CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 13 janvier 2016, n° 13-15985
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Manpower France Holding (SAS), Manpower France (Sté)
Défendeur :
Rapporteure de l'Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fusaro
Le 1er juillet 2013, le Juge des libertés et de la détention de Paris a rendu, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux des sociétés suivantes :
- Manpower France Holding et Manpower France
- Tapfin (nom commercial Alisia)
- Adecco Groupe France et Adjust HR sise à Villeurbanne - 69100
- Adecco Holding France sise à Villeurbanne - 69100
- Adecco France sise à Villeurbanne - 69100
- Adecco Holding France, Adecco France et Adjust FR sises à Paris 75008
- Ranstad France
- Pixid sise à Courbevoie 92400
Cette ordonnance faisait suite à une requête présentée à l'occasion de l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2°, 3° du Code de commerce et 101-1 a) et b) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
A l'appui de cette requête était jointe une liste de 32 pièces ou documents en annexe.
Il était fait état d'informations selon lesquelles les entreprises de travail temporaire (ETT) Manpower, Adecco, et Ranstad utiliseraient leurs filiales respectives, Alisia (groupe Manpower), Adjust HR (groupe Adecco), RSR (groupe Ranstad) et commune, Pixid (société commune aux trois groupes), toutes spécialisées dans la gestion externalisée du travail temporaire, pour acquérir des informations commerciales sensibles sur leurs concurrents, de nature à orienter leurs stratégies commerciales pour faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, et ce en violation des dispositions L. 420-1 2° du Code du commerce et de l'article 101-1 a) du TFUE.
L'Autorité de la concurrence indiquait que le marché de l'intérim était dominé par trois groupes à savoir Adecco, Manpower et Ranstad et qu'il apparaissait que ces trois grands groupes avaient emporté en 2011, 58 % des contrats de missions d'intérim.
Les trois groupes Manpower, Adecco et Ranstad avaient respectivement crée les filiales Alisia, Adjust HR, RSR, celles-ci proposant divers services aux entreprises utilisatrices allant de la planification de leurs besoins en intérimaires, au suivi de leurs accords-cadres conclus avec les entreprises de travail temporaire, étant précisé que leurs filiales ne disposeraient d'aucune autonomie commerciale vis à vis de leurs sociétés mères.
S'agissant de Manpower France Holding, elle détiendrait 99 % du capital d'Alisia, le 1 % restant étant détenu par la société Supplay, elle-même filiale de Manpower France Holding, laquelle est aussi la société mère de Manpower Business Solutions. Par ailleurs le gérant de la société Alisia cumule également les fonctions de directeurs administratif et financier de Manpower France et dispose de fonctions managériales importantes au sein de la société Manpower Group et Manpower Business Solutions. D'autres cadres dirigeants cumuleraient aussi plusieurs fonctions dans ces trois sociétés.
De surcroît la société Alisia aurait enregistré un résultat négatif de 2004 à 2011 la plaçant dans une situation de dépendance vis-à-vis de sa société mère.
Il s'en déduirait que la société Alisia serait en état de dépendance capitalistique, managériale, informatique et financière à l'égard de sa société mère Manpower France Holding et que, privée de toute autonomie commerciale, elle formerait avec celle-ci et ses sociétés soeurs Manpower France et Manpower Business Solutions, une unité économique.
Le schéma serait similaire concernant Ranstad France détenant 100 % du capital de Groupe Ranstad France lequel contrôle l'intégralité du capital de Ranstad Sourcerigh (RSR) et 97 % de Ranstad, les liens entre la société mère et les sociétés soeurs pourraient être caractérisés par le fait que le même représentant siège aux assemblées générales, par une adresse commune sise à Saint Denis (93) et que la même personne soit la responsable légale des sites Internet des trois sociétés.
Il apparaîtrait que RSR, compte tenu de sa dépendance vis à vis de sa société mère Groupe Ranstad France, serait dépourvue d'autonomie capitalistique, managériale, informatique et financière et formerait avec sa société mère et sa société sœur Ranstad, une unité économique.
Enfin, la société Adjust HR serait détenue à 100 % par Adecco Holding France qui contrôle l'intégralité du capital d'Adecco et d'Adecco Groupe France. Elles auraient le même gérant et seraient domiciliées à proximité géographie immédiate à Villeurbanne (69).
De la même façon, Adjust HR aurait enregistré des résultats financiers négatifs pendant plusieurs années et l'accumulation de ces éléments permettrait d'en déduire que cette société est en état de dépendance capitalistique, managériale, informatique et financière vis-à-vis de sa société mère Adecco Holding France, serait dépourvue de toute activité commerciale et formerait une unité économique avec sa société mère et ses sociétés soeurs Adecco France et Adecco Groupe France.
La même déduction serait faite en ce qui concerne Pixid, filiale commune des entreprises Adecco, Manpower France et Ranstad qui serait aussi en état de dépendance vis-à-vis des sociétés dont elle émane, compte tenu du fait d'une part que les trois sociétés sus-mentionnées détiendraient conjointement le capital de Pixid à hauteur de 33 % chacune et d'autre part que les gérants de la société Pixid seraient ses trois actionnaires représentés par leurs présidents respectifs à savoir M. Alain X pour Adecco France, M. François Y pour Ranstad et Mme Françoise Z pour Manpower France, ses gérants prenant à l'unanimité les décisions stratégiques (plan annuel, budget et désignation du personnel d'encadrement notamment). Il aurait été constaté que Pixid aurait affiché des résultats financiers négatifs de 2004 à 2011 et que de 2009 à 2013, leurs trois sociétés-mères auraient mis en place des dispositifs permettant d'assurer le financement courant de l'activité de leur filiale Pixid, cet état de fait laissant cette société dans un état de dépendance capitalistique, commerciale et financière à l'égard de ses sociétés mères alors même que la Commission européenne avait autorisé sa création sous réserve qu'elle conserve son autonomie, et qu'elle sous-entendait dans sa décision du 5 novembre 2004, que la dépendance de Pixid pouvait favoriser une coordination des entreprises de travail temporaire dans le marché du travail temporaire.
Il s'en déduirait que l'absence d'autonomie des filiales Alisia, Adjust HR, RSR et Pixid à l'égard de leurs sociétés mères serait de nature à permettre la circulation d'informations stratégiques entre sociétés mère et filles ; par ailleurs que les services proposés par ces filiales aux entreprises utilisatrices nécessiteraient, pour être accomplis, un accès à des données commerciales provenant des entreprises de travail temporaire concurrentes dont certaines seraient issues d'une négociation entre ces dernières et les entreprises utilisatrices.
