CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 26 janvier 2016, n° 14-10931
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Micromania (Sté), Micromania Group (Sté), Take-Two Interactive France (SAS), Take-Two Interactive Software INC (Sté), Fnac Paris (SA), Fnac Direct (SA)
Défendeur :
Ferrari
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Auroy
Conseillers :
Mmes Douillet, Menard
Vu le jugement rendu le 25 novembre 2010 par le Tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'arrêt rendu le 21 septembre 2012 par cette cour, pôle 5 - chambre 2,
Vu l'arrêt rendu le 8 avril 2014 (pourvoi n° 13-10.689) par la chambre commerciale de la Cour de cassation,
Vu la déclaration de saisine de cette cour autrement composée du 20 mai 2014 des sociétés Take Two Interactive Software Inc. et Take Two Interactive France (ci-après, les sociétés Take Two) enregistrée sous le numéro RG 14-10931,
Vu la déclaration de saisine de cette cour autrement composée du 25 juin 2014 des sociétés Fnac Direct et Fnac Paris (ci-après, les sociétés Fnac) enregistrée sous le numéro RG 14-13573,
Vu la jonction ordonnée par le conseiller de la mise en état le 1er juillet 2014, les procédures se poursuivant sous le numéro RG 14-10931,
Vu les dernières conclusions numérotées 2 des sociétés Fnac transmises le 5 mars 2015,
Vu les dernières conclusions de la société Ferrari SPA (ci-après, la société Ferrari) transmises le 10 novembre 2015,
Vu les dernières conclusions des sociétés Take Two Interactive Software INC., Take Two Interactive France, établies également au nom des sociétés Micromania et Micromania Group (ci-après, les sociétés Micromania) transmises le 13 novembre 2015,
Vu l'ordonnance de clôture du 17 novembre 2015,
SUR CE, LA COUR,
Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures des parties ;
Qu'il sera simplement rappelé que la société Ferrari, constructeur automobile italien, a créé et commercialisé un modèle de véhicule 360 Modena qui a fait l'objet de deux dépôts de modèles internationaux :
- un modèle international enregistré sous le numéro DM-043107 désignant la France, déposé le
- un modèle international enregistré sous le numéro DM-043108 désignant la France déposé le
Qu'elle a commercialisé également un modèle F 40 qu'elle présente comme ayant fait l'objet d'un dépôt de modèle français n° 876 977, le 23 novembre 1987, sous priorité d'un dépôt italien du 12 juin Qu'elle expose, par ailleurs qu'elle est titulaire de plusieurs marques sous lesquelles elle exploite ses modèles et qu'elle concède des licences sur ses marques et modèles pour leur reproduction, notamment dans des jeux vidéo ;
Que la société Ferrari expose qu'elle a constaté que dans un jeu vidéo intitulé " Grand Theft Auto France " par la société française Take Two Interactive France, apparaissait un modèle de voiture appelé Turismo d'un constructeur dénommé Grotti, reprenant, selon elle, les caractéristiques de son modèle 360 Modena, notamment un écusson figurant un cheval assis ;
Qu'après avoir fait procéder à des constats d'achat dans des magasins Fnac, ABC Games et Micromania, ainsi qu'à une saisie-contrefaçon au siège de la société Take Two Interactive France, elle a fait assigner ces sociétés, en mars 2009, devant le Tribunal de grande instance de Paris ; qu'au cours de la procédure de première instance, une autre version du jeu a été mise en cause - le jeu " GTA San Andreas " (GTA SA) - comme représentant, toujours sous le nom Turismo, le modèle Ferrari F40 avec un lièvre ; qu'en première instance, la société Ferrari s'est, par ailleurs, prévalue de faits portant atteinte à ses droits sur deux autres de ses véhicules - la Modena et F 40 mais n'ont pas fait l'objet de dépôts de modèles ;
Que dans son jugement du 25 novembre 2010, le tribunal a notamment :
- dit que la 360 Modena et la F 40 sont protégeables tant au titre du droit des modèles déposés qu'au titre du droit d'auteur,
- dit que la 360 Modena Challenge et la F 40 Competizione ne peuvent faire l'objet d'une protection distincte de celle dont bénéficient la 360 Modena et la F 40 de série au titre du droit d'auteur,
- dit que, tant au regard du droit des modèles déposés qu'au regard du droit d'auteur, les modèles de véhicule Turismo représentés dans les jeux GTA4 et GTASA ne contrefont pas les véhicules 360 Modena et F 40,
- dit qu'en commercialisant en France les jeux GTA4 et GTA SA, les sociétés Take Two Interactive Software Inc., Take Two Interactive France, Fnac et Fnac Direct, Micromania et Micromania France, ABC Games International ont commis des actes fautifs de parasitisme et porté atteinte à l'image des produits de la société Ferrari,
