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Décisions

ADLC, 27 janvier 2016, n° 16-D-02

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire par autocar dans le Bas-Rhin

ADLC n° 16-D-02

27 janvier 2016

L'Autorité de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 3 octobre 2014 sous le numéro 14-0076 F, par laquelle le ministre chargé de l'Economie a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire par autocar dans le département du Bas-Rhin ; Vu le livre IV du Code de commerce et notamment son article L. 420-1 ; Vu les décisions de secret des affaires n° 15-DSA-145 du 30 mars 2015, n° 15-DSA-154 du 3 avril 2015, n° 15-DSA-195 du 12 mai 2015 et 15-DSA-200 du 27 mai 2015, n° 15-DEC-36 du 20 mai 2015 et 15-DECR-26 du 2 juin 2015 ; Vu les observations des sociétés Autocars et Transport Royer, Staub Voyages, Royer Holding, Autocars Mügler & Cie, SARL Cars des Rohan et SAS Mügler Finance ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Autocars et Transport Royer, Staub Voyages, Royer Holding, Autocars Mügler & Cie, Cars des Rohan et Mügler Finance, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 17 décembre 2015 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. PROCÉDURE

1. Par demande du 6 juillet 2012, la Brigade interrégionale d'enquête de concurrence (ci-après " BIEC ") de Lorraine, Alsace et Champagne-Ardenne a été chargée d'une enquête relative aux transports scolaires dans le département du Bas-Rhin en raison de la transmission, par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE) d'Alsace, d'un indice évoquant de possibles dysfonctionnements de concurrence lors de l'attribution de divers marchés lancés par le Conseil général du Bas-Rhin avec l'intervention d'un groupement momentané d'entreprises associant les principaux transporteurs routiers de voyageurs de la zone nord du département.

2. Les investigations ont été menées sur le fondement de l'article L. 450-3 du Code de commerce auprès du Conseil général du Bas-Rhin (Direction de la Mobilité) et de 10 professionnels autocaristes de ce département. Le 26 février 2013 un rapport administratif d'enquête (ci-après " RAE ") a été établi par la BIEC de Lorraine, Alsace et Champagne-Ardenne. Il conclut que les pratiques en cause étaient contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce. Ce rapport a été transmis à la rapporteure générale qui a informé le ministre chargé de l'Economie, par lettre du 14 juin 2013, qu'elle n'entendait pas proposer à l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") de se saisir d'office de cette affaire, les pratiques visées mettant en cause des entreprises locales et leurs effets étant géographiquement limités.

3. Le 28 octobre 2013, le ministre chargé de l'Economie a proposé aux entreprises concernées de transiger en application de l'article L. 464-9 du Code de commerce. Trois sociétés ont accepté la transaction, et quatre l'ont refusée.

4. Conformément à l'article L. 464-9 alinéa 2 du Code de commerce qui dispose que " l'exécution dans les délais impartis des obligations résultant de l'injonction et de l'acceptation de la transaction éteint toute action devant l'Autorité de la concurrence pour les mêmes faits ", l'action s'est éteinte pour les sociétés Autocars Striebig, Autocars Eschenlauer et Société d'exploitation des établissements René Antoni.

5. Par lettre enregistrée le 3 octobre 2014, le ministre chargé de l'Economie, en application des articles L. 464-9 et R. 464-9-3 du Code de commerce, a saisi l'Autorité de pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire par autocars dans le département du Bas-Rhin.

Cette saisine ne concerne que les sociétés qui n'ont pas souhaité transiger, à savoir les sociétés Autocars Mügler, Cars des Rohan, Autocars et Transport Royer et Staub Voyages. La saisine a été enregistrée sous le numéro 14-0076 F.

6. En application des articles L. 463-3 et R. 463-12 du Code de commerce, l'affaire est dispensée de l'établissement préalable d'un rapport.

7. Conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus, une notification de griefs simplifiée a été notifiée aux parties et au commissaire du gouvernement le 3 juin 2015.

B. LE SECTEUR ET LES ENTREPRISES CONCERNÉES

1. L'ORGANISATION DU TRANSPORT SCOLAIRE DANS LE DÉPARTEMENT DU BAS-RHIN

8. Les transports scolaires sont des services réguliers publics, au sens de l'article L. 3111-7 du Code des transports (issu de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation sur le transport intérieur, dite " LOTI ") et de l'article L. 213-11 du Code de l'éducation. Hors Île-de-France, le département est l'autorité organisatrice de droit commun. Pour assurer le transport des élèves, le département peut s'appuyer sur les lignes régulières de transport en commun ou mettre en place des lignes dédiées au transport scolaire.

9. En application de l'article L. 1221-3 du Code des transports, l'exécution des services de transport public de personnes est assurée soit par une personne publique en régie, soit par une entreprise ayant passé à cet effet une convention à durée déterminée avec l'autorité organisatrice compétente.

10. Les conventions relatives à l'exécution des services de transport public relèvent soit du Code des marchés publics, soit de l'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales relatif aux délégations de service public, en fonction du mode de rémunération de l'exploitant. Les transports scolaires étant généralement gratuits ou presque pour leurs usagers, et donc financés principalement par les départements, leur conventionnement relève des marchés publics.

11. Dans le département du Bas-Rhin, le Conseil général assure le transport de près de 42 000 élèves, hors périmètres de transports urbains. Cela représente un budget de fonctionnement annuel de près de 50 millions d'euro dont plus de 14 millions sont affectés aux lignes scolaires exploitées par des transporteurs privés dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres (cote 1504).

2. LES OPÉRATEURS DE TRANSPORT SCOLAIRE EN AUTOCAR DANS LE BAS-RHIN

a) Les entreprises de transport routier opérant dans le Nord du département du Bas-Rhin

Les entreprises du groupe Mügler

12. Les sociétés Autocars Mügler et Cie et Cars des Rohan appartiennent au groupe Mügler. Le capital social de la SAS Autocars Mügler et Cie, d'un montant de 412 612 euro, est détenu à 99,96 % par la holding Mügler Finance SAS (RCS Saverne 675 680 086), elle-même détenue à 75 % par M. Louis X, président d'Autocars Mügler et Cie. La SARL Cars des Rohan est détenue à 100 % par la holding Mügler Finance SAS.

13. La société Autocars Mügler et Cie a réalisé en 2012 un chiffre d'affaires hors taxes de 6 629 020 euro. La société Cars des Rohan a, quant à elle, réalisé en 2012 un chiffre d'affaires hors taxes de 2 099 955 euro.

Les entreprises du groupe Royer

14. Les sociétés " Autocars et transport Royer SASU " et " Staub Voyages SARL " appartiennent au groupe Royer. La société Autocars et transport Royer SASU appartient à 100 % à la société Royer holding SAS (RCS Strasbourg 414 375 436).

15. La société Staub Voyages, dont le siège est situé dans le département de la Moselle appartient pour 44,8 % à M. Paul Y, 20 % à la société Royer holding (depuis le 29 juillet 2011), 20% à M. Gilles Z et pour 15 % à la société Autocars et transport Royer. Jusqu'au 29 juillet 2011, M. Eugène Y et Mme Denise Y détenaient chacun 10 %, qui ont été rachetés par la holding à cette date.

- Autocars Fuchslock SARL à Oberhaslach (67280) ;

- Société d'exploitation Josy Schwanger SAS à Russ (67130) ;

- Schneider SA à Sand (67230) ;

- Cars Bastien Kristinatours SA à Triembach-au-Val (67220), et sa filiale Autocars Wingert SARL à Saint-Pierre (67140) ;

- Obernai Tourisme SARL à Obernai (67210), filiale de la SAS Autocars Striebig précitée ;

- Flecher Voyages SARL à Ohnenheim (67390), filiale du groupe Mügler.

Les autocaristes situés dans des départements limitrophes

22. Les prestations de ramassage scolaire de la moitié nord du Bas-Rhin sont aussi susceptibles d'être exécutées par les autocaristes des départements limitrophes suivants :

- en Moselle, la société Staub Voyages (groupe Royer), la société Transport Rémi Bentz SARL à Phalsbourg (57370) et la société SOTRAM à Sarreguemines (57200) ;

- dans le Haut-Rhin, la société LK-Voyages Lucien Kunegel SAS qui a son siège social à Colmar (Haut-Rhin) et dispose de plusieurs filiales, dont Voyages Foell SARL à Betschdorf dans le nord du Bas-Rhin et la société Autocars Schmitt SASU à Mutterholtz dans le sud du Bas-Rhin.

Les grands groupes de transport

23. Les deux principaux groupes au plan national, Transdev (né de la fusion, en mars 2011, de Veolia Transport et de Transdev) et Keolis (filiale de la SNCF), qui représentent la moitié du marché du transport routier de voyageurs en France, sont implantés en Alsace :

- Transdev Alsace est implantée à Illkirch-Graffenstaden dans la communauté urbaine de Strasbourg, et est ainsi essentiellement tournée vers le transport urbain (cote 3133) ;

- Kunegel SAS, filiale de Transdev ayant son siège social à Illzach dans le Haut-Rhin et des implantations dans le Bas-Rhin, la Haute-Saône et le Territoire de Belfort, exerce son activité dans le secteur du ramassage scolaire et des lignes régulières interurbaines ;

- Keolis 3 Frontières est implantée en Moselle et a des activités en Lorraine et en Alsace ; elle a encore peu de lignes de ramassage scolaire en Alsace, mais a été candidate pour un certain nombre de lignes en 2012, et a racheté le groupe Striebig fin 2014 dont l'activité principale est le ramassage scolaire.

24. Le groupe suisse Carpostal, qui a une filiale à Hagenau, a plusieurs fois été cité par les autocaristes indépendants comme un concurrent potentiel, mais il n'a pas candidaté aux marchés publics de transport scolaire dans le Bas-Rhin sur la période 2010-2012. Il exploite le réseau interurbain de Hagenau et Schweighouse-sur-Moder.

c) Le groupement " Avenir Transport "

Présentation du groupement " Avenir Transport "

25. Le groupement Avenir Transport se définit comme " un groupement momentané solidaire d'entreprises de transport de voyageurs " (cote 1483). Le premier groupement Avenir Transport a été constitué en 2001. Il était alors composé des entreprises suivantes : les sociétés Autocars Eschenlauer, Autocars Mügler et Cie, Autocars et Transport Royer, Société d'exploitation des établissements René Antoni, Obernai Tourisme (devenu Striebig), Schmitt Tour (devenu LK Tour, qui a quitté le groupement par la suite), Herrmann et Eurobus (qui a quitté le groupement à la suite de son rachat par Connex devenu Véolia).

26. Depuis 2001, chaque année, une convention est signée par l'ensemble de ces entreprises pour répondre aux appels d'offres du département du Bas-Rhin relatifs aux services réguliers de transport scolaire. M. Louis X, représentant du groupe Mügler, a indiqué lors de son audition que, " chaque année où il y a une mise en concurrence significative, est créé un nouveau groupement momentané intitulé " Avenir Transport N " destiné à répondre aux consultations de l'année N. En revanche nous conservons les mêmes types de convention de groupement et le règlement intérieur et le même compte bancaire " (cote 85).

27. L'objet de la convention de groupement est " de définir les relations entre les membres du groupement et plus particulièrement les conditions dans lesquelles le groupement présentera les candidatures, présentera les offres des candidats agréés, négociera les marchés avec l'autorité organisatrice, exécutera les marchés délégués et leurs éventuelles modifications. La convention définit notamment les droits et obligations de chaque membre du groupement tant les uns vis-à-vis des autres que vis-à-vis de l'autorité organisatrice que vis-à-vis de leur mandataire " (article 4 de la convention, cote 318). Selon le RAE, le rôle du mandataire, reconduit d'année en année depuis 2006, consiste essentiellement à " organiser la répartition des lots en provoquant les réunions de préparation aux appels d'offres, puis en paraphant et signant les dossiers d'offres ainsi qu'à procéder au reversement aux adhérents des sommes réglées par la collectivité sur le compte bancaire commun ouvert auprès de la banque C.I.C " (cote 3152).

28. Parmi les obligations générales prévues dans le contrat, chaque membre du groupement s'engage à mesure de ses moyens de transport à suppléer la carence du ou des membres défaillants dans l'exécution du marché. Le groupement est représenté par un mandataire, qui est réputé être mandaté par chaque membre du groupement, ce dernier n'ayant pas la personnalité morale.

29. Chaque groupement Avenir Transport reste en activité sur l'ensemble de la durée des marchés attribués, soit entre un et six ans sur la période 2001 à 2012. Les contrats des groupements 2001, 2009 et 2010 figurent en annexes du RAE.

