CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 29 janvier 2016, n° 15-20358
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Carré Blanc Distribution (SAS)
Défendeur :
Deco Club (SAS), Bidan (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dabosville
Conseillers :
Mmes Bouvier, de Grommard
Avocats :
Mes Nataf, Leroux, Baron
La société Déco Club a pour objet le commerce de détail d'équipement de la maison, d'arts de la table, d'ameublement et de linge de maison.
Elle exploite cinq magasins sur les villes de Nantes et Rennes, quatre sous franchise Carré Blanc, le cinquième sous franchise Flamant.
La société Carré Blanc Distribution a pour objet le négoce en gros, demi-gros et détail et le courtage de linge de maison et d'articles de décoration.
Les sociétés Carré Blanc et Déco Club entretiennent des relations commerciales depuis près de vingt-cinq ans.
Ces dernières années, la situation financière de Déco Club s'est progressivement dégradée aboutissant le 21 janvier 2015 à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde par le Tribunal de commerce de Nantes.
Affirmant avoir été victime de clauses contractuelles constitutives de restrictions illégales de concurrence, la société Déco Club et Maître Bidan, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Déco Club ont, par acte d'huissier du 12 juin 2015, assigné la SAS Carré Blanc Distribution devant le Tribunal de commerce de Rennes sur le fondement notamment des articles L. 442-6, L. 420-2 et D. 442-3 du Code de commerce.
Par jugement contradictoire rendu le 6 octobre 2015, le Tribunal de commerce de Rennes, retenant notamment qu'en l'espèce, la clause contractuelle limitant l'attribution de compétence à l'application, l'interprétation et l'exécution du contrat et en aucun cas pour tout différend ou tout litige ; que la société Déco Club fonde son action notamment sur l'article L. 442-6 du Code de commerce ; que la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé de façon constante que cet article met en œuvre un régime de responsabilité délictuelle et non contractuelle ; que par conséquent, la clause contractuelle des conventions entre les parties n'est pas applicable en l'espèce ; que la responsabilité étant qualifiée de délictuelle, c'est l'article 46 du Code de procédure civile qui s'applique ; qu'en l'espèce, le fait dommageable ayant eu lieu dans le ressort de la Cour d'appel de Rennes, le Tribunal de commerce de Rennes est compétent comme étant l'une des huit juridictions spécialisées compétentes par application de l'article D. 442-3 du Code de commerce ; que l'exception d'incompétence du Tribunal de commerce de Rennes soulevée par la société Carré Blanc Distribution sera rejetée, a notamment :
- dit recevable la société Carré Blanc Distribution en sa demande d'exception d'incompétence,
- rejeté la demande in limine litis de la société Carré Blanc Distribution relative à l'exception d'incompétence et s'est déclaré compétent,
- dit qu'à défaut de contredit dans le délai prescrit par l'article 82 du Code de procédure civile, il sera enjoint aux parties de conclure au fond sur le fondement de l'article 76 du Code de procédure civile, le 15 octobre 2015 pour la société Carré Blanc Distribution en défense et le 30 octobre 2015 pour la société Déco Club et Maître Bidan ès qualités en demande,
- convoqué les parties à se présenter à l'audience publique du 12 novembre 2015 à 14 heures 30 afin d'être entendues en leurs plaidoiries,
- débouté les parties de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- réservé les dépens,
- liquidé les frais de greffe.
Par acte du 13 octobre 2015, la société Carré Blanc Distribution a formé contredit devant la Cour d'appel de Paris.
Par ses écritures déposées et soutenues oralement à l'audience du 11 décembre 2015 décembre 2015, la contredisante demande à la cour de :
- la déclarer et juger recevable et bien fondée en son contredit de compétence,
- juger que le Tribunal de commerce de Rennes est incompétent pour connaître du présent litige au profit du Tribunal de commerce de Lyon, compétent en application du jeu de la clause attributive de compétence liant les parties et des dispositions des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce,
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 6 octobre 2015 en toutes ses dispositions,
- déclarer le Tribunal de commerce de Lyon compétent pour juger le litige opposant les parties,
- constater que les parties au litige sont favorables à ce que l'affaire soit évoquée au fond par la Cour d'appel de Paris,
En conséquence,
- évoquer l'affaire au fond et fixer un calendrier de procédure l'autorisant à répondre aux griefs et arguments formulés par la société Déco Club et Maître Christophe Bidan, ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Déco Club,
- fixer au passif de la société Déco Club une créance de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à son bénéfice,
- condamner la société Déco Club et Maître Bidan, es qualités, aux entiers 'dépens' du contredit.
La contredisante fait valoir :
- qu'une clause attributive de compétence a été stipulée entre les parties dans leurs contrats ; que la société Déco Club ne conteste pas la validité de cette clause ; qu'il est de jurisprudence constante que, même dans le cadre d'une action fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, la clause compromissoire demeure valable ;
- que dans la mesure où le Tribunal de commerce de Roanne visé par la clause attributive de compétence figurant dans les quatre contrats de franchise liant les parties relève du ressort de la Cour d'appel de Lyon, c'est bien le Tribunal de commerce de Lyon, juridiction spécialisée, qui aurait dû être saisi par les demandeurs en première instance ;
- que, nonobstant la demande " d'infirmation " du jugement du 6 octobre 2015 relativement à sa compétence, elle demande à la cour de bien vouloir évoquer l'affaire sur le fond et de fixer un calendrier de procédure qui l'autoriserait à répondre aux nombreux moyens de fait et de droit soulevés par la société Déco Club et son administrateur judiciaire.
