CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 29 janvier 2016, n° 14-22162
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Voinot (ès qual.), Berktas
Défendeur :
Fives Cryo (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
M. Richard, Mme Prigent
Avocats :
Mes Massart, Charve, Boccon Gibod, Cordier Vasseur
La Cour de cassation, par arrêt en date du 4 novembre 2014 a cassé et annulé l'arrêt de la cour de céans prononcé le 14 juin 2013 sauf en ce qu'il a annulé le jugement prononcé le 6 septembre 2011 par le Tribunal de commerce d'Epinal de sorte que la cour présentement saisie doit tenir pour acquise l'annulation du jugement.
Vu les dernières conclusions de Me Voinot ès qualité de mandataire liquidateur de M. Berktas en date du 1er octobre 2015 ;
Vu les dernières conclusions de la société Fives Cryo en date du 20 octobre 2015 ;
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Considérant que par jugement prononcé le 15 septembre 2009 par le Tribunal de commerce d'Epinal la société HB Soudure a été placée en liquidation judiciaire;
Considérant que Me Voinot ès qualité de mandataire liquidateur demande la condamnation de la société Fives Cryo à lui payer la somme de 680 879 euro à titre de dommages intérêts suite à la rupture brutale de ses relations commerciales établies avec la société HB Soudure ;
Considérant que la société Fives Cryo demande à la cour de dire que l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce n'est pas applicable et en conséquence débouter Me Voinot de ses demandes ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la société HB Soudure a réalisé à compter de l'année 2003 des travaux de sous-traitance pour le compte de la société Fives Cryo jusqu'à la date de son dépôt de bilan le 10 septembre 2009 soit pendant environ 6 ans ;
Considérant que Me Voinot déduit de cette collaboration durant plusieurs années que s'était formée entre les parties une relation commerciale stable, suivie et ancienne ;
Considérant que si la relation commerciale revêtait au 10 septembre 2009 une certaine ancienneté non contestée, il convient de rechercher si cette relation était stable et suivie ;
Considérant que si la société HB Soudure a reçu durant cette période des commandes régulièrement, il convient de constater qu'elles étaient systématiquement précédées d'une consultation, la société Fives Cryo demandant à la société HB Soudure de lui remettre ses meilleures conditions et de délai pour la fourniture de telle prestation ; que ce mécanisme d'attribution d'une commande est donc exclusif de toute relation stable dès lors qu'un concurrent soumis à la même demande pouvait être choisi ; que ce mécanisme au lieu de stabiliser les relations commerciales en instituait au contraire la précarité, et la circonstance que la société HB Soudure ait été choisie durant plusieurs années n'est pas de nature à elle seule à démontrer la stabilité de la relation commerciale ;
Considérant que dans ces conditions la cour dira que les relations commerciales bien qu'ayant duré plusieurs années ne revêtaient pas le caractère de stabilité exigée par l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce ;
Considérant que Me Voinot soutient que la rupture des relations commerciales a été brutale et que la société HB Soudure a perdu l'intégralité de son chiffre d'affaires en l'espace de quelques semaines ;
Mais, considérant que la société Fives Cryo a elle-même perdu un très important chiffre d'affaires à la suite de la crise économique comme l'atteste le commissaire aux comptes pour l'année 2008 indiquant dans son rapport annuel : " fort ralentissement économique du marché fin 2008 suite à la crise financière "; qu'il fait le même constat fin 2009 en indiquant : " fort recul des enregistrements de commandes (- 40 M euro) " ; que cette chute s'est nécessairement répercutée sur les sous-traitants ;
Considérant que si les commandes passées à la société Fives Cryo ont augmenté dans le courant de l'année 2010, comme le souligne le commissaire aux comptes dans le rapport annuel elle n'aurait pu bénéficier à la société HB Soudure qui avait déposé le bilan en septembre 2009 ;
Considérant que la société Fives Cryo compte tenu de la baisse progressive des commandes de ses clients ne pouvait prévoir une date de rupture avec la société HB Soudure et ainsi lui accorder un préavis ;
Considérant que la société Fives Cryo n'a commis aucune faute en ne passant plus de commandes à la société HB Soudure ; qu'elle a seulement été contrainte de répercuter sur ses sous-traitants la baisse du volume de commandes qu'elle subissait elle-même ;
Considérant qu'il résulte en outre des comptes versés aux débats par la société Fives Cryo que d'un mois sur l'autre le volume des commandes passées à la société HB Soudure par la société Fives Cryo variait considérablement ce que n'ignorait pas la société HB Soudure ;
Considérant enfin que contrairement à ce que soutient Me Voinot les difficultés financières de la société HB Soudure ne sont pas consécutives à la rupture des relations commerciales avec la société Fives Cryo; qu'il résulte en effet d'un courrier de la société Control AJC en date du 29 mai 2009 que celle-ci rappelle à la société HB Soudure qu'elle s'était engagée à régulariser ses factures impayées datant de 2008 et ayant fait l'objet d'un rappel en novembre 2008 en versant des mensualités comprises entre 16 et 20 000 euro ; qu'elle n'a pas tenu ses engagements, la société Control AJC lui rappelant que ce fractionnement avait pour but d'éviter le dépôt de bilan ;
Que la société Control AJC croyant que les prestations réalisées par la société HB Soudure avait été sous-traité par la société Fives Cryo l'a assignée le 21 octobre 2011 au visa des articles 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975 pour obtenir le paiement de la somme de 123.640,02 euro impayées par la société HB Soudure ;
Considérant enfin que les investissements engagés par la société HB Soudure ne sauraient être imputé à la société HB Soudure dès lors que les dépenses afférentes ont été exposées sur plusieurs années à partir de 2005 et poursuivis jusqu'en 2008 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les rapports commerciaux entre les sociétés HB Soudure et Fives Cryo ne sont pas constitutives de relation stable et durable et établie ; que la rupture par l'absence de commande n'est pas imputable à faute à la société Fives Cryo et qu'en conséquence Me Voinot ès qualité sera débouté de l'ensemble de ses demandes.
Considérant qu'il sera fait application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, Statuant contradictoirement, Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 4 novembre 2014, Déboute Me Voinot ès qualité de l'ensemble de ses demandes, Condamne Me Voinot ès qualité à payer à la société Fives Cryo la somme de 10 000 euro au visa de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Me Voinot ès qualité aux dépens dont distraction au profit de Me Boccon-Gibod.