Les membres du groupement Avenir Transport

30. Les groupements Avenir Transport 2010, 2011 et 2012 étaient constitués des sept sociétés suivantes (cote 322) :

- Autocars Mügler et Cie SAS à Ingwiller (67340),

- Cars des Rohan SARL à Steinbourg (67790),

- Autocars et Transport Royer SASU à Herrlisheim (67850),

- Staub Voyages SARL à Rohrbach-les-Bitche (57410),

- Autocars Striebig SAS à Brumath (67170),

- Autocars Eschenlauer SA à Soufflenheim (67620),

- Société d'exploitation des établissements René Antoni SAS à Haguenau (67500).

31. Outre Staub Voyages SARL dont le siège est en Moselle, le groupement rassemble, depuis 2009, toutes les sociétés indépendantes de transport routier de voyageurs de la moitié nord du département du Bas-Rhin, à l'exception de la SARL Braun dont le siège se trouve à Diemeringen (67430), dans " l'Alsace bossue ", c'est-à-dire la partie nord-ouest du Bas-Rhin enclavée dans le département de la Moselle.

32. Comme indiqué par M. Michel B, président de la société d'exploitation des établissements Antoni : " Avenir Transport regroupe la quasi-totalité des autocaristes indépendants implantés dans le nord du département susceptibles d'exécuter les services de ramassage scolaire demandés par le Conseil général du Bas-Rhin sur ce secteur géographique ".

3. LES PRATIQUES CONSTATÉES

a) Les marchés publics de transport scolaire ouverts par le Conseil général du Bas-Rhin pour les années 2010, 2011 et 2012

33. Les pratiques poursuivies dans la présente affaire concernent les marchés publics de transport scolaire ouverts par le Conseil général du Bas-Rhin pour les années 2010, 2011 et 2012.

34. Il s'agit d'appels d'offres soumis aux dispositions des articles 33, alinéa 3 et 57 à 59 du Code des marchés publics. Les marchés sont à bons de commande sans minimum ni maximum (art. 77 du même Code). Leur durée varie selon les lots, afin que de nouveaux lots soient mis en concurrence chaque année.

35. Les relations entre le Conseil général et les entreprises candidates sont encadrées par un cahier des charges.

36. Chaque année, les critères de jugement des offres ainsi que leur pondération étaient les suivants (cotes 793 et 794) :

- prix des prestations : 60 % ;

- valeur technique : 40 %, sur la base des sous-critères et pondérations suivants :

Année de mise en circulation des véhicules : 15 % ;

Capacité des véhicules : 4 % ;

Qualité environnementale : 8 % ;

Organisation de l'entreprise (accueil téléphonique, délai de remplacement d'un Véhicule en cas de panne) : 13 %.

37. Les consultations sont alloties avec une moyenne de deux circuits scolaires par lot. Il existe 162 lots regroupant 271 lignes scolaires sur le département du Bas-Rhin. Les lots concernant la zone nord sont désignés par la lettre N, les lots sud par la lettre S. Les zones nord et sud sont délimitées par une ligne approximative passant au sud de Saverne et au nord de Strasbourg.

38. M. Jean-Philippe A, directeur de la mobilité du Conseil général, a expliqué que " le Conseil général distingue deux secteurs géographiques avec une zone nord et une zone sud, le partage s'effectuant approximativement au niveau d'une ligne Saverne-Strasbourg. Les opérateurs sont différents suivant les deux zones hormis les leaders nationaux de la profession qui sont en mesure de candidater sur la majeure partie du département " (cote 1504).

39. En 2010, 35 lots ont fait l'objet d'appels d'offres, répartis en trois procédures aux calendriers distincts. En 2011, 32 lots ont fait l'objet d'appels d'offres, répartis en trois procédures distinctes. En 2012, 46 lots ont fait l'objet d'appels d'offres, répartis également en trois procédures distinctes.

b) La politique d'allotissement du Conseil général du Bas-Rhin

40. Selon le RAE, la politique d'allotissement du Conseil général rendait les marchés de transports scolaires accessibles à l'ensemble des transporteurs routiers de voyageurs, quelle que soit leur taille. Ceci est confirmé par des déclarations du représentant du Conseil général, par celles des membres du groupement Avenir Transport et par celles d'autres opérateurs du département.

41. Ainsi, M. Jean-Philippe A, directeur de la mobilité au Conseil général indiquait : " je considère que le Conseil général a, depuis près de 10 ans, joué son rôle en rendant au contraire ces marchés accessibles à l'ensemble des transporteurs routiers de voyageurs, qu'ils soient locaux ou implantés dans les départements limitrophes de la Moselle et du Haut- Rhin principalement. Mes prédécesseurs ont toujours cherché à permettre l'ouverture de ces marchés à un maximum d'autocaristes et cette politique d'allotissement permet de mettre actuellement en concurrence 162 marchés regroupant 271 lignes scolaires sur le département du Bas-Rhin (soit une moyenne de moins de 2 circuits scolaires par marché) " (cote 1505).

42. M. Louis X, président des Autocars Mügler et Cie, a déclaré : " En l'état actuel, les entreprises du groupement Avenir Transport seraient capables de soumissionner individuellement aux circuits scolaires qui les intéressent et qui sont généralement situés dans un périmètre géographique réduit " (cote 86). M. Michel B a indiqué de son côté : " Bien que l'entreprise Antoni soit la plus petite du groupement, je confirme que notre société dispose des moyens humains et techniques pour exécuter seule les circuits scolaires qui lui sont attribués dans le cadre du groupement et qui sont situés dans un périmètre géographique réduit, au cas d'espèce le secteur implanté au nord de Haguenau " (cote 343).

43. Lors de son audition, Mme Christine F, gérante de la société Fuchslock, basée dans le sud du département, a déclaré : " De tout temps, nous avons toujours répondu à ces consultations individuellement, sans recourir à un groupement avec d'autres autocaristes du secteur. En effet, le Conseil général a procédé depuis les années 2000 à un découpage poussé de la carte scolaire du département. Les lots mis en place ne comprennent ainsi qu'un ou deux circuits, rarement plus et sont donc pleinement compatibles avec les capacités d'une PME de notre branche d'activité, sauf exception avec possibilité de sous-traitance " (cote 366). Selon Mme F, le ramassage scolaire est un " service basique ne nécessitant pas de contraintes techniques particulières dans la mesure où nous connaissons d'emblée et avec exactitude le programme annuel des journées de transport ". M. Joseph C, président de la SAS Josy Schwanger, a fait la même analyse (cotes 378 et 379).

c) Le comportement du groupement Avenir Transport dans le cadre de ces appels d'offres

Les déclarations des entreprises sur les objectifs du groupement

44. Il ressort des déclarations de plusieurs membres du groupement Avenir Transport que ce dernier avait pour objectif essentiel la répartition historique des lignes entre autocaristes locaux, et ce, même lorsque le Conseil général redéfinissait les lots en regroupant plusieurs lignes mais cette répartition visait également à limiter la concurrence vis-à-vis des entreprises non membres.

45. Ainsi, M. Louis X, président des Autocars Mügler et Cie a déclaré : " Quand le lot défini par le Conseil général regroupe des lignes exploitées jusqu'alors par plusieurs transporteurs, le groupement se justifie pleinement, car il permet après avoir été déclaré attributaire de redistribuer les lignes à chacun des exploitants historiques. " (cote 86).

46. M. Michel B, président de la société d'exploitation des établissements René Antoni, a confirmé qu'" en effet, depuis la création d'Avenir TRANSPORT, les associés maintiennent leurs positions en gardant toujours les mêmes circuits. Ils ne cherchent pas à s'implanter sur un circuit exploité par un autre adhérent et s'emploient à maintenir cette discipline commune dans un souci d'équilibre et de bonne marche du groupement. Ce dernier est le garant d'un maintien du niveau des prix et des parts de marché détenues par les différents associés. " (cote 344).

47. De même, M. Rémy D indiquait en audition : " Pour notre part, depuis l'adhésion au groupement nous gardons toujours les mêmes lignes et nous n'avons récupéré aucune ligne nouvelle exploitée par nos confrères. (...) En pratique lors d'un appel d'offres, nous soumissionnons uniquement aux lignes que nous exploitions précédemment. " (cote 243).

48. Les membres du groupement cherchaient à limiter la concurrence entre eux, et également vis-à-vis des entreprises non membres. M. Rémy D a ainsi fait état d'un pacte de non-agression entre les membres de l'entente, qui s'étendait à d'autres opérateurs : " Mais compte tenu du pacte de non-agression déjà évoqué ci-avant, nous nous sommes limités, sur le lot N1, aux deux lignes précédemment exécutées par nos soins (LS44 et LS193). Pour les trois autres lignes scolaires que nous ne cherchions pas à exploiter directement, notre volonté a été de les proposer aux titulaires précédemment en place dans le cadre d'une sous-traitance qui a été acceptée par les sociétés Kunegel par le canal de son établissement secondaire de Schweighouse-sur-Moder (Haguenau) et FOELL située à Betschdorf. " (cote 1428).

49. M. D expliquait également, concernant un lot N11 (cote 1430) : " Il dessert les écoles de Lembach et regroupe la LS101 exploitée en propre par notre société depuis 2005, la LS289 exécutée par SAS Kunegel et la LS328 réalisée en propre par la société Antoni depuis 2005. M. B a, pour sa part, fixé un forfait journalier pour la LS328 qu'il exploite ainsi que pour la LS289 et, dans une même logique, a sous-traité cette dernière à la SAS Kunegel. Je ne peux que reconnaître que ces trajets se situent à proximité de Lembach, commune où la société Antoni dispose de moyens humains et matériels suffisants suite au rachat de la société Transports Herrmann et qu'une optimisation des moyens du groupement aurait pu, ici également, se révéler plus judicieuse. "

50. Enfin, il ressort de ces mêmes déclarations que le groupement Avenir Transport visait également à maintenir les prix des prestations de ramassage scolaire obtenus du Conseil général.

51. Ainsi, M. Rémy D a déclaré : " Le groupement permet d'apporter une réponse harmonisée et de maintenir au mieux le niveau des prix et les parts de marché détenues par chacun de ses membres. " (cote 243). M. D a indiqué que les tarifs journaliers des prestations pour les lots N1, N4, N5, N8, N9 étaient compris entre 250 et 300 euro hors taxes. À plusieurs reprises, il a reconnu que ces tarifs rémunéraient " très confortablement " les services effectués, notamment à propos des lots N1, N4 et N5 lors de la consultation de 2012.

52. M. Michel B a également déclaré : " [Ce groupement] est le garant d'un maintien du niveau des prix et des parts de marché détenues par les différents associés " (cote 344).

53. Ces déclarations concordantes confirment que parmi les objectifs du groupement Avenir Transport figurait celui de maintenir des tarifs journaliers plus élevés dans la zone du nord du département du Bas-Rhin.

Les résultats des appels d'offres initiés par le Conseil général du Bas-Rhin

54. Le RAE a présenté sous forme de tableaux les résultats des appels d'offres de chacun des lots de lignes scolaires mis en concurrence en 2010, 2011 et 2012, pour les parties nord et sud du département.

Observations dans la partie nord du département

55. Dans le cadre des appels d'offres 2010, 2011 et 2012, les autocaristes indépendants situés dans la moitié nord du département Bas-Rhin ont candidaté de manière quasi exclusive au travers du groupement Avenir Transport.

56. Ainsi, lors de la consultation de 2010, le groupement Avenir Transport a candidaté sur presque tous les lots, et seule l'entreprise, Cars des Rohan a déposé une offre sur les lots N12 et N13, pour lesquels le groupement n'était pas candidat. Lors des consultations de 2011 et 2012, aucun des membres du groupement n'a déposé de candidature individuelle.

57. De plus, pour l'essentiel des lots situés dans la moitié nord du département en 2010, 2011 et 2012, le groupement Avenir Transport n'a été confronté qu'à une très faible concurrence, cequi lui a permis de remporter la quasi-totalité des lots pour lesquels il avait candidaté.

58. Ainsi, en 2010, le groupement Avenir Transport a candidaté pour 12 lots sur 16 lots mis en concurrence dans la moitié nord du département, et en a remporté 12, soit un taux de réussite de 100 %. En 2011, le groupement a candidaté pour 11 lots sur 12 dans la partie nord, et s'enest vu attribuer 11, soit un taux de réussite de 100 %. Enfin, en 2012, le groupement a déposé des offres pour 23 lots sur 27 dans la zone nord, et en a remporté 20, soit un taux de réussite de 87 %.

