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Décisions

CJUE, 3e ch., 28 janvier 2016, n° C-375/14

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laezza

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ilešic

Avocat général :

M. Wahl

Juges :

Mme Toader (rapporteur), MM. E. Jarašiunas, Arabadjiev, Fernlund

Avocats :

Mes Agnello, Jacchia, Terranova, Ferraro, Mura, Marrone, Fiorentino, Vlaemminck, Van Vooren, Verbeke

CJUE n° C-375/14

28 janvier 2016

LA COUR (troisième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 49 TFUE et 56 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'une procédure pénale ouverte contre Mme Laezza pour infraction à la législation italienne régissant la collecte de paris.

Le cadre juridique

3 L'article 10, paragraphes 9 octies et 9 novies, du décret-loi nº 16, portant dispositions urgentes en matière de simplification fiscale, d'amélioration de l'efficacité et de renforcement des procédures de contrôle (decreto-legge - Disposizioni urgenti in materia di semplificazioni tributarie, di efficientamento e potenziamento delle procedure di accertamento), du 2 mars 2012 (GURI nº 52, du 2 mars 2012), converti, après modifications, en loi nº 44, du 26 avril 2012 (supplément ordinaire à la GURI nº 99, du 28 avril 2012, ci-après le "décret-loi de 2012"), prévoit:

"9 octies Dans le cadre d'une réorganisation des dispositions en matière de jeux publics, y compris celles en matière de paris sur des événements sportifs, également hippiques, et non sportifs, les dispositions du présent paragraphe ont pour but de favoriser ladite réorganisation, à travers un premier alignement temporel des échéances des concessions ayant pour objet la collecte des paris en question, tout en respectant l'exigence d'adaptation des règles nationales de sélection des personnes qui, pour le compte de l'État, collectent des paris sur des événements sportifs, y compris hippiques, et non sportifs, aux principes dégagés par l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne, le 16 février 2012, dans les affaires [Costa et Cifone (C-72-10 et C-77-10, EU:C:2012:80)]. À cet effet, eu égard à la prochaine échéance d'un groupe de concessions pour la collecte desdits paris, l'Administration autonome des monopoles d'État [(devenue ultérieurement l'Agence des douanes et des monopoles - Agenzia delle dogane e dei Monopoli, ci-après l''ADM')] lance immédiatement, et en tout état de cause au plus tard le 31 juillet 2012, un appel d'offres pour la sélection des personnes qui collectent lesdits paris dans le respect, à tout le moins, des critères suivants:

a) possibilité de participation pour les personnes qui exerçaient déjà une activité de collecte de jeux dans un des États de l'Espace économique européen, pour y avoir son siège légal ou opérationnel, sur la base d'un titre d'habilitation valide et efficace délivré selon les dispositions en vigueur dans l'ordre juridique dudit État et qui possèdent également les qualités d'honorabilité, fiabilité, ainsi que les qualités économiques et patrimoniales indiquées par l'[ADM], compte tenu des dispositions en la matière visées par la loi n° 220, [portant dispositions pour la formation du budget annuel et pluriannuel de l'État (loi de stabilité 2011) [legge n. 220 - Disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge di stabilita' 2011)], du 13 décembre 2010 (supplément ordinaire à la GURI n° 297, du 21 décembre 2010), telle que modifiée par la loi n° 111, du 15 juillet 2011 (ci-après la " loi de stabilité 2011 ")], et par le décret-loi n° 98, du 6 juillet 2011, converti, avec modifications, par la loi n° 111, du 15 juillet 2011;

b) attribution de concessions, avec échéance au 30 juin 2016, pour la collecte, exclusivement dans un réseau physique, de paris sur des événements sportifs, également hippiques, et non sportifs, auprès d'agences, jusqu'à un maximum de 2 000, ayant comme activité exclusive la commercialisation de produits de jeux publics, sans contrainte quant aux distances minimales entre ces agences ou par rapport à d'autres points de collecte, déjà actifs, de paris identiques;

c) il est prévu, comme composante du prix, une valeur de base du marché de 11 000 euros pour chaque agence;

