CA Amiens, 1re ch. civ., 19 février 2015, n° 12-02922
AMIENS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mizera
Défendeur :
Dupressoir
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boiffin
Conseillers :
Mmes Lorphelin, Liberge
DÉCISION :
Monsieur Régis D. a fait l'acquisition le 27 avril 2009 d'un véhicule BMW immatriculé 7051 XS 80 auprès de Monsieur Éric Mizera. Un chèque de banque de 37 000 euro a été remis, et encaissé par Monsieur Mizera.
Lors d'un contrôle chez un garagiste BMW courant août 2009, l'historique de l'entretien du véhicule a mis en évidence qu'une intervention en garantie constructeur avait été réalisée le 17 octobre 2008 avec un kilométrage de 23 328 kilomètres et une autre le 23 décembre 2008, avec un kilométrage de 24 753 kilomètres.
Estimant que le kilométrage réel du véhicule ne correspondait pas à celui qui lui avait été indiqué lors de la vente (10 008 kilomètres), par lettre recommandée en date du 14 septembre 2009 Monsieur Dupressoir a mis en demeure Monsieur Mizera de lui confirmer par écrit l'annulation de la vente du véhicule et de lui adresser un chèque de 41 835 euro dans les huit jours.
Une seconde mise en demeure adressée dans les mêmes termes le 9 novembre 2009 à Monsieur Éric Mizera est également demeurée infructueuse.
À l'initiative de Monsieur Régis Dupressoir, une expertise amiable à laquelle Mizera Mizera n'a pas participé, bien que régulièrement convoqué - a été diligentée le 19 novembre 2009 sur le véhicule ; Mizera Mathieu Mizera (BCA Paris) a constaté que le véhicule présentait un kilométrage inférieur à celui figurant sur les rapports d' interventions en garantie établis par le concessionnaire BMW, et conclu à la falsification du kilométrage.
Saisi par assignation délivrée le 16 février 2010 à la requête de Monsieur Régis Dupressoir, le tribunal de grande instance d'Amiens a, par jugement contradictoire du 12 avril 2012 :
Prononcé la résolution du contrat de vente conclu le 27 avril 2009 du véhicule BMW initialement immatriculé 7051 XS 80 entre Monsieur Éric Mizera, vendeur et Monsieur Régis Dupressoir, acquéreur,
Ordonné la restitution du véhicule BMW initialement immatriculé 7051 XS 80 à Monsieur Éric Mizera à ses frais,
Condamné Monsieur Éric Mizera à payer à Monsieur Régis Dupressoir la somme de 41 000 euro assortie des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure à savoir le 16 septembre 2009,
Condamné Monsieur Éric Mizera à payer à Monsieur Régis Dupressoir la somme de 4 604,50 euro,
Prononcé une astreinte de 60 euro par jour de retard à compter de la signification du jugement à la charge de Monsieur Éric Mizera concernant la reprise du véhicule et la condamnation à payer la somme de 41 000 euro assortie des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure à savoir le 16 septembre 2009 et la somme de 4 604,50 euro à titre de dommages-intérêts,
Rejeté le surplus des demandes,
Rejeté la demande reconventionnelle d'expertise du véhicule aux fins de déterminer sa perte de valeur,
Ordonné l'exécution provisoire du jugement,
Condamné Monsieur Éric Mizera aux entiers dépens de l'instance et au paiement de la somme de 1 808,23 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à Monsieur Régis Dupressoir.
Par déclaration reçue au greffe le 5 juillet 2012 par la voie électronique, Monsieur Éric Mizera a interjeté appel de ce jugement.
Par un arrêt rendu le 20 décembre 2012, le premier président de la cour d'appel d'Amiens, statuant en référé, a rejeté la demande formée par Monsieur Mizera aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire.
Aux termes de conclusions déposées et notifiées par la voie électronique le 18 septembre 2013, expressément visées, Monsieur Éric Mizera demande à la cour de :
Infirmer le jugement en date du 12 avril 2012 en toutes les dispositions qui font grief à Monsieur Éric Mizera,
Débouter Monsieur Régis Dupressoir de toutes ses demandes,
A titre subsidiaire,
Ordonner la compensation entre la somme due par Monsieur Mizera au titre de la restitution du prix et celle correspondant à l'indemnité de jouissance due par Monsieur Dupressoir, d'un montant qui peut être estimé à 40 500 euro,
En conséquence,
Condamner Monsieur Régis Dupressoir à verser à Monsieur Eric Mizera la somme de 23 500 euro,
A titre très subsidiaire,
Constater qu'à la date à laquelle le véhicule aurait du être restitué, celui-ci a subi une dépréciation d'un montant qui peut être estimé à 20 000 euro, qui sera compensée avec le prix dû par Monsieur Mizera,
Condamner Monsieur Régis Dupressoir à payer à Monsieur Éric Mizera la somme de 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Le condamner aux entiers dépens.
