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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 15 janvier 2016, n° 12-06076

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Deslandes, DXL (SARL), Lignery (SARL), Fadore (Sté), SCP Pimouguet Leuret (ès qual.)

Défendeur :

La Poste (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

M. Richard, Mme Prigent

Avocats :

Mes Ribaut, Nicolas, Minier

T. com. Paris, du 28 févr. 2012

28 février 2012

La société DXL a pour activité la fabrication d'emballage plastique de produits non alimentaires, la production de services, la diffusion, la vente, la distribution, le routage, le publipostage, la commercialisation de produits de papeterie d'édition ou tout autre support en particulier.

La société Fadore a pour activité le façonnage en imprimerie, la dorure, la reliure.

La société Lignery a pour activité la prise de participation dans toutes sociétés et entreprises commerciales, industrielles, financières.

M. François-Xavier Deslandes est l'associé unique de la société Lignery. Les sociétés DXL et Fadore sont détenues par la société Lignery et pour une part par M. Deslandes. La société Phil@Poste, anciennement dénommé Imprimerie des Timbres et Valeurs Fiduciaires (ci-après la Poste) est un établissement de la Poste. La Poste est soumise à la Directive 2004/17/CE portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux.

Depuis 1998, différents contrats-cadres organisent la relation entre la Poste et la société DXL pour l'ensemble de l'activité courrier de l'activité philatélie.

Le chiffre d'affaire confié par la Poste subissait une première diminution en 2009 et une nouvelle en 2010.

Par jugement du 15 avril 2011, le Tribunal de commerce de Bergerac a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société DXL, de la société Fadore et de la société Lignery. La société Fadore a été déclarée en liquidation judiciaire par jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bergerac le 6 avril 2011. La SCP Pimouguet Leuret a été désignée en qualité de mandataire judiciaire de la société DXL et de la société Lignery et liquidateur judiciaire de la société Fadore.

Par acte d'huissier du 10 février 2011, les sociétés DXL, Lignery et Fadore ont assigné la société la Poste devant le Tribunal de commerce de Paris, la SCP Pimouguet Leuret, étant intervenue, ès qualités, afin d'obtenir la condamnation de La Poste pour rupture brutale des relations commerciales établies :

- à payer à DXL la somme de 2 736 875 euro ;

- à payer à la SCP Pimouguet Leuret ès qualités de liquidateur judiciaire de Fadore la somme de 372 768 euro ;

- à payer à la SCP Pimouguet Leuret ès qualités de mandataire judiciaire de Lignery la somme de 153 671 euro ;

- à payer à M. Deslandes la somme de 40 000 euro ;

Par jugement en date du 28 février 2012, le Tribunal de commerce de Paris a débouté l'ensemble des sociétés demanderesses.

Les sociétés DXL, Lignery et Fadore représentées par la Pimouguet Leuret ont interjeté appel le 30 mars 2012.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 29 juin 2012, les sociétés appelantes demandent à la cour sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce de :

- condamner la Poste à verser à titre de dommages et intérêts à :

· la SCP Pimouguet Leuret en qualité de liquidateur de la société DXL la somme de 2 736 875 euro ;

· la SCP Pimouguet Leuret ès qualités de liquidateur de la société Fadore la somme de 372 768 euro ;

· la SCP Pimouguet Leuret ès qualités de liquidateur de la société Lignery la somme de 153 671 euro ;

· M. Deslandes 40 000 euro

- condamner la Poste aux dépens et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au paiement de :

· 7 000 euro à la SCP Pimouguet Leuret ès qualités de liquidateur de la société DXL ;

· 10 000 euro à la SCP Pimouguet Leuret ès qualités de liquidateur de la société Lignery ;

· 20 000 euro à la SCP Pimouguet Leuret ès qualités de liquidateur de la société Fadore ;

· 20 000 euro à M. Deslandes.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 7 septembre 2012, la Poste demande à la cour de débouter les appelantes de leurs demandes et de les condamner solidairement au paiement de la somme de 25 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

Motifs de la décision

Les appelantes soutiennent qu'il existait des relations commerciales établies entre la société DXL et la Poste depuis 1998 jusqu'en 2008, que le chiffre d'affaires réalisé par la société DXL avec La Poste au titre de ces relations commerciales a régulièrement augmenté au cours de ces années ; que DXL pouvait légitimement s'attendre à la stabilité de ces relations commerciales ;

L'intimée réplique que la législation lui imposait la mise en concurrence de ses fournisseurs et que cette exigence est incompatible avec le maintien de relations commerciales établies, que de plus, la relation n'était pas établie et qu'il ne peut y avoir de rupture brutale.

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce énonce " ... qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant une durée minimale de préavis... ".

Si la société DXL entretient avec La Poste des relations commerciales depuis 1998, depuis l'année 2006, ces relations, du fait du statut de La Poste, sont soumises au principe de la libre concurrence.

La durée des contrats-cadres est définie conformément à la directive 2004/17/CE du 31 mars 2004. L'article 5 du chapitre III du décret 2005-1308 du 20 octobre 2005 dispose :

" La durée du marché et le nombre de ses reconductions sont fixés en tenant compte de la nature des prestations et de la nécessité d'une remise en concurrence périodique.

Un marché peut prévoir une ou plusieurs reconductions à condition que ses caractéristiques restent inchangées et que la mise en concurrence ait été réalisée en prenant en compte la durée totale du marché, période de reconduction comprise "

L'article 3 de l'accord-cadre signé entre La Poste et la SARL DXL prévoit un contrat d'une durée ferme d'un an renouvelable deux fois.