d) conclusion d'un contrat de concession au contenu conforme à tout autre principe dégagé par l'arrêt précité de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 février 2012, ainsi qu'aux dispositions nationales compatibles en vigueur en matière de jeux publics;

e) possibilité de gérer les agences dans n'importe quelle commune ou province, sans limites numériques sur base territoriale ni conditions de faveur par rapport à des concessionnaires déjà habilités à la collecte de paris identiques ou qui peuvent, en tout état de cause, s'avérer favorables pour ces derniers;

f) constitution de cautions cohérentes avec les dispositions de l'article 24 du décret-loi n° 98, du 6 juillet 2011, converti, avec modifications, par la loi n° 111, du 15 juillet 2011.

9 novies Les concessionnaires pour la collecte des paris visés au paragraphe 9 octies, arrivant à échéance le 30 juin 2012, poursuivent leurs activités de collecte jusqu'à la date de conclusion des contrats de concession adjugés conformément au paragraphe précité."

4 Sur le fondement des dispositions précitées du décret-loi de 2012, des concessions d'une durée de 40 mois ont été attribuées, tandis que les concessions délivrées auparavant l'avaient été pour une durée comprise entre neuf et douze ans.

5 En vertu de l'article 1er, paragraphe 77, de la loi de stabilité 2011:

"Afin d'assurer un équilibre correct entre les intérêts publics et privés dans le cadre de l'organisation et de la gestion des jeux publics, compte tenu du monopole de l'État en matière de jeux [...] ainsi que des principes, également de l'Union européenne, en matière de sélection concurrentielle, qui s'appliquent dans ce secteur, et en contribuant également à consolider les bases d'une meilleure efficience et efficacité de l'action de lutte contre la diffusion du jeu irrégulier ou illégal en Italie, de la protection des consommateurs, en particulier des mineurs, de l'ordre public, de la lutte contre le jeu des mineurs et les infiltrations du crime organisé dans le secteur des jeux [...], [l'ADM] procède sans tarder à la mise à jour du schéma-type de convention donnant accès aux concessions pour l'exercice et la collecte autres qu'à distance, ou, en tout état de cause moyennant un réseau physique, des jeux publics."

6 Selon l'article 1er, paragraphe 78, sous b), point 26, de la loi de stabilité 2011, le contrat de concession doit obligatoirement contenir une clause prévoyant "la cession à titre gratuit ou [...] la dévolution du réseau infrastructurel de gestion et de collecte du jeu à l'[ADM] au moment de l'expiration de la durée de la concession, exclusivement à la demande préalable de cette dernière, communiquée au moins six mois avant ladite expiration, ou communiquée à l'occasion de la décision de révocation ou de déchéance de la concession".

7 Le projet de convention de concession, joint à l'appel d'offres organisé au cours de l'année 2012 (ci-après le "projet de convention"), énonce les causes de révocation et de déchéance des concessions.

8 Ainsi, selon l'article 23, paragraphe 2, sous a), e) et k), du projet de convention, la révocation ou la déchéance peut intervenir, notamment, en cas de renvoi devant un juge pour des infractions que l'ADM considère comme étant propres à prouver le manque de fiabilité, de professionnalisme et de qualités morales nécessaires du concessionnaire, en cas d'organisation, d'exercice et de collecte de jeux publics selon des modalités et des techniques différentes de celles prévues par les dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles en vigueur, ou encore en cas de violation constatée par les organes compétents de la réglementation en matière de répression des paris et du jeu.

9 L'article 25 du projet de convention prévoit:

"1. À la demande expresse de l'ADM et pour la période qui y est définie, le concessionnaire s'engage à céder à titre gratuit, lors de la cessation de l'activité en raison de l'expiration de la durée de la concession ou par l'effet de décisions de déchéance ou de révocation, à l'ADM ou à un autre concessionnaire choisi par celle-ci à l'issue d'une procédure de mise en concurrence, l'usage des biens matériels et immatériels détenus en propriété et constituant le réseau de gestion et de collecte du jeu, libres de droits et recours de tiers, selon les modalités fixées dans les paragraphes suivants.

