CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 21 janvier 2016, n° 13-23606
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Continue (SARL)
Défendeur :
Vepa Bins (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
M. Dabosville, Mme Rohart-Messager
Avocats :
Mes Fertier, de Puybaudet-Louis, Teytaud, Judels
Faits et procédure
Au cours de l'année 1994 la société de droit néerlandais Vepa Bins et la société française Continue se sont rapprochées pour mettre en place une relation d'agence commerciale, la société Continue étant chargée de distribuer les produits Vepa Bins en France.
Courant 2002, la société néerlandaise Overtoom qui était un client de la société Vepa Bins, a été rachetée par le groupe français Manutan.
En 2005, un contrat écrit a été conclu entre la société Vepa Bins et la société Manutan qui est devenu un client régulier de la société Vepa Bins.
Le 6 mars 2007, par lettre recommandée avec AR, la société Continue a demandé à la société Vepa Bins un relevé du chiffre d'affaires réalisé avec la société Manutan, estimant que la société Vepa Bins lui devait des commissions sur le chiffre d'affaires réalisé avec ce client.
Le 9 mars 2007 la société Vepa Bins a répondu que conformément aux accords pris entre les parties en 2003, les ventes Manutan étaient exclues des commissions.
C'est dans ces conditions que la société Continue a fait assigner la société Vepa Bins le 29 juillet 2008 devant le Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 18 mars 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris, a :
- Condamné la société Vepa Bins à payer à la SARL Continue la somme de 115 300 euro au titre des commissions arriérées impayées, avec intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation,
- Condamné la Société Vepa Bins à payer à la SARL Continue la somme de 98 928 euro à titre d'indemnité de résiliation, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,
- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Vu l'appel interjeté par la société Vepa Bins, en date du 6 décembre 2013.
Par arrêt en date du 11 avril 2012, la cour d'appel a :
- Confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que la résiliation du contrat d'agent était imputable à la société Vepa Bins tenue à indemniser la société Continue d'un montant égal à deux années de commissions ;
- Infirmé pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
- Débouté la société Continue de ses demandes tendant à obtenir de la société Vepa Bins des commissions sur le chiffre d'affaires réalisé avec la société Manutan ;
- Condamné la société Vepa Bins à payer à la société Continue la somme de 22 061 euro à titre d'indemnité de résiliation ;
- Débouté la société Vepa Bins de ses demandes.
Par arrêt en date du 8 octobre 2013, la Cour de cassation a cassé et annulé avec renvoi mais seulement en ce que la cour d'appel a rejeté les demandes de la société Continue tendant à obtenir de la société Vepa Bins des commissions sur le chiffre d'affaire réalisé avec la société Manutan.
Vu la déclaration de saisine de la cour de renvoi, en date du 6 décembre 2013
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Continue le 29 septembre 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Dire et déclarer recevable et bien fondée la société Continue en ses demandes,
- Constater la non-exécution en fraude des droits de la société Continue du contrat par la société Vepa Bins, entraînant la rupture du contrat aux torts de la société Vepa Bins,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la résiliation du contrat d'agent était imputable à la société Vepa Bins, tenue d'indemniser la société Continue d'un montant égal à deux années de commissions.
En conséquence :
- Condamner la société Vepa Bins à payer à la société Continue :
* au titre des commissions impayées, une somme de 115 300 euro HT,
* au titre des commissions Manutan, une somme de 22 000 euro HT,
* à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, une indemnité de 98 928 euro HT,
Le tout avec intérêts de droit à compter de l'acte introductif d'instance.
La société Continue fait valoir qu'elle commercialise l'ensemble de la gamme de la société Vepa Bins sur tout le territoire français et qu'elle est son seul agent de sorte qu'elle s'estime fondée à réclamer des commissions au titre de l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé sur celui-ci.
Elle affirme qu'en refusant de communiquer son chiffre d'affaire sur les ventes réalisées auprès de la société Manutan, la société Vepa Bins a rompu le contrat d'agent commercial qui les liait, à ses torts, l'empêchant ainsi de faire valoir son droit à commissions et la privant de tout règlement à ce titre.
Elle soutient qu'il ressort d'une télécopie du 1er octobre 2003 que lui a adressée la société Vepa Bins qu'en cas de bénéfices, elle recevrait des commissions. Elle ajoute que la société Vepa Bins ne verse pas aux débats de pièce démontrant qu'elle aurait accepté de se voir supprimer son droit à commission et que les produits livrés ne l'ayant pas été à un prix inférieur au prix de revient, le droit à commissions lui est par conséquent acquis.
Elle fait valoir qu'au titre des commissions impayées, la société Vepa bins reste lui devoir une somme de 115 300 euro HT, au titre du client Manutan outre les commissions postérieures à la signature en 2005 du contrat entre la société Vepa Bins et la société Manutan qu'elle évalue à 22 000 euro.
Vu les dernières conclusions de la société Vepa Bins signifiées le 30 septembre 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 18 mars 2011 en ce qu'il a condamné la société Vepa Bins à payer à la société Continue la somme de 115 300 euro au titre des commissions impayées et 98 928 euro au titre d'une indemnité de résiliation.
