CA Rennes, 3e ch. com., 12 janvier 2016, n° 14-00286
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Green Door (SA)
Défendeur :
Navarro
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poumarède
Conseillers :
Mmes André, Guéroult
Avocats :
Mes Chevalier, Nadreau
I - EXPOSE DU LITIGE
De 1992 à 2009 la société Green Door distribuait les produits de la marque Dakine sur le territoire français en vertu d'un accord de distribution exclusive consentie par le titulaire de la marque, la société Da Kine Hawaï.
Suivant contrat d'agent commercial du 9 septembre 2003, M. Navarro était agent commercial pour le compte de la société Green Door pour les produits de la marque Dakine et Nitro Snow Bord à titre exclusif sur 12 départements français.
Début 2009 la société GSM Europe a racheté la marque Dakine à la société Da Kine Hawaï et le contrat de distribution exclusive par la société Green Door a pris fin au 31 décembre 2009.
M. Navarro a signé un contrat d'agent commercial avec la société GSM Europe le 1er janvier 2010 pour la distribution des produits Dakine.
Par acte signé les 1er et 6 février 2010, la société Green Door a cédé à la société GSM Europe sa branche complète d'activité de distribution des produits Dakine, à effet au 1er janvier 2010. Un contrat de distribution exclusive a été signé simultanément entre la société GSM Europe et la société Da Kine Hawaï, succédant à celui qui existait entre Green Door et la société Da Kine Hawaï, se terminant le 31 décembre 2009.
Le 17 janvier 2010, un protocole transactionnel a été signé entre la société Green Door et M. Navarro, mettant fin à son contrat en ce qu'il se rapportait à la distribution des produits Dakine, et lui interdisant de réclamer une indemnité du chef de la résiliation du contrat, les deux parties renonçant par ailleurs à intenter une quelconque procédure judiciaire l'un contre l'autre.
Par lettre du 14 octobre 2010, la société GSM Europe a résilié le contrat d'agent commercial de M. Navarro.
Par jugement du 27 février 2012, le Tribunal de commerce de Bayonne a condamné la société GSM Europe à verser à M. Navarro une indemnité de 9 256 euro, pour rupture abusive du contrat d'agent commercial.
Par assignation du 5 décembre 2012, M. Navarro a fait assigner la société Green Door aux fins de nullité du protocole transactionnel du 17 janvier 2010 et pour obtenir diverses sommes en réparation de son préjudice économique et moral.
Par jugement contradictoire du 15 octobre 2014, le Tribunal de commerce de Saint-Malo a :
Dit que le protocole transactionnel contracté le 17 janvier 2010 par la société Green Door et M. Navarro est nul car entaché de réticences dolosives
Dit n'y avoir lieu en conséquence à statuer sur les autres fondements invoqués au soutien de la demande de nullité dudit protocole
Dit que M. Navarro a subi un préjudice direct et certain du fait de la signature du protocole susvisé ;
Condamné la société Green Door à payer à Navarro :
- la somme de 53 360 euro outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 octobre 2012 ;
- la somme de 5 000 euro au titre du préjudice moral subi ;
Ordonné l'exécution provisoire ;
Condamné la société Green Door à payer à M. Navarro la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC, outre aux entiers dépens.
Par ordonnance de référé du 9 avril 2014, la demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement formé par la société Green Door a été rejetée.
La société Green Door a formé appel.
L'appelant demande à la cour de :
Vu l'article L. 134-12 du Code de commerce
Vu l'article 1116 du Code civil
Vu les articles 2044 et suivant du Code civil
Réformer le jugement rendu
En conséquence et statuant de nouveau :
Constater que M. Navarro a perdu tout droit d'agir en justice depuis le 17 janvier 2011 ;
Dire et juger en conséquence M. Navarro irrecevable dans ses demandes ;
À défaut le dire mal fondé ;
À titre subsidiaire, constater la validité du protocole transactionnel intervenu le 17 janvier 2010 ;
En conséquence, débouter M. Navarro de l'ensemble de ses demandes ;
À titre éminemment subsidiaire, constater que la résiliation de la convention d'agent commercial est à l'initiative de M. Navarro ;
Le débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes
En tout état de cause, condamner M. Navarro au paiement d'une somme de 9 000 euro au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.
L'intimé demande à la cour de :
Vu les articles 1109, 1116 et 1134 du Code civil,
Vu les articles 1304, 2044, 2053 du Code civil,
Vu l'article L. 134-12 du Code de commerce,
Vu les articles 699 et 700 du Code de procédure civile,
Confirmer le jugement en ce qu'il :
Déclare Monsieur Navarro recevable en l'ensemble de ses demandes, et l'a déclaré bien fondé ;
Dit que le protocole transactionnel contracté le 17 janvier 2010 par la société Green Door et Monsieur Navarro est nul car entaché de réticence dolosive ;
Dit que Monsieur Navarro a subi un préjudice direct et certain du fait de la signature du protocole susvisé ;
Condamne la société Green Door à payer à Monsieur Navarro la somme de 53 360 outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 octobre 2012 ;
Condamne Ia société Green Door aux entiers dépens de la première instance, dont frais de greffe liquidés à la somme de 80,85 euro TTC ;
Et, statuant à nouveau:
Recevoir Monsieur Navarro en l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.
