Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 28 janvier 2016, n° 14-22836

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

OCP Répartition (SAS)

Défendeur :

Transports Cardoso (SARL), Cardoso (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Rohart-Messager, M. Dabosville

Avocats :

Mes de Maria, Gringnon Dumoulin, Nelsom, Silvere

T. com. Lille, du 23 oct. 2012

23 octobre 2012

FAITS ET PROCÉDURE

A compter de l'année 2004, la société OCP Répartition, qui exerce l'activité principale de grossiste répartiteur, a confié à la société Transports Cardoso la réalisation de prestations sur la région Champagne-Ardenne consistant à livrer des médicaments aux pharmaciens de la région.

Deux types de tournées lui étaient plus précisément dévolus, de manière régulière et significative des tournées dites "permanentes" et des tournées dites de "remplacement".

La société OCP Répartition a, dès le mois de juin 2011, réduit, de manière très significative, le nombre de tournées jusqu'alors confiées à cette dernière.

La société Transports Cardoso a appris que les prestations de transport qui lui avaient été ainsi retirées étaient, depuis cette date, confiées à une société de transport concurrente qu'un de ses anciens salariés avait rejoint quelques mois plus tôt.

Estimant avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société Cardoso a saisi le Tribunal de commerce de Lille d'une action en réparation de son préjudice.

Par jugement du 23 janvier 2012, le Tribunal de commerce de Lille a condamné la société OCP Répartition SAS à payer à la SARL Transports Cardoso une somme de 51 470 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture partielle de relations commerciales établies, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, outre une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile et les entiers dépens de l'instance.

Le 14 décembre 2012 la société OCP Répartition a interjeté appel de cette décision.

Vu les conclusions en date du 15 octobre 2015 par lesquelles la société OCP Répartition demande à la cour de :

- Juger la société OCP Répartition recevable et bien fondée en son appel diligenté à l'encontre du jugement rendu par le 23 octobre 2012 par le Tribunal de commerce de Lille et infirmer le jugement rendu le 23 octobre 2012 par le Tribunal de commerce de Lille.

- Débouter la société Cardoso et Monsieur Cardoso ès qualités de toutes leurs demandes, fins et conclusions.

Statuant à nouveau,

- Juger que la société OCP Répartition n'a pas rompu les relations commerciales avec la société Transports Cardoso.

En conséquence :

- Débouter la société Transports Cardoso et Monsieur Cardoso ès qualités de toutes leurs demandes, fins et conclusions formulées à l'encontre de la société OCP Répartition.

Dans tous les cas, à titre subsidiaire :

Pour le cas où par extraordinaire la cour retiendrait que la société OCP Répartition aurait rompu les relations commerciales le 1er juin 2011, il y aurait lieu néanmoins de :

- Juger qu'il y a lieu de faire application du délai de préavis de 3 mois de l'article 12 du contrat type sous-traitance

- Juger que la société OCP Répartition a respecté le délai de préavis de trois mois prévu au contrat type sous-traitance applicable en l'espèce.

En conséquence :

- Débouter la société Transports Cardoso et Monsieur Cardoso ès qualités de leurs demandes en indemnisation formulée à l'encontre de la société OCP Répartition.

A titre plus subsidiaire

Pour le cas où par extraordinaire la cour ferait application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce juger que :

- le délai de préavis de 18 mois retenu par le Tribunal et sollicité par la société Cardoso et Monsieur

Cardoso ès qualités est excessif au regard de la jurisprudence.

- le délai de préavis de 3 mois du contrat type sous traitance fait fonction d'usage au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

- la société Transports Cardoso et Monsieur Cardoso ès qualités ne justifient pas du montant des dommages et intérêts qu'ils sollicitent.

- le Tribunal de commerce de Lille ne pouvait pas retenir le montant de marge brute allégué par la société Transports Cardoso, sans aucune justification.