2. Les biens faisant l'objet de la cession sont désignés dans l'inventaire et ses modifications ultérieures, selon les dispositions de l'article 5, paragraphe 1, sous e).

3. Les opérations de cession - lesquelles auront lieu selon une procédure contradictoire entre l'ADM et le concessionnaire, comprenant la rédaction de procès-verbaux établis à cet effet - débuteront au cours du semestre précédant l'expiration de la convention, en respectant l'exigence de ne pas mettre en péril, même pendant cette période, le fonctionnement du système, dès lors que les biens devront être dévolus à l'ADM dans des conditions permettant de garantir la continuité du fonctionnement du réseau électronique. Les coûts de l'éventuel transfert matériel des appareils, des équipements et de tout autre élément composant le réseau électronique sont supportés par le concessionnaire.

[...]"

Le litige au principal et la question préjudicielle

10 Stanley International Betting Ltd, société enregistrée au Royaume-Uni, ainsi que sa filiale maltaise, Stanleybet Malta Ltd, sont actives en Italie dans le domaine de la collecte de paris, par le biais d'opérateurs dénommés "centres de transmission des données" (ci-après les "CTD"). Depuis environ quinze ans, les titulaires des CTD exercent leur activité en Italie sur la base d'une relation relevant de la forme contractuelle du mandat, sans posséder ni titre de concession ni autorisation de police.

11 Un contrôle effectué le 5 juin 2014 par la police douanière et financière (Guardia di Finanza) de Frosinone (Italie) dans les locaux d'un CTD géré par Mme Laezza et affilié à Stanleybet Malta Ltd ayant permis de mettre à jour l'existence, dans ce centre, d'une activité non autorisée de collecte de paris, il a été procédé à la saisie de certains équipements informatiques utilisés pour la réception et la transmission de ces paris.

12 Par décision du 10 juin 2014, le juge d'instruction du Tribunale di Cassino (tribunal de Cassino) a validé cette saisie et ordonné la saisie conservatoire desdits équipements.

13 Mme Laezza a saisi la juridiction de renvoi d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Dans cette demande, l'intéressée faisait également référence au recours introduit par les sociétés du groupe Stanley, auxquelles le CTD dont elle assure la gestion est affilié, contre l'appel d'offres organisé, sur le fondement de l'article 10, paragraphes 9 octies et 9 novies, du décret-loi de 2012, pour les concessions de jeux de hasard en Italie, en invoquant son caractère discriminatoire.

14 La juridiction de renvoi fait observer que le Consiglio di Stato (Conseil d'État) a déjà posé deux questions préjudicielles à la Cour portant notamment sur la durée réduite des nouvelles concessions par rapport aux anciennes, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Stanley International Betting et Stanleybet Malta (C-463-13, EU:C:2015:25), mais considère que le droit de l'Union ne s'oppose pas à la disposition nationale qui fixe cette durée.

15 Cette juridiction rappelle toutefois que l'article 25 du projet de convention prévoit l'obligation faite au concessionnaire de céder à titre gratuit, lors de la cessation de l'activité du fait de l'expiration de la concession ou par l'effet de décisions de déchéance ou de révocation, l'usage des biens matériels et immatériels détenus en propriété et constituant le réseau de gestion et de collecte du jeu.

16 Or, selon ladite juridiction, si l'existence d'une telle disposition, sans précédent législatif en Italie, peut éventuellement se justifier dans une logique de sanction, dans le cas où la cessation de l'activité résulte d'une décision de déchéance ou de révocation de la concession, elle apparaît particulièrement désavantageuse lorsque la cessation de l'activité survient du seul fait de l'expiration de la période de concession. À cela s'ajouterait l'obligation du concessionnaire de supporter l'ensemble des coûts de cette cession à titre gratuit.

17 La juridiction de renvoi doute qu'une telle différence de traitement entre les anciens et les nouveaux concessionnaires puisse être justifiée par une exigence impérative d'intérêt public.