La SARL DXL fait valoir que l'article 7 du décret 2005-1308 du 20 octobre 2005 dispose :

" I. - Au-dessus du seuil de 470 000 euro HT pour les marchés de fournitures et de services et du seuil de 5 900 000 euro HT pour les marchés de travaux, les marchés et les accords-cadres sont passés selon l'une des procédures formalisées suivantes, librement choisie par l'entité adjudicatrice... ", qu'aucun des marchés signés entre la société DXL et La Poste est d'un montant supérieur ou égal au seuil d'application de la directive prévue en son article 16, soit 490 000 euro, que La Poste ne justifie pas avoir respecté les démarches imposées par l'adjudication.

La Poste allègue qu'elle est contrainte d'appliquer une procédure adaptée en mettant en concurrence plusieurs prestataires, procédure choisie par l'adjudicataire, y compris sous le seuil de l'article de l'article 7 du décret 2005-1308.

Elle rappelle les termes de l'article 6 de l'ordonnance 2005-649 qui énonce que "les marchés et les accords-cadres soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics" ; elle ajoute qu'au-delà du seuil de 400 000 euro HT, les marchés sont passés selon des procédures formalisées et qu'en deça du seuil de 400 000 euro HT, les marchés sont passés selon des procédures librement définies par l'entité adjudicatrice comme le précise l'article 10 du décret 2005-1308.

Cette dernière disposition précise que " Au-dessous des seuils fixés au I de l'article 7, les marchés sont passés selon des modalités librement définies par l'entité adjudicatrice.

Sauf dans le cas où l'entité adjudicatrice décide expressément de mettre en œuvre une des procédures formalisées, les caractéristiques techniques des fournitures, des services ou des travaux qui sont portées à la connaissance du ou des candidats peuvent être décrites de manière très succincte."

Comme le soutient La Poste, les marchés qu'elle passe, quel que soit leur montant sont soumis à l'obligation de mise en concurrence, avec la possibilité d'en définir elle-même les procédures.

Le préambule du marché passé le 14 février 2007 entre La Poste et DXL, après avoir rappelé les prestations, objet du contrat, précise que :

"Les prestations seront conformes au cahier des charges joint lors de chaque demande de faisabilité et prix et devront satisfaire les critères ; respect des spécifications techniques respect des délais ; réactivité technique et commerciale ; qualité des produits fabriqués ; satisfaction des utilisateurs.

Le présent contrat est un contrat à cadre de commande.

Le cocontractant recevra avant chaque commande, une demande de faisabilité et prix comprenant le cahier des charges.

La réalisation des prestations, objet du présent contrat, reste soumise au principe de la libre concurrence, le co-contractant ne disposant pas de l'exclusivité des prestations à réaliser."

Le contrat conclu avec La Poste ne comprend aucun engagement de volume de commandes ou d'engagement d'exclusivité avec la société DXL.

La Poste verse aux débats les mises en concurrence effectuées sur plusieurs années de 2006 à 2009 ainsi que les résultats. Par courrier du 29 novembre 2010, La Poste informait DXL que son offre n'avait pas été retenue. Par courrier du 14 décembre 2010, La Poste répondant à son cocontractant indiquait : "sur trois mises en concurrences, au cours de cette année " votre client (DXL) se situait, en termes de prix, plus cher que les prestataires retenus, dans des proportions élevées. Il y a quelques jours encore, La Poste a dû informer Votre client, qu'il n'était pas retenu, sur une consultation au niveau européen, qui portait " pour la durée du marché sur plus d'un million d'euro. Là encore le décalage tarifaire s'avère très important il n'est pas possible à La Poste de garantir à votre client, un chiffre d'affaires minimum sans violer les règles de mise en concurrence qui lui sont applicables."

Si les relations ont débuté en 1998, à compter de 2006, elles se sont poursuivies dans le cadre de mises en concurrence ce qui a modifié la nature des relations et les a rendues aléatoires.

Dès 2006, DXL a eu connaissance de l'obligation pour La Poste de mettre en concurrence ses prestataires et donc de la modification des relations commerciales s'opérant désormais par le biais de demandes de faisabilité et de prix ce qui exclut l'existence de relations commerciales établies, aucun prévisionnel de commandes ne pouvant être assuré au cocontractant.

La société DXL sera en conséquence déboutée de sa demande d'indemnisation fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Outre que seules les relations commerciales établies entre deux partenaires identifiés peuvent être prises en considération, ce qui n'est pas le cas en l'espèce des sous-traitants, la Poste, ayant été déboutée de ses demandes, la SCP Pimouguet Leuret, ès qualités de mandataire de la société Lignery et de liquidateur de la SARL Fadore, et M. Deslandes, gérant de DXL, ne sont pas davantage fondés à solliciter une indemnisation de ce chef.

En conséquence, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Il y a lieu de condamner la SCP Pimouguet Leuret ès qualités de mandataire des SARL DXL, et Lignery et de liquidateur de la SARL Fadore, et Monsieur Deslandes à payer à La Poste la somme globale de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, l'appelante étant déboutée de sa demande de ce chef.

Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la SCP Pimouguet Leuret ès qualités de mandataire des SARL DXL, et Lignery et de liquidateur de la SARL Fadore, et Monsieur Deslandes à payer à la Poste la somme globale de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la SCP Pimouguet Leuret ès qualités de mandataire des SARL DXL, et Lignery et de liquidateur de la SARL Fadore, et Monsieur Deslandes aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.