- le Tribunal de commerce de Lille aurait dû tenir compte du chiffre d'affaires toujours réalisé par la société Transports Cardoso avec la société OCP.

- le montant des dommages et intérêts éventuellement dus à la société Transports Cardoso et Monsieur Cardoso ès qualités ne devait tenir compte que des seules tournées qui avaient été diminuées par la société OCP et non pas de l'intégralité de l'activité générée par la société OCP.

En conséquence :

- Débouter la société Transports Cardoso de sa demande en indemnisation formulée à l'encontre de la société OCP Répartition.

A titre infiniment plus subsidiaire,

- Juger que la société Transports Cardoso et Monsieur Cardoso ès qualités ne justifient pas du préjudice qu'ils auraient réellement subi du fait de la prétendue rupture invoquée.

En conséquence :

- Débouter la société Transports Cardoso et Monsieur Cardoso ès qualités de leurs demandes en indemnisation formulée à l'encontre de la société OCP Répartition.

- Condamner la société Transports Cardoso et Monsieur Cardoso ès qualités à restituer à la société OCP Répartition les sommes reçues au titre de l'exécution provisoire du jugement entrepris.

- Condamner la société Transports Cardoso et Monsieur Cardoso ès qualités à verser à la société OCP Répartition la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du CPC.

Vu les conclusions en date du 22 octobre 2015 par lesquelles la société Transports Cardoso demande à la cour de :

Constater la tardiveté des conclusions d'appel n° 3 signifiées le 15 octobre 2015 par la société OCP

Répartition,

Constater que la signification tardive de ces conclusions porte atteinte au principe du contradictoire au vu de la décision de la cour de reporter la date de clôture des débats au 22 octobre 2015,

En conséquence :

Rejeter les conclusions d'appel n° 3 de la société OCP Répartition.

Dans tous les cas et à titre subsidiaire, juger que :

- la société OCP Répartition a rompu, le 1er juin 2011, partiellement sans préavis les relations commerciales établies avec la société Transports Cardoso depuis 2004,

- la société OCP Répartition ne justifie pas de sa qualité de transporteur public au sens de l'article L. 1000-3 du Code des Transports et en conséquence écarter le contrat-type de sous-traitance et le délai de préavis qu'il stipule,

- la société OCP Répartition a engagé sa responsabilité délictuelle envers la société Transports Cardoso sur le fondement de l'article L. 422-6, I, 5° du Code de commerce en rompant brutalement les relations commerciales qu'elle entretenait avec cette dernière,

- que la société OCP Répartition aurait dû respecter un préavis de 12 mois eu égard à la durée des relations commerciales, de l'importance de ces dernières pour la société Transports Cardoso et de l'état de dépendance économique dans lequel cette dernière se trouvait vis-à-vis d'OCP Répartition,

La société Transports Cardoso a subi un préjudice de 51 470 euro correspondant à la marge brute perdue pendant la durée du préavis dont elle n'a pas pu bénéficier

Et en conséquence,

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Débouter la société OCP Répartition de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Transports Cardoso et de M. Cardoso, ès qualités de liquidateur amiable de la société Transports Cardoso

Condamner la société OCP Répartition à payer à M. Cardoso, ès qualités de liquidateur amiable de la société Transports Cardoso, la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Sandrine Nelsom, avocat aux offres de droits.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile

MOTIFS

Sur le rejet des conclusions signifiées par la société OCP Répartition le 15 octobre 2015 :

Par conclusions en date du 21 octobre dernier, Monsieur Thierry Cardoso, ès qualités, a sollicité le rejet des conclusions signifiées le 15 octobre 2015 par la société OCP Répartition aux motifs qu'elles auraient été signifiées tardivement le jour de l'ordonnance de clôture.