18 Dans ces conditions, le Tribunale di Frosinone (tribunal de Frosinone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Les articles 49 TFUE et suivants et 56 TFUE et suivants, tels qu'ils ont notamment été complétés à la lumière des principes contenus dans l'arrêt Costa et Cifone [(C-72-10 et C-77-10, EU:C:2012:80)], doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition nationale prévoyant l'obligation de céder à titre gratuit l'usage des biens matériels et immatériels détenus en propriété qui constituent le réseau de gestion et de collecte du jeu lors de la cessation de l'activité en raison de l'expiration de la durée limite de la concession ou par l'effet de décisions de déchéance ou de révocation?"

Sur la question préjudicielle

19 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si les articles 49 TFUE et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une dispositions nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose au concessionnaire de céder à titre gratuit, lors de la cessation de l'activité du fait de l'expiration de la période de concession ou par l'effet de décisions de déchéance ou de révocation, l'usage de biens matériels et immatériels détenus en propriété et constituant le réseau de gestion et de collecte du jeu.

20 À titre liminaire, il convient de souligner, ainsi que l'a relevé, en substance, M. l'avocat général aux points 27 et 28 de ses conclusions, que la présente affaire porte uniquement sur la compatibilité avec le droit de l'Union de l'article 25 du projet de convention et ne saurait être analysée comme visant à mettre en cause, dans son ensemble, le nouveau système de concessions mis en place en Italie au cours de l'année 2012 dans le secteur des jeux de hasard.

Sur l'existence d'une restriction des libertés garanties par les articles 49 TFUE et 56 TFUE

21 En premier lieu, il y a lieu de rappeler que doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d'établissement et/ou à la libre prestation de services toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice des libertés garanties par les articles 49 TFUE et 56 TFUE (arrêt Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C-463-13, EU:C:2015:25, point 45 et jurisprudence citée).

22 La Cour a déjà jugé qu'une réglementation d'un État membre qui subordonne l'exercice d'une activité économique à l'obtention d'une concession et prévoit diverses hypothèses de déchéance de la concession constitue une entrave aux libertés ainsi garanties par les articles 49 TFUE et 56 TFUE (arrêt Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C-463-13, EU:C:2015:25, point 46 et jurisprudence citée).

23 En l'occurrence, ainsi que l'a relevé, en substance, M. l'avocat général aux points 62 et 63 de ses conclusions, une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose au concessionnaire de céder à titre gratuit, lors de la cessation de l'activité, y compris dans l'hypothèse où cette cessation intervient du seul fait de l'expiration de la période de concession, l'usage des équipements utilisés pour la collecte de paris peut rendre moins attractif l'exercice de cette activité. En effet, le risque pour une entreprise de devoir céder, sans contrepartie financière, l'usage de biens en sa possession est susceptible de l'empêcher de rentabiliser son investissement.

24 Il y a donc lieu de constater que la disposition nationale en cause au principal constitue une restriction aux libertés garanties par les articles 49 TFUE et 56 TFUE.

Sur le caractère prétendument discriminatoire de la restriction aux libertés garanties par les articles 49 TFUE et 56 TFUE

25 En deuxième lieu, il convient de préciser que, si la Cour a déjà identifié un certain nombre de raisons impérieuses d'intérêt général qui peuvent être invoquées pour justifier une entrave aux libertés garanties par les articles 49 TFUE et 56 TFUE, ces objectifs ne sauraient être invoqués pour justifier des restrictions appliquées de manière discriminatoire (voir, en ce sens, arrêt Blanco et Fabretti, C-344-13 et C-367-13, EU:C:2014:2311, point 37).

26 En effet, si la disposition restrictive en cause au principal était discriminatoire, elle ne saurait être justifiée que par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, prévues aux articles 51 TFUE et 52 TFUE, au nombre desquelles ne figurent ni la lutte contre la criminalité liée aux jeux de hasard ni la continuité de l'activité légale de collecte de paris, invoquée en l'occurrence (voir, par analogie, arrêt Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, C-451-03, EU:C:2006:208, point 36 et jurisprudence citée).