Ainsi, les filiales sus-mentionnées proposeraient des services d'externalisation du processus de recrutement. A titre d'exemple, la société Alisia annoncerait sur son site Internet qu'elle serait " un point de contact unique pour tous les demandeurs et toutes les agences d'intérims référencés par les entreprises utilisatrices " ; qu'elle gère pour celles-ci tout ou partie du processus de " planification des besoins (...) interface avec les agences d'intérim (...) ".
Les filiales offriraient également des services visant à externaliser la gestion de l'intérim, ces services consistant d'une part à contrôler la bonne exécution des accords-cadres signés entre les entreprises utilisatrices et les entreprises de travail temporaire (ETT) ainsi que le proposeraient Adjust HR et RSR et d'autre part recouvriraient le suivi des contrats de travail et des factures émises par les agences d'intérim (services proposés par Adjust HR, RSR et Alisia) et enfin elles offriraient aussi des prestations d'analyse et d'optimisation du recours aux intérimaires, cette prestation étant également proposée par Pixid qui comme les filiales utiliserait différents instruments dont le " reporting ", " des réunions de suivi hebdomadaires ", " statistiques sur le nombre d'intérimaires, missions (...) ".
Il s'en déduirait que la nature même des services rendus par les filiales sus-mentionnées permettraient ainsi aux entreprises de travail temporaire qui les contrôlent d'accéder à de nombreuses données sensibles tels que le nombre d'intérimaires employés par chaque entreprise utilisatrice, la répartition d'intérimaires par entreprise de travail temporaire concurrente... ou encore les remises commerciales de fin d'année qui peuvent être négociées dans les accords-cadres ; que ces données commerciales pourraient être utilisées par les entreprises de travail temporaire pour coordonner leurs offres commerciales. A titre d'illustration, l'analyse de l'échantillon de factures communiqué à l'Autorité de la concurrence par les entreprises utilisatrices a révélé dans plusieurs cas une similitude des coefficients multiplicateurs et/ou des prix unitaires appliqués par les ETT de la même catégorie professionnelle (factures émanant de Manpower France, Ranstad, Adecco France notamment).
Pour l'Autorité de la concurrence, ces faits pourraient constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer la mise en place par les ETT concurrentes de mécanismes permettant d'échanger, indirectement par leurs filiales respectives, des informations commercialement sensibles ayant pour finalité de diminuer l'incertitude stratégique sur le marché et faciliter ainsi la coordination entre concurrents dans le but de préserver leurs marges, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 2° du Code de commerce.
Cette présomption d'entente illicite paraît d'autant plus grave que le Conseil de la concurrence devenu Autorité de la concurrence a sanctionné le 2 février 2009 les trois entreprises de travail temporaire sus-mentionnées pour s'être concertées afin de coordonner leur politique commerciale vis à vis de leurs clients " grands comptes " et que la portée de ces présomptions pourrait affecter également le commerce entre Etats membres et ainsi relever de l'application de l'article 101 a) TFUE.
Dans ces conditions le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constituerait le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché.
Le juge des libertés et de la détention de Paris autorisait Madame la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder en application des dispositions sus-visées à des opérations de visites et de saisies dans les locaux suivants :
Manpower France Holding et Manpower France ainsi que les sociétés du même groupe sises à Nanterre (92) ;
Tapfin (nom commercial Alisia) sise à Paris 13e ;
Adecco Groupe France et Adjust HR sises à Villeurbanne (69) ;
Adecco Holding France sise à Villeurbanne (69) ;
Adecco France sise à Villeurbanne (69) ;
Adecco Holding France, Adecco France et Adjust HR sises <adresse> ;
Ranstad France et les sociétés du même groupe sises à Saint Denis (93) ;
Pixid sise à Courbevoie (92).
Il a délivré une commission rogatoire aux juges des libertés et de la détention de Nanterre, Bobigny et Lyon.
Les opérations de visites et de saisies ont été effectuées simultanément les 10 et 11 juillet 2013.
Par déclarations d'appel contre l'ordonnance en date du 19 juillet 2013 et de recours contre les opérations de visite et de saisie en date du 22 juillet 2013 les sociétés Manpower France Holding et Manpower France ont demandé l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris et celle du juge des libertés et de la détention de Nanterre rendue sur commission rogatoire ainsi que l'annulation des opérations de visite et de saisie autorisées dans les locaux et dépendances susceptibles d'être occupés par les sociétés Manpower France Holding et Manpower France sises <adresse>.
L'affaire a été appelée à l'audience du 15 janvier 2014 à 9 heures, renvoyée au 2 juillet 2014, puis renvoyée de nouveau 3 décembre 2014, puis mise en délibéré mais n'a pas été rendue.
Une réouverture des débats a été fixée le 4 novembre 2015 et mise en délibéré pour être rendue le 13 janvier 2016.
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la Justice, il convient en application de l'article 367 du Code de procédure civile, et eu égard aux liens de connexité entre certaines affaires de joindre les instances enregistrées sous les numéros RG 13-15985 et 13-15995.
Par conclusions récapitulatives, déposées au greffe le 21 novembre 2014, les sociétés Manpower France Holding et Manpower France demandaient de constater l'irrégularité de l'ordonnance rendue le 1er juillet 2013 par le Juge des libertés et de la détention de Paris et par voie de conséquence celle du 3 juillet 2013 rendue par le Juge des libertés et de la détention de Nanterre et leur annulation, déclarer irrégulières les opérations de visite et de saisie en date du 10 et 11 juillet 2013 et menées dans les locaux sus-mentionnés.
I. L'ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie est dépourvue de base légale
A titre liminaire, les sociétés appelantes rappellent la jurisprudence constante de la Cour de cassation et de la Cour d'appel de Paris selon laquelle le juge d'appel doit examiner la validité de l'autorisation en se fondant sur les mêmes éléments de droit et de fait que le Juge des libertés et de la détention qui a rendu l'ordonnance attaquée. Au stade de l'appel, l'Autorité ne saurait invoquer aucune pièce supplémentaire au soutien de l'ordonnance.