Si la société OCP Répartition a signifié ses dernières écritures le jour de la clôture qui avait été fixée au le 15 octobre, la clôture a alors été reportée au 22 octobre 2015, date à laquelle Monsieur Thierry Cardoso ès-qualités a conclu ; la clôture a alors été fixée au 29 octobre 2015, sans que la société OCP Répartition ne reconclut ; les parties ont ainsi bénéficié de deux reports de l'ordonnance de clôture et par conséquent de quinze jours supplémentaires pour conclure en réplique que Monsieur Thierry Cardoso ès-qualités n'a d'ailleurs pas mis à profit.

Monsieur Thierry Cardoso, ès qualités, prétend en outre, que la société OCP Répartition solliciterait pour la première fois la condamnation conjointe de la société Transports Cardoso et de M. Cardoso, ès qualités à lui restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire ; or l'assignation en intervention forcée qui lui a été délivrée le 30 octobre 2014 contenait déjà cette demande et, au demeurant, elle n'est qu'une conséquence naturelle de l'infirmation éventuelle de la décision entreprise.

Monsieur Thierry Cardoso disposait donc du temps nécessaire pour y répliquer ; il sera débouté de sa demande de rejet.

Au fond

Sur la rupture des relations commerciales établies :

La société Transports Cardoso soutient que la société OCP lui a retiré brutalement à compter du 1er juin 2001 de nombreuses tournées et en particulier les tournées de remplacement pour les confier à une entreprise concurrente.

La société OCP conteste la rupture brutale alléguée, faisant valoir qu'elle ne s'était engagée à aucun volume d'affaires et que celui-ci était fluctuant.

Il ressort des factures produites que les prestations confiées étaient de deux sortes ; Monsieur Cardoso réalisait pour le compte de la société OCP Répartition deux types de tournées, des tournées " permanentes " et des tournées de dépannage, les premières étant des tournées confiées à la société Transports Cardoso de manière systématique tandis que pour les secondes, la société Transports Cardoso n'intervenait qu'en dépannage et de manière occasionnelle en remplacement notamment des chauffeurs de la société OCP Répartition indisponibles.

Les tournées de "remplacement" présentaient un caractère plus aléatoire que les tournées "permanentes" ; la société Transports Cardoso affirme néanmoins que, si le volume des prestations qui lui ont été confiées a en effet connu des fluctuations au cours exercices clos au 30 juin 2008, 2009, 2010 et 2011, celles-ci ont été sans commune mesure avec celle constatée au cours de l'exercice clos au 30 juin 2012 qui, selon elle, ne peut s'expliquer par le seul caractère plus occasionnel des tournées dites "remplacement" ; en effet le volume des prestations de transport confiées par OCP Répartition à la société Transports Cardoso et du chiffre d'affaires en découlant ne représentait plus que 18,77 % du chiffre d'affaires annuel au 30 juin 2012 contre 49,33 % lors de l'exercice clos au 30 juin 2011.

S'il n'est pas contesté que la société Cardoso réalisait toujours des prestations pour le compte de la société OCP et que les relations se sont poursuivies jusqu'au mois de juin 2013, effectuant toujours les mêmes tournées permanentes, il n'est pas contesté que cette baisse significative résulte de la cessation des tournées de dépannage, baisse qui n'a nullement été compensée par la légère augmentation du chiffre d'affaires résultant des tournées permanentes ; la société OCP ne conteste pas avoir confié celles de dépannage à une autre entreprise ; dès lors la société OCP a ainsi rompu partiellement la relation commerciale établie qui la liait à la société Transports Cardoso, peu importe que cette dernière n'ait versé aux débats aucun document établissant que la société OCP Répartition aurait mis fin aux relations contractuelles ; le fait qu'elle ait maintenu deux tournées "permanentes" après avoir mis fin aux tournées de dépannage jusqu'en juin 2013 est sans incidence sur le caractère fautif du comportement de la société OCP Répartition puisque l'article L. 446-2, I, 5° du Code de commerce sanctionne le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit.

En conséquence c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu une rupture brutale partielle des relations commerciales établies par la société OCP Répartition.