- condamné in solidum ces sociétés à payer à la société Ferrari la somme de 50 000 euro pour chacun des deux jeux en réparation du préjudice résultant du parasitisme et la somme de demanderesse,
- enjoint aux sociétés Take Two, sous astreinte, de diffuser un logiciel correctif ayant pour effet de supprimer de leurs jeux GTA4 et GTA SA les références à divers signes ou marques associés au modèle de voiture Turismo,
- enjoint, sous astreinte, aux sociétés Take Two Interactive de ne plus commercialiser de versions des deux jeux comprenant les références à ces signes ou marques,
- dit que la société Take Two Interactive France devra garantir les sociétés Micromania et Fnac de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre,
- dit que les sociétés Take Two devront garantir la société ABC Games International de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre,
- condamné in solidum les sociétés Take Two, Micromania, Fnac et ABC Games International à verser à la société Ferrari la somme de 30 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens ;
Que dans son arrêt du 21 septembre 2012, la Cour d'appel de Paris, statuant sur l'appel interjeté par les sociétés Take Two et Ferrari, a notamment :
- infirmé le jugement, sauf en ce qu'il a reconnu aux modèles 360 Modena et F40 la protection au titre du droit d'auteur et du droit des modèles déposés et en ce qu'il a débouté la société Ferrari de ses demandes au titre de la contrefaçon,
- débouté la société Ferrari de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et de l'atteinte à l'image de ses produits et activités et de toutes ses demandes subséquentes,
- ordonné la restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire, assorties des intérêts au taux légal à compter de leur paiement,
- condamné la société Ferrari à payer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, les sommes de 100 000 euro (globalement) aux sociétés Take Two, 10 000 euro à la société Games France, 10 000 euro (globalement) aux sociétés Micromania et 10
Que dans son arrêt du 8 avril 2014, la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi formé par la société Ferrari, a cassé et annulé l'arrêt rendu le 21 septembre 2012, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Ferrari au titre de la concurrence déloyale et de l'atteinte à l'image, remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d'appel de Paris autrement composée ; que la Cour de cassation, au visa de l'article 455 du Code de procédure civile, a jugé qu'en rejetant la demande formée par la société Ferrari au titre de la concurrence déloyale, après avoir procédé à l'examen de chacun des griefs incriminés, tenant au choix de l'emblème, du nom et de la typographie, sans répondre aux conclusions soutenant que ces griefs, " considérés dans leur ensemble ", étaient de nature à engendrer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle ou, à tout le moins, un détournement de la notoriété des produits de la société Ferrari, la cour d'appel n'avait pas satisfait à l'obligation de motiver sa décision ;
Sur la recevabilité des demandes des sociétés Micromania
Considérant que la société Ferrari soulève l'irrecevabilité des demandes des sociétés Micromania au motif que celles-ci n'ont pas saisi la cour d'appel de renvoi par déclaration au greffe dans les formes et délais prévus aux articles 1032 et suivants du Code de procédure civile, les déclarations de saisine des sociétés Take Two et Fnac ne visant pas les sociétés Micromania ; que, subsidiairement, elle fait valoir que la constitution tardive des sociétés Micromania l'a contrainte à modifier ses demandes en urgence et à reprendre des conclusions à quelques jours des plaidoiries ;
Que les sociétés Micromania répondent que la déclaration de saisine effectuée à l'initiative des sociétés Take Two et Fnac a saisi régulièrement la cour d'appel de renvoi à l'égard de toutes les parties qui étaient intimées au cours de l'instance ayant conduit à l'arrêt de cassation ; que leur constitution, même tardive, est régulière en application de l'article 552 alinéa 1er du Code de procédure civile, dès lors qu'elles ont été condamnées solidairement avec les sociétés Take Two et Fnac en première instance ; que leur argumentation est identique à celle des sociétés Take Two ;