1. En droit, le Code de commerce n'autorise pas l'Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visite et de saisie dans le cadre d'une procédure pour avis
- La fonction consultative et la fonction décisionnelle de l'Autorité de la concurrence
- Le Code de commerce n'habilite pas l'Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visite et de saisie dans le cadre d'une procédure pour avis
- En fait : l'ordonnance a autorisé en dehors de toute base légale, l'Autorité à procéder à des opérations de visite et de saisie dans le cadre d'une procédure pour avis
Les sociétés appelantes distinguent " la fonction consultative " et " la fonction décisionnelle " de l'Autorité de la concurrence.
La fonction consultative de l'Administration serait définie par l'article L. 462-1 du Code de commerce qui dispose que l'Autorité de la concurrence donne son avis sur toute question de concurrence à la demande notamment du Gouvernement, des commissions parlementaires, des collectivités territoriales et des organisations professionnelles et syndicales. Cette fonction consultative serait limitée puisque l'Autorité ne pourrait se prononcer que sur des questions générales de concurrence, seule une saisine contentieuse et la mise en œuvre d'une procédure contradictoire prévue au Livre IV du Code de commerce étant de nature à permettre une appréciation de la licéité de la pratique considérée. Cette fonction consultative s'opposerait ainsi à la fonction décisionnelle de l'Autorité définie par l'article L. 462-5 du Code de commerce.
Selon les sociétés appelantes, à la date de l'ordonnance soit le 1er juillet 2013, l'article L. 450-1 du Code de commerce disposait que " les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence (...) peuvent procéder à toute enquête nécessaire à l'application des dispositions des titres II [des pratiques anticoncurrentielles] et III [de la concentration économique] du présent livre ". L'article L. 450-1 du Code de commerce, lu en combinaison avec les articles L. 450-3 et L. 450-4 du Code de commerce, habilitait l'Autorité à procéder à toute enquête, notamment à des opérations de visite et de saisie, dans le cadre de sa fonction décisionnelle.
En revanche, l'article L. 450-1 n'habilitait pas l'Autorité de la concurrence à procéder à une enquête, notamment à une opération de visite et saisie, dans le cadre des procédures pour avis. C'est la raison pour laquelle la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation aurait ajouté à l'article L. 450-1 du Code de commerce un deuxième alinéa en vertu duquel les agents des services d'instruction de l'Autorité " peuvent également, pour l'application du titre VI du présent livre, mettre en œuvre les pouvoirs d'enquête définis à l'article L. 450-3 ", c'est-à-dire dans le cadre de la fonction consultative de l'Autorité.
Les sociétés appelantes rappellent que le syndical national du travail temporaire CFTC a saisi l'Autorité de la concurrence " au titre de l'article L. 462-1 du Code de commerce " par lettre du 8 juin 2011, c'est-à-dire pour avis sur des questions de concurrence.
La note de la Rapporteure proposant de procéder à des opérations de visite et saisie confirmerait que l'Autorité de la concurrence était saisie pour avis. La requête de la Rapporteure générale visant à obtenir l'autorisation de procéder à des opérations de visite et saisie ne contiendrait aucune pièce de procédure suggérant que l'Autorité agirait dans un autre cadre que celui de la saisine pour avis.
Le Code de commerce n'habilitait pas l'Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visite et saisie dans le cadre d'une procédure pour avis, c'est donc en dehors de toute base légale que l'ordonnance les aurait autorisées, et par voie de conséquence, l'ordonnance devrait être annulée.
L'Autorité de la concurrence argue oralement qu'il n'était pas envisageable que la demande d'un avis empêche de mener des enquêtes et qu'il était loisible au rapporteur d'ouvrir une enquête malgré la demande d'avis. En effet, depuis la réforme de 2008 le rapporteur a ses propres pouvoirs d'enquête et d'initiative d'enquête. Le fait que l'article L. 450-3 du Code de commerce soit modifié pour permettre à l'Autorité de récolter des données dans le cadre d'une demande d'avis n'y changerait rien. Ce sont deux procédures distinctes d'autant qu'il n'y a eu aucune réponse à la demande d'avis du syndicat.
Madame l'Avocat-Général conclut, qu'en application des dispositions de l'article L. 450-1 du Code de commerce et de l'article L. 462-5, III, du même Code, que la Rapporteure Générale dispose du pouvoir d'initier des enquêtes pour des affaires dont l'Autorité est saisie mais également celui de déclencher à son initiative et avant toute saisine contentieuse, les enquêtes visant à vérifier que le respect des dispositions du Titre II et III du Livre IV du Code de commerce sans que celles-ci ne fassent l'objet d'une saisine d'office préalable de l'Autorité.
En l'espèce, l'Autorité de la concurrence bien que saisie d'une demande d'avis pouvait valablement solliciter du Juge des libertés et de la détention de Paris, l'autorisation de visiter les locaux de la société Manpower pour procéder à des saisies de documents et supports d'information intéressant l'enquête diligentée.
Madame l'Avocat-Général conclut au rejet de la demande d'annulation de l'Ordonnance du Juge des libertés et de la détention de Paris.
2. L'origine illicite de certaines pièces sur lesquelles se fondent l'ordonnance
- En droit, l'opération de vérification de l'origine licite des pièces
- En fait, l'origine illicite de certaines pièces sur lesquelles repose l'ordonnance
Les sociétés appelantes affirment que selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, en matière d'opérations de visite et de saisie, il incombe au Premier président de la Cour d'appel de vérifier l'origine licite des pièces sur lesquelles se fonde l'autorisation et, en cas d'illicéité, d'annuler l'ordonnance attaquée. Le juge de l'autorisation ne pourrait se référer qu'à des documents que l'Autorité de la concurrence a obtenu de manière licite et ce caractère licite devrait résulter de l'ordonnance elle-même. Ainsi, l'origine illicite des pièces conduirait non seulement à les écarter des débats mais également à l'annulation de la décision d'autorisation obtenue sur ce fondement.
Or, comme indiqué précédemment, sous l'empire du droit en vigueur à la date d'autorisation, soit le 1er juillet 2013, le Code de commerce n'habilitait pas l'Autorité à recourir aux pouvoirs d'enquête prévus à l'article L. 450-3 dans le cadre de l'instruction de la procédure pour avis dont l'avait saisie le Syndicat national du travail temporaire-CFTC.
Ce serait donc en dehors de toute base légale que l'Autorité de la concurrence a adressé des questionnaires aux clients d'Alisia et leur a demandé des copies de facture d'ETT, et recueilli leurs réponses, ainsi que lesdites copies de factures. En l'absence de base légale, les réponses aux questionnaires de l'Autorité et les échantillons de facture en annexes 26, 28 et 30 de l'ordonnance sont dépourvues d'origine licite et ce faisant le juge des libertés et de la détention aurait entaché son ordonnance de nullité.