59. Selon le RAE, il existe une " zone naturelle d'activité " dans laquelle les membres du groupement Avenir Transport (cote 3138) sont particulièrement présents. Il s'agit d'un secteur délimité par la frontière avec l'Allemagne à l'Est, l'Allemagne et le département de la Moselle au Nord ainsi que par des lignes virtuelles Wingen-sur-Moder-Saveme à l'Ouest et Saverne-Brumath-Strasbourg au Sud, comme indiqué par la carte suivante :

<carte>

60. Cette zone correspond ainsi à la partie nord du département du Bas-Rhin, amputée de la région dite de " l'Alsace bossue ". Ce territoire, plus rural et plus vallonné que le reste du département, présente également des conditions de concurrence différentes, en raison notamment de la présence d'opérateurs mosellans, situés à proximité.

61. Selon le RAE, à l'époque des faits, le groupement Avenir Transport était titulaire de 94,4% des attributions de circuits scolaires à l'intérieur de cette " zone naturelle d'activité ".

62. Cette situation particulière est notamment due au fait que le groupement Avenir Transport était l'unique candidat en lice ou le seul candidat retenu par la collectivité (les autres offres étant déclarées financièrement irrecevables ou irrégulières) sur respectivement 58,3 %, 54,5 % et 52,2 % des lots sur lesquels il a déposé une offre lors des consultations 2010, 2011 et 2012.

63. En effet, pour la partie nord du département du Bas-Rhin, les seuls concurrents potentiels du groupement Avenir Transport étaient soit basés dans la partie sud du département, soit autourdu territoire de " l'Alsace bossue ".

64. Selon le RAE, ces entreprises ne constituaient pas, à l'époque des faits, une concurrence effective pour les membres du groupement.

65. En effet, s'agissant tout d'abord des autocaristes situés dans le Sud du département, leurs délais d'intervention sont plus élevés, en raison de leur situation d'éloignement par rapport aux lots concernés. Ceci impacte à la fois leurs coûts et la valeur technique de leur candidature (le délai de remplacement d'un véhicule en panne étant plus long).

66. Ainsi, en 2010, sur les lots N1 et N5, la proposition tarifaire de Kunegel SAS excédait le double de celle du groupement. Sur le lot N2, la proposition de Transdev avoisinait le double de celle du groupement. Le lot N4 était le seul sur lequel les propositions tarifaires étaient proches (31 020 eurpour Foell-LK Kunegel / 31 664 euro pour le groupement). Le groupement a emporté ce lot grâce au critère de valeur technique.

67. En 2011, le seul concurrent du groupement pour les lots de la partie septentrionale du département était Kunegel SAS, qui n'a candidaté que pour cinq lots sur douze et n'en a remporté aucun. Les lots N1 et N4 ont été négociés, les appels d'offres ayant été déclarés infructueux au motif que les offres étaient inacceptables ; en effet, les propositions tarifaires des deux candidats étaient très supérieures au prix estimé par le Conseil général, et les informations techniques fournies par le groupement étaient incomplètes. Malgré la négociation, le groupement Avenir Transport n'a pas souhaité revoir ses prix à la baisse.

68. En 2012, de nombreuses offres alternatives à celles proposées par le groupement ont été déposées, mais selon le RAE, un nombre important d'entre elles ont été rejetées par le Conseil général au motif qu'elles étaient financièrement inacceptables. En ce qui concerne les huit lots pour lesquels le groupement Avenir Transport était confronté à un ou deux autres candidats, la concurrence était exercée par les sociétés Foell, Keolis, Kunegel, et le groupement Transdev-Kunegel. Les propositions tarifaires étaient plus proches (sauf sur le lot N9) et le plus souvent, le groupement Avenir Transport l'a emporté sur des critères techniques (notamment sa capacité à remplacer plus rapidement un véhicule en cas de problème). Les trois seuls lots que le groupement n'a pas remportés après avoir candidaté se trouvaient dans " l'Alsace bossue " ou autour de Saverne, ville proche du département de la Moselle.

69. Ainsi, en dehors des zones de " l'Alsace bossue " et de Saverne, le groupement Avenir Transport a remporté la quasi-totalité des lots pour lesquels il a candidaté.

Observations dans la partie sud du département

70. Le groupement Avenir Transport est beaucoup moins actif dans la partie sud du département. Au total, le groupement Avenir Transport a candidaté pour 6 lots sur 19 en 2010, 5 lots sur 20 en 2011 et 7 lots sur 19 en 2012. Il a remporté les 6 lots pour lesquels il avait candidaté en 2010, 2 lots sur 5 en 2011 et 4 lots sur 7 en 2012.

71. D'une part, ces lots se situaient tous aux abords de la ligne de partage entre les zones nord et sud définies par le Conseil général, et étaient donc proches des zones de desserte des membres du groupement.

72. D'autre part, la concurrence était plus vive pour les lots de la zone sud du département. Ainsi, outre le groupement Avenir Transport, les majors du secteur (Transdev Alsace, Keolis 3 Frontières) et le groupe Kunegel, de nombreux transporteurs locaux étaient présents et ont déposé des offres en 2010, 2011 et 2012 : Flecher Voyages, Schneider SA, Autocars Schmitt, Josy Schwanger, Autocars Bastien, Fuchslock et Autocars Wingert.

73. Trois autres groupements étaient présents dans les appels d'offres de la zone sud :

- le groupement Transport de voyageurs GTV 2010 et GTV 2011, rassemblant Striebig SAS, Autocars Schmitt et Obernai Tourisme ; il a remporté 2 lots sur les 9 pour lesquels il a candidaté en 2010, et aucun sur 6 en 2011 ;

- le groupement Strasbourg sud 2011 (GSS 2011) rassemblant Obernai Tourisme SARL, Schneider SA, Autocars Striebig SAS et Transdev Alsace, qui a candidaté pour trois lots en 2011 sans n'en remporter un seul ;

- le groupement Kunegel-Transdev qui est apparu en 2012, a candidaté sur 3 lots et en a remporté un.

74. Enfin, il convient de noter que dans la zone sud, les autocaristes indépendants étaient capables de remporter des lots seuls. Ainsi, Autocars Bastien, Flecher Voyages, Autocars Wingert, Josy Schwanger et Fuchslock ont remporté séparément des lots en 2010, 2011 et 2012.

Les prix proposés par le groupement Avenir Transport

75. M. Jean-Philippe A, directeur de la mobilité au Conseil général du Bas-Rhin, a déclaré en audition : " S'agissant des forfaits journaliers remis par les candidats à ces marchés de transport scolaire, nos services constatent en effet, depuis quelques années, des dépassements de plus en plus fréquents et conséquents de l'estimation administrative pourtant calculée de manière très pragmatique par nos équipes techniques. Ces dépassements sont le plus souvent relevés sur la zone nord du Bas-Rhin " (cote 1505).

76. Ces déclarations sont confirmées par le RAE. Analysant la répartition des forfaits journaliers, par tranche tarifaire, pour des véhicules de 49 places et plus, proposés par le groupement Avenir Transport sur les 25 lignes scolaires composant les 12 lots nord de la consultation de 2012, le RAE indique que 92 % des offres tarifaires se situaient au-delà de 200 euro hors taxes par jour, et 72 % au-delà de 250 euro. Or, les forfaits journaliers proposés par les autocaristes indépendants du sud du département se situaient dans des fourchettes bien plus basses, pour des services rendus similaires. Ainsi, les forfaits journaliers de 11 circuits de plaine attribués à Josy Schwanger en 2011 et 2012 étaient compris entre 145 euro et 200 euro hors taxes.

77. Le RAE a conclu que les prix journaliers hors taxes remis par le groupement Avenir Transport sur les lots de la zone nord étaient significativement supérieurs aux forfaits journaliers des lots de la zone sud. Il estime cet écart de l'ordre de 25 % à 30 %.

C. RAPPEL DES GRIEFS NOTIFIÉS AUX PARTIES

78. Le 3 juin 2015, le grief suivant a été notifié :

" Il est fait grief aux sociétés suivantes :

- Autocars Mügler et Cie SAS (RCS Saverne 324 521 210),

- Cars des Rohan SARL (RCS Saverne 501 903 181),

- Autocars et Transport Royer SASU (RCS Strasbourg 728 501 503),

- Staub Voyages SARL (RCS Sarreguemines 378 392 690),

- Mügler Finance SAS (RCS Saverne 675 680 086) en tant que société-mère de la SARL Cars des Rohan et de la SAS Autocars Mügler et Cie,

- Royer holding SAS (RCS Strasbourg 414 375 436) en tant que société-mère de la SASU Autocars et Transport Royer,

d'avoir, pour les lots des marchés publics de transport scolaire 2010, 2011 et 2012 de la partie nord du département du Bas-Rhin (lots identifiés par la lettre N), fait des offres à travers un groupement non justifié tant sur le plan technique qu'économique et d'une taille très supérieure à ce que la bonne exécution des marchés requérait.

Cette pratique a eu pour objet de répartir les lots entre ses membres, d'assécher la concurrence et de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence au détriment du Conseil général, acheteur public.

Elle s'est déroulée du 3 mars 2010 au 4 juin 2012. Elle a produit des effets et est susceptible de continuer à en produire jusqu'au 2 juillet 2016, date d'échéance des derniers lots en cours d'exécution.

Cette pratique est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce. "

II. Discussion

A. SUR LA PROCÉDURE

1. SUR LES CONSÉQUENCES DE LA TRANSACTION ACCEPTÉE PAR CERTAINS MEMBRES DU GROUPEMENT

79. Les parties font état dans leurs observations de circonstances particulières expliquant que les autres membres du groupement, les entreprises Striebig, Eschenlauer et Antoni, ont accepté la transaction proposée par le ministre chargé de l'Economie. Elles souhaitent " que ces précédents ne soient pas retenus comme étant de nature à établir la conscience active des opérateurs du caractère illicite dudit groupement ".

80. À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l'article R. 464-9-3 du Code de commerce, le refus ou l'acceptation d'une transaction par une ou plusieurs des entreprises concernées " est sans effet sur la situation des autres entreprises ayant fait l'objet de la même procédure ".

81. Les circonstances dans lesquelles les entreprises Striebig, Eschenlauer et Antoni ont accepté cette transaction sont donc indifférentes à la décision prise par l'Autorité dans la présente affaire.

2. SUR LA NON-TRANSMISSION DES OBSERVATIONS DES PARTIES AU RAPPORT ADMINISTRATIF D'ENQUÊTE

82. Les parties s'étonnent que le mémoire d'observations qu'elles ont adressé à la DIRRECTE d'Alsace le 10 mars 2014 en réponse à la proposition de transaction du ministre chargé de l'Economie n'ait pas été transmis aux services d'instruction de l'Autorité et soutiennent que cette absence de communication leur porte préjudice (cote 3429).

83. Toutefois, la communication de ces observations, dans le cadre de la saisine de l'Autorité de la concurrence par le ministre chargé de l'Economie à la suite d'un refus de transaction, est explicitement exclue par l'article R. 464-9-3 du Code de commerce qui dispose que " Les observations formulées par les entreprises destinataires de l'injonction ou de la transaction dans le cadre de la procédure ne sont pas transmises à l'Autorité de la concurrence ".

84. La non-transmission à l'Autorité du mémoire d'observation déposé par les parties dans le cadre de la procédure de transaction est en conséquence légalement justifiée et les entreprises en cause ne peuvent se prévaloir d'une quelconque atteinte à leurs droits.

3. SUR L'ABSENCE D'AUDITIONS DES ENTREPRISES MISES EN CAUSE PAR LA RAPPORTEURE

85. Les entreprises font valoir qu'elles n'ont pas été entendues par la rapporteure dans le cadre de l'instruction de l'affaire.

86. Toutefois, il ressort des dispositions du chapitre III du titre VI du livre IV du Code de commerce et de la pratique décisionnelle de l'Autorité que le rapporteur procède aux auditions qu'il estime nécessaires et qu'il n'est pas obligé d'entendre les parties mises en cause lors de son instruction, dès lors que les représentants des entreprises sont en mesure de présenter des observations écrites à la notification de griefs et de les développer oralement lors de la séance de l'Autorité (voir notamment décisions n° 97-D-52 du 25 juin 1997 relative à des pratiques relevées dans le secteur du travail temporaire dans les départements de l'Isère et de la Savoie, n° 06-D-3bis, 07-D-15, n° 07-D-27, n° 10-D-03).

87. Ce principe a été confirmé par la Cour d'appel de Paris qui a précisé que " l'audition de personnes intéressées constitue une faculté laissée à l'appréciation du rapporteur ou du Conseil, eu égard au contenu du dossier ; Que, de surcroît, le fait que les dirigeants d'une entreprise n'aient pas été entendus au cours de l'enquête et de l'instruction est, en l'absence d'obligation légale en la matière, sans incidence sur la régularité de la procédure, dès lors qu'à compter de la notification de griefs et lors des différentes phases de la procédure, l'entreprise a été en mesure, comme cela a été le cas en l'espèce pour la requérante, de faire valoir ses observations en temps utile " (CA de Paris 25 janvier 2008, le Goff Confort).