Par une ordonnance du 13 décembre 2013, le conseiller de la mise en état a débouté Monsieur Dupressoir de sa demande de radiation de l'affaire par application des dispositions de l'article 526 du Code de procédure civile, estimant que les conditions d'application de celui-ci n'étaient pas réunies du fait de l'évolution du litige, qu'en effet Mizera Dupressoir se trouvait dans l'impossibilité de restituer le véhicule vendu suite à sa perte par incendie.
Par conclusions déposées et notifiées par la voie électronique le 1er avril 2014, expressément visées, Monsieur Régis Dupressoir sollicite de la cour, au visa des articles 1603, 1604 et 1647 du Code civil, qu'elle :
Reçoive Monsieur Régis Dupressoir en toutes ses demandes, fins et prétentions,
Confirme en son principe le jugement rendu le 12 avril 2012 par le Tribunal de grande instance d'Amiens en ce qu'il a retenu le défaut de conformité du véhicule vendu par Monsieur Mizera,
Constate que ledit véhicule a disparu du fait d'un incendie, ce qui constitue un cas de force majeure,
En conséquence :
A titre principal, prononce la résolution de la vente et prononce la compensation entre les sommes dues par Monsieur Mizera au titre de la résolution de la vente et l'indemnité d'assurance perçue par Monsieur Dupressoir au titre de la disparition du véhicule,
A titre subsidiaire, prononce la condamnation de Monsieur Mizera au titre du défaut de conformité du véhicule au paiement d'une indemnité de 25 700 euro,
En toute hypothèse, condamne Monsieur Mizera au paiement de :
308,23 euro au titre des frais d'expertise,
500 euro au titre du préjudice moral,
5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Et des entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP L.-C..
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 17 septembre 2014, et l'affaire renvoyée à l'audience du 6 novembre 2014 pour plaidoiries.
MOTIFS :
Sur la résolution du contrat de vente :
Il est établi par l'expertise amiable, non contestée sur ce point, que le véhicule de marque BMW vendu le 27 avril 2009 à Mizera Dupressoir par Mizera Mizera avec un kilométrage annoncé de 10 008 kilomètres présentait un kilométrage réel supérieur à 24 753 kilomètres, ce dernier chiffre ayant été relevé lors d'une intervention du concessionnaire BMW le 23 décembre 2008.
Après un juste rappel des dispositions des articles 1603 et 1604 du Code civil applicables à l'espèce, le tribunal a exactement retenu que le véhicule livré ne correspondait pas à l'une des caractéristiques, essentielle s'agissant de la vente d'un véhicule d'occasion et nécessairement prise en compte lors de la fixation du prix, convenues entre les parties lors de la vente, et prononcé en conséquence la résolution du contrat de vente pour inexécution par Mizera Mizera de son obligation de délivrance de la chose vendue conforme aux prévisions des parties.
C'est vainement que Mizera Mizera, invoquant à titre principal les dispositions de l'article 1647 du Code civil, soutient que la demande en résolution du contrat de vente est devenue sans objet du fait de la perte de la chose vendue.
Ces dispositions relatives à la perte de la chose affectée de vices cachés n'ont en effet pas vocation à s'appliquer à la résolution de la vente fondée en l'espèce sur l'inexécution par le vendeur de l'une des deux obligations principales mises à la charge de celui-ci aux termes de l'article 1603 du Code civil, à savoir son obligation de délivrance de la chose.
A titre subsidiaire, Mizera Mizera affirme que la demande en résolution de la vente telle que présentée par Mizera Dupressoir en première instance n'était en tout état de cause pas fondée, faisant valoir sa bonne foi et la faible dépréciation du véhicule résultant de la majoration de son kilométrage.
Comme le lui oppose toutefois Mizera Dupressoir et comme l'a exactement énoncé le tribunal, ces circonstances sont inopérantes dès lors qu'il se révèle une différence entre la chose livrée et les indications des parties lors de la conclusion du contrat laquelle suffit, comme en l'espèce, à caractériser l'inexécution de l'obligation de délivrance.
Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur les restitutions :
Les premiers juges ont exactement énoncé que la résolution du contrat entraîne l'anéantissement rétroactif du contrat, lequel est censé n'avoir jamais existé entre les parties, et par conséquent des restitutions réciproques.
Le tribunal a ordonné la restitution du véhicule aux frais du vendeur, par une disposition non contestée à titre subsidiaire, et dit qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte, comme le demandait Mizera Mizera, la perte de valeur du véhicule BMW depuis sa cession en avril 2009.
Il est constant que Mizera Dupressoir est désormais dans l'impossibilité de restituer le véhicule en nature, celui-ci ayant été détruit le 4 janvier 2013 par un incendie, cas de force majeure, de sorte que la restitution à Mizera Mizera de la chose vendue ne peut avoir lieu que par équivalent.
S'agissant de la valeur du bien par équivalent, Mizera Dupressoir soutient qu'elle est de 19 300 euro, soit la somme qu'il a reçue de son assureur au titre de l'indemnisation de la perte de son véhicule par incendie, déduction faite de la franchise contractuelle (700 euro), et Mizera Mizera sollicite que soit retenue la somme " correspondant à la valeur avant sinistre, telle que fixée par l'assurance ".
L'application par la compagnie Axa à son assuré, Mizera Dupressoir, de la franchise de 700 euro prévue au contrat d'assurance est sans effet sur l'appréciation de la valeur de remplacement du véhicule détruit, fixée à 20 000 euro par l'assureur et non contestée par l'appelant ou l'intimé.
Mizera Dupressoir sera donc condamné à payer à Mizera Mizera la somme de 20 000 euro au titre de la restitution du véhicule.
La restitution du prix par Mizera Mizera a été ordonnée par le tribunal, qui a fixé ledit prix à 41 000 euro, au regard du témoignage de Mizera C. selon lequel une enveloppe blanche contenant 4 000 euro aurait été remise à Mizera Mizera en même temps que le chèque de banque de 37 000 euro.
Mizera Mizera rappelle les dispositions de l'article 1341 du Code civil et soutient que le témoignage de Mizera C. ne peut être admis comme établissant la réalité du versement de 4 000 euro complémentaires, alors que le contrat de vente prévoyait le versement d'un prix à hauteur de 37 000 euro.
Soulignant que son Conseil ne l'avait pas avisé en première instance de l'existence du témoignage de Mizera C., Mizera Mizera fait valoir qu'il est en mesure à hauteur d'appel de contester tout complément de prix aux 37 000 euro payés par chèque et de contredire ce témoignage au moyen de l'attestation émanant de sa compagne, Mme Laurence F. ( sa pièce n° 23).
La Cour constate qu'aucun écrit n'est produit quant au prix du véhicule BMW convenu par les parties et que le témoignage de Mizera C. est contredit par celui de Mme F., laquelle expose avoir été présente lorsque Mizera Dupressoir est venu voir le véhicule mis en vente par Mizera Mizera et a négocié le prix à 37 000 euro, ainsi que le 27 avril 2009 lorsque Mizera Dupressoir a rempli avec Mizera Mizera les " papiers de vente ", " remis un chèque " et pris possession du véhicule, attestant sur l'honneur que Mizera Dupressoir n'a donné ni enveloppe ni argent liquide à Mizera Mizera et que le prix de vente " était bien de 37 000 euro ". Il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à 41 000 euro le prix du véhicule, la preuve de celui-ci n'étant pas rapportée, et de fixer à 37 000 euro la somme que Mizera Mizera sera tenu de restituer ce titre à Mizera Dupressoir.
La disposition du jugement selon laquelle la condamnation de Mizera Mizera est assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2009, date de la première mise en demeure, n'est pas critiquée à titre subsidiaire et sera par conséquent confirmée.
A titre subsidiaire, Mizera Mizera soutient que Mizera Dupressoir est redevable d' une indemnité de jouissance correspondant à tout le moins à la valeur locative du véhicule sur la période considérée (du 27 avril 2009 au 4 janvier 2013, date de sa destruction) soit une somme de 40 500 euro, ou d'une indemnité destinée à compenser la dépréciation subie par le véhicule durant la même période, soit une décote de valeur Argus comprise entre 17 000 et 20 000 euro, indemnité qui viendrait en compensation avec le prix éventuellement dû par Monsieur Mizera suite à la mise en œuvre de la résolution.