L'ordonnance devrait donc être annulée et si ce n'était pas le cas, les pièces figurant en annexes 26, 28 et 30 de l'ordonnance devraient au moins être écartées des débats.
L'Autorité rappelle oralement que dès le 8 novembre 2011 Manpower savait qu'une enquête était ouverte et qu'Alisia allait être auditionnée. Il suffisait de lire les intitulés des pièces 26 et 28 " questionnaire relatif à la demande d'enquête " pour le comprendre. Par ailleurs, il y avait bien un document où la Rapporteure générale demandait l'ouverture d'une enquête, ce document ayant été communiqué au juge. Par conséquent, les documents avaient bien une origine licite et l'ordonnance était donc régulière.
Le Ministère Public conclut que les pièces avaient une origine licite que le moyen devra être rejeté.
3. L'absence d'indices de pratiques anticoncurrentielles
- En droit, l'exigence d'indices de pratiques anticoncurrentielles
- En fait l'absence d'indice de pratiques anticoncurrentielles
- La différence entre la possibilité et la réalité des échanges d'informations
- La dénaturation des déclarations des clients, selon lesquels il n'existait aucun échange d'informations de pratiques anticoncurrentielles
- La proximité de quatre taux horaires
Selon les sociétés appelantes, la seule façon pour le juge de l'autorisation ainsi que pour le juge d'appel de déterminer si un faisceau d'indices est probant est d'examiner s'il est constitué d'indices eux-mêmes.
Or l'ordonnance ne rapporterait aucun indice concret de remontées d'informations confidentielles d'Alisia ou Pixid vers Manpower ni d'échange d'informations entre Manpower et les autres entreprises de travail temporaire (ETT).
L'ordonnance se fonderait sur seulement deux prétendus indices qui ne seraient pas probants soit :
- l'absence d'autonomie des filiales Alisia, Adjust HR, RSR et Pixid à l'égard de leurs sociétés mères de nature à permettre la circulation d'informations stratégiques entre sociétés mère et fille et la nature même des services rendus par les filiales susvisées ;
- l'analyse de l'échantillon des factures communiquées à l'Autorité de la concurrence ayant révélé dans plusieurs cas une similitude des coefficients multiplicateurs et/ou des prix unitaires appliqués par les ETT de la même catégorie professionnelle.
Cependant le fait que certaines ETT aient des filiales de prestations de services administratifs qui ont accès aux prix des autres ETT n'est pas un indice d'échanges d'informations anticoncurrentiel et la comparaison des prix sur laquelle se fonde l'ordonnance ne serait pas pertinente.
Les sociétés appelantes s'opposent au raisonnement selon lequel les trois principales ETT exerceraient un contrôle sur la gestion quotidienne de leurs filiales de gestion administrative des salariés intérimaires et pourraient à ce titre exiger d'avoir accès aux données commerciales confidentielles détenues par ces dernières. L'existence de circonstances qui faciliteraient la commission d'une infraction ne permettrait en rien de soupçonner qu'une infraction ait été effectivement commise, notamment l'existence de liens capitalistiques entre différentes sociétés " inhérents à tout le groupe " et l'enregistrement par Manpower France du nom de domaine du site Internet d'une société sœur ne constituent pas des indices d'échanges d'informations anticoncurrentiels.
Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirment les observations de l'Autorité de la concurrence, Alisia occupe des locaux distincts de ceux du groupe Manpower.
Peu importait que l'infraction ait été ou non facile à commettre ; la seule question pertinente était de savoir si des indices faisaient présumer que les intéressés avaient réellement commis une infraction.
Les sociétés appelantes affirment qu'avant de solliciter l'autorisation de procéder à des visites et saisies, l'Administration a instruit une demande d'avis, au cours de laquelle elle a interrogé tous les clients d'Alisia sur l'existence d'éventuels échanges d'informations sensibles entre Alisia et Manpower. Il s'avérerait que les réponses des clients d'Alisia dissiperaient tout soupçon d'échanges d'informations anticoncurrentiels.
Si nul ne conteste le fait pour une ETT d'avoir une filiale de services administratifs qui gère les dossiers de salariés intérimaires d'ETT concurrentes pourrait en théorie faciliter l'accès de cette ETT à des données commerciales sensibles ; il est en revanche " parfaitement anormal de maintenir qu'il existe en pratique un risque d'échanges d'informations commerciales sensibles, alors même que l'Autorité de la concurrence a conduit une enquête simple pendant deux ans (...) qui n'a mis en évidence aucun échange de ce type (...) ".
Les sociétés appelantes ne considèrent pas que le faible écart entre quatre prix facturés par Manpower et quatre prix facturés par ses concurrents chez les mêmes clients soit un indice d'une quelconque pratique anticoncurrentielle.
Premièrement, selon l'ordonnance, Manpower France et Randstad auraient facturé le temps de travail des intérimaires placés chez Faurecia au prix unitaire s'élevant respectivement à 17,17 euro/heures et à 17,1672 euro/heure.
Or les taux horaires des salariés intérimaires de Manpower mis à disposition de Faurecia varient en fonction de leur qualification/catégorie d'emplois. Ainsi, en 2011, le taux horaire moyen d'un ingénieur s'élevait à 73,50 euro et celui d'un peintre du bâtiment à 17 euro. En l'absence de toute mention de la qualification du salarié intérimaire de Manpower dans l'ordonnance, il est impossible de déterminer si les taux horaires précités de Manpower et Randtsad se rapportent à la même qualification/catégorie d'emplois et donc au même service de travail temporaire. Contrairement à ce que l'Autorité de la concurrence prétend dans ses observations, aucun élément du dossier transmis au juge des libertés et de la détention ne permettrait de confirmer que les salariés concernés relevaient tous de la catégorie opérateur ou agent de production.
En second lieu, en 2011, Manpower mettait à disposition de Faurecia des salariés intérimaires relevant de 89 métiers/qualifications différents, notamment des ingénieurs, métrologues, réceptionnistes etc. ; Manpower appliquait donc plus de 80 taux horaires différents à Faurecia. Ainsi, le fait qu'un taux horaire parmi plus de 80 taux appliqués en 2011 était proche d'un des taux horaires de Randstad relève du pur hasard statistique et ne pouvait en aucun cas constituer un indice de pratique anticoncurrentielle.