27 À cet égard, Mme Laezza soutient que la disposition en cause au principal est discriminatoire puisqu'elle établit une différence de traitement entre, d'une part, les opérateurs ayant obtenu une concession à l'occasion de l'appel d'offres organisé sur le fondement de l'article 10, paragraphes 9 octies et 9 novies, du décret-loi de 2012 et, d'autre part, les opérateurs ayant obtenu une concession à l'occasion d'appels d'offres antérieurs, ces derniers opérateurs ayant pu bénéficier, avant d'être soumis à l'obligation éventuelle de cession à titre gratuit de l'usage des biens utilisés pour l'activité de collecte de paris à l'échéance de la concession, d'une plus longue période d'amortissement de ces biens.

28 Toutefois, ainsi que l'a relevé, en substance, M. l'avocat général aux points 66 et 67 de ses conclusions, il semble découler des éléments soumis à la Cour que la disposition en cause au principal s'applique indistinctement à l'ensemble des opérateurs ayant participé à l'appel d'offres lancé au cours de l'année 2012 sur le fondement de l'article 10, paragraphes 9 octies et 9 novies, du décret-loi de 2012, et ce quel que soit leur lieu d'établissement.

29 Ainsi, la circonstance que les autorités italiennes ont décidé de modifier, à un moment donné, les conditions dans lesquelles l'ensemble des opérateurs autorisés effectuent leur activité de collecte de paris sur le territoire italien n'apparaît pas pertinente pour l'appréciation du caractère éventuellement discriminatoire de la disposition en cause au principal.

30 Il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi d'apprécier, à la suite d'une analyse globale de l'ensemble des circonstances entourant la nouvelle procédure d'appel d'offres, si ladite disposition présente un caractère discriminatoire.

Sur la justification de la restriction aux libertés garanties par les articles 49 TFUE et 56 TFUE

31 En troisième lieu, il convient d'apprécier si la restriction aux libertés garanties par les articles 49 TFUE et 56 TFUE, que constitue la disposition en cause au principal, peut être admise au titre de mesures dérogatoires, pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, expressément prévues aux articles 51 TFUE et 52 TFUE, applicables également en matière de libre prestation de services en vertu de l'article 62 TFUE, ou, dans le cas où la juridiction de renvoi constaterait que cette disposition est appliquée de manière non-discriminatoire, justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général (voir, en ce sens, arrêt Digibet et Albers, C-156-13, EU:C:2014:1756, point 22 et jurisprudence citée), telles que la protection des consommateurs et la prévention de la fraude et de l'incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu (arrêt HIT et HIT LARIX, C-176-11, EU:C:2012:454, point 21 et jurisprudence citée).

32 À cet égard, s'agissant de la réglementation italienne des jeux de hasard, la Cour a déjà constaté que l'objectif ayant trait à la lutte contre la criminalité liée aux jeux de hasard est de nature à justifier les restrictions aux libertés fondamentales découlant de cette réglementation (voir, en ce sens, arrêt Biasci e.a., C-660-11 et C-8-12, EU:C:2013:550, point 23).

33 En l'occurrence, le gouvernement italien soutient que la disposition en cause au principal est justifiée, dans le cadre de l'objectif de lutte contre la criminalité liée aux jeux, par l'intérêt d'assurer la continuité de l'activité légale de collecte de paris afin d'endiguer le développement d'une activité illégale parallèle.

34 Un tel objectif est de nature à constituer une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier une restriction aux libertés fondamentales telle que celle en cause au principal.

35 L'identification des objectifs effectivement poursuivis par ladite disposition relève, en tout état de cause, de la compétence de la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêt Pfleger e.a., C-390-12, EU:C:2014:281, point 47).

Sur la proportionnalité de la restriction aux libertés garanties par les articles 49 TFUE et 56 TFUE

36 En quatrième lieu, il convient d'examiner si la restriction en cause au principal est propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, étant donné qu'une telle législation nationale restrictive ne remplit cette condition que si elle répond véritablement au souci de l'atteindre d'une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêt HIT et HIT LARIX, C-176-11, EU:C:2012:454, point 22 et jurisprudence citée).