88. Or, il est établi, et d'ailleurs non contesté, que les entreprises mises en cause ont été mises en mesure de faire valoir leurs observations en réponse à la notification des griefs. Elles ont déposé un mémoire approfondi le 10 août 2015, accompagné de 22 annexes. Elles se sont en outre longuement exprimées oralement lors de la séance qui s'est tenue le 17 décembre 2015.

En conséquence le fait qu'elles n'aient pas été entendues par la rapporteure dans le cadre de l'instruction ne porte atteinte ni au principe du contradictoire ni aux droits de la défense.

B. SUR LES MARCHÉS PERTINENTS

89. Les mises en cause soutiennent que l'analyse de la pratique aurait dû s'effectuer lot par lot, en identifiant, pour chacun d'entre eux, " les opérateurs économiques susceptibles de se positionner au regard des bases logistiques existantes, des kilomètres haut le pied en résultant, ou encore eu égard à leur capacité à supporter l'établissement de bases logistiques nouvelles leur permettant de remédier à leur éloignement ".

90. Selon une pratique décisionnelle constante de l'Autorité de la concurrence en matière d'entente, chaque marché public passé selon une procédure d'appel d'offres constitue en soi un marché pertinent. Ce marché résulte de la confrontation de la demande du donneur d'ordres et des offres faites par les candidats qui répondent à l'appel d'offres (décision n° 10-D-10 du 10 mars 2010 relative à des pratiques relevées à l'occasion d'un appel d'offres du Conseil général des Alpes-Maritimes pour des travaux paysagers d'aménagement d'un carrefour routier). Dans la mesure où chaque lot fait l'objet d'un appel d'offres distinct, puisque les candidatures et les offres sont examinées lot par lot (article 10 du Code des marchés publics), chaque lot constitue un marché pertinent.

91. Toutefois, si plusieurs appels d'offres constituent des marchés pertinents différents, une entente organisée à un échelon plus vaste que chacun des marchés considérés peut être sanctionnée si elle conduit les entreprises qui y sont présentes à s'en répartir illicitement les parts. Dans un arrêt du 14 janvier 2003, la Cour d'appel de Paris avait ainsi estimé que : " (...) chaque marché public passé selon la procédure de l'appel d'offres constitue un marché de référence, résultant de la confrontation concrète, à l'occasion de l'appel d'offres, d'une demande du maître de l'ouvrage et des propositions faites par les candidats qui répondent à l'appel ; considérant que si cette circonstance permet de délimiter et d'identifier le marché de référence, peuvent néanmoins être sanctionnées en application de l'article L. 420-1 du Code de commerce, non seulement les pratiques anticoncurrentielles affectant exclusivement ce marché, mais aussi l'entente organisée à un échelon plus vaste que chacun des marchés considérés et produisant des effets sur lesdits marchés, en ce qu'elle conduit les entreprises qui y sont présentes à s'en répartir illicitement les parts ". Des ententes peuvent donc être appréciées au niveau d'un marché global composé de plusieurs appels d'offres, lots ou sous-marchés.

92. En l'espèce, si chacun des lots ayant fait l'objet d'un appel à concurrence par le Conseil général du Bas-Rhin peut constituer un marché pertinent, la pratique poursuivie consistait en la formation d'un groupement entre plusieurs opérateurs, dans le but d'assurer une répartition de plusieurs lots entre ces entreprises.

93. Il convient donc d'apprécier ce comportement à l'échelon de l'ensemble des marchés qui ont fait l'objet d'une répartition. La pratique en cause sera donc analysée par l'Autorité sur le marché global composé de l'ensemble des lots de transport scolaire par autocar dans la partie nord du département du Bas-Rhin ayant fait l'objet d'un appel d'offres lancé par le Conseil général du Bas-Rhin pour les années 2010, 2011 et 2012.

C. SUR LE BIEN-FONDÉ DU GRIEF

1. SUR L'ACCORD DE VOLONTÉS

94. L'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.

95. En tout état de cause, une entente est constituée lorsque les parties ont librement manifesté une volonté commune de se comporter d'une manière déterminée sur le marché. Il n'est nul besoin qu'elle soit mise par écrit ou respecte un formalisme particulier, et il n'est pas obligatoire que des sanctions contractuelles ou des mesures de contrainte soient prévues. Une entente peut être expresse ou ressortir implicitement du comportement des parties, puisqu'une ligne de conduite peut être la preuve d'une entente.

96. Dans sa décision n° 06-D-03 du 9 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des appareils de chauffage, sanitaires, plomberie, climatisation, le Conseil de la concurrence a rappelé que les entreprises membres d'un groupement étaient présumées avoir adhéré à ses statuts : " L'adhésion des parties aux groupements d'achat démontre, par elle-même, la volonté des parties de respecter les statuts du groupement. Le fait qu'elles n'aient pas participé à la rédaction de ces statuts n'a aucune incidence sur leur acceptation. Il convient donc d'écarter les arguments selon lesquels, n'ayant pas été membres du groupement depuis son origine, les entreprises ne sauraient se voir imputer leur participation à une entente fondée sur le caractère anticoncurrentiel des statuts du groupement ".

97. Enfin, selon une jurisprudence constante en droit national, les réunions au cours desquelles des entreprises concurrentes se répartissent à l'avance les marchés à venir constituent des réunions à objet anticoncurrentiel, celles-ci étant suivies par la soumission concertée à ces marchés (décisions 03-D-54 ; 05-D-26 ; 05-D-38 confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 7 février 2006 (Transdev)).

98. En l'espèce, il résulte des constatations opérées aux paragraphes 25 à 32 que chaque entreprise membre du groupement Avenir Transport a signé, chaque année, la convention du groupement et s'est engagée à respecter l'ensemble de ses obligations. Chaque membre du groupement a également accepté d'être représenté par le même mandataire vis-à-vis des autorités du Conseil général.

99. Ces entreprises ont ainsi donné leur accord pour que le mandataire organise la répartition des lots en provoquant des réunions de préparation aux appels d'offres. Le RAE précise encore que " manifestement des contacts ont eu lieu entre les entreprises pour la répartition entre elles des lots et la constitution de groupements sur le principe d'un seul groupement par lot (...) " (cote 1603).

100. Les déclarations concordantes et circonstanciées des responsables des entreprises citées aux paragraphes 25 à 27 de la décision ainsi que le fonctionnement interne du groupement (article 6 de la convention), démontrent que des réunions entre transporteurs ont conduit à la constitution de groupements momentanés d'entreprises pour répondre aux appels d'offres sur le principe d'un groupement par année ce qui a donné naissance à l'entente de répartition.

101. L'accord de volontés des entreprises mises en cause, membres du groupement Avenir Transport, est donc établi, peu important, à cet égard, qu'il ne soit pas justifié que la constitution du groupement ait procédé de l'intention de ses membres d'organiser une entente anticoncurrentielle, la jurisprudence n'exigeant jamais d'apporter la preuve que l'accord de volonté des entreprises parties à l'entente porte aussi sur l'obtention d'un effet anticoncurrentiel qu'elles auraient intentionnellement recherché.

2. SUR LE FONCTIONNEMENT DE L'ENTENTE

102. Les investigations ont permis de réunir un faisceau d'indices graves, précis et concordants permettant de démontrer que les parties ont participé à une entente anticoncurrentielle dont l'objet était de se répartir les lignes scolaires constitutives des lots mis sur le marché par le Conseil général. Il convient, en premier lieu, de rappeler les principes qui guident la qualification de telles pratiques (a) en second lieu, de présenter les règles d'administration de la preuve (b) et enfin d'analyser l'ensemble de ces principes au cas d'espèce (c).

a) Rappel des principes applicables

103. Le Conseil, puis l'Autorité de la concurrence ont plusieurs fois rappelé que la constitution, par des entreprises indépendantes et concurrentes, de groupements, en vue de répondre à un appel d'offres, n'est pas illicite en soi (décision n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales et arrêt de la Cour d'appel de Paris du 5 janvier 2010). De tels groupements peuvent avoir un effet " pro-concurrentiel " s'ils permettent à des entreprises ainsi regroupées de concourir alors qu'elles n'auraient pas été capables de le faire isolément, ou de concourir sur la base d'une offre plus compétitive ou de meilleure qualité.

104. Toutefois, un groupement peut avoir un caractère anticoncurrentiel s'il provoque une diminution artificielle du nombre des entreprises candidates, dissimulant une entente anticoncurrentielle ou de répartition des marchés. Le groupement est ainsi condamné lorsqu'il est formé dans le seul but de restreindre la concurrence et qu'il est sans justification économique ou technique. Ainsi, dans sa décision n° 04-D-50 du 3 novembre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre lors d'appels d'offres organisés par le Syndicat intercommunal d'assainissement de la Vallée des Lacs, le Conseil de la concurrence a considéré que l'offre présentée en groupement ne comportait aucune justification économique ou technique sérieuse dans la mesure où les deux sociétés mises en cause avaient la même envergure et la même spécialisation et que chaque marché avait une dimension compatible avec la taille de chacune des entreprises. De plus, en se groupant pour soumissionner, les entreprises s'étaient réparti les marchés et avaient opéré entre elles une compensation afin que chacune d'entre elles perçoive au final une somme équivalente pour l'exécution des travaux.

105. Dans sa décision n° 08-D-22 du 9 octobre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics du département du Haut-Rhin, le Conseil de la concurrence a considéré que " l'atteinte au jeu de la concurrence résultant de la constitution d'un groupement non justifié par des raisons légitimes (...) réside dans le fait que cette constitution réduit artificiellement ou empêche les offres concurrentes, en particulier lorsque l'accord empêche les membres du groupement " artificiel " de présenter une offre individuelle ou dans le cadre d'un groupement " légitime ".

Ainsi, un groupement est qualifié d'entente anticoncurrentielle s'il a pour objet ou pour effet d'empêcher une concurrence potentielle, à l'intérieur même ou à l'extérieur du groupement ".

106. L'objet anticoncurrentiel d'un groupement est ainsi notamment révélé lorsque le groupement a été constitué entre des entreprises qui se sont réunies en vue de reconduire à l'identique les conditions d'exécution de prestations que la collectivité publique, antérieurement à l'appel d'offres, répartissait déjà entre ces entreprises (décision n 95-D-56 du 12 septembre 1995 relative à des pratiques mises en œuvre par des entreprises de transport sanitaire lors de la passation d'un marché avec le centre hospitalier de Tourcoing et décision n° 09-D-03 précitée).

b) Sur l'administration de la preuve

107. Selon une jurisprudence constante, l'existence d'une pratique anticoncurrentielle peut être caractérisée soit par des preuves matérielles se suffisant à elles-mêmes, soit par un faisceau d'indices graves, précis et concordants constitués par le rapprochement de divers éléments recueillis au cours de l'instruction.

108. La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 décembre 1992, a admis la valeur probatoire d'un faisceau d'indices : " à l'évidence l'existence et l'effectivité d'une entente (...) ne sont normalement pas établies par des documents formalisés, datés et signés, émanant des entreprises auxquelles ils sont opposés (...) la preuve ne peut résulter que d'indices variés dans la mesure où, après recoupement, ils constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes ". La Cour d'appel de Paris ces principes (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 septembre 2010, Raffalli & Cie).

109. Concernant la valeur probatoire des procès-verbaux de déclarations, la Cour d'appel de Paris a jugé, dans un arrêt du 26 janvier 2012 dans l'affaire dite des " Parfums ", non remise en cause par la Cour de cassation sur ce point que " quant à la valeur probante des différents éléments de preuve, que le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité ; que selon les règles générales en matière de preuve, la crédibilité et partant la valeur probante d'un document dépend, de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et de son contenu ; qu'en ce qui concerne la valeur probante des déclarations, une crédibilité particulièrement élevée peut être reconnue à celles qui premièrement, sont fiables, deuxièmement sont faites au nom d'une entreprise, troisièmement proviennent d'une personne tenue de l'obligation professionnelle d'agir dans l'intérêt de cette entreprise, quatrièmement vont à l'encontre des intérêts du déclarant, cinquièmement, proviennent d'un témoin direct des circonstances qu'elles rapportent et, sixièmement ont été fournies par écrit, de manière délibérée et après mûre réflexion " (page 46 de l'arrêt).

c) Application au cas d'espèce

110. Les entreprises mises en cause soutiennent que la démonstration du caractère anticoncurrentiel de l'entente repose seulement sur des déclarations et que dès lors, la preuve de l'entente notifiée n'est pas rapportée. En particulier, elles discutent la valeur probante des déclarations de M. D dont elles considèrent qu'elles n'engagent que lui et qu'il n'en aurait pas mesuré la portée. En outre, elles affirment que ces déclarations ne constituent en rien la démonstration que les autres entreprises mises en cause se soient inscrites dans une perspective analogue (cote 3503).