Sur la durée du préavis

La société OCP soutient qu'elle est intervenue en qualité de transporteur public et que le préavis ne pouvait excéder 3 mois en application des dispositions du contrat-type ce que conteste la société Transports Cardoso qui dénie la qualité de transporteur de la société OCP.

Dans le cadre de son activité, la société OCP Répartition qui est inscrite au registre des transporteurs procède à la distribution de médicaments à destination des pharmacies soit par ses propres moyens, soit en recourant à des prestataires comme la société Transports Cardoso.

L'article 1er du contrat-type sous-traitance définit celui-ci comme étant celui par lequel " une personne physique ou morale, l'opérateur de transport, contractuellement chargée de l'exécution d'opérations de transport, en confie de façon régulière et significative l'exécution en totalité ou en partie à une autre personne physique ou morale nécessairement transporteur public, ci-après dénommée le sous-traitant ".

Or, si la société OCP procède à des livraisons de médicaments dans les pharmacies, elle ne justifie pas de contrats de transports conclus avec les laboratoires, ni avec les pharmacies destinataires et ne précise d'ailleurs pas quel était son donneur d'ordre ; de plus à l'occasion des opérations de livraison aux pharmaciens qu'elle qualifie comme des opérations de transport, si tel avait été les cas, elle n'aurait pu sous-traiter leur exécution à la société Transports Cardoso sans agrément de son co-contractant et elle serait alors devenue un commissionnaire de transport ce qu'elle ne revendique pas ; en conséquence c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la société OCP ne répondait à la qualification d'opérateur de transport, pour les opérations réalisées avec la société Transports Cardoso et a écarté l'application du contrat-type.

Si la rupture n'a porté que sur une partie des prestations confiées à la société Transports Cardoso, au demeurant des prestations de dépannage qui étaient caractérisées par leur caractère fluctuant, celles-ci exigeaient en revanche une disponibilité et une adaptation constante de la société Transports Cardoso ; de plus la société OCP ne conteste pas que le chiffre d'affaires de la société Transports Cardoso a diminué, l'exercice clos au 30 juin 2012 mettant en évidence un chiffre d'affaires de 224 318 euro contre 261 851 euro pour l'exercice précédent ce qui démontre les difficultés rencontrées par cette dernière pour trouver une activité de remplacement et reconstituer le chiffre d'affaires qui avait été le sien avant la rupture ; en conséquence les relations commerciales étant établies depuis 2004 ce qui n'est pas contesté, c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé la durée du préavis qui aurait dû être octroyé à 12 mois.

La société OCP critique le montant de l'indemnité allouée par les premiers juges au titre du préavis non exécuté, faisant valoir que la société Transports Cardoso ne justifie pas d'un taux de marge brute de 36,16 %, car dans l'activité en cause la charge essentielle est celle des salaires qui n'est pas déduite de la marge brute ce qui conduit à surestimer l'évaluation du gain manqué.

La réparation du préjudice en cas de rupture brutale s'apprécie au regard du critère de la durée du préavis qui aurait raisonnablement dû être accordé ; or celui-ci se détermine non pas au regard d'un gain manqué mais au regard du délai qui aurait été nécessaire à l'entreprise victime pour se réorganiser ; cette réorganisation ne peut se faire qu'avec le personnel existant au jour de la rupture ; il s'agit donc d'une charge fonctionnelle qui n'a donc pas lieu d'être déduite de marge brute d'autant que s'agissant de prestations de transport réalisées par une entreprise de transport, son personnel constitué pour l'essentiel de chauffeurs est indispensable à son activité.

La société Transports Cadoso a produit des pièces comptables et une attestation de son expert-comptable ; sur la base de ces éléments la cour confirme le calcul de l'indemnité allouée par les premiers juges.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Transports Cardoso a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Condamne la société OCP Répartition à payer à Thierry Cardoso, ès qualités la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société OCP Répartition aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.