37 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu'il appartient à la juridiction de renvoi, tout en tenant compte des indications fournies par la Cour, de vérifier, lors d'une appréciation globale des circonstances entourant l'octroi des nouvelles concessions, si la restriction en cause au principal satisfait aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt Digibet et Albers, C-156-13, EU:C:2014:1756, point 40 et jurisprudence citée).

38 S'agissant de la question de savoir si la restriction en cause au principal est propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi, la juridiction de renvoi devra examiner notamment, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 91 à 93 de ses conclusions, si la circonstance selon laquelle la cession à titre gratuit à l'ADM ou à un autre concessionnaire de l'usage des biens matériels et immatériels constituant le réseau de gestion et de collecte du jeu n'est pas imposée de manière systématique mais intervient seulement "[à] la demande expresse de l'ADM" est de nature à affecter ou non l'aptitude de la disposition en cause au principal à atteindre l'objectif poursuivi.

39 En ce qui concerne la question de savoir si cette disposition ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, il ne saurait être exclu que, dans l'hypothèse de la déchéance ou de la révocation, à titre de sanction, du contrat de concession concerné, la cession à titre gratuit à l'ADM ou à un autre concessionnaire de l'usage des biens matériels et immatériels constituant le réseau de gestion et de collecte du jeu présente un caractère proportionné.

40 En revanche, tel n'est pas nécessairement le cas, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 88 de ses conclusions, lorsque la cessation de l'activité intervient du seul fait de l'expiration de la concession.

41 En effet, dans l'hypothèse où le contrat de concession, conclu pour une durée sensiblement plus courte que celle des contrats conclus avant l'adoption du décret-loi de 2012, arrive à son échéance naturelle, le caractère gratuit d'une telle cession forcée semble aller à l'encontre de l'exigence de proportionnalité, en particulier lorsque l'objectif de continuité de l'activité autorisée de collecte de paris pourrait être atteint par des mesures moins contraignantes, telle la cession forcée, mais à titre onéreux au prix du marché, des biens concernés.

42 Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé aux points 96 et 97 de ses conclusions, il appartiendra à la juridiction de renvoi, dans le cadre de l'examen de la proportionnalité de la disposition en cause au principal, de tenir également compte de la valeur vénale des biens qui font l'objet de la cession forcée.

43 Il convient en outre de souligner l'atteinte au principe de sécurité juridique que le défaut de transparence de la disposition en cause au principal est susceptible d'entraîner. En effet, cette disposition, qui prévoit que la cession à titre gratuit de l'usage des biens constituant le réseau de gestion et de collecte du jeu intervient seulement "[à] la demande expresse de l'ADM", et non de façon systématique, ne précise pas les conditions et les modalités dans lesquelles une telle demande expresse doit être formulée. Or, les conditions et les modalités d'un appel d'offres, tel que celui en cause dans l'affaire au principal, doivent être formulées de manière claire, précise et univoque (voir, en ce sens, arrêt Costa et Cifone, C-72-10 et C-77-10, EU:C:2012:80, point 92 et dispositif).

44 Eu égard à l'ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 49 TFUE et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition nationale restrictive, telle que celle en cause au principal, qui impose au concessionnaire de céder à titre gratuit, lors de la cessation de l'activité du fait de l'expiration de la période de concession, l'usage des biens matériels et immatériels détenus en propriété et constituant le réseau de gestion et de collecte du jeu, pour autant que cette restriction aille au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation de l'objectif effectivement poursuivi par cette disposition, ce qu'il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

45 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre) dit pour droit: Les articles 49 TFUE et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition nationale restrictive, telle que celle en cause au principal, qui impose au concessionnaire de céder à titre gratuit, lors de la cessation de l'activité du fait de l'expiration de la période de concession, l'usage des biens matériels et immatériels détenus en propriété et constituant le réseau de gestion et de collecte du jeu, pour autant que cette restriction aille au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation de l'objectif effectivement poursuivi par cette disposition, ce qu'il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.