Selon l'ordonnance, Manpower France et Adecco France ont facturé le temps de travail des intérimaires placés chez Cooper Standard France au prix unitaire s'élevant respectivement à 16,87 euro/heure et 16,83 euro/heure. L'absence de précision sur la qualification du salarié intérimaire de Manpower dans l'ordonnance empêche toute comparaison entre deux taux horaires dont on ne sait pas s'ils s'appliquaient à une même qualification/catégorie d'emploi. A l'époque, Manpower mettait à disposition de Cooper Standard France des salariés intérimaires relevant de 13 métiers/qualifications. Le faible écart relevait à nouveau d'un hasard statistique.
Un raisonnement identique est appliqué concernant l'utilisation d'un même coefficient pour Sanofi Pasteur, Manpower, Adia et Adecco. Là encore, l'absence de toute précision de la qualification du salarié intérimaire de Manpower dans l'ordonnance interdisait de tirer la moindre conséquence de la comparaison de deux séries de coefficients dont on ne savait pas à quelle catégorie d'emploi/qualification ils pouvaient s'appliquer. En 2011, Manpower mettait à disposition de Sanofi Pasteur des salariés intérimaires relevant de plus de 180 métiers/qualifications. Le faible écart entre deux des 180 coefficients appliqués par Manpower et deux coefficients appliqués par Adecco relève encore du pur hasard statistique.
Au total, l'Administration aurait collecté plus de 150 pages de factures et aurait seulement trouvé deux taux horaires et deux coefficients de facturation appliqués par Manpower qui différaient peu des taux ou coefficients appliqués par Ransdad ou Adecco. Par ailleurs, sur les 282 taux horaires/coefficients appliqués par Manpower à Faurecia, Cooper Standard France et Sanofi Pasteur en 2011 ou 2012, 99 % différent significativement de ceux appliqués par Adecco et Ransdad et seulement 1 % s'en rapprochent.
En conclusion, l'Autorité a comparé des éléments dont il n'est pas établi qu'ils soient comparables et a sélectionné un échantillon limité de factures sans prendre en compte tous les éléments précités de la négociation tarifaire.
L'Autorité de la concurrence fait observer qu'au stade de l'autorisation de la visite où aucune accusation n'est portée, elle n'a pas à produire d'éléments de preuves de pratiques anticoncurrentielles mais seulement des indices qui par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées. A ce stade de la demande d'autorisation de visite et de saisie le rôle du Juge se limite à recueillir et analyser les faits utiles afin d'en extraire une ou des présomptions de pratiques anticoncurrentielles, ce qu'il a fait en l'espèce en analysant de manière détaillée 32 annexes dont la concordance en fonction des agissements reprochés lui a permis de suspecter Manpower de pratiques prohibées. La mesure autorisée a par conséquent pour unique objectif de vérifier que les comportements illicites soupçonnés existent ou non dans le secteur du travail temporaire. En aucun cas, le magistrat ne porte de qualification sur les pratiques prohibées présumées.
Par ailleurs, le fait d'analyser les indices un par un ou les pièces annexées à la requête une par une, pour en tirer la conclusion que le Juge des libertés et de la détention n'avait rien dans le dossier lui permettant d'autoriser la visite n'a pas de sens et seul le résultat de l'analyse de l'ensemble des faits portés à la connaissance du magistrat est révélateur d'une ou plusieurs présomptions de pratiques anticoncurrentielles et bien plus c'est l'ensemble des agissements de différentes entités dans un secteur économique considéré qui l'emporte et ce également à la lumière des comportements expresses ou tacites des autres acteurs du secteur économique.
L'Autorité de la concurrence estime que le Juge a satisfait à son obligation de contrôle en s'assurant de la qualité des personnes ayant demandé l'autorisation et du caractère suffisant des faits produits par l'Autorité de la concurrence, ayant débouché après description et analyse, sur des soupçons de comportement illicite sur le secteur du travail temporaire (bien-fondé de la demande). Sur ce point, l'ordonnance rendue le 1er juillet 2013 par le Juge des libertés et de la détention de Paris montre qu'au terme d'une analyse particulièrement motivée le magistrat a estimé que les divers documents à l'appui de la requête de l'Autorité de la concurrence (courriels, contrats, factures, documents comptables, pages Internet et documents d'analyse économique) permettaient de retenir des présomptions d'entente à l'encontre des sociétés appelantes.
En ce qui concerne plus précisément, la société Manpower et sa filiale Alisia (devenue Tapfin) il apparaît que le Juge a relevé qu'au regard de sa structure capitalistique, de ses résultats financiers, de sa gouvernance, de sa localisation et de l'administration de son site Internet, la société Tapfin n'était pas autonome et constituait avec sa société-mère Manpower France Holding et sa société soeur Manpower France une unité économique, d'autant plus que dans le domaine informatique, support de nombreux services de collecte d'information la même personne est responsable des sites Internet de Manpower France Holding, Manpower France et Tapfin.
Par ailleurs, le juge a considéré que les services proposés par la filiale Tapfin nécessitaient pour être accomplis un accès à des données commerciales sensibles provenant des entreprises de travail temporaire concurrentes. Contrairement, à ce que soutiennent les sociétés Manpower cette analyse n'est pas dénuée de toute valeur dès lors qu'elle est claire sur le risque d'une trop grande transparence sur le marché considéré facilitant ainsi la coordination entre concurrents. Pour illustrer ce risque, l'Autorité fait état de la réponse n° 25 au questionnaire transmis au Groupe Leader (annexe 26 de la requête) qui rend compte des atteintes qui peuvent être portées à la confidentialité des informations qui transitent entre les entreprises de travail temporaire et Pixid.
Enfin, le juge a mis en exergue l'uniformité des coefficients multiplicateurs et/ou des prix unitaires appliqués par les entreprises de travail temporaire, notamment Manpower, pour une même catégorie professionnelle, au moyen de factures. L'Autorité indique également que la comparaison entre les taux horaires et salariés intérimaires de Manpower, Adecco et de Ranstad est justifiée dans la mesure où les salariés concernés relèvent de la catégorie opérateurs ou agents de production. En tout état de cause, l'entreprise Manpower ne peut pas se prévaloir de ses propres manquements, dès lors que contrairement à Adecco et Ranstad qui indiquent les qualifications professionnelles pour chacun des salariés intérimaires dans les documents comptables, elle s'abstient de porter cette mention.