Qu'en l'espèce, il est constant que les sociétés Take Two et Fnac ont saisi la cour dans les formes et délais prescrits par les articles 1032 et suivants du Code de procédure civile ; que leurs déclarations de saisine ont eu pour effet de remettre toutes les parties dans la cause devant la cour de renvoi, dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant l'arrêt partiellement cassé, y compris les sociétés Micromania, peu important que celles-ci n'aient pas été visées dans ces déclarations d'appel, dès lors qu'en première instance, elles ont été condamnées solidairement avec les sociétés Take Two et Fnac pour des faits de parasitisme et d'atteinte à l'image des produits de la société Ferrari, notamment au paiement à cette dernière la somme globale de 100 000 euro en réparation de son préjudice, et qu'elles étaient intimées au cours de l'instance ayant conduit à la cassation partielle de l'arrêt de cette cour du 21 septembre 2012 ; que les sociétés Micromania ont été régulièrement avisées par le greffe de la cour de renvoi de la saisine de la cour de renvoi dans les conditions prévues par l'article 1036 du Code de procédure civile, qui vise " chacune des parties à l'instance de cassation ", et qu'elles ont constitué avocat ;
Que leur constitution tardive n'a pas porté atteinte au principe de la contradiction dès lors que l'argumentation et les demandes qu'elles présentent sont identiques à celles des sociétés Take Two et que la date de la clôture a été reportée à plusieurs reprises, postérieurement à cette constitution, à la demande des parties ;
Que la fin de non-recevoir de la société Ferrari sera, par conséquent, rejetée ;
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Sur la recevabilité des demandes de la société Ferrari
Considérant que les sociétés Take Two et Micromania soulèvent l'irrecevabilité des demandes de la société Ferrari en ce qu'elle visent les ressemblances entre les modèles, les logos et la typographie des noms des constructeurs ; qu'elles font valoir, en premier lieu, que ressemblances invoquées ne peuvent s'analyser que sur le fondement des droits privatifs détenus par la société Ferrari sur le terrain de la contrefaçon, et ne sont pas susceptibles de constituer des faits distincts de concurrence déloyale ou de parasitisme, et en second lieu, que les demandes relatives à une prétendue reproduction ou imitation des modèles s'opposent à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel du 21 septembre 2012 qui a jugé, sans être censuré sur ce point, que les modèles Turismo avaient une physionomie propre, ne reproduisaient pas les modèles Ferrari 360 Modena et F40 et produisaient une impression d'ensemble différente ; qu'elle ajoute que la société Ferrari, qui a renoncé lors de la première procédure d'appel à former des demandes au titre de ses modèles 360 Modena Challenge et F40 Competizione, ne peut les invoquer aujourd'hui, pour tenter de contourner l'obstacle que constitue l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel , sans se contredire au détriment de son adversaire ;
Que la société Ferrari répond qu'elle est recevable en son action en concurrence déloyale et parasitaire, même si elle est par ailleurs titulaire de droits privatifs de propriété intellectuelle, dès lors notamment qu'elle invoque à l'appui de ses demandes un faisceau d'éléments convergents, et pas seulement la reproduction ou l'imitation de ses voitures ; qu'elle a renoncé à revendiquer une protection autonome au titre du droit d'auteur et du droit des modèles pour ses modèles 360 Modena Challenge et F40 Competizione, mais pas à faire référence à ces deux modèles pour souligner leurs particularités ;
Considérant que pour rejeter, par disposition non atteinte par la cassation partielle, la demande en contrefaçon du modèle 360 Modena de la société Ferrari, la cour d'appel a retenu qu'" en présence de différences qui ne sont pas que de détail ", le modèle Turismo apparaissant dans le jeu GTA4, 'doté d'une physionomie qui lui est propre, produira sur l'observateur averti (...) une impression visuelle d'ensemble différente de celle produite par les modèles du véhicule 360 Modena déposés par la société Ferrari (...) les témoignages très ponctuels de consommateurs de jeux, non identifiés, extraits de site internet' n'étant pas suffisamment probants pour retenir la contrefaçon alléguée ; que, de même, pour écarter la demande en contrefaçon du modèle F40 de la société Ferrari, la cour d'appel a jugé qu'" en présence de différences notables ", le modèle Turismo apparaissant dans le jeu GTA SA, " produira sur l'observateur averti (...) une impression visuelle d'ensemble différente de celle produite par les modèles du véhicule F 40 déposé par la société Ferrari (...) les quelques témoignages d'utilisateurs non identifiés extraits de sites internet " n'étant pas suffisamment probants pour retenir la contrefaçon alléguée ;