Et, statuant à nouveau,
Sur l'indemnité compensatrice :
A titre principal,
- Dire et juger que la société Continue en l'absence de pouvoir de négociation ne remplit pas les conditions de l'article L. 134-1 du Code de commerce et ne saurait dès lors prétendre à une quelconque indemnité de rupture de contrat.
A titre subsidiaire,
- Dire et juger qu'aucune indemnité de résiliation n'est due en l'espèce à la société Continue, cette dernière ayant commis une faute grave en représentant des entreprises commercialisant des produits directement concurrents de ceux vendus par la société Vepa Bins, sans solliciter l'autorisation de cette dernière.
A titre plus subsidiaire,
- Dire et juger qu'en tout état de cause l'indemnité de résiliation éventuellement due à la société ne saurait être supérieure à la somme de 23 352 euro.
Sur les commissions :
A titre principal,
- Dire et juger que la société Continue n'est pas fondée à solliciter un rappel de commissions concernant le client Manutan.
Subsidiairement,
- Dire et juger que la demande de commissions concernant les ventes Manutan relative à la période janvier à juin 2005 est sans objet, le contrat avec Manutan ayant débuté en juin 2005.
La société Vepa Bins fait valoir que c'est la société Continue, en la personne de Monsieur Daniel Chiodi qui a pris l'initiative en juillet 2008 de l'assigner devant le Tribunal de commerce de Paris afin qu'il soit mis un terme au contrat d'agent commercial.
Elle affirme que ce sont les rapports commerciaux entre elle et la société Overtoom Pays-Bas, antérieurs à 2002, qui lui ont permis d'acquérir Manutran comme client et relate que les premiers contacts entre Manutran et Vepa se sont noués en 2002, c'est-à-dire après le départ de Monsieur Mallet suite au rachat par Manutan de la société néerlandaise Overtoom qui figure parmi ses plus importants clients néerlandais de sorte que l'attestation de Monsieur Mallet est manifestement une attestation de pure complaisance et de ce fait est dénuée de toute force probante. Elle estime que la société Continue n'a aucun droit à commission sur le client Manutan.
Elle ajoute que la société Continue a accepté, le principe d'une exclusion de la société Manutan du champ contractuel et de son droit à commission, n'ayant jamais répondu à sa télécopie en date du 1er octobre 2003.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Motifs
Par arrêt en date du 8 octobre 2013, la Cour de cassation a cassé et annulé avec renvoi mais seulement en ce que la cour d'appel a rejeté les demandes de la société Continue tendant à obtenir de la société Vepa Bins des commissions sur le chiffre d'affaire réalisé avec la société Manutan.
En conséquence cette cassation ne concerne pas les dispositions de l'arrêt, d'une part, confirmant le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que la résiliation du contrat d'agent était imputable à la société Vepa Bins tenue à indemniser la société Continue d'un montant égal à deux années de commissions, d'autre part, le réformant et statuant à nouveau en ce qu'il a condamné la société Vepa Bins à payer à la société Continue la somme de 22 061 euro à titre d'indemnité de résiliation et a débouté la société Vepa Bins de ses demandes.
En conséquence il n'y a pas lieu de statuer sur l'initiative et l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial, ce point étant acquis.
Seule reste dans la cause la question des commissions réclamées par la société Continue au titre du client Manutan, les premiers juges ayant retenu un montant de 115 300 euro et débouté la société Continue de sa demande à hauteur de 22 000 euro au titre de commissions dues en 2015.
L'article L. 134-6 dispose que " Pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a le droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre."
Lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes l'agent commercial a également droit à la commission pour toute opération pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe.
La société Vepa Bins fait valoir que l'obtention de la société Manutan comme client ne résulte pas de l'activité de la société Continue en ce qu'en 2002 la société Manutan a racheté la société néerlandaise Overtoom laquelle était déjà l'un de ses plus importants clients.
Elle ne conteste pas que la société Continue a été son seul représentant sur le territoire français, il en est d'ailleurs fait mention sur son catalogue européen ce qui traduit une exclusivité de fait qui n'a pas été remise en question pendant la durée des relations commerciales soit 14 ans.
La société Continue affirme avoir, à l'occasion de l'exercice de son mandat, démarché le marché français sur lequel la société Vepa Bins n'avait qu'un seul client et avoir ainsi contacté la société Manutan ; elle produit un courriel de la société Vepa Bins du 25 janvier 2002 par lequel celle-ci lui demande " Pouvez-vous parler à Manutan ; j'espère que Manutan sera un nouveau client de nous ", le fait que la société néerlandaise Overtoom, cliente du mandant, ait été rachetée par la société Manutan, est inopérant pour remettre en cause ce travail de prospection qui était par nature celui de la société Continue qui n'a d'ailleurs donné lieu à aucun reproche de la part son mandant.