En d'autres termes et contrairement à l'allégation de Manpower, l'Autorité de la concurrence n'a pas comparé le taux d'horaire d'un ingénieur, d'un traducteur ou d'un pharmacien à celui d'un opérateur ou agent de production. Enfin, remettre en cause la véracité de l'indice selon lequel Manpower coordonnerait ses offres tarifaires avec Ranstad et Adecco au motif qu'il ne repose que sur quelques factures, est dénué de fondement, un indice peut valablement s'appuyer sur une seule pièce.
Enfin, quant à l'argument selon lequel d'autres facteurs pourraient expliquer cette similitude de comportements entre les différents acteurs de travail temporaire et viser notamment celui du hasard statistique invoqué par les sociétés appelantes. Il n'est pas recevable dès lors que le Juge n'a pas à apporter la preuve de l'existence d'une entente mais la simple présomption de celle-ci laquelle peut se caractériser par un parallélisme de comportement.
Le Juge des libertés et de la détention a conclu à la vraisemblance de l'échange des informations anticoncurrentielles entre entreprises de travail temporaire en raison d'arguments présumant l'absence d'autonomie de la filiale respective, de la nature intrinsèque des services qu'elle propose, et de l'uniformité des coefficients multiplicateurs et/ou des prix unitaires qui se dégage d'un certain nombre de factures traitées par Alisia la filiale de Manpower dont certaines d'entre elles concernaient la société appelante. Il est par conséquent vainement prétendu qu'aucun des faits visés dans l'ordonnance n'est de nature à constituer un indice, un implication personnelle de la requérante dans la pratique prohibée.
En définitive, seule l'instruction en cours par l'examen des documents saisis lors des investigations, pourra permettre de connaître la véritable motivation de l'entreprise Manpower et l'existence ou non de pratiques prohibées à son encontre.
L'Autorité demande à ce que le moyen soit écarté.
Madame l'Avocate générale fait valoir qu'en l'espèce le Juge des libertés et de la détention de Paris a pu valablement conclure à la vraisemblance de l'échange d'informations anticoncurrentielles entre entreprises de travail temporaire, en raison d'éléments présumant l'absence d'autonomie de leurs filiales respectives, de la nature intrinsèque des services qu'elle propose et de l'uniformité des coefficients multiplicateurs et des prix unitaires.
4. La violation de l'exigence d'impartialité objective issue de l'article 6§1 de la CESDH
4.1 En droit, l'exigence d'impartialité prohibe la motivation qui se borne à reproduire les conclusions d'une partie
- Les règles de procédure civile s'appliquent aux ordonnances rendues sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce
- La Cour de cassation juge compatible avec l'exigence d'un contrôle juridictionnel effectif le fait que l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention autorisant les opérations de visite et de saisie reproduise le projet d'ordonnance préparé par l'Autorité de la concurrence
- L'exigence d'impartialité objective du juge dans toute procédure judiciaire
Les sociétés appelantes affirment au regard de la jurisprudence que les règles de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence ; en l'absence de dispositions contraires du Code de commerce, les ordonnances du Juge des libertés et de la détention autorisant les opérations de visite et saisie sont soumises à ces règles.
Les appelantes ne critiquent pas la pratique de projet d'ordonnance remis par l'Administration au juge mais plutôt l'absence d'impartialité objective révélée par l'ordonnance. Ce faisant, les longs développements de l'Autorité aux pages 2 et 3 de ses observations sur la jurisprudence relative à la pratique des projets d'ordonnance remis au juge au regard de l'exigence d'un contrôle juridictionnel effectif ne sont donc pas pertinents.
Les sociétés rappellent ainsi l'exigence d'impartialité issue de l'article 6 § 1 de la CESDH selon lequel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement par un tribunal indépendant et impartial.
" Ainsi, il ne suffit pas que le juge soit impartial en son for intérieur et qu'il ait scrupuleusement exercé son contrôle. Même s'il approuve entièrement le raisonnement d'une partie et accède à ses demandes, le juge doit éviter de donner l'impression qu'il est plus sensible aux arguments d'une partie qu'à ceux d'une autre ".
Contrairement à ce qu'argue l'Autorité de la concurrence, le juge ne devrait pas faire preuve d'impartialité uniquement dans les procédures contradictoires ; l'impartialité étant une qualité inhérente au statut du magistrat du siège et cette exigence d'impartialité objective étant plus forte dans une procédure visant à autoriser des opérations de visite et saisie que dans une procédure contradictoire. En effet, le juge des libertés et de la détention est le seul à exercer un jugement critique sur la demande de l'Autorité et les opérations de visite et saisie constituent une ingérence dans les droits au respect du domicile professionnel, au secret des correspondances et du secret des affaires.
Selon l'Autorité de la concurrence, la pratique des ordonnances pré-rédigées a été validée par la jurisprudence et ne remet pas en cause l'impartialité du juge qui s'approprie les motifs du projet d'ordonnance présenté.
4.2 En fait, l'apparence de partialité qui résulte de la reproduction pure et simple dans l'ordonnance du texte de l'Autorité
Les sociétés appelantes précisent que l'ordonnance reprend mot pour mot la requête de l'Autorité de la cinquième à la dixième page, avec quelques mots différents.
La reprise pure et simple du texte de la requête y compris dans ce qu'il a de manifestement partial en faveur de l'Autorité conduit légitimement Manpower à douter de l'impartialité du juge des libertés et de la détention dans son examen de la requête. Ce manquement à l'obligation d'apparence d'impartialité entraînerait la nullité de l'ordonnance.
L'Autorité de la concurrence fait valoir que si elle présente au Juge des libertés dans un souci de commodité une requête et un projet d'ordonnance elle le fait toujours en version papier accompagné d'une version numérique, ce qui permet au magistrat qui n'a nullement l'obligation d'en faire un quelconque usage de modifier s'il désire s'en servir le projet d'ordonnance d'autorisation qui lui est soumis autant qu'il le souhaite. De plus, si le juge n'est pas convaincu par les indices et présomptions apportés par l'Autorité, il peut tout simplement refuser de donner son autorisation.
Selon l'Autorité de la concurrence, le Juge a examiné le dossier qui lui a été communiqué le 28 juin 2013 pour l'obtention de l'autorisation judiciaire qui n'est intervenue que le 1er juillet 2013 alors que ce dossier n'était pas particulièrement volumineux (32 annexes). En 4 jours, le Juge des libertés et de la détention de Paris a pu procéder aux vérifications qui s'imposaient.