Qu'en invoquant des actes de concurrence déloyale, la société Ferrari soutient que les ressemblances entre les véhicules Turismo apparaissant dans les jeux GTA4 et GTA SA et ses modèles 360 Modena et F40, associées à d'autres éléments, caractérisent un comportement fautif des sociétés Take Two, entraînant un risque de confusion ou d'association entre les véhicules Turismo et ses propres modèles ; que ce faisant, la société Ferrari invoque des faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon ; que sa demande ne se heurte donc pas à l'autorité de la chose jugée résultant de l'arrêt de la cour d'appel dans ses dispositions relatives à la contrefaçon ; que la société Ferrari fait justement valoir que si, après le jugement qui a retenu que ses véhicules 360 Modena Challenge et F 40 Competizione ne pouvaient faire l'objet d'une protection distincte de celle dont bénéficiaient ses modèles de série 360 Modena et F 40 au titre du droit d'auteur, elle a renoncé à sa demandes de reconnaissance d'une protection autonome au titre du droit d'auteur pour ses deux modèles sport, elle est pour autant recevable à invoquer les caractéristiques de ces deux modèles au titre de sa demande fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire ;
Que la fin de non-recevoir des sociétés Take Two sera en conséquence rejetée et la société Ferrari sera déclarée recevable en sa demande en concurrence déloyale et parasitaire pour des faits distincts de ceux constitutifs de la contrefaçon ;
Sur le bien-fondé des demandes
Considérant que les sociétés Take Two et Micromania soutiennent qu'il n'y a pas de risque de confusion ou même d'association entre les véhicules Turismo des jeux GTA4 et GTA SA et les véhicules Ferrari 360 Modena et F40 ; qu'il n'y a pas davantage usurpation de la notoriété de la société Ferrari ; qu'en toute hypothèse, le caractère parodique de ses jeux suffit à écarter les griefs de concurrence déloyale comme de parasitisme ;
Que les sociétés Fnac soutiennent qu'elles n'ont fait que commercialiser en toute bonne foi les jeux litigieux et qu'aucun acte personnel de parasitisme n'est démontré en ce qui les concerne ;
que les demandes de Ferrari au titre de la concurrence déloyale et parasitaire sont infondées : que les éléments invoqués par le constructeur automobile comme évocateurs de sa marque et créant le risque de confusion (cheval, consonance italienne du nom du constructeur...) ne peuvent être associés exclusivement à la société Ferrari ; que le risque de confusion est inexistant ;
Que la société Ferrari soutient qu'en mettant en avant dans le jeu GTA 4 un véhicule Turismo reproduisant les lignes extérieures de son modèle 360 Modena, et notamment de la 360 Modena Challenge, comportant un habitacle reproduit à l'identique, présentant des caractéristiques techniques similaires et un écusson contenant un cheval assis la queue relevée rappelant le cheval cabré emblématique de la marque Ferrari, évoquant pareillement l'univers du luxe, doté d'un nom (Turismo) à consonance italienne dont la lettre initiale est filante sur les autres lettres comme le 'F' de Ferrari et présenté sous une marque verbale Grotti également à consonance italienne, les demanderesses à la saisine ont généré un risque de confusion, ou à tout le moins une association, avec son modèle et ont tenté de se placer dans son sillage ; qu'elle argue que dans le jeu GTA SA, il y a reproduction servile de la F40, et notamment de la F40 Competizione, et adoption d'un logo avec un lièvre cabré rappelant le logo et la marque Ferrari, le nom du constructeur Grotti rappelant la société Ferrari ; qu'elle fait valoir que le risque de confusion, ou au moins d'association, qu'elle invoque résulte d'un faisceau d'éléments qui doivent être examinés dans leur ensemble ;
Sur les actes de concurrence déloyale
