viande utilisée, intitulé de la recette en noir, sous-libellé de couleur spécifique selon la viande utilisée (marron pour le canard et rouge pour le porc), étiquette partiellement couvrante mais entourant toute la boîte et ne comportant que trois différences par rapport à l'ancien habillage : la découpe de l'étiquette sans bandeau de couleur, la mention de l'origine "Sud-Ouest "de la viande et la police des écrits de type manuscrit ;

qu'elle estime en conséquence que la seule nouvelle ressemblance avec la boîte de conserve de l'appelante réside dans l'usage d'une police de type manuscrit qu'elle utilisait déjà en 1984 pour ses appellations de recette ;

qu'elle rétorque également que le protocole transactionnel du 29 janvier 2001 ne la soumettait à aucune contrainte et qu'elle se trouvait libre de faire évoluer le packaging de ses boîtes de conserve ;

Considérant que la concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un produit puisse être librement reproduit sous réserve de l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance préjudiciable à un exercice paisible et loyal de la concurrence ;

que l'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée ;

Considérant qu'en l'espèce, il est constant que le conditionnement des boîtes de conserve de la société Conserverie du Languedoc n'a pas varié depuis plus de quarante ans et se caractérise par l'usage d'une boîte en fer blanc, illustrée d'une étiquette non enveloppante de couleur jaune paille sur laquelle figure une écriture manuscrite, constituant un tout immédiatement identifiable par le public et présentant une originalité certaine ;

Considérant que l'accord transactionnel du 29 janvier 2001 n'interdisait nullement à la société Raynal et Roquelaure de procéder à une nouvelle modification de l'habillage de ses boîtes de conserve, dans le cadre de procédés loyaux, pour conquérir une nouvelle clientèle ;

Considérant qu'à juste titre, la société Conserverie du Languedoc fait valoir que la modification en 2011 de l'habillage des conserves de la société Raynal et Roquelaure contribue à une ressemblance plus forte avec celui de ses propres conserves dès lors que le premier signe distinctif des étiquettes de la société Raynal et Roquelaure en 2010 était constitué par un bandeau de couleur saumon au-dessus de l'étiquette de couleur jaune clair sur lequel figurait l'ovale de couleur noire supportant la marque "Raynal et Roquelaure", ce qui contrastait fortement avec la sobriété de l'étiquette de "La Belle Chaurienne" ne comportant aucune couleur de fond autre que celle de jaune paille pour l'ensemble de l'étiquette ;

Mais considérant que si la disparition en 2011 de ce bandeau coloré ajoute à une impression de ressemblance entre les habillages des boîtes de conserve des parties qui se présentent toutes deux comme des boîtes en fer blanc illustrées par des étiquettes aux couleurs proches et supportant une écriture en partie manuscrite, il n'en reste pas moins qu'aucune confusion n'est possible entre ces deux marques pour un consommateur normalement diligent dans la mesure où ce qui attire l'œil, au premier chef, est l'apposition, au fronton de l'étiquette, de l'ovale noire de la marque "Raynal et Roquelaure", qui est une caractéristique fortement identificatrice et ressort plus nettement que sur l'ancienne étiquette ; qu'en outre, si les couleurs des deux étiquettes sont proches, elles se différencient clairement en ce que l'étiquette de "la Belle Chaurienne" est dans les tons jaunes alors que celle de la marque "Raynal et Roquelaure" est blanche ; qu'enfin, les mentions de l'étiquette "La Belle Chaurienne " sont entièrement manuscrites et de couleur rouge pour la dénomination du produit lui-même alors que celles de la marque "Raynal et Roquelaure" ne sont qu'en partie manuscrite et de couleur noire pour la dénomination du produit de sorte que ces distinctions très visibles empêchent, en définitive, une ressemblance d'ensemble entraînant un risque de confusion entre les deux marques ;

Considérant qu'il ressort de ces différents éléments, que sans contester l'existence de détails ressemblants entre les packagings des boîtes de conserve des deux sociétés, le client d'attention moyenne ne peut avoir une impression globale de ressemblance l'amenant à confondre les deux marques ou se méprendre sur la marque choisie ;

Considérant que la demande de la société Conserverie du Languedoc ne peut donc prospérer ; que le jugement entrepris sera confirmé de ce chef ;

