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Décisions

Commission, 15 octobre 2014, n° 39523

COMMISSION EUROPÉENNE

Résumé de la décision

Slovak Telekom

Commission n° 39523

15 octobre 2014

1. INTRODUCTION

(1) Le 15 octobre 2014, la Commission a adopté une décision en vertu de l'article 7 du règlement (CE) n° 1-2003 (ci-après la "décision"), adressée à Slovak Telekom ("ST") et à Deutsche Telekom ("DT"), sa société mère, leur infligeant une amende pour avoir enfreint l'article 102 du TFUE et l'article 54 de l'accord EEE. La décision concerne des pratiques d'éviction auxquelles s'est livrée ST (refus de fourniture et compression des marges) et ayant trait à son infrastructure à haut débit historique. Elle couvre la période comprise entre le 12 août 2005, date à laquelle ST a publié son offre de dégroupage de référence (RUO), qui fixait des modalités et des conditions d'accès abusives, et le 31 décembre 2010 (durée totale de l'infraction: 5 ans et 4 mois).

2. PROCÉDURE

(2) Entre le 13 et le 15 janvier 2009, la Commission a procédé à une inspection dans les locaux de ST en vertu de l'article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1-2003. La Commission a ouvert la procédure le 8 avril 2009 contre ST et le 13 décembre 2010 contre DT. Le 7 mai 2012, elle a adopté une communication des griefs concluant, à titre préliminaire, que ST était potentiellement responsable d'une compression des marges en ce qui concerne l'accès aux boucles locales dégroupées (ULL) de son réseau ainsi que l'accès de gros à haut débit national et régional à ses concurrents et qu'elle avait, selon toute vraisemblance, refusé l'accès aux deux premiers de ces produits de gros. La Commission a conclu, à titre préliminaire, que DT était potentiellement responsable du comportement de ST en sa qualité de société mère de cette dernière. Une audition s'est tenue les 6 et 7 novembre 2012.

(3) Un exposé des faits a été adressé à ST le 6 décembre 2013 et à DT le 10 janvier 2014, afin de leur donner l'occasion de présenter des observations sur des éléments de preuve supplémentaires.

(4) Le comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes a été consulté le 9 octobre 2014. Le 10 octobre 2014, le conseiller-auditeur a émis son rapport final dans cette affaire.

3. LES FAITS

(5) La décision finale adoptée dans cette affaire porte sur des pratiques abusives auxquelles s'est livrée ST en ce qui concerne l'accès à ses ULL.

(6) ST, l'opérateur historique slovaque des télécommunications, est propriétaire du seul réseau national d'accès fixe en cuivre. Conformément au cadre réglementaire de l'Union européenne applicable aux communications électroniques et en vertu d'une décision du régulateur slovaque en matière de télécommunications (TUSR), ST est tenue d'accorder l'accès aux ULL de son réseau aux opérateurs alternatifs (OA). ST est en situation de monopole sur le marché de gros de l'accès aux ULL et détient une position dominante sur le marché de détail grand public des services à haut débit offerts en localisation fixe. Du fait du comportement abusif de ST, les OA n'ont pas eu accès aux ULL et n'ont donc pas pu pénétrer sur le marché slovaque de détail du haut débit dans des conditions qui leur auraient permis d'offrir des services de détail à haut débit de qualité élevée et de faire réellement concurrence à ST.

4. APPRÉCIATION JURIDIQUE

4.1. Marchés en cause

(7) Comme dans d'autres affaires relevant de l'article 102 du TFUE (Deutsche Telekom, Telefónica, Telekommunikacja Polska (2)), la décision définit un marché de gros national en ce qui concerne l'accès aux ULL de ST. Cette définition du marché est conforme à celle de TUSR, l'autorité de régulation nationale slovaque. ST a commencé à proposer l'accès à ses ULL, conformément à ses obligations réglementaires, en publiant une offre de dégroupage de référence (RUO) le 12 août 2005. L'accès aux autres réseaux d'accès local possibles (fibre optique, câblodistribution, accès fixe sans fil et haut débit mobile) n'est pas offert par les propriétaires de ces réseaux. Il est également techniquement impossible pour les OA d'utiliser de tels réseaux pour accéder aux clients de détail dans