Considérant, en l'espèce, en ce qui concerne l'utilisation du véhicule Turismo dans le jeu GTA4 et le modèle Ferrari 360 Modena, que la société Ferrari argue que les lignes extérieures de la Turismo évoquent sans conteste celles de sa 360 Modena ; que cependant, si la forme avant de la Turismo présente des ressemblances avec le modèle 360 Modena, et notamment avec le modèle 360 Modena Challenge - sans pour autant, en constituer la copie servile eu égard aux différences existant sur le pare choc, mais aussi sur les entrées d'air avant, les phares, les rétroviseurs -, les formes arrières et latérales comportent de notables différences ; que ces différences concernent, à l'arrière, la forme et le positionnement de la lunette arrière, des feux ainsi que du pot d'échappement ; que de profil, les modèles opposés présentent des différences sur les proportions des entrées d'air, sur la forme du rehaussement au niveau de la roue, des vitres et des bâtons des jantes ; qu'en raison de ces différences, la Turismo, dotée d'une physionomie propre, n'est pas susceptible de produire sur l'observateur averti la même impression d'ensemble que le modèle déposé ; qu'au vu des reproductions de véhicules fournies par les sociétés Take Two et Micromania, la Turismo du jeu GTA 4 s'inspire, en réalité, de plusieurs véhicules de sport commercialisés dans les années 2000, comme la Ferrari 360 Modena, mais aussi, notamment, l'Ascari KZ1, la Saleen S7, la Dodge Charger Concept ;
Que l'intérieur de l'habitacle de la Turismo présentent des ressemblances avec le modèle 360 Modena s'agissant du tableau de bord, les sièges baquet étant toutefois différents contrairement à ce qui est soutenu ; que cependant, comme le relèvent à juste raison les sociétés Take Two et Micromania, l'intérieur du véhicule n'est précisément visible par le joueur qu'à la faveur d'une capture d'écran statique ; que la cour fait sienne l'appréciation du tribunal qui a estimé que les éventuelles ressemblances entre l'intérieur de la Turismo et celui de la 360 Modena échappent à la plupart des joueurs, " comme elles avaient échappé à la société Ferrari lors de l'assignation en justice ", et qu'en toute hypothèse, les éléments de l'habitacle de la Turismo ne participent que de manière très limitée à l'impression d'ensemble créée par le véhicule ;
Qu'en ce qui concerne les caractéristiques techniques similaires invoquées, la société Ferrari fait valoir que la Turismo, comme son modèle 360 Modena, consiste en 'une voiture de sport puissante, rapide et maniable' ; que force est cependant de constater que, comme l'observent les sociétés saisissantes, ces caractéristiques sont communes à toutes les voitures de sport ;
Que le caractère luxueux du véhicule Turismo est partagé par toutes les voitures de sport et n'est pas propre aux seuls modèles Ferrari ;
Que le logo de la Turismo représente, dans un écusson renversé à fond noir, un cheval argenté assis de profil, la queue placée en l'air alors qu'un cheval noir cabré, de profil, souvent représenté dans un écusson jaune, est emblématique de la société Ferrari ; que, comme le démontrent les sociétés Take Two et Micromania, plusieurs constructeurs automobiles empruntent au registre animalier afin d'illustrer leurs emblèmes, ce qui confère à ces emprunts une certaine banalité ;
qu'ainsi, la société Porsche utilise elle-aussi un cheval cabré figurant dans un écusson ; que l'emblème de la Ford Mustang est un cheval au galop ; que la société Lamborghini a, quant à elle, pour emblème un taureau qui charge tandis que les véhicules Peugeot sont identifiables grâce à un lion debout sur ses pattes arrière ; qu'en outre, comme le soulignent pertinemment les sociétés Fnac, le cheval est le symbole de la puissance d'un moteur qui s'apprécie en nombre de chevaux ; que dès lors, l'utilisation d'un cheval assis, dans un jeu vidéo exclue tout risque de confusion avec un constructeur de véhicules de sport opérant dans la vie des affaires, l'utilisateur du jeu ne pouvant percevoir qu'une intention humoristique visant indifféremment l'ensemble des constructeurs de puissants véhicules ; que la société Ferrari n'est donc pas fondée à imputer à faute aux sociétés Take Two le fait d'avoir fait usage d'un logo représentant un cheval assis, au demeurant dans des couleurs différentes de celles choisies par la société Ferrari pour le cheval figurant sur son logo ;
Que la société Ferrari n'est pas plus fondée à reprocher aux sociétés saisissantes d'avoir utilisé un nom de voiture (Turismo) et un nom de constructeur (Grotti) à consonance italienne, de nombreuses marques de voitures de sport, tout aussi prestigieuses ou connues du public que Ferrari, étant italiennes (Maserati, Lamborghini, Alfa Romeo) ; que les sociétés saisissantes font, de plus, justement valoir que le nom Turismo fait davantage penser aux marques Maserati ou Alfa Romeo qui ont commercialisé des modèles dénommés respectivement " Gran Turismo MC Stradale " ou " Gran Turismo " ;
Qu'enfin, s'agissant de la typographie adoptée pour faire figurer le terme Turismo à l'arrière du véhicule, s'il est vrai que la barre du " T " de Turismo s'étend au-dessus des autres lettres du mot, à l'instar de la barre supérieure du " F " de Ferrari, les sociétés saisissantes établissent que l'usage de lettres filantes par des sociétés opérant dans le secteur de l'automobile (Pirelli, Winnebago, Vanguard, Titan...) est courant ; que, de plus, le graphisme particulier du nom Turismo, en lettres filantes et attachées, de couleur argentée, se rapproche plus de celui adopté par la société Maserati, tant pour sa marque que pour son véhicule " Gran Turismo MC Stradale ", que des lettres droites et espacées, de couleur noire, au moyen desquelles est identifiée la société Ferrari ;
Considérant, en ce qui concerne l'utilisation du véhicule Turismo dans le jeu GTA SA et le modèle Ferrari F 40, qu'en dépit d'une forme anguleuse, commune aux deux véhicules opposés, mais aussi à de nombreux autres véhicules de sport, une partie seulement des caractéristiques revendiquées par la société Ferrari se retrouve dans le modèle Turismo ; que les deux véhicules présentent des différences non négligeables - y compris en contemplation du modèle sport Competizione - tant dans leur partie frontale que dans leurs parties latérales et arrière ; que ces différences concernent à l'avant, les pare-chocs qui présentent des physionomies différentes du fait de la forme et du positionnement des entrées d'aération, le capot et les phares ; que sur la partie latérale, la découpe horizontale de la portière de la F40 ne se retrouve pas dans le modèle incriminé ; que les contours des vitres présentent des formes géométriques différentes ; que les jantes de la Turismo présentent des différences quant à leurs rayons ; que dans la partie arrière, le becquet arrière de la Turismo n'a pas de pièce de support vertical au centre et possède deux traverses non ajustables alors que celui de la F 40 comporte une pièce de support central et possède une section haute ajustable tandis que la forme et le positionnement des feux présentent des caractéristiques différentes sur chacun des véhicules opposés ; qu'en raison de ces différences, la Turismo, dotée d'une physionomie propre, n'est pas susceptible de produire sur l'observateur averti la même impression d'ensemble que le modèle déposé ;
Que le logo de la Turismo représente un lièvre cabré jaune apposé dans un carré rouge alors qu'un cheval noir cabré, de profil, souvent représenté dans un écusson jaune, est emblématique de la société Ferrari ; que, comme il a été énoncé précédemment, l'emprunt des constructeurs automobile au domaine animalier afin d'illustrer leurs emblèmes est courant et par conséquent d'une certaine banalité ; qu'en outre, le recours par nombre de constructeurs automobile à des animaux puissants (cheval, lion, taureau) pour symboliser l'image de leur entreprise, conduira l'utilisateur du jeu à percevoir dans le lièvre une intention humoristique visant indifféremment l'ensemble des constructeurs de puissants véhicules ; que dès lors, l'utilisation d'un lièvre cabré dans un jeu vidéo exclue tout risque de confusion avec un constructeur de véhicules de sport opérant dans la vie des affaires ; que la société Ferrari n'est donc pas fondée à imputer à faute aux sociétés Take Two le fait d'avoir utilisé un logo représentant un lièvre cabré, au demeurant représenté au moyen de couleurs différentes de celles choisies par la société Ferrari pour le cheval figurant sur son logo ;
Que comme il a été dit supra, la société Ferrari n'est pas plus fondée à reprocher aux sociétés saisissantes d'avoir utilisé un nom de voiture et un nom de constructeur (Grotti) à consonance italienne ;
Considérant que les témoignages, versés aux débats par la société Ferrari, d'internautes non identifiables et extraits de sites internet ne sont pas suffisamment probants pour retenir l'existence d'un risque de confusion, certains internautes estimant, au demeurant, que la Turismo ne ressemblent pas " à la Ferrari 360 " ;
Considérant, en définitive, que les éléments invoqués par la société Ferrari, considérés dans leur ensemble, ne sont pas susceptibles d'engendrer un risque fautif de confusion ou même d'association dans l'esprit de la clientèle des jeux GTA4 et GTA SA de la société Take Two entre les véhicules virtuels Turismo qui y sont représentés et les modèles 360 Modena et F 40 de la société Ferrari ;
Sur les actes de parasitisme
Considérant que le parasitisme est caractérisé par la circonstance selon laquelle une personne morale ou physique, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissement ;
Considérant qu'en l'espèce, les noms Ferrari, 360 Modena et F40 ne sont à aucun moment utilisés dans les deux jeux litigieux ;
Que les véhicules Turismo, qui ne constituent pas une contrefaçon des modèles Ferrari 360 Modena et F 40, ainsi qu'il a été définitivement jugé, et qui, comme il a été dit précédemment, ne créent pas de risque de confusion ou d'association avec les deux modèles Ferrari, sont très présents dans les jeux GTA 4 et GTA SA ; que cependant, les sociétés Take Two établissent que d'autres moyens de transport sont proposés aux joueurs, le guide du jeu GTA 4 recensant, outre les véhicules particuliers, les taxis - dont l'usage est particulièrement recommandée (" Les taxis sont bon marché et constituent de loin la solution la plus rapide pour se déplacer. De plus, dès que vous définissez une balise, cette destination devient sélectionnable sur le compteur du taxi. Et pour quelques pièces de plus, vous pouvez sauter directement à l'arrivée, ce qui vous épargne de longs trajets pour traverser la ville. (...) Détournement de taxi : Vous pouvez extirper le client d'un taxi sous les yeux d'un policier sans écoper d'aucune étoile. ") -, les bateaux, les hélicoptères et les trains, et que, parmi les véhicules disponibles, il existe une cinquantaine de véhicules (hors deux roues et utilitaires), dont treize voitures de sport en sus de la Turismo ; que, de même, il est démontré que dans le jeu GTA SA, il est proposé au joueur de se déplacer grâce à des moyens de transport divers (voitures, motos, vélos, bateaux, hélicoptères) et que parmi les véhicules disponibles, il existe onze voitures de sport en sus de la Turismo ;
Que si l'automobile est un élément important des jeux GTA - " Grand Theft Auto " (GTA) pouvant se traduire par " vol qualifié d'automobiles " -, l'attrait principal du jeu réside, non pas dans le fait de conduire des automobiles, en particulier la Turismo, mais dans la possibilité pour le joueur d'être le personnage principal d'un jeu interactif en incarnant un personnage évoluant librement dans des villes représentées selon un graphisme très réaliste afin d'y effectuer des missions successives, pour la plupart, comme le souligne la société Ferrari, à caractère délictueux (vol de voitures, assassinats, livraisons de drogues, braquages...) ; que l'extrait du site Wikipedia fourni par les sociétés saisissantes (pièce F5) enseigne que ces jeux font partie des jeux d'action-aventure à monde ouvert (en anglais " sandbox ", soit " bac à sable " en français) offrant au joueur une grande liberté de mouvement sur une carte délimitée - GTA 4 se déroule à Liberty City qui évoque New York alors que GTA SA se déroule dans l'état fictif de San Andreas et notamment à Los Santos qui évoque Los Angeles - et sont constitués d'un scénario sous forme de missions, le joueur pouvant interagir avec l'environnement ;
Que le succès et la notoriété des jeux GTA4 et GTA SA sont avérés ; que les sociétés Take Two exposent, sans être démenties, que plus de 150 millions d'exemplaires des douze opus de la série GTA ont été vendus, faisant de GTA l'un des plus grands succès de tous les temps pour ce type ce jeu vidéo, récompensé par de nombreux prix ;
Qu'il n'est pas douteux que la société Take Two a réalisé d'importants investissements pour créer et développer ses jeux ; que sans communiquer ses budgets, elle indique que les coûts pour le développement du jeu GTA 4 ont été estimés par la presse à 100 millions de dollars ;
Que les témoignages, versés aux débats par la société Ferrari, d'internautes non identifiables et extraits de sites internet ne sont pas suffisamment probants pour retenir l'existence d'un détournement de la notoriété des produits de la société Ferrari, certains internautes estimant, au demeurant, que la Turismo ne ressemblent pas " à la Ferrari 360 " ;
Que tous ces éléments, pris dans leur ensemble, conduisent à retenir que l'emploi du véhicule Turismo dans les jeux incriminés ne caractérise pas une usurpation de la notoriété de la société Ferrari ;
Considérant qu'il convient, infirmant le jugement de ces chefs, de rejeter les demandes de la société Ferrari au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