Considérant qu'en second lieu, la société Conserverie du Languedoc fait grief à la société Raynal et Roquelaure d'avoir commis des actes de concurrence parasitaire par ce nouveau packaging en se plaçant dans son sillage pour profiter de sa notoriété, en s'accaparant des fruits et des investissements qu'elle a réalisés de longue date pour asseoir sa position de leader en matière de cassoulet supérieur et en détournant ses valeurs économiques ;

qu'elle estime représenter 31,4 % de parts de marché en volume des cassoulets, alors que la société Raynal et Roquelaure représente dans la gamme Liseré d'or 12,4 % et dans la gamme artisanale 6,9 % ;

qu'elle reproche à l'intimée d'avoir augmenté ses ventes dans la période suivant la modification de l'étiquette de ses produits de la gamme artisanale et de ne pas apporter la preuve d'investissement publicitaire visuel spécifique se rapportant à la gamme artisanale ;

qu'elle considère que ces agissements lui ont occasionné un préjudice caractérisé par une perte de son chiffre d'affaires et une banalisation des habillages de ses produits qu'elle estime à la somme de 680 000 euro ;

Considérant que la société Raynal et Roquelaure réplique que l'ensemble de ses investissements démontre qu'elle ne cherche pas à se placer dans le sillage de l'appelante dont la marque jouit d'une notoriété bien moindre que la sienne ;

Considérant que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre en profitant indûment de sa notoriété ou de ses investissements ; que le parasitisme résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité ;

qu'il suffit de démontrer la reproduction servile ou quasi-servile de données ou d'informations qui caractérisent l'entreprise par la notoriété et la spécificité qui s'y attachent, elles-mêmes résultant d'un travail intellectuel et d'un investissement propres ;

Considérant qu'il apparaît des études de notoriété spontanées ou assistées avec visuel du produit versées aux débats qu'en 2007, la marque "Raynal et Roquelaure" était déjà mieux identifiée que la marque "La Belle Chaurienne" par les consommateurs, étant toutefois observé que le visuel n'était pas celui de la gamme artisanale en litige ;

qu'en 2011, la notoriété de la marque "Raynal et Roquelaure " était plus de deux fois supérieure à celle de la marque "La Belle Chaurienne" ; que même si pour la marque "La Belle Chaurienne", le ratio entre la notoriété spontanée et assistée montre qu'effectivement la marque dénominative n'est pas connue en tant que telle et que c'est l'habillage spécifique de ses boîtes qui permet de l'identifier, il n'en reste pas moins que la marque "Raynal et Roquelaure" a une notoriété supérieure, même si elle est due en partie au fait qu'elle dispose d'autres gammes que celle des cassoulets supérieurs ;

que la société appelante, sur laquelle pèse la charge de la preuve, ne démontre donc pas que l'intimée a profité de la notoriété de sa gamme pour se procurer un avantage ;

Considérant par ailleurs que la société Conserverie du Languedoc, qui justifie de dépenses de publicité en 2010 pour un montant de 991 827 euro et en 2011 de 1 768 143 euro, ne conteste pas que la société Raynal et Roquelaure a investi pour sa part en 2011 une somme globale de 5 2 190 000 euro dans les médias pour lancer un nouveau produit en travaillant des matières premières ayant pour origine le Sud-Ouest, qui s'est caractérisé par un logo de couleur rouge apposé sur l'étiquette comportant la mention "Sud-Ouest" et ce, afin de répondre aux souhaits du consommateur qui cherche aujourd'hui à connaître la provenance des produits qu'il consomme ;

qu'il ressort du document de présentation remis aux journalistes à l'occasion de la conférence de presse du 16 novembre 2010, qui portait, contrairement aux allégations de l'appelante, uniquement sur la gamme artisanale de la société Raynal et Roquelaure, que cette société a mis notamment l'accent sur une valorisation de sa démarche qualitative et sur l'origine des viandes utilisées par elle en établissant une filière d'approvisionnement d'origine exclusive du Sud-Ouest ;

que cette démarche nouvelle qui correspond pleinement aux attentes actuelles du consommateur et qui est unique sur le marché, est de nature à avoir augmenté sérieusement le volume de ses ventes de sorte que la société appelante ne justifie pas que c'est l'habillage nouveau des boîtes de conserve de la société intimée qui a fait progresser considérablement les parts de marché de cette dernière tant en volume qu'en valeur ;

Considérant enfin, que les premiers juges ont à juste titre retenu que la société Conserverie du Languedoc qui reconnaît qu'en 2012 les ventes de ses produits ont progressé plus que celles de sa concurrente, n'établit pas que cette croissance s'est faite au détriment de sa marge ;

que dans un contexte de crise, il n'est pas contradictoire qu'en 2013, les parts de marché en volume de cette société soient en baisse ;

Considérant dès lors que la société Conserverie du Languedoc ne démontre pas avoir été victime de concurrence parasitaire de la part de la société Raynal et Roquelaure ; que la décision entreprise sera également confirmée de ce chef ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, publiquement par mise à disposition au greffe, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et y ajoutant, condamne la société Conserverie du Languedoc aux dépens d'appel, condamne la société Conserverie du Languedoc à verser à la société Raynal et Roquelaure la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile.