Cass. com., 19 janvier 2016, n° 14-24.687
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
BL Quincaillerie (SAS)
Défendeur :
Ferco international (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Tiffreau, Marlange, de La Burgade
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 24 juin 2014), que la société BL Quincaillerie (le distributeur), anciennement BL Investissements, venant aux droits des sociétés Quincaillerie Boschat, Ets Laveix Joseph, JMC et Boschat et Marzocca Quincaillerie, communément dénommées groupe Boschat, distribue les ferrures fournies par la société Ferco international (le fournisseur) ; qu'il était convenu entre les parties que le distributeur recevrait en fin d'année des ristournes conditionnelles, dites bonification de fin d'année (BFA), calculées selon une grille se référant à " la base tarif 2001 " ; qu'en mai 2004, le fournisseur a diffusé à l'attention de ses cocontractants une circulaire portant sur l'augmentation de ses tarifs et, par lettre du 23 mai 2004, a accordé au distributeur des remises spéciales et dérogatoires ; que ce dernier ayant contesté ce mode de calcul pour les BFA de l'année 2006, le fournisseur, par lettre du 5 février 2008, l'a informé que dans un délai de trois mois, il ne bénéficierait plus de conventions particulières ; que le distributeur a assigné le fournisseur, sur le fondement de l'article L. 4[4]2-6, I, 5° du Code de commerce, en réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en réparation d'actes de concurrence déloyale, et en paiement des BFA afférentes aux exercices de 2004, 2006, 2007 ;
Sur le premier moyen : - Attendu que le distributeur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement des BFA des années 2004, 2006 et 2007 alors, selon le moyen : 1°) que les conventions légalement formées, qui doivent être exécutées de bonne foi, ne peuvent être révoquées par ceux qui les ont faites que de leur consentement mutuel, à moins que la loi n'autorise une telle révocation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Ferco avait consenti à la société Boschat des BFA correspondant à un pourcentage du chiffre d'affaires annuel réalisé, le calcul de ces remises annuelles étant effectué sur la base d'un barème contractuel établi en 2001 ; qu'elle a cependant retenu, pour infirmer le jugement entrepris sur ce point et débouter ainsi la société Boschat de ses demandes concernant les BFA 2004, 2006 et 2007, que la société Ferco avait pu unilatéralement augmenter non seulement le tarif général de ses produits (7,5 % en 2004), mais également les chiffres d'affaires de référence intégrés au barème contractuel de 2001 permettant le calcul des BFA consenties à la société Boschat ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser ni le consentement mutuel des parties pour modifier le barème contractuel en cause, ni même la bonne foi de la société Ferco dans la mise en œuvre de sa décision unilatérale ayant pour effet de modifier substantiellement les accords conclus entre les parties, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que les conventions légalement formées, qui doivent être exécutées de bonne foi, ne peuvent être révoquées par ceux qui les ont faites que de leur consentement mutuel, à moins que la loi n'autorise une telle révocation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Ferco avait consenti à la société Boschat des BFA correspondant à un pourcentage du chiffre d'affaires annuel réalisé, le calcul de ces remises annuelles étant effectué sur la base d'un barème contractuel établi en 2001 ; qu'elle a également constaté que le société Ferco a appliqué, pour l'exercice 2005, un taux de BFA de 2,75 % du chiffre d'affaires annuel réalisé par la société Boschat (soit un taux légèrement supérieur au barème contractuel de 2001), la société Ferco n'appliquant donc pas, en 2005, la modification unilatérale du barème ultérieurement retenue et découlant prétendument d'une hausse du tarif général de ses produits décidé en 2004, hausse de 7,5 % ; qu'en retenant dès lors, pour débouter la société Boschat de ses demandes concernant les BFA 2006 et 2007, que la société Ferco avait pu unilatéralement déduire d'une augmentation du tarif général de ses produits en 2004, une modification unilatérale du barème contractuel permettant le calcul des BFA consenties à la société Boschat, non pas dès 2005, mais seulement à partir de 2006, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations et violé l'article 1134 du Code civil ; 3°) que les conventions légalement formées, qui doivent être exécutées de bonne foi, ne peuvent être révoquées par ceux qui les ont faites que de leur consentement mutuel, à moins que la loi n'autorise une telle révocation ; qu'en l'espèce, la société Boschat se contentait de solliciter l'application d'un barème contractuel arrêté en 2001, pour déterminer le montant des BFA devant lui être reversées pour les exercices 2004, 2006 et 2007 ; qu'en retenant dès lors, pour débouter la société Boschat de sa demande, que celle-ci aurait été " matériellement inapplicable " la méthode préconisée par le groupe Boschat n'ayant pu être " mis en œuvre eu égard à sa complexité ", la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article 1134 du Code civil ; 4°) que dans ses conclusions d'appel, la société Boschat faisait valoir, conformément aux constatations souveraines des juges du fond, qu'à la suite de la décision de la société Ferco d'augmenter en 2004 le tarif général de ses produits de 7,5 % à l'égard de tous, la société Ferco avait consenti à la société Boschat des conditions particulières dérogatoires, ce qui avait eu pour effet, du moins à son égard, une " neutralisation de la hausse de 7,5 % appliquée sur les tarifs généraux " ; qu'en ne répondant pas à ce moyen déterminant dont elle a elle-même relevé l'existence, en se bornant à tenir compte de la modification unilatérale et générale décidée par la société Ferco pour débouter la société Boschat de ses demandes concernant les BFA 2004, 2006 et 2007, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relève d'abord que l'accord entre les parties sur le calcul des BFA, prévoyant un taux croissant de remises et précisant qu'il s'agissait de la base tarif 2001 laquelle évoluerait en fonction de la valeur constante du prix du produit, dont l'ambiguïté sur les modalités rendait nécessaire une interprétation par le juge, devait être entendu comme prévoyant une évolution des tranches selon le prix des produits révisés périodiquement ; qu'il relève ensuite que par sa lettre du 6 novembre 2006, la contestation du distributeur ne portait pas sur l'évolution du chiffre d'affaires en fonction de la valeur constante du prix du produit, mais sur le calcul de l'évolution du prix ; qu'en l'état de ces motifs, abstraction faite de celui, surabondant, critiqué par la troisième branche, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes, a, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations, pu retenir l'existence d'un accord entre les parties sur le calcul des BFA et rejeter les demandes en paiement du distributeur ; que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que le distributeur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en réparation pour actes de concurrence déloyale alors, selon le moyen, que dans ses conclusions d'appel, la société Boschat faisait valoir que si la société Ferco avait bien le droit de vendre directement ses produits aux clients du groupe Boschat, elle ne pouvait en revanche accorder à ces mêmes clients des tarifs plus bas que ceux proposés à la société Boschat, partenaire avec lequel elle entretenait des relations commerciales depuis trente ans ; qu'en ne répondant pas à ce moyen déterminant de nature à établir l'existence d'actes de concurrence déloyale imputables à la société Ferco et préjudiciables à la société Boschat, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relève que les parties n'étaient liées ni par un engagement d'exclusivité, ni par un engagement de non-concurrence ; qu'il constate qu'aux termes du témoignage de l'ancien directeur commercial du fournisseur, ce dernier a toujours entretenu des relations directes ostensibles avec les grossistes ; qu'il retient enfin que le distributeur ne rapporte pas la preuve d'avoir subi un préjudice par perte de chiffre d'affaires et de marge bénéficiaire du fait de la politique commerciale du fournisseur ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen : - Attendu que le distributeur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en réparation pour rupture brutale d'une relation commerciale établie alors, selon le moyen : 1°) que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; qu'aux termes d'une lettre du 9 octobre 2006 adressée à la société Boschat, la société Ferco a, à la suite d'un entretien du 3 octobre précédent, " fait le point " sur l'état des accords entre les parties, en mentionnant notamment les remises particulières dont bénéficiait la société Boschat ; que dans cette lettre, parmi d'autres remarques, il était incidemment et notamment indiqué " nous sommes attentifs à ce que vos commerciaux ne détournent pas de dossier Ferco et encore davantage à ce qu'ils conquièrent de nouveaux Clients pour notre marque. A ce titre, nous devons étendre les relations commerciales régionales et plus particulièrement dans le nord-est sans que cela soit au détriment des Distributeurs qui nous restent fidèles " ; qu'aux termes de cette lettre, il n'était ainsi nullement indiqué que la société Ferco entendait subordonner désormais l'existence de certains avantages contractuels bénéficiant à la société Boschat, dans la seule hypothèse du maintien d'une " activité privilégiée au profit de la société Ferco " et seulement en cas de " développement du chiffre d'affaires réalisé ", ladite lettre ne constituant, en tout état de cause, que la manifestation d'une volonté unilatérale de la société Ferco n'étant pas de nature à modifier les accords conclus entre les parties ; qu'en retenant cependant, pour débouter la société Boschat de ses demandes, que la lettre du 9 octobre 2006, appréhendée comme un véritable accord, " subordonnait le maintien des dits avantages au respect d'une activité privilégiée au profit de la société Ferco et au développement du chiffre d'affaires réalisé, ce qui n'a pas été le cas ", la cour d'appel a dénaturé le sens et la portée de cette lettre et partant méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ; 2°) que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause en en méconnaissant le sens et la portée ; que par lettre du 5 février 2008, la société Ferco a expressément indiqué à la société Boschat qu'elle décidait de " mettre fin " aux " accords antérieurs " entre les deux sociétés, en prétendant alors " respecter le préavis d'usage ", la société Ferco précisant à la suite qu'au terme d'un préavis de trois mois, elle ne serait " plus liée par les conventions particulières (...) conclues " ; que par lettre du 14 mars 2008, la société Ferco a précisé de surcroît que la société Boschat ne bénéficierait plus des BFA contractuelles précédemment accordées ; qu'en refusant de déduire de ces lettres l'existence d'une modification tarifaire substantielle constitutive d'une rupture, au moins partielle, des relations commerciales établies entre les parties, en retenant de surcroît que " le retrait des remises exceptionnelles ne remettait pas en cause les bonifications de fin d'année (BFA) accordées par ailleurs ", la cour d'appel a dénaturé le sens et la portée des lettres susmentionnées et partant méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ; 3°) qu'est constitutive d'une rupture de relations commerciales établies, cette rupture ne fût-elle que partielle, la modification tarifaire substantielle décidée unilatéralement par une partie, dès lors que cette modification affecte fortement les relations entre les parties, indépendamment du lien que celles-ci peuvent avoir ou nouer avec des tiers ; qu'en déboutant en l'espèce la société Boschat de sa demande, au motif que la décision de la société Ferco " ne pouvait s'analyser en une rupture partielle des relations commerciales entre les parties dès lors qu'elle ne plaçait pas les sociétés du Groupe Boschat dans une situation plus défavorable que celle de leurs concurrents et ne les privait pas de la possibilité de poursuivre les relations commerciales avec la société Ferco dans des conditions toujours meilleures que celles qui existaient avant le mois de juin 2004 ", sans écarter l'existence d'une modification substantielle des tarifs consentis à la société Boschat avant 2008, indépendamment de toute considération relative à la situation de cette société par rapport à ses concurrents, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 4°) qu'est constitutive d'une rupture de relations commerciales établies, cette rupture ne fût-elle que partielle, la modification tarifaire substantielle décidée unilatéralement par une partie ; qu'à cet égard, la cour d'appel a elle-même constaté que " la perte du statut privilégié entraînait un renchérissement du prix d'acquisition des produits de l'ordre de 15 % " ; qu'en énonçant, pour débouter la société Boschat de ses demandes, qu'une telle modification unilatérale substantielle ne provoquerait même pas de perte par le groupe Boschat de sa marge bénéficiaire, celui-ci étant " obligé seulement à augmenter les prix de revente des produits de marque Ferco, sans qu'un désavantage par rapport aux distributeurs concurrents ne soit démontré ", la cour d'appel a statué là encore par un motif inopérant et partant violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 5°) qu'en cas de rupture de relations commerciales établies, au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, le juge apprécie le délai de préavis en fonction de la durée des relations commerciales en cause, la résiliation brutale, voire sans préavis, n'étant justifiée qu'en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ; qu'en l'espèce, la cour d'appel n'a constaté l'existence d'aucune faute commise par la société Boschat à l'égard de la société Ferco, aucun cas de force majeure n'étant par ailleurs en débat ; qu'en conséquence, la cour d'appel devait apprécier la durée du préavis laissé par la société Ferco en fonction de la durée des relations entre les parties, la rupture en cause ne fût-elle que partielle ; qu'en se bornant dès lors à retenir, pour débouter la société Boschat de sa demande, que " la décision de renoncer à s'approvisionner, sinon de manière marginale, auprès de la société Ferco incombe aux sociétés du Groupe Boschat qui ne sont pas fondées à obtenir l'indemnisation d'une stratégie commerciale dont elles ont pris l'initiative dans leur intérêt propre ", sans vérifier si le délai de préavis de trois mois retenu par la société Ferco était ou non suffisant, compte tenu de la durée des relations commerciales entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que le distributeur avait diversifié ses sources d'approvisionnement et que dès lors qu'il ne répondait plus aux conditions contractuelles d'octroi des remises exceptionnelles liées au maintien et au développement de sa clientèle rappelées par une lettre du 9 octobre 2006 du fournisseur, celui-ci lui en a retiré le bénéfice, tout en lui conservant la possibilité de continuer à commander ses produits, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé les lettres des 9 octobre 2006, 5 février et 14 mars 2008, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche, a exactement déduit que la décision de changement de condition ne pouvait s'analyser en une rupture, même partielle, de la relation commerciale établie ; que le moyen, devenu inopérant en sa cinquième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.