Dire et Juger que le protocole transactionnel contracté le 17 janvier 2010 par la société Green Door et Monsieur Navarro est également nul eu égard à l'absence de concessions réciproques ;
Dire et Juger que le protocole transactionnel contracté le 17 janvier 2010 par la société Green Door et Monsieur Navarro est également nul eu égard à la violation du caractère d'ordre public de l'article L. 134-12 du Code de commerce ;
Dire et Juger que Monsieur Navarro a subi un préjudice direct et certain du fait de la signature du protocole transactionnel contracté le 17 janvier 2010 par la société Green Door et Monsieur Navarro ;
Condamner la société Green Door à payer à Monsieur Navarro la somme de dix mille euro au titre du préjudice moral subi par ce dernier ;
Condamner la société Green Door à payer à Monsieur Navarro la somme de dix mille euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamner la société Green Door aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Kerjean Le Goff Nadreau ;
Ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir, nonobstant pourvoi et sans caution.
L'ordonnance de clôture est du 16 septembre 2015.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties la cour se réfère aux énonciations de la décision déférée et aux conclusions régulièrement signifiées des parties :
- du 17 juin 2014 pour l'appelant
- du 7 juillet 2014 pour l'intimée
II - MOTIFS
Sur la demande d'irrecevabilité des demandes de M. Navarro.
La société Green Door soutient que l'action de M. Navarro est irrecevable car prescrite depuis le 17 janvier 2011 sur le fondement de l'article L. 134-12 du Code de commerce, qui prévoit une déchéance du droit à indemnité de l'agent si sa demande n'est pas formulée dans le délai d'un an à compter de la cessation de son contrat, quand bien même le protocole transactionnel serait annulé.
M. Navarro soutient quant à lui que sa demande est fondée au principal sur la nullité du protocole transactionnel au visa de l'article 1109 du Code civil dont la prescription est de 5 ans.
Comme le relève à juste titre le tribunal de commerce, M. Navarro fonde ses demandes sur la nullité du protocole transactionnel du 17 janvier 2010, pour réticences dolosives, absence de concessions réciproques et violation du caractère d'ordre public de l'article L. 134-12 du Code de commerce. M. Navarro sollicite des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la signature d'un protocole vicié mettant fin à son contrat et non une indemnité de rupture.
Il est recevable à agir en nullité, son action engagée par assignation du 5 décembre 2012 n'étant en toute hypothèse pas prescrite.
Sur les demandes de nullité du protocole transactionnel du 17 janvier 2010.
Le principe d'indemnisation de l'agent en cas de résiliation du contrat d'agent commercial est d'ordre public et plus précisément d'ordre public de protection. Il interdit aux parties et donc à l'agent de prévoir dans leur contrat une clause limitant ou excluant cette indemnité et donc de renoncer à celle-ci avant la rupture du contrat.
M. Navarro, dans le protocole d'accord du 17 janvier 2010, a renoncé à toute indemnité de résiliation du contrat d'agent commercial alors qu'il était encore lié par ce dernier. Cette renonciation est contraire aux dispositions d'ordre public du Code de commerce.
Il y a lieu de prononcer la nullité du protocole d'accord du 17 janvier 2010.
Sur le préjudice
En renonçant par avance à une indemnité de rupture, M. Navarro a renoncé à l'indemnité de rupture à laquelle il pouvait prétendre. Son préjudice correspond à la perte de cette indemnité.
La société Green Door n'invoque aucune faute de M. Navarro ayant justifié la rupture du contrat d'agent commercial. Il est justifié que c'est la société Green Door qui a elle-même décidé de céder son activité et sa clientèle à la société GSM Europe.
Le fait que M. Navarro ait par ailleurs signé un contrat d'agent commercial avec le repreneur de l'activité est sans effet sur les liens qu'il avait avec la société Green Door qui est seule à l'origine de la nécessité pour M. Navarro de signer ce nouveau contrat. En cédant son activité la société Green Door a rendu impossible pour M. Navarro la poursuite du contrat d'agent commercial qui liait ces parties.
La rupture du contrat est imputable à la société Green Door.
M. Navarro justifie avoir réalisé un chiffre d'affaires sur les produits de la marque Dakine de près de 155 000 euro en 2007, 237 000 euro en 2008, 266 000 euro en 2009 et 435 000 euro en 2010. Le contrat d'agent commercial prévoyait une rémunération de 8 % sur les produits de la gamme Dakine.
M. Navarro était agent commercial de la société Green Door depuis 2003. Il justifie qu'il avait développé le chiffre d'affaires réalisé avec les produits de la marque Dakine. Il y a lieu d'évaluer à la somme de 53 360 l'indemnité de rupture à laquelle il pouvait prétendre.
Il y a lieu de condamner la société Green Door à payer cette somme à titre de dommages et intérêts à M. Navarro.
M. Navarro ne justifie pas du préjudice moral qu'il allègue. Sa demande formée à ce titre sera rejetée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société Green Door qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens et ne peut de ce fait prétendre aux dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. L'équité commande en revanche de faire droit à la demande de M. Navarro sur le fondement de ce texte. Il lui sera alloué de ce chef une somme de 5 000 euro qui s'ajoutera à celle déjà fixée à ce titre par les premiers juges.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il fonde la nullité du protocole d'accord du 17 janvier 2010 sur le dol, Statuant de nouveau, Dit que le protocole d'accord du 17 janvier 2010 est nul pour violation des dispositions d'ordre public de l'article L. 124-12 du Code de commerce, Condamne la société Green Door à payer à M. Navarro la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Green Door aux dépens dont distraction au profit de la Selarl Kerjean Le Goff Nadreau.