Sur l'atteinte portée à l'image des produits de la société Ferrari
Considérant que les sociétés saisissantes poursuivent l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu que les rapprochements ou associations opérés par certains joueurs dans les jeux GTA 4 et GTA SA entre le véhicule Turismo et les modèles Ferrari ont pour conséquence que ces derniers se trouvent mis en relation avec des scènes de violence ou à connotation sexuelle et que le caractère parodique du jeu ne saurait exclure la faute dès lors que la présence de véhicules faisant référence à l'univers Ferrari a pour objet de procurer un avantage commercial au producteur du jeu en suscitant l'intérêt de joueurs attirés par la perspective de conduire les véhicules prestigieux de la société Ferrari ;
Que la société Ferrari dénonce l'association fautive de ses modèles de voitures à l'univers violent et obscène des jeux GTA et au nom dépréciatif " Grotti " qui donne une image dévalorisante et négative de ses produits ;
Considérant que la teneur de cet arrêt conduit à rejeter la demande de la société Ferrari ;
Qu'en effet, les véhicules Turismo incriminés ne constituent pas une contrefaçon des véhicules 360 Modena et F 40 et ne génèrent pas de risque de confusion ou d'association fautif avec les deux modèles de la société Ferrari ; que l'emploi de la Turismo dans les jeux GTA 4 et GTA SA ne caractérise pas une usurpation de la notoriété de la société Ferrari ;
Que les sociétés Take Two et les sociétés distributrices des jeux litigieux font pertinemment valoir, par-delà une argumentation tendant à démontrer que ces jeux s'inscrivent dans une démarche créative et parodique de la société américaine exclusive d'une volonté de dénigrement de la société Ferrari, que ni la marque Ferrari ni ses modèles 360 Modena et F 40 ne sont utilisés dans les jeux litigieux, qu'aucune appréciation péjorative ou dégradante n'est portée sur le véhicule Turismo et que le nom Grotti ne pourrait avoir un sens péjoratif que pour un public connaissant l'argot anglais ;
Qu'il ne peut, dans ces conditions, être reproché aux sociétés créatrices des jeux et aux sociétés distributrices d'avoir dégradé l'image des produits de la société Ferrari ;
Qu'il convient donc encore, infirmant le jugement de ce chef, de rejeter la demande de la société Ferrari au titre de l'atteinte portée à l'image de ses produits ;
Considérant que par voie de conséquence, le jugement doit également être infirmé en ce qu'il a prononcé des mesures réparatrices au bénéfice de la société Ferrari ; que celle-ci sera déboutée de ses demandes au titre de la communication de pièces comptables et de la publicité du présent arrêt ; que les sociétés Fnac seront déboutées de leur demande en garantie;
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Considérant que le sens de la présente décision commande d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;
Considérant que la société Ferrari qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et gardera à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a engagés ;
Que la somme globale qui doit être mise à la charge de la société Ferrari au titre des frais non compris dans les dépens exposés par les sociétés Take Two peut être équitablement fixée à 60 000 euro ; que la somme globale qui doit être mise à la charge de la société Ferrari au titre des frais non compris dans les dépens exposés par les sociétés Fnac peut être équitablement fixée à 10 000 euro ;
Par ces motifs, Rejette la fin de non-recevoir de la société Ferrari et dit que les sociétés Micromania et Micromania Group sont recevables en leurs demandes, Rejette la fin de non-recevoir des sociétés Take Two Interactive Software Inc. et Take Two Interactive France et dit que la société Ferrari est recevable en sa demande en concurrence déloyale et parasitaire pour des faits distincts de ceux constitutifs de la contrefaçon, Statuant dans les limites de la cassation partielle intervenue,
Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Déboute la société Ferrari de l'ensemble de ses demandes relatives à la concurrence déloyale et parasitaire et à l'atteinte portée à l'image de ses produits, Condamne la société Ferrari aux dépens de première instance et d'appel, Condamne la société Ferrari, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au paiement aux sociétés Take Two Interactive Software Inc. et Take Two Interactive France de la somme globale de 60 000 euro et aux sociétés Fnac Direct et Fnac Paris de la somme globale de 10 000 euro.