111. Cependant, les déclarations précitées, faites au cours de l'enquête administrative, comme toutes les pièces du dossier émanent des principaux responsables des entreprises mises en cause et révèlent de façon précise et concordante l'organisation et la mise en œuvre de l'entente. Les personnes entendues ont toutes été témoins directs des faits et nombre d'entre elles ont pris une part personnelle et déterminante dans l'entente.

112. En l'espèce, les déclarations de M. D concordent avec celles de M. B et de M. X et permettent de mettre en lumière les objectifs du groupement dont la convention en son point " E " sous " V. Fonctionnement " précise notamment que celui-ci est chargé de procéder à la désignation du ou des éventuels exploitants de chaque lot obtenu (cote 320).

113. La valeur probatoire de la déclaration d'un témoin direct est d'autant plus grande que cette déclaration va à l'encontre de l'intérêt de l'entreprise dont ce témoin est membre. Tel est bien le cas, de sorte que les déclarations des dirigeants des entreprises en cause constituent chacune un indice particulièrement probant.

114. Force est de constater que ces déclarations précisent de façon concordante que le groupement avait pour objet la répartition entre ses membres des lignes scolaires constitutives des lots mis sur le marché par le Conseil général, la limitation de la concurrence vis-à-vis des entreprises non membres du groupement, et le maintien du niveau des prix des prestations de ramassage scolaire et des parts de marché.

i) La répartition entre les membres du groupement des lignes scolaires

115. Les déclarations concordantes mentionnées ci-dessus (paragraphes 45 à 47) confirment l'objectif de répartition des lignes scolaires entre les membres du groupement.

116. Ceci ressort notamment d'une déclaration de M. Louis X, président des Autocars Mügler et Cie : " Quand le lot défini par le Conseil général regroupe des lignes exploitées jusqu'alors par plusieurs transporteurs, le groupement se justifie pleinement, car il permet après avoir été déclaré attributaire de redistribuer les lignes à chacun des exploitants historiques. " (cote 86).

117. Ainsi, l'entente visait notamment la répartition historique des lignes entre autocaristes locaux, et ce, même lorsque le Conseil général redéfinissait les lots en regroupant plusieurs lignes.

ii) Assécher la concurrence dans la partie nord du département

118. De même, il ressort des déclarations précédemment citées (paragraphes 48 et 49) que les membres du groupement ont instauré une discipline commune visant au respect, par chaque adhérent, des positions historiques acquises avec une volonté conjointe de ne pas tenter de s'implanter sur le territoire d'une autre entreprise.

119. Les entreprises mettent en avant quelques contrexemples montrant que certaines lignes appartenant à des lots détenus par le groupement ont pu changer d'exploitant (cotes 3495 et 3496) :

- la ligne 320, historiquement exploitée par la société Mügler dans le cadre du groupement, " désormais " exploitée par la société Striebig à l'occasion d'un changement du point de départ de la ligne ; les parties n'indiquent cependant pas de quel lot et de quelle consultation relève cette ligne ;

- " divers lots et circuits qui ont changé d'attributaire notamment entre les sociétés Mügler et Antoni, étant donné que les conditions d'exploitations respectives permettaient une meilleure offre dans le cadre du groupement ".

- un lot n° 5 cité dans le RAE (cote 3143) : bien que plus proche du site d'exploitation des Autocars Royer, ce circuit est exploité par la société Striebig.

120. Toutefois ces exemples sont rares et peu étayés et ne permettent pas de remettre valablement en cause les déclarations concordantes de plusieurs membres du groupement indiquant que celui-ci visait à maintenir les parts de marchés de ses membres.

iii) Maintenir le niveau des prix et des parts de marchés

121. Enfin il ressort des déclarations des membres du groupement (paragraphes 51 et 52) que celui-ci visait également à maintenir les prix des prestations de ramassage scolaire obtenus du Conseil général.

122. En particulier, M. D a indiqué que les tarifs journaliers des prestations pour les lots N1, N4, N5, N8, N9 étaient compris entre 250 et 300 euro hors taxes. À plusieurs reprises, il a reconnu que ces tarifs rémunéraient " très confortablement " les services effectués, notamment à propos des lots N1, N4 et N5 lors de la consultation de 2012.

123. À titre d'exemple, M. Christian E, gérant de la SARL Auto transport Wingert, déclarait à propos des prestations réalisées dans la partie sud du département qu'" en matière tarifaire, compte tenu de la concurrence existante, je ne dispose pas d'une grande marge de manœuvre si je souhaite être véritablement compétitif. Aussi j'essaie d'optimiser l'organisation de ces circuits scolaires avec une réutilisation des véhicules en heures creuses afin de pouvoir remettre une proposition de prix attractive. Ainsi, à titre d'exemple, j'ai réalisé pour 6 500 euro de chiffre d'affaires " piscine " sur le seul mois d'octobre 2012 avec des communes ou des communautés de communes avoisinantes. Cela me permet d'être compétitif dans mes remises de prix au Conseil général. Les prix remis oscillent entre 150 et 180 euro toutes taxes comprises par jour et par véhicule " (cote 409).

124. Ces déclarations concordantes confirment que parmi les objectifs du groupement Avenir Transport figurait celui de maintenir des tarifs journaliers plus élevés dans la zone nord du département du Bas-Rhin.

3. SUR LE CONTEXTE JURIDIQUE ET ÉCONOMIQUE

125. Les parties tentent de justifier le recours à la formation d'un groupement pour répondre aux appels d'offres par le contexte juridique et économique dans lequel les pratiques s'insèrent.

126. À cet égard elles soutiennent que le groupement " justifie d'éléments d'optimisation au profit de la collectivité départementale " (cote 3494), notamment une harmonisation progressive du parc d'autocars autour de deux marques afin de réduire les coûts et la définition d'un autocar type permettant l'interopérabilité au sein du groupement. Elles mettent également en avant " la mise en place d'un système d'informations voyageurs commun qui a directement profité au réseau départemental " ainsi que " l'organisation de formations communes aux différentes entreprises " (cote 3506). Elles se prévalent aussi de certaines exigences techniques et de contraintes d'exploitation contenues dans le cahier des charges :

- l'ancienneté des véhicules utilisés pour le transport des élèves : " la limite d'âge des véhicules a été portée à 16 ans, voire 12 pour certains lots, alors même qu'elle était dans le cadre des procédures passations précédentes portées à 19 ans ", alors que " la problématique de l'âge des véhicules revêt une importance prépondérante dans l'appréciation de la valeur technique des offres " (cote 3454) ;

- les exigences qualitatives en matière de formation du personnel, d'état des véhicules et de dispositions environnementales (cote 3456) ;

- les exigences en termes d'horaires de service, de présence aux points d'arrêt et de temps de parcours intermédiaires (cote 3455).

127. Les entreprises font également valoir que compte tenu, d'une part, du délai particulièrement réduit pour formaliser une réponse, et, d'autre part, de la nécessité de se trouver effectivement en situation d'exécuter les prestations attendues par l'institution départementale en cas d'attribution, le groupement permet une certaine mutualisation des moyens techniques et ce notamment, au regard de la disponibilité des véhicules et des personnels de conduite.

128. Cependant, l'enquête administrative a établi qu'il n'existait pas de synergies ou de mutualisations entre les membres du groupement au-delà de la répartition initiale des lots.

Ceci est confirmé par les propos de M. Louis X qui a déclaré le 20 septembre 2012 : " Même en cas de problème (car en panne au démarrage, chauffeur inopinément absent ou malade) sur un circuit scolaire, nous avons toujours trouvé une solution interne et nous avons rarement eu besoin de recourir aux services d'un autre membre du groupement Avenir Transport pour exécuter notre prestation de transport scolaire (sauf appel Antoni à quelques reprises) " (cote 86).

129. Les propos de M. Rémy D vont dans le même sens. Il a ainsi déclaré le 20 septembre 2012 : " À l'exception des cas de défaillances mécaniques ou humaines, qui sont très rares, les membres du groupement n'envisagent à aucun moment de mettre leurs différents moyens en commun. Il n'y a pas de synergie en matière d'exploitation des lignes.

Lorsque nous remettons une proposition de prix au mandataire du groupement pour les lignes qui nous intéressent, il est évident que la société des Autocars Striebig est capable d'exécuter cette prestation par elle-même " (cote 243).

130. En conséquence, contrairement à ce qui est prétendu, les mises en cause n'établissent d'aucune manière qu'il était économiquement nécessaire de candidater sous la forme d'un groupement d'entreprises pour répondre aux appels d'offres.

131. Les membres du groupement mis en cause dans la présente affaire prétendent ensuite que l'idée d'un groupement serait née de l'intention du Conseil général de créer à terme une délégation de service public par bassin géographique.

132. En particulier, M. Louis X, président de la SAS Autocars Mügler a précisé que : " la création d'un groupement a été envisagée en 1999 suite à la volonté exprimée par le Conseil général de limiter le nombre des interlocuteurs en envisageant de grouper les lignes par secteur : Haguenau, Wissembourg, Saverne, Sélestat et Bruche-Piemont. Cette hypothèse de travail ne s'est pas réalisée mais c'est ce qui nous a motivés, car il nous aurait été impossible de répondre individuellement à de tels lots, compte tenu de la taille de nos structures respectives " (cote 85).

133. Cependant, les déclarations des entreprises ainsi que l'analyse des appels d'offres pour des services de transport scolaire initiés par le Conseil général du Bas-Rhin, montrent que sur la période incriminée, celui-ci n'a jamais changé la politique d'allotissement (paragraphe 41).

134. Or, il résulte des constatations (voir paragraphes 41 à 43) que la politique d'allotissement du Conseil général rendait les marchés de transports scolaires accessibles à l'ensemble des transporteurs routiers de voyageurs, quelle que soit leur taille. Les membres du groupement ont ainsi indiqué dans leurs déclarations qu'ils étaient capables d'assurer seuls l'exécution des lignes attribuées, et que cette activité ne présentait pas de difficulté technique.

135. Enfin, les entreprises soutiennent que l'Autorité a sous-estimé l'intensité concurrentielle du marché et en particulier la menace que constituerait l'entreprise Carpostal (cote 3442). Elles mentionnent également les stratégies offensives de groupes nationaux comme Keolis, qui ont remporté des marchés dans certains départements grâce à des prix jugés prédateurs (cote 3443).

136. S'agissant de l'entreprise Carpostal, celle-ci exploite le réseau interurbain de Hagenau et Schweighouse-sur-Moder. Toutefois, elle n'a candidaté pour aucun des lots de transport scolaire mis en concurrence par le Conseil général du Bas-Rhin entre 2010 et 2012, et n'exploitait aucune ligne départementale de transport scolaire à la rentrée 2012.

137. Concernant ensuite d'éventuelles " pratiques de prédation " mises en œuvre par les grands groupes nationaux de transport de voyageurs (cote 3440), leurs offres n'ont pas été considérées comme suffisamment compétitives lors des appels d'offres de 2010, 2011 et 2012 si bien qu'elles ne constituaient pas une concurrence réelle, comme cela a été montré aux paragraphes 65 à 68.

138. De plus, face à l'arrivée de nouveaux concurrents, l'intérêt de la constitution d'un tel groupement aurait dû être de proposer des offres plus compétitives. Or, il n'est pas démontré que le groupement Avenir Transport ait proposé des prix plus bas ou des prestations de meilleure qualité que ne l'auraient fait ses membres en candidatant isolément. Ces éléments confirment, au contraire, que le groupement Avenir Transport rassemblait les autocaristes locaux capables de présenter des offres compétitives dans le périmètre de la pratique.

139. Les mises en cause soutiennent, s'agissant encore des conditions de concurrence, que les services situés à une distance supérieure à 20/25 km des bases logistiques, compte tenu des coûts de roulage induits par les kilomètres et les temps de pré-acheminement, disqualifient un grand nombre d'opérateurs et que cette réalité économique expliquerait une " pratique défensive " qu'il ne faudrait pas assimiler à une pratique anticoncurrentielle.