La société Déco Club et Maître Bidan, ès qualités, défendeurs au contredit, par leurs écritures déposées le 2 décembre 2015 et soutenues oralement à l'audience du 11 décembre 2015, demandent à la cour de :
- dire et juger la société Carré Blanc Distribution mal fondée en ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter,
- " confirmer " le jugement prononcé le 6 octobre 2015 par le Tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a rejeté la demande de la société Carré Blanc Distribution relative à l'exception d'incompétence et s'est déclaré compétent,
En conséquence,
- évoquer l'affaire au fond et enjoindre la société Carré Blanc Distribution de conclure au fond dans un délai raisonnable,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Carré Blanc Distribution au paiement de la somme de 3 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Carré Blanc Distribution aux entiers dépens.
Ils font valoir :
- que le périmètre de l'attribution conventionnelle de compétence comprend exclusivement les contentieux nés de la mise en œuvre des obligations contractuelles ; qu'ainsi en serait exclu tout le contentieux de la validité du contrat pour lequel les règles de droit commun auraient seules vocation à s'appliquer ; qu'il en va de même en ce qui concerne les contentieux sur un fondement délictuel ;
- que les pratiques restrictives de concurrence répondent à des règles de procédure d'ordre public, soutenant notamment que les dispositions issues du décret du 11 novembre 2009 duquel est issu l'article D. 442-3 du Code de commerce sont d'ordre public ; que la compétence reconnue aux juridictions spécialisées en application de ces dispositions est exclusive ;
- qu'à supposer même que la clause attributive de compétence ait pu intégrer dans son champ les différends de nature délictuelle, le tribunal de commerce de Roanne n'est pas visé à la liste des juridictions spécialisées telle qu'elle résulte de l'article D. 442-3 et ne sera donc pas compétent non plus ;
- que le fait dommageable s'est produit à Nantes et Rennes où se trouvent son siège social ; que par l'application combinée des dispositions de l'article 46 du Code de procédure civile et de l'article D. 442-3 du Code de commerce, le Tribunal de commerce de Rennes est compétent pour connaître du fond du litige ;
- qu'en tout état de cause, ils demandent à la cour d'évoquer l'affaire au fond, afin d'éviter des délais judiciaires extrêmement longs, directement préjudiciables au demandeur à l'instance qui voit l'examen de ses prétentions anormalement retardé.
SUR CE LA COUR
Attendu que selon l'article 46 du Code de procédure civile :
" Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :
- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ;
- en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi [...] " ;
Attendu qu'en l'espèce, il est constant que l'action engagée devant le tribunal de commerce par la société Déco Club et Maître Bidan, ès qualité d'administrateur judiciaire, à l'encontre de la société Carré Blanc Distribution est fondée à titre principal sur la responsabilité délictuelle de la défenderesse, au visa des articles L. 442-6, L. 420-2 et D. 442-3 du Code du commerce, notamment pour avoir soumis ou tenté de soumettre la société Déco Club à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et pour abus de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve Déco Club à l'égard de Carré Blanc Distribution ;
Attendu que la clause attributive de compétence territoriale figurant dans l'article 24 intitulé " Compétence " des contrats de franchise liant Déco Club à Carré Blanc Distribution limite expressément l'attribution de compétence contractuellement dévolue au Tribunal de commerce de Roanne " pour tout ce qui concerne l'application, l'interprétation et l'exécution du présent contrat, même en cas d'appel en garantie de pluralité de défendeurs ou d'instances en référé " ;
Qu'en conséquence, la clause contractuelle des conventions conclues entre les deux sociétés n'est pas applicable au litige fondé sur la responsabilité délictuelle de la société Carré Blanc Distribution ; que la règle de compétence applicable est en conséquence celle fixée par l'article 46 du Code de procédure civile sus visé ;
Qu'en l'espèce, le fait dommageable allégué ayant eu lieu au siège social et dans les lieux d'exploitation de la société Déco Club situés dans le ressort de la Cour d'appel de Rennes, est compétent le Tribunal de commerce de Rennes, juridiction spécialisée seule compétente pour connaître des procédures relatives aux pratiques restrictives de concurrence en application des dispositions d'ordre public de l'article D. 442-3 du Code du commerce, comme l'a retenu à bon droit le jugement rendu le 6 octobre 2015 ;
Qu'il convient en conséquence de dire le contredit mal fondé et de renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Rennes déjà saisi, la présente cour n'entendant pas faire application de l'article 89 du Code de procédure civile et évoquer l'affaire ; qu'il ne serait pas, en effet, d'une bonne administration de la justice de priver les parties du double degré de juridiction ;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire droit aux demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant que, partie perdante, la demanderesse au contredit en supportera les frais ;
Par ces motifs, Dit le contredit mal fondé, Dit n'y avoir lieu à évocation, Renvoie l'affaire devant le Tribunal de commerce de Rennes, déjà saisi, Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Carré Blanc Distribution aux entiers frais du contredit.