L'Autorité demande à ce que le moyen soit écarté.
Le Ministère Public soutient qu'il est de jurisprudence constante que l'ordonnance soit la reproduction de la requête de l'Administration, cela étant sans incidence sur la régularité de la décision, et conclut au rejet du moyen.
En conséquence, les sociétés appelantes Manpower France et Manpower Holding demandent au regard des articles 6 § 1 de la CEDH, L. 450-1, L. 450-3, L. 450-4 et L. 462-1 du Code de commerce et 455 et 458 du Code de procédure civile de recevoir leur appel, d'infirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris du du 1er juillet 2013 en ce qu'elle autorise des opérations de visite et saisie au sein des locaux des sociétés Manpower France et Manpower Holding ; de rejeter la requête de la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence autorisant les opérations de visite et saisie au sein des locaux de ces deux sociétés, d'annuler les opérations de visite et saisie intervenues les 10 et 11 juillet 2013 dans les locaux de ces deux sociétés, d'ordonner la restitution aux sociétés Manpower France et Manpower France Holding de tous les documents papier et fichiers informatiques saisis lors de ces opérations.
Il est également demandé la condamnation de l'Autorité de la concurrence à verser aux appelantes la somme de 15 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que la condamnation aux dépens.
L'Autorité de la concurrence demande la confirmation de l'ordonnance rendue le 1er juillet 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris et de condamner les sociétés à lui verser la somme de 15 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que la condamnation aux dépens.
SUR CE
Avant toute réponse au fond, il y a lieu de rappeler que dans le cadre d'une procédure orale une pièce peut être produite à l'audience et valablement accueillie lorsqu'elle est soumise au principe de la contradiction ce qui a été le cas en l'espèce.
1. L'ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie est dépourvue de base légale
- En droit, le Code de commerce n'autorise pas l'Autorité de la concurrence de procéder à des opérations de visite et de saisie dans le cadre d'une procédure pour avis
- La fonction consultative et la fonction décisionnelle de l'Autorité de la concurrence
- Le Code de commerce n'habilite pas l'Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visite et de saisie dans le cadre d'une procédure pour avis
- En fait : L'ordonnance a autorisé en dehors de toute base légale, l'Autorité à procéder à des opérations de visite et de saisie dans le cadre d'une procédure pour avis
La réforme du Code de commerce, apportée par la loi n° 2008-76 du 4 août 2008 et l'ordonnance du 13 novembre 2008, octroie au Rapporteur Général de l'Autorité de la concurrence le pouvoir d'initier des enquêtes pour des affaires dont l'Autorité de la concurrence est saisie mais également celui de déclencher à son initiative et avant toute saisine contentieuse des enquêtes visant à vérifier le respect les dispositions du livre II et III du Livre IV du Code de commerce sans que celle-ci ne fasse l'objet d'une saisine préalable de l'Autorité de la concurrence. Ces deux missions distinctes ont été codifiées au sein des articles L. 450-1 et L. 461-4 du même Code.
Si la Rapporteure Générale de l'Autorité de la concurrence a été saisie pour avis par le syndicat SNTT-CFTC visant les sociétés Alisia et Manpower, cela n'excluait pas la possibilité pour elle d'ouvrir une enquête distincte de la procédure d'avis n'exigeant nullement une quelconque obligation de saisine d'office de l'Autorité de la concurrence par la Rapporteure générale.
En l'espèce, c'est par une note datée du 13 juin 2013 (annexe 1 des documents produits à l'appui de la requête et que nous avons vérifiée), que la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence a prescrit des investigations sur toutes les pratiques anticoncurrentielles intéressant le secteur des entreprises de travail temporaire avec le recours à une enquête dite " lourde " en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce.
Il s'agit donc d'investigations distinctes basées sur des articles différents de ceux qui régissent les saisines pour avis et dont le choix de recourir à une requête d'autorisation de visite et de saisie est discrétionnaire, la procédure de l'article L. 450-4 du Code de commerce n'ayant pas un caractère subsidiaire par rapport aux autres prérogatives découlant des textes de 2008 sus-mentionnés.
En conséquence, la procédure sera déclarée régulière et le moyen sera écarté.
2. L'origine illicite de certaines pièces sur lesquelles se fondent l'ordonnance
- En droit, l'opération de vérification de l'origine licite des pièces
- En fait, l'origine illicite de certaines pièces sur lesquelles repose l'ordonnance
Si les pièces contestées, à savoir les annexes 26, 28 et 30, jointes à la requête ont été obtenues suite à une demande d'avis de la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence, force est de constater que ces pièces ont été obtenues licitement car il n'est pas démontré que les entreprises consultées auraient pu se méprendre sur l'objet de l'enquête pour avis ou que le principe de loyauté ait été enfreint.
L'examen in concreto de ces pièces (annexes 26 et 28) n'est pas particulièrement défavorable aux entreprises de travail temporaire et notamment aux sociétés Manpower et Alisia, les réponses à certains questionnaires pouvant exonérer Manpower et Alisia de toute transmission d'informations commerciales sensibles (Cf. questionnaire Cooper Standard France questions 3 et 4).
Enfin, l'Autorité avait le pouvoir au moment des faits de recourir à ses attributions d'enquête simple, pour recueillir les déclarations ou des documents dans le cadre d'un avis, étant précisé que l'instruction de l'avis est une procédure non coercitive où des entreprises coopèrent volontairement (annexe 30).
L'origine illicite de ces pièces ou de leur obtention ne sont pas caractérisées.
Ce moyen sera rejeté.
3. L'absence d'indices de pratiques anticoncurrentielles
- En droit, l'exigence d'indices de pratiques anticoncurrentielles
- En fait l'absence d'indice de pratiques anticoncurrentielles
- La différence entre la possibilité et la réalité des échanges d'informations
- La dénaturation des déclarations des clients, selon lesquels il n'existait aucun échange d'informations de pratiques anticoncurrentielles
- La proximité de quatre taux horaires
Si les sociétés appelantes font valoir que sur les 32 annexes présentées au Juge des libertés et de la détention de Paris, une minorité concernait effectivement les sociétés du groupe Manpower, il n'en demeure pas moins que le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée ; qu'à cette fin le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soient caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques ; que les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées.
Il est inopérant d'arguer qu'un Juge des libertés et de la détention étant saisi d'une requête en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce se contente d'analyser une par une, les annexes, de les analyser séparément et de lire la requête qui lui est présentée pour prendre sa décision. En effet, dans la plupart des requêtes qui lui sont présentées par l'Autorité de la concurrence, celles-ci visent un secteur de l'économie qui intègre de nombreuses sociétés de ce secteur et c'est en prenant en considération l'intégralité des pièces produites que le Juge par la méthode dite " du faisceau de présomptions " décide ou non d'accorder une autorisation de visite et de saisie.
En l'espèce, s'agissant de la société Manpower et de sa filiale Alisia il apparaît que le Juge a relevé qu'au regard de sa structure capitalistique, de ses résultats financiers, de sa gestion managériale, et de l'administration de son site Internet, la filiale n'était pas autonome et constituait avec sa société-mère Manpower France Holding et sa société soeur Manpower France une unité économique, d'autant plus que dans le domaine informatique, support de nombreux services de collectes d'informations la même personne est responsable des sites Internet de Manpower France Holding, Manpower France et Tapfin.
De surcroît, les services proposés par la filiale Alisia devenue Tapfin nécessitaient pour être accomplis un accès à des informations sensibles provenant des entreprises de travail temporaire concurrentes.
Par ailleurs, dans la même analyse du secteur visé dans l'autorisation le Juge a pris en considération que trois groupes avaient une place prépondérante dans le secteur des entreprises de travail temporaire à savoir les groupes Adecco, Ranstad et Manpower lesquels avaient emporté en 2011, 58 % des contrats de missions d'intérim soit directement soit par l'intermédiaire de leurs filiales ; que ces groupes avaient une filiale commune à parts égales (la société Pixid) et qu'il existait des présomptions d'uniformité de coefficients multiplicateurs ou de prix unitaires appliqués par les entreprises de travail temporaires, notamment au sein des sociétés du groupe Manpower et ce pour une même catégorie professionnelle.
Le parallélisme des comportements entre les trois groupes additionnés aux liens évoqués ci-dessus entre les sociétés du groupe Manpower et leur filiale commune Pixid ainsi que des pratiques similaires constatées sur les coefficients et les taux horaires ont constitué pour le juge de l'autorisation des indices laissant apparaître des présomptions simples sur des agissements prohibés sans pour autant qu'il puisse porter de qualification à ce stade préalable des investigations étant précisé qu'à ce stade aucune accusation n'est portée à l'encontre des sociétés appelantes.
Ce n'est que par l'examen des documents saisis lors des investigations que la juridiction du fond pourra permettre de déterminer si ce parallélisme de comportement reposait ou non sur une action concertée, convention ou entente.
Sur la critique des coefficients multiplicateurs et des prix unitaires relevés qui ne pourraient pas être comparés pour les trois groupes concernés, il y a lieu de relever que le juge a retenu que l'Autorité avait comparé des catégories professionnelles identiques aux moyens de factures (annexe 30) et les qualifications professionnelles pour chacun des salariés travaillant dans les entreprises temporaires a retenu cette présomption laquelle ajoutée à d'autres présomptions laissent apparaître au moins un indice susceptible de se rattacher à des agissements prohibés éventuels.
En tout état de cause, c'est au regard de la requête et des éléments fournis en annexe les liens entre les trois groupes qui détiennent à parts égales une filiale commune Pixid, le parallélisme des comportements supposé et le manque d'autonomie de leurs filiales respectives vis-à-vis de la maison mère que le Juge des libertés et de la détention a pris la décision d'autoriser les opérations de visite et de saisie concernant les sociétés Manpower.
Il y a lieu de rappeler qu'à ce stade de l'enquête préalable où aucune accusation n'est portée le rôle du Juge est de s'assurer qu'il existe des indices laissant apparaître des présomptions simples d'agissements prohibés lesquels seront examinés par la juridiction du fond.
Ces moyens seront rejetés.
4. La violation de l'exigence d'impartialité objective issue de l'article 6§1 de la CESDH
4.1 En droit, l'exigence d'impartialité prohibe la motivation qui se borne à reproduire les conclusions d'une partie
- Les règles de procédure civile s'appliquent aux ordonnances rendues sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce
- La Cour de cassation juge compatible avec l'exigence d'un contrôle juridictionnel effectif le fait que l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention autorisant les opérations de visite et de saisie reproduise le projet d'ordonnance préparé par l'Autorité de la concurrence
- L'exigence d'impartialité objective du juge dans toute procédure judiciaire
Comme il a été indiqué précédemment, le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée ; [...].
S'agissant du Juge des Libertés et de la détention de Paris, signataire de l'ordonnance querellée et qui de ce fait se l'est approprié, étant précisé qu'il est destinataire d'une copie de l'ordonnance en version numérique, entre le moment où la requête est déposée à son greffe et la signature de celle-ci un délai de 4 jours s'est écoulé, ce qui a laissé amplement le temps au juge des libertés et de la détention d'examiner la pertinence de la requête, d'étudier les pièces peu volumineuses jointes à celle-ci, de vérifier les habilitations et le jour de la signature, de demander aux agents de l'Autorité de la concurrence toute information pertinente préalablement à la signature de son ordonnance. Il disposait donc de la faculté de modifier l'ordonnance proposée et le cas échéant de refuser de l'accorder, son rôle n'étant pas celui d'une chambre d'enregistrement.
L'examen in concreto effectué par le juge des libertés et de la détention sur l'ordonnance et ses 32 annexes permet d'écarter l'absence de contrôle de l'autorisation délivrée.
Il importe peu que les pièces examinées isolément mettent en cause directement ou indirectement telle ou telle société, le parallélisme du comportement entre entreprises du même secteur étant susceptible de constituer une présomption simple de pratique anticoncurrentielle, au même titre que les actions concertées dans le même laps de temps. Comme il a été indiqué précédemment, cet élément n'est qu'une présomption parmi d'autres qui à elle seule n'est pas significative mais qui ajoutée à d'autres éléments peut constituer un indice, qui sera laissé à l'appréciation de la juridiction du fond.
Ce moyen sera écarté.
Par ces motifs, Statuant contradictoirement et en dernier ressort ; Ordonnons la jonction des procédures enregistrées sous les numéros de RG 13-15985 et 13-15995 et disons qu'elles seront désormais suivies sous la même référence 13-15985, Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 1er juillet 2013 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris et celle subséquente rendue sur commission rogatoire le 3 juillet 2013 par le Tribunal de grande instance de Nanterre, Disons n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, Disons que la charge des dépens sera supportée par les sociétés appelantes.