140. Elles prétendent qu'il était très difficile d'adopter sur le marché des transports scolaires une stratégie offensive en cherchant à remporter de nouvelles lignes, puisque cela supposerait la création de bases logistiques nouvelles, ce qui représente un coût important (cotes 3459 et 3460). Tout d'abord, elles affirment que la rentabilité des lignes est trop incertaine dans la mesure où, au stade de la candidature, l'entreprise ne sait pas si elle pourra combiner une nouvelle ligne scolaire avec d'autres services analogues dans la journée. Ensuite, elles font valoir que les marchés à bons de commande ne permettent pas aux opérateurs locaux d'obtenir une garantie de rémunération minimum. Selon les parties, les marchés de courte durée confèrent une prime au sortant qui dispose déjà de l'autocar et du conducteur pour effectuer le circuit. Enfin, le pouvoir adjudicateur dispose de la faculté de renoncer à la reconduction de ce type de marché chaque année (dans la limite de la durée du marché soit entre un et quatre ans).

141. Toutefois, ces arguments concernent, par définition, l'ensemble des lots de transport scolaire ayant fait l'objet d'appels d'offres initiés par le Conseil général du Bas-Rhin. Les entreprises de transport sont toutes placées dans la même situation ; ceci résulte de l'organisation même d'un marché public. En réalité, ces développements visent à réaffirmer que la proximité d'une entreprise du départ d'un circuit scolaire lui confère généralement un avantage pour le lot concerné mais n'expliquent pas en quoi la constitution d'un groupement pouvait améliorer la compétitivité d'entreprises déjà implantées localement et qui ne faisaient preuve d'aucune volonté de gagner de nouveaux marchés.

142. En tout état de cause, ces éléments ne permettent pas de remettre en cause les déclarations concordantes de certaines entreprises, membres du groupement, qui précisent que le groupement a renoncé à conquérir de nouveaux marchés dans une logique de " non-agression " des autres autocaristes de la région.

143. En conséquence, aucun des arguments avancés par les parties n'établit que la création du groupement trouve son fondement dans une réponse économiquement justifiée et appropriée.

4. CONCLUSION SUR L'OBJET ANTICONCURRENTIEL DU GROUPEMENT AVENIR TRANSPORT

144. Le fonctionnement de l'entente est décrit dans les déclarations concordantes des responsables des membres du groupement Avenir Transport. Les entreprises admises à concourir ont également respecté une règle de partage des marchés. Le groupement a servi de relais aux choix préconisés par les membres de l'entente.

145. En résumé, l'entente de répartition des différents lots offerts par le Conseil général entre 2010 et 2012 a été instituée par la constitution du groupement Avenir Transport. Les membres de ce groupement ont accepté ce système collusif. Aucun ne s'est distancié publiquement de ce système contrevenant au droit de la concurrence.

146. Il ressort de ce qui précède que l'objet anticoncurrentiel du groupement Avenir Transport pour les appels d'offres de services de transport scolaire lancés par le Conseil général du Bas-Rhin en 2010, 2011 et 2012 est établi.

D. SUR LA CONTINUITÉ DE LA PRATIQUE

147. La pratique mise en œuvre par les membres des groupements Avenir Transport sur l'ensemble des appels d'offres 2010, 2011 et 2012 relatifs aux marchés d'exécution de services de transport scolaires doit être considérée comme continue. En effet, le groupement Avenir Transport, reconstitué d'année en année, poursuivait le même objectif anticoncurrentiel, et l'a appliqué de façon systématique lors de chaque consultation du Conseil général du Bas-Rhin pour les services de transport scolaire de 2010 à 2012.

148. Les mêmes entreprises ont pris part au groupement pour les années 2010, 2011 et 2012, avec les mêmes personnes physiques à leur tête, mettant en œuvre la même pratique. Le champ géographique de la pratique est le même à chaque consultation : il s'agissait de la partie nord du département du Bas-Rhin.

149. Les éléments du dossier et les déclarations montrent que de tels faits, qui se sont renouvelés régulièrement sur au moins trois ans, n'étaient pas des actes isolés mais s'inscrivaient dans une politique d'allotissement ayant perduré pendant plusieurs années sans présenter d'interruption significative. Ces faits, procédant d'une volonté commune persistante, ne peuvent pas s'analyser comme des infractions distinctes mais doivent être considérés comme une infraction continue.

150. Cette pratique continue a débuté au moment de la constitution du groupement en vue des appels d'offres de 2010, soit le 3 mars 2010 (cote 322), et s'est poursuivie au moins jusqu'au dernier appel d'offres de 2012, soit le 4 juin 2012. Elle a en outre produit des effets et est susceptible de continuer à en produire jusqu'au 2 juillet 2016, date d'échéance des derniers lots en cours d'exécution.

E. L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

1. RAPPEL DES PRINCIPES

151. Ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante, lorsque l'existence d'une infraction est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise en cause au moment où l'infraction a été commise, afin qu'elle réponde de cette infraction. L'infraction doit, ainsi, être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger la sanction.

152. La notion d'entreprise et les règles d'imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence de l'Union européenne. Bien que l'interprétation qu'en donnent les juridictions de l'Union ne s'impose pas à l'autorité nationale de concurrence et aux juridictions nationales lorsqu'elles appliquent les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, l'Autorité retient cette interprétation afin d'assurer la cohérence de sa pratique décisionnelle en matière d'imputabilité (voir décisions n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques, paragraphe 597, et n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, paragraphe 352).

153. Le juge de l'Union a précisé que la notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97-08 P, Rec. 2009 p. I-8237, point 55, du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C-201-09 P et C-216-09 P, Rec. 2011 p. I-2239, point 95, du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521-09 P, Rec. 2011 p. I-8947, point 53, et de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011-01228, p. 18). C'est cette entité économique qui doit, lorsqu'elle enfreint les règles de concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de responsabilité personnelle sur lequel repose le droit de la concurrence de l'Union.

154. Ainsi, au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêts AkzNobel e.a./Commission, précité, point 58, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., précité, point 96, Elf Aquitaine/Commission, précité, point 54, et Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 19).

155. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (arrêts de la Cour de justice, AkzNobel e.a./Commission, précité, point 60, General Química e.a./Commission, précité, points 2 et 42, du 29 septembre 2011, Arkema/Commission, C-520-09 P, point 42, et de la Cour d'appel de Paris, Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).

156. Dans cette hypothèse, il suffit pour l'autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteur des pratiques à la société mère (arrêts AkzNobel e.a./Commission, précité, point 61, Elf Aquitaine/Commission précité, point 57, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).

2. APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE

157. Les entreprises membres du groupement Avenir Transport en 2010, 2011 et 2012 qui n'ont pas accepté la transaction proposée par le ministre chargé de l'Economie, et qui font donc l'objet de la saisine, sont les suivantes : Autocars Mügler et Cie SAS, Cars des Rohan SARL, Autocars et transport Royer SASU et Staub Voyages SARL.

158. Comme il a été démontré supra, les sociétés Autocars Mügler et Cie SAS, Cars des Rohan SARL, Autocars et Transport SASU et Staub Voyages SARL ont, en tant que telles, adhéré au groupement et donc pris part aux pratiques anticoncurrentielles constatées. Leur responsabilité doit donc être retenue en tant qu'auteures des pratiques.

159. La SAS Autocars Mügler et Cie et la SARL Cars des Rohan appartiennent, respectivement à hauteur de 99,96 % et de 100 %, à la holding Mügler Finance SAS (RCS Saverne 675 680 086) qui doit donc être considérée comme solidairement responsable des pratiques mises en œuvre par ces deux filiales (cotes 1663 et 1666), ce qu'elle ne conteste pas.

160. La SASU Autocars et Transport Royer est détenue à 100 % par Royer holding SAS (RCS Strasbourg 414 375 436) qui doit donc être considérée comme solidairement responsable des pratiques mises en œuvre par sa filiale (cote 1654), ce qu'elle ne conteste pas.

161. De ce fait et compte tenu des principes relatifs à l'imputabilité exposés précédemment, il convient de retenir la responsabilité des personnes suivantes pour les pratiques poursuivies :

- à la société Autocars Mügler et Cie pour sa participation directe pendant l'intégralité de la durée retenue des pratiques ;

- à la société Cars des Rohan, pour sa participation directe pendant l'intégralité de la durée retenue des pratiques ;

- à la société Mügler Finance en tant que société-mère de la société Cars des Rohan et de la société Autocars Mügler et Cie pendant l'intégralité de la durée retenue des pratiques ;

- à la société Autocars et Transport Royer, pour sa participation directe pendant l'intégralité de la durée retenue des pratiques ;

- à la société Royer holding en tant que société-mère de la société Autocars et Transport Royer pendant l'intégralité de la durée retenue des pratiques ;

- à la société Staub Voyages, pour sa participation directe pendant l'intégralité de la durée retenue des pratiques.

III. Sur les sanctions

162. Seront successivement abordés ci-après :

- les principes relatifs à la détermination des sanctions (A) ;

- la détermination du montant de base (B) ;

- la prise en compte des circonstances propres à chaque entreprise (C) ;

- les ajustements finaux (D).

A. PRINCIPES

163. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce habilite l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce.

164. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce " (s)i le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".

165. Par ailleurs, le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le (titre VI du livre IV du Code de commerce). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".

166. L'article L. 464-5 du Code de commerce dispose que l'Autorité peut, lorsqu'elle met en œuvre la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 du Code de commerce, prononcer les sanctions prévues au I de l'article L. 464-2 de ce Code. Toutefois, la sanction ne peut excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs des pratiques prohibées.

167. En l'espèce, l'Autorité appréciera ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après " le communiqué sanctions ").

168. Chacune des entreprises en cause dans la présente affaire a été mise en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles d'influer sur la détermination de la sanction pouvant lui être imposée, à la suite de la réception de la notification des griefs simplifiée décrivant ces différents éléments.

B. SUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE

1. SUR LA MÉTHODE UTILISÉE POUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE

169. Le point 23 du communiqué sanctions dispose que :

" Pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retient, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction ou, s'il y a lieu, les infractions en cause. La valeur de ces ventes constitue en effet une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où elle permet d'en proportionner au cas par cas l'assiette à l'ampleur économique de l'infraction ou des infractions en cause, d'une part, et au poids relatif, sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s), de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d'autre part.

Elle est donc retenue par l'Autorité, à l'instar d'autres autorités de concurrence européennes, de préférence au chiffre d'affaires total de chaque entreprise ou organisme en cause, qui peut ne pas être en rapport avec l'ampleur de ces infractions et le poids relatif de chaque participant sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s). (...)

170. Ainsi, l'Autorité retient la valeur des ventes de l'ensemble des catégories de produits en relation avec l'infraction effectuées par chacune des entreprises en cause, durant son dernier exercice comptable complet de participation à cette infraction, comme assiette de leur sanction respective.

171. Toutefois, en l'espèce, les valeurs des ventes transmises par les entreprises pour les années 2010, 2011 et 2012 varient fortement d'année en année et ne sauraient constituer une donnée représentative pour calculer le montant de la sanction. De plus, ces montants dépendent largement des répartitions effectuées entre les entreprises dans le cadre de l'entente, et également des dates de renouvellement des lots dont elles sont titulaires. Ces données ne constituent donc pas un indicateur approprié de leur poids relatif dans les pratiques poursuivies.

172. Le communiqué sanctions (points 67 et 68) prévoit une méthode spécifique à la détermination des sanctions pécuniaires dans le cas de pratiques mises en œuvre à l'occasion d'appel d'offres :

" La méthode décrite à la section IV.A.2 ci-dessus sera adaptée dans les cas de pratiques anticoncurrentielles portant sur un ou plusieurs appels d'offres ponctuels et ne relevant pas d'une infraction complexe et continue. En effet, la valeur des ventes ne constitue pas un indicateur approprié de l'ampleur économique de ces pratiques, qui revêtent un caractère instantané, et du poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y prend part, en particulier lorsque leur implication consiste à réaliser des offres de couverture ou à s'abstenir de soumissionner.

Le montant de base de la sanction pécuniaire résultera alors de l'application d'un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, au chiffre d'affaires total réalisé en France par l'organisme ou par l'entreprise en cause, ou par le groupe auquel l'entreprise appartient, en principe pendant l'exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l'infraction ou du dernier exercice comptable complet s'il en existe plusieurs. Ce coefficient tiendra compte du fait que ces pratiques, qui visent à tromper les maîtres d'ouvrage sur l'effectivité même de la procédure d'appel d'offres, se rangent par leur nature même parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence et sont parmi les plus difficiles à détecter en raison de leur caractère secret ".

173. La Cour d'appel de Paris a confirmé la pratique décisionnelle de l'Autorité dans le cadre d'appels d'offres ayant faussé la concurrence en validant le choix de la méthode employée pour déterminer la sanction pécuniaire (Arrêts de la Cour d'appel de Paris, Lacroix signalisation précité, page 32 et société Allez et Cie e.a. du 28 mars 2013, 2011-20125, page 34 ; voir également les décisions n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, paragraphe 443 et n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, paragraphe 406). Afin de proportionner la sanction à la réalité économique de l'infraction, l'Autorité avait retenu le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises actives dans le secteur de la signalisation au cours de la période où elles se sont entendues comme base de calcul du montant des sanctions.