Il convient toutefois de rappeler que, suite à la résolution de la vente, le vendeur est tenu de restituer le prix qu'il avait reçu, sans diminution liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure en résultant, et en conséquence de rejeter la demande d'indemnité de jouissance ou de dépréciation formée par Mizera Mizera et de compensation entre celle-ci et le prix de vente.
Le jugement sera en outre infirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle aux fins d'expertise du véhicule en vue de déterminer la perte de valeur de celui-ci, la Cour constatant en tout état de cause que cette demande est devenue sans objet du fait de la destruction du véhicule.
L'infirmation de la disposition du jugement par laquelle le tribunal a assorti d'une astreinte à la charge de Mizera Mizera la reprise du véhicule et le paiement de la somme de 41 000 euro s'impose, eu égard à l'évolution du litige.
Sur les demandes en dommages-intérêts de Mizera Dupressoir :
Après rappel des dispositions de l'article 1147 du Code civil, le tribunal a condamné Mizera Mizera à payer à Mizera Dupressoir la somme de 4 604,50 euro à titre de dommages-intérêts, considérant que le coût du rééquipement du véhicule avec des roues homologuées (3 769,50 euro) et de la carte grise (835 euro) était justifié.
Mizera Mizera sollicite l'infirmation du jugement de ce chef et le débouté de Mizera Dupressoir, faisant valoir que le changement de roues est intervenu sur la demande de Mizera Dupressoir et n'a aucun rapport avec le kilométrage erroné, que l'expert n'en a d'ailleurs pas fait état.
De la facture en date du 6 janvier 2011 (pièce n° 10 de l'intimé) il résulte que le concessionnaire BMW Paris a procédé au " remplacement des quatre jantes suite au montage de roues non homologuées ". Mizera Dupressoir est dès lors fondé à réclamer l'indemnisation de frais qu'il a été contraint d'exposer du fait que le véhicule vendu par Mizera Mizera était équipé de roues ne répondant pas aux normes posées par le constructeur BMW, de même que les frais de certificat d'immatriculation du véhicule.
L'expertise amiable a été facturée à Mizera Dupressoir à hauteur de 308,23 euro (sa pièce n° 7), somme que le tribunal a justement mis à la charge de Mizera Mizera, au titre des frais irrépétibles.
Le jugement sera en outre confirmé en ce qu'il a débouté Mizera Dupressoir de sa demande en remboursement d'une facture établie le 8 janvier 2010 à hauteur de 125,58 euro par le garage Pozzi, la cour observant que pas davantage qu'en première instance Mizera Dupressoir ne démontre le lien entre le remplacement du " tube de pression " et la non-conformité du véhicule, ainsi que de sa demande en réparation d'un préjudice moral, celui-ci n'étant, comme l'a justement relevé le premier juge, pas justifié.
Sur les frais et dépens :
Le tribunal a exactement condamné Mizera Mizera, partie succombante, aux dépens et au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles tenant compte des frais d'expertise amiable sus-évoqués - de 1 808,23 euro.
Eu égard au sens de l'arrêt, Mizera Mizera supportera les dépens d'appel, sera débouté de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné à payer à Mizera Dupressoir sur ce même fondement une indemnité complémentaire de 2 000 euro.
Par ces motifs LA COUR, statuant après débats publics, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement rendu le 12 avril 2012 par le Tribunal de grande instance d'Amiens en ce qu'il a ordonné la restitution du véhicule BMW à Mizera Eric Mizera à ses frais, fixé à 41 000 euro la somme due par Mizera Mizera à Mizera Dupressoir au titre de la restitution du prix de vente, prononcé une astreinte à la charge de Mizera Mizera, le Confirme pour le surplus, Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, Condamne Mizera Régis Dupressoir à payer à Mizera Eric Mizera la somme de 20 000 euro au titre de la restitution du véhicule de marque BMW acquis le 27 avril 2009, Fixe à 37 000 euro la somme due à Mizera Régis Dupressoir par Mizera Eric Mizera au titre de la restitution du prix de vente, Déboute Mizera Eric Mizera de sa demande en paiement d'une indemnité de jouissance ou de dépréciation du véhicule, Condamne Mizera Eric Mizera à payer à Mizera Régis Dupressoir la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute Mizera Eric Mizera de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne Mizera Eric Mizera aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP L.-C. conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.