De plus la société Vepa Bins ne saurait contester cette relation entre son agent et la société Manutan puisqu'elle a écrit le 1er octobre 2003 à son agent " En ce qui concerne votre commission sur les ventes Manutan, il faudra d'abord savoir avec quels produits nous réaliserons un chiffre d'affaires en France. S'il s'agit justement de produits que nous avons décidé de livrer pour un prix inférieur au prix de revient, il n'y aura pas de possibilité - Je vous tiendrai au courant et vous donnerai une réponse définitive au plus tard fin décembre 2003 " ; ce même courrier indiquait qu'en cas de bénéfice " vous recevrez une commission " ; ce courrier démontre que la société Vepa Bins était parfaitement consciente que son agent était en relation avec la société Manutan et qu'elle a émis une réserve au seul regard du prix qu'elle serait amenée à lui facturer.
Ce courrier démontre aussi que la société Vepa Bins a accepté le principe d'une commission quand bien même elle a émis des réserves concernant des produits vendus au prix de revient sans avoir pour autant donné la moindre suite à cette réserve alors même qu'elle s'y était engagée.
Enfin la société Continue produit l'attestation de M. Malet, chef de produits acheteur au sein de la société Manutan qui indique " la société Continue m'a visité 1 à 2 fois par an pour me proposer les fabrications de la société Vepa ", aucun élément ne permet de remettre en cause cette attestation quand bien même M. Malet avait-il quitté la société Manutan lorsque les premières commandes sont intervenues puisque son attestation fait seulement état de visites; celle-ci conforte le propre courrier de la société Vepa Bins quant au travail de prospection réalisé par la société Continue pour acquérir ce client.
Si la société Continue n'a formulé aucune réclamation pendant quatre ans, elle n'en a pas pour autant perdu ses droits à commission, ceux-ci se calculant sauf accord contraire des parties sur le montant du chiffre d'affaires réalisé.
En conséquence, à défaut d'accord entre le mandant et son agent faisant suite au courrier d'octobre 2003, la société Vepa Bins ne saurait s'opposer au droit à commission de celui-ci sur les ventes passées avec la société Manutan, client se situant sur son secteur géographique et avec lequel celui-ci démontre avoir noué une relation à l'occasion de son activité d'agent commercial pour le compte de la société Vepa Bins.
La société Continue fait valoir que, sur la base de son taux de commissions soit 8 % et à partir des chiffres produits par la société Vepa Bins, elle a chiffré le montant de sa créance à la somme de 115 300 euro auquel doit être ajouté un montant de 22 000 euro au titre du contrat conclu par la société Vepa Bins avec la société Manutan dont elle affirme qu'il a été exécuté dès le 1er janvier 2005 ce que conteste la société Vepa Bins.
Si la société Vepa Bins conteste le montant réclamé, il convient de relever que, par jugement du 16 mars 2010, le tribunal de commerce lui a fait injonction de produire le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé avec la société Manutan depuis la signature du contrat et jusqu'à la rupture ; elle a fourni une pièce sans en tête intitulée " attestation de Monsieur Boosmsma de la société Vepa Bins " en date du 26 mai 2010 accompagnée de sa traduction non assortie du visa d'un traducteur officiel, pièce qui n'est pas signée et fait état de comptes non certifiés.
Pour calculer ses commissions la société Continue indique a néanmoins utilisé les données chiffrées produites par la société Vepa Bins. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont condamné la société Vepa Bins à payer à la société Continue la somme de 115 300 euro au titre des opérations réalisées avant la signature d'un contrat entre la société Vepa Bins et la société Manutan.
La société Continue ajoute des commissions à hauteur de 22 000 euro au titre du contrat qui a été signé en 2005 additionnant un chiffre d'affaires annuel qu'elle estime être de l'ordre de 240 000 euro et des commandes dites de mise en place correspondant à un stock représentant 2 à 3 mois de commandes soit 40 000 euro appliquant un taux de commissions de 8 %.
La société Vepa Bins en sa qualité de mandant doit apporter les éléments nécessaires à son agent pour calculer ses commissions; elle ne conteste pas avoir conclu un contrat avec la société Manutan, peu importe sa date précise puisqu'elle était déjà son fournisseur et que ce contrat a matérialisé une relation commerciale existante ; elle ne saurait dès lors contester une évaluation faite par la sociét Continue à partir des seuls éléments qu'elle a produits; en conséquence la cour réformera le jugement entrepris en y ajoutant et en condamnant la société Vepa Bins à payer la somme de 22 000 euro à la société Continue.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Continue a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Vu le jugement rendu le 18 mars 2011 par le Tribunal de commerce de Paris. Vu l'arrêt rendu le 11 avril 2013 par la Cour d'appel de Paris. Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 8 octobre 2013 prononçant une cassation partielle. Confirme le jugement rendu le 18 mars 2011 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné la société Vepa Bins à payer à la société Continue la somme de 115 300 euro. Y ajoutant, Condamne la société Vepa Bins à payer à la société Continue la somme de 22 000 euro au titre des commissions Manutan pour l'année 2005. Condamne la société Vepa Bins à payer à la société Continue la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Vepa Bins aux dépens.