174. En l'espèce, le montant de base de la sanction pécuniaire résultera donc de l'application d'un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, appliqué au chiffre d'affaires total réalisé en France par les entreprises en cause pendant le dernier exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l'infraction, c'est-à-dire pendant l'année 2011.

175. Les autres éléments d'individualisation pertinents relatifs à la situation et au comportement de chacune des entreprises en cause seront pris en considération dans un second temps.

2. SUR LA GRAVITÉ DES FAITS ET DE L'IMPORTANCE DU DOMMAGE CAUSÉ À L'ÉCONOMIE

a) Sur la gravité des faits

176. Dans un arrêt du 5 janvier 2010, société d'Exploitation de l'entreprise Ponsaty SARL (2009-02679), la Cour d'appel de Paris a rappelé que, " les ententes entre entreprises concurrentes sur un même marché commises à l'occasion d'appels d'offres sont parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles parce qu'elles portent atteinte conjointement aux intérêts de consommateur ou usager et du contribuable " (page 10). Elles le sont également " en ce qu'elles aboutissent à tromper le maître d'ouvrage sur les effets de sa mise en concurrence " (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 juin 2010, société Colas Rail, 2009-19724, page 15 ; voir également les arrêts du 28 octobre 2010, Maquet SA, page 18, et du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord, 2011-03298, page 67).

177. La Cour d'appel de Paris a également jugé qu'" il ne peut être sérieusement contesté que de telles pratiques sont particulièrement graves par nature, puisqu'elles limitent l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises, si elles s'étaient déterminées de manière indépendante, le fondement même des appels à la concurrence résidant dans le secret dont s'entourent les entreprises intéressées pour élaborer leurs offres, chacune d'entre elles devant se trouver dans l'ignorance de la qualité de ses compétiteurs, de leurs capacités financières à proposer la meilleure prestation ou fourniture possible au prix le plus bas " (arrêt du 28 mars 2013, société Allez et Cie e.a. précité, page 32).

178. En effet, l'objet même de l'appel d'offres sur un marché public est d'assurer une mise en concurrence pleine et entière des entreprises susceptibles d'y répondre au profit de la personne publique. Dès lors, la mise en échec du déroulement normal des procédures d'appel d'offres, en empêchant la fixation des prix par le libre jeu du marché et en trompant la personne publique sur la réalité et l'étendue de la concurrence qui s'exerce entre les entreprises soumissionnaires, perturbe le secteur où a lieu une telle pratique et porte une atteinte grave à l'ordre public économique.

179. En outre, la pratique en cause a contribué à faire échec à un processus de mise en concurrence pour la réalisation d'une prestation dont les finances publiques supportent le coût et qui vise à assurer un service public essentiel.

180. À cet égard, dans sa décision n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales, le Conseil de la concurrence a indiqué que " l'entente a porté préjudice à des collectivités publiques et, de jurisprudence constante, la tromperie de l'acheteur public porte une atteinte grave à l'ordre public économique " (paragraphe 115).

181. Cette circonstance est de nature à renforcer un peu plus la gravité des pratiques.

182. Par ailleurs, il y a lieu de prendre en compte, pour apprécier l'impact de la pratique, la durée complète d'exécution du marché (décision n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, paragraphe 370 et décision n° 13-D-09 du 17 avril 2013 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la reconstruction des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan, paragraphe 157).

183. Dans le cas présent, il est constaté que les pratiques se caractérisent par le fait qu'elles ont duré trois ans entre 2010 et 2012. En outre, chaque entreprise a continué d'adhérer au groupement jusqu'à la fin de l'exécution de chacun des marchés obtenus par celui-ci. Les pratiques sont donc susceptibles de produire leurs effets à hauteur des marchés encore en cours d'exécution, soit jusqu'au 2 juillet 2016.

184. Afin d'atténuer la gravité de l'infraction, les mises en cause affirment que la constitution du groupement aurait été inspirée, voire suggérée par le Conseil général du Bas-Rhin lui-même, qui aurait envisagé à la fin des années 1990 d'agglomérer les appels d'offres de transport sous la forme de lots plus importants et homogènes.

185. Cependant, les éléments fournis par les mises en cause à l'appui de leurs prétentions ne concernent que les services de transport interurbain, et non le transport scolaire.

186. En tout état de cause, comme indiqué précédemment, il ressort de l'enquête administrative que le Conseil général du Bas-Rhin a, pendant toute la période des pratiques, eu le souci d'allotir les marchés de transport scolaire de manière à ce qu'ils soient accessibles aux transporteurs locaux, de sorte que l'argument avancé n'est pas fondé.

187. Cet argument sera donc écarté.

b) Sur l'importance du dommage causé à l'économie

Rappel des principes

188. Il est de jurisprudence constante que l'importance du dommage causé à l'économie s'apprécie de façon globale pour les pratiques en cause, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants, sans qu'il soit besoin d'identifier la part imputable à chacun d'entre eux pris séparément (décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-09 du 17 avril 2013 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la reconstruction des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan, arrêts de la Cour de cassation du 18 février 2004, CERP e.a., n° 02-11754, et de la Cour d'appel de Paris du 17 septembre 2008, coopérative agricole l'Ardéchoise, n° 2007-10371, p. 6).

189. Ce critère légal ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale que ces pratiques sont de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007-18040, p. 4).

190. L'Autorité, qui n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie, doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, Orange France, n° 2010-12049, p. 5, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité, et l'arrêt du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., n° 2012/23945, p. 89).

L'existence du dommage à l'économie ne saurait donc être présumée.

191. En se fondant sur une jurisprudence établie, l'Autorité tient notamment compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, de l'ampleur de l'infraction telle que caractérisée entre autres par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des parties sur le secteur concerné, de sa durée, des conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur concerné (voir, par exemple, l'arrêt de la cour d'appel du 30 juin 2011, Orange France précité, et du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord précité, page 70). Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, pourvoi n° C 04-13.910).

192. Dans les cas d'ententes portant sur des marchés d'appels d'offres, le montant des marchés affectés constitue un des éléments d'appréciation de l'importance du dommage causé à l'économie, ainsi que l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans la décision n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales, même si celui-ci ne se limite pas à ce montant.

193. Enfin, l'Autorité tient généralement compte de la valeur d'exemple que ce type de comportement peut constituer pour d'autres marchés publics.

Application au cas d'espèce

Sur l'ampleur de l'infraction

194. Les marchés attribués lors des appels d'offres de 2010 à 2012 et en cours d'exécution par les membres du groupement Avenir Transport à la rentrée 2012-2013 dans le secteur nord du département représentent environ 4,2 millions d'euro hors taxes (tableau du Conseil général, cotes 1148, 1150, 1152, 3113, 3114 et 3115).

195. Cette pratique a regroupé sept entreprises dont la part de marché cumulée est de 89 % sur le secteur des transports scolaires publics dans la partie nord du département du Bas-Rhin, à l'exclusion de " l'Alsace bossue ", sur les appels d'offres 2010, 2011 et 2012. Les pratiques ont donc porté sur la quasi-totalité du marché affecté. Les entreprises hors entente, principalement Sotram, Bentz et un groupement Kunegel-Transdev apparu en 2012, ne représentaient que 11 % du marché concerné et deux de ces acteurs ne disposaient pas de bases logistiques dans ce territoire, ce qui de fait les désavantageait dans leur positionnement pour les appels d'offres.

196. En outre, si la pratique est avérée jusqu'à la date de la notification des griefs, le dommage à l'économie s'étend jusqu'à l'été 2016, puisque certains marchés ont été attribués pour quatre années scolaires. Cet effet se réduit d'année en année, entre 2013 et 2016, dans la mesure où les marchés les plus courts sont annuels (selon le calendrier scolaire) et les plus longs quadriannuels.

197. Enfin, la pratique est d'une grande stabilité puisqu'elle a concerné l'ensemble des lots dans le secteur nord du département, pendant la période considérée. En outre, il a été démontré que les membres du groupement s'appliquaient une discipline commune.

Sur les caractéristiques économiques du secteur concerné

198. Le secteur des transports scolaires présente une élasticité-prix de la demande faible puisque le maître d'ouvrage est dans l'obligation de proposer des services. Face à une entente représentant environ 90 % du marché, le maître d'ouvrage ne disposait pas non plus d'une frange concurrentielle suffisamment importante pour contrebalancer le pouvoir du groupement.

199. Par ailleurs, comme souligné ci-dessus (paragraphes 21 à 24), les entreprises extérieures au groupement ne disposaient pas, pour la plupart d'entre elles, de base logistique dans la partie nord du Bas-Rhin. Compte tenu de cet obstacle à leur développement sur le marché, il n'est pas surprenant qu'elles aient proposé des prix sensiblement supérieurs aux offres du groupement Avenir Transport, ainsi que l'a souligné ce dernier. En revanche, pour chaque appel d'offres, plusieurs entreprises membres du groupement étaient en mesure de proposer, compte tenu de leur implantation, des offres individuelles qui, mises en concurrence, auraient été compétitives.

Sur les effets conjoncturels de la pratique

200. Selon les parties (cote 3515), le fait que le pouvoir adjudicateur n'ait pas déclaré les offres du groupement Avenir Transport inacceptables, démontrerait qu'elles n'étaient pas sensiblement supérieures au prix du marché. Elles font ainsi valoir que, s'agissant de marchés à bons de commande, le Conseil général était libre de ne pas les renouveler à chaque rentrée scolaire, leur renouvellement attestant a contrario du niveau satisfaisant des prix. Toutefois, le fait que le pouvoir adjudicateur renouvelle un marché dans les limites prévues n'est pas une preuve du niveau concurrentiel des prix, d'autant que, dès lors que le groupement avait asséché la concurrence sur le marché, le pouvoir adjudicateur n'avait aucun intérêt à réorganiser des consultations.

201. Des éléments tant qualitatifs que quantitatifs permettent d'apprécier l'ampleur des effets conjoncturels.

202. S'agissant des éléments qualitatifs, plusieurs déclarations attestent de l'effet réel des pratiques sur le niveau des prix et la stabilité des parts de marché des membres du groupement. Le directeur de la mobilité au Conseil général du Bas-Rhin a ainsi déclaré : " S'agissant des forfaits journaliers remis par les candidats à ces marchés de transport scolaire, nos services constatent en effet, depuis quelques années, des dépassements de plus en plus fréquents et conséquents de l'estimation administrative pourtant calculée de manière très pragmatique par nos équipes techniques. Ces dépassements sont le plus souvent relevés sur la zone nord du Bas-Rhin " (procès-verbal du 15 février 2013, cote 1505). Les déclarations de deux des participants au groupement confirment également l'existence d'effets réels de la pratique. Ainsi, M. Rémy D a indiqué (cote 243) : " Le groupement permet d'apporter une réponse harmonisée et de maintenir au mieux le niveau des prix et les parts de marché détenues par chacun de ses membres ". M. Michel B a également déclaré : " [Ce groupement] est le garant d'un maintien du niveau des prix et des parts de marché détenues par les différents associés " (cote 344).

203. S'agissant des éléments quantitatifs, trois méthodes d'évaluation du surprix ont fait l'objet d'une analyse : (i) une comparaison effectuée dans le rapport administratif d'enquête des forfaits journaliers proposés au Nord et au sud du Bas-Rhin, zone non affectée par les pratiques ; (ii) une comparaison, effectuée par les services départementaux à la demande des services d'instruction, des tarifs journaliers moyens entre le nord et le sud du département pour quatre catégories de lots, définies en fonction de la longueur des lignes, du relief traversé et des véhicules utilisés ; (iii) une comparaison entre le nord et le sud du Bas-Rhin des écarts observés entre le montant annuel retenu pour chaque lot et l'estimation préalable effectuée par l'administration.

204. Les parties contestent l'utilisation du sud du département comme marché de référence, le nord et le sud du département présentant de fortes différences en termes de densité du maillage et de la population, de dispersion du réseau, de faculté de réemploi des véhicules et d'enchaînement des circuits, de temps de parcours et de distance (cotes 3480 et 3481). Elles critiquent également les comparaisons effectuées.

205. S'agissant du marché de référence, les pratiques anticoncurrentielles poursuivies concernent essentiellement le nord du département à l'exception de " l'Alsace bossue ", soit la partie du département la plus rurale et la plus vallonnée. L'exclusion de ce territoire tend donc à amoindrir les différences géographiques entre le nord et le sud du département. De plus, seule la première comparaison se fonde sur une comparaison simple des prix entre le nord et le sud, sans tenir compte d'autres facteurs susceptibles d'expliquer les différences de prix entre le nord et le sud du département.

206. S'agissant de la première méthode de comparaison, outre l'inconvénient d'une comparaison simple des prix sans prise en compte d'autres facteurs explicatifs, les prix retenus pour le sud du département ont été pratiqués par une entreprise en difficulté, susceptible de ce fait de pratiquer des prix qui ne sont pas représentatifs des prix qui auraient été pratiqués dans le nord du département en l'absence des pratiques. Les résultats de cette comparaison ne peuvent donc être retenus.

207. La deuxième méthode de comparaison, par catégorie de lots, permet quant à elle de tenir compte, à tout le moins dans une certaine mesure, des différences susceptibles d'exister entre le nord et le sud du département. Néanmoins, comme l'ont souligné les parties, les catégories apparaissent trop larges pour pouvoir contrôler les différents facteurs expliquant les niveaux de prix, si bien que les résultats de cette comparaison ne peuvent non plus être considérés comme suffisamment fiables.

208. En revanche, en portant sur les différentiels de prix par rapport aux estimations préalables de l'administration dans le nord et le sud du département, la troisième méthode de comparaison permet de tenir compte plus finement que les autres méthodes des spécificités de chaque lot.

Cette approche a notamment été utilisée dans la décision n° 11-D-02 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques, validée sur ce point par les juridictions de contrôle. Les parties remettent en cause cette comparaison, au motif que les estimations du prix des lots effectuées préalablement à l'appel d'offres par le pouvoir adjudicateur ne sont pas fiables et elles citent, à cet effet, trois lots pour lesquels l'erreur d'estimation est manifeste. Mais si la marge d'erreur avec laquelle chaque estimation préalable est effectuée peut influer sur les résultats, il n'y a pas lieu de penser qu'elle soit différente au nord et sud du département, ce d'autant plus que l'estimation est réalisée par le même pouvoir adjudicateur au nord et au sud du département. De plus, la suppression des lots pour lesquels l'estimation préalable du pouvoir adjudicateur ne semble pas fiable au vu des écarts très élevés avec les montants retenus, ne modifie pas les conclusions. En effet, en supprimant de l'échantillon tous les lots pour lesquels un écart de plus de 80 % en valeur absolue était constaté entre le montant retenu et l'estimation préalable de l'administration, le surprix constaté dans le Nord par rapport au Sud demeure manifeste, comme le montrent les analyses présentées ci-dessous. Ces résultats sont robustes aux changements de seuil à partir duquel l'écart de prix est considéré comme aberrant (les tests ont été effectués avec un seuil à 60 %, 90 % et 100 %).

209. Le tableau, ci-dessous, montre ainsi que, pour chaque année de la période 2010-2012, les prix proposés dans le Nord étaient en moyenne toujours supérieurs aux estimations réalisées par le pouvoir adjudicateur, alors que dans le Sud les montants retenus étaient en moyenne inférieurs à l'estimation préalable du pouvoir adjudicateur en 2011 et 2012, sauf en 2010. En moyenne, sur l'ensemble de la période 2010-2012, les prix étaient en moyenne supérieurs de 13 % aux estimations du pouvoir adjudicateur dans le Nord, alors qu'ils leur étaient inférieurs de 4 % en moyenne dans le Sud, ces écarts étant respectivement de 4 % et -10 % si des moyennes pondérées (plutôt qu'arithmétiques) sont utilisées.

Tableau 1 : Moyenne des écarts de prix par rapport aux estimations préalables du pouvoir adjudicateur au Nord et au Sud et estimation du surprix (un écart positif signifie que le prix est supérieur à l'estimation du pouvoir adjudicateur)

" emplacement tableau "

Source : Procès-verbaux de séance des commissions d'appels d'offres (cotes 442 à 1140 et 2983 à 3112) - Calculs réalisés par l'Autorité de la concurrence - hors données avec écarts supérieurs à 80 % en valeur absolue (12 observations sur 108)

210. Le constat de surprix dans le Nord ressort également de la comparaison du nombre de lots pour lesquels le prix était supérieur à l'estimation du pouvoir adjudicateur. Le tableau, ciaprès, montre que sur l'ensemble des années 2010 à 2012, dans le Nord, 70 % (34 sur 50) des lots avaient un prix supérieur à l'estimation du pouvoir adjudicateur, contre seulement 40% dans le Sud. En 2011, aucun lot du Nord n'avait de prix inférieur à l'estimation du pouvoir adjudicateur, contre 12 dans le Sud sur les 17 mis en jeu. En 2012, si le nombre de lots avec un prix inférieur à celui estimé par le pouvoir adjudicateur (14 lots) est légèrement plus élevé que le nombre de lots avec un prix supérieur à cette estimation (12 lots), la proportion de lots avec un prix inférieur à l'estimation reste plus élevée dans le Sud que dans le Nord.

Tableau 2 : Nombre de lots où le prix est supérieur à l'estimation du pouvoir adjudicateur (l'écart est positif) et où le prix est inférieur à cette estimation (écart négatif) dans le nord et dans le sud du département

" emplacement tableau "

Source : Procès-verbaux de séance des commissions d'appels d'offres (cotes 442 à 1140 et 2983 à 3112) - calculs réalisés par l'Autorité de la concurrence - hors données aberrantes avec écarts supérieurs à 80 % en valeur absolue (11 observations sur 108)

211. La combinaison des résultats de cette comparaison avec les éléments qualitatifs mentionnés supra confirme que la pratique a eu des effets réels significatifs sur les prix du transport scolaire.

Sur l'incidence de l'entente sur l'économie en général

212. Sur ce point, il convient de relever la valeur d'exemple que ce type de comportement peut constituer pour d'autres marchés publics. À cet égard, on peut relever que certains arguments présentés par les mises en cause, qui évoquent notamment " l'intelligence et la probité sociale ", traduisent un profond manque de compréhension des principes essentiels du droit de la concurrence. La persistance de ce type de pratique est ainsi de nature à renforcer le caractère " habituel " ou " normal " des ententes sur marchés publics pour les entreprises françaises.

c) Conclusion sur la proportion du chiffre d'affaires retenue au titre de la gravité et du dommage à l'économie

213. Au regard de l'ensemble des éléments qui précèdent, un coefficient de 2 % sera appliqué au chiffre d'affaires total réalisé en France par chacune des entreprises ayant mis en œuvre les pratiques pendant le dernier exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l'infraction.

214. Compte tenu de ce coefficient, il y a lieu de retenir le montant de base de la sanction pécuniaire suivant, pour chacune des entreprises en cause :

" emplacement tableau "

C. SUR L'INDIVIDUALISATION DES SANCTIONS

215. L'Autorité s'est engagée à adapter les montants de base retenus au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de chacune des parties en cause, qu'il s'agisse d'organismes ou d'entreprises, appartenant le cas échéant à des groupes plus larges.

216. À cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement de chaque entreprise dans le cadre de la mise en œuvre des infractions en cause, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle. Cette prise en considération peut conduire à ajuster la sanction tant à la hausse qu'à la baisse.

217. En l'espèce, aucun élément du dossier ne permet de considérer qu'une des entreprises en cause aurait joué un rôle particulier dans la conception ou la mise en œuvre de l'entente, que ce soit dans un sens aggravant ou atténuant.

D. SUR LES AJUSTEMENTS FINAUX

1. SUR LA VÉRIFICATION DU RESPECT DU MAXIMUM LÉGAL

218. Dans le cadre de la procédure simplifiée présentée au paragraphe 7, la sanction ne pourra excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs des pratiques prohibées.

219. En outre, comme indiqué précédemment, aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.

220. Le tableau ci-dessous identifie les plafonds de sanction applicables pour les entreprises destinataires des griefs :

" emplacement tableau "

221. Aucun des montants indiqués au tableau figurant au paragraphe 214, ci-dessus, n'est supérieur au plafond légal respectif des entreprises en cause.

2. SUR LA SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES

222. Au titre des éléments propres à la situation de chaque entreprise ou organisme en cause, l'Autorité s'est en dernier lieu engagée à apprécier les difficultés financières particulières de nature à diminuer la capacité contributive dont les parties invoquent l'existence, selon les modalités pratiques indiquées dans le communiqué sanctions.

223. Dans le cadre de la notification des griefs simplifiée, adressée le 5 juin 2015, les services d'instruction ont invité toutes les parties mises en cause à transmettre tout document permettant de justifier d'éventuelles difficultés financières susceptibles d'impacter leur capacité contributive. Il appartient en effet à l'entreprise de justifier l'existence de telles difficultés en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, page 73).

224. À ce titre, plusieurs entreprises ont invoqué l'existence de difficultés financières particulières de nature, selon elles, à limiter leur capacité contributive.

225. S'agissant de Autocars Mügler et Cie, l'examen des éléments financiers et comptables qu'elle a communiqués à l'appui de sa demande conduit l'Autorité à constater qu'ils constituent des preuves fiables, complètes et objectives attestant de l'existence de difficultés financières particulières et actuelles affectant sa capacité à s'acquitter de la sanction que l'Autorité envisage de lui imposer, comme indiqué au tableau ci-dessus. Il convient donc de réduire sa sanction de 91 935 euro à 40 000 euro.

226. S'agissant de Cars des Rohan, l'examen des éléments financiers et comptables qu'elle a communiqués à l'appui de sa demande conduit l'Autorité à constater qu'ils constituent des preuves fiables, complètes et objectives attestant de l'existence de difficultés financières particulières et actuelles affectant sa capacité à s'acquitter de la sanction que l'Autorité envisage de lui imposer, comme indiqué au tableau ci-dessus. Il convient donc de réduire sa sanction de 41 153 euro à 20 000 euro.

3. SUR LE MONTANT FINAL DES SANCTIONS

227. Eu égard à l'ensemble des éléments décrits plus haut, il y a lieu d'imposer les sanctions pécuniaires suivantes à chacune des entreprises en cause :

" emplacement tableau "

4. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION

228. Afin d'attirer l'attention des prestataires de transports scolaires, des collectivités publiques et des clients, il y a lieu, compte tenu des faits constatés par la présente décision et des infractions relevées, d'ordonner sur le fondement du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce la publication, à frais partagés des entreprises sanctionnées et au prorata de leurs sanctions pécuniaires, dans les éditions du journal " Dernières Nouvelles d'Alsace " et de la revue " Transport Public ", du résumé de la présente décision figurant ci-après :

Résumé de la décision :

Par décision du 27 janvier 2016, l'Autorité de la concurrence a infligé une sanction totale de 193 000 euro aux entreprises Autocars Mügler et Cie, Autocars et Transport Royer, Cars des Rohan et Staub Voyages, membres du groupement Avenir Transport pour avoir mis en œuvre des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

La décision rendue par l'Autorité de la concurrence a constaté l'existence d'une entente anticoncurrentielle entre ces entreprises, membres du groupement Avenir Transport entre 2010 et 2012.

L'entente a eu pour objet de répartir les lots de marchés publics de transport scolaire dans la partie nord du département du Bas-Rhin entre les membres du groupement, d'assécher la concurrence et de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence au détriment du Conseil général, acheteur public.

Elle s'est déroulée du 3 mars 2010 au 4 juin 2012. Elle a produit des effets et est susceptible de produire des effets à hauteur des marchés encore en cours d'exécution, soit jusqu'au 2 juillet 2016.

Le texte intégral de la décision de l'Autorité de la concurrence est accessible sur le site www.autoritedelaconcurrence.fr ".

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que les sociétés SASU Autocars et Transport Royer, SARL Staub Voyages, SAS Royer Holding, SAS Autocars Mügler & Cie, SARL Cars des Rohan et SAS Mügler Finance ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

à la société Autocars Mügler et Cie, solidairement avec la société Mügler Finance, une sanction de 40 000 euro ;

à la société Cars des Rohan, solidairement avec la société Mügler Finance, une sanction de 20 000 euro ;

à la société Autocars et Transport Royer, solidairement avec la société Royer Holding, une sanction de 96 000 euro ;

à la société Staub Voyages, une sanction de 37 000 euro.

Article 3 : Les sociétés visées aux articles 1 et 2 feront publier le texte figurant au paragraphe 228 de la présente décision, en respectant la mise en forme, dans les éditions du journal " Dernières Nouvelles d'Alsace " et de la revue " Transport Public ". Ces publications interviendront dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractères gras de même taille : " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 16-D-02 du 27 janvier 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire par autocar dans le Bas-Rhin ". Elles pourront être suivies de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution et au plus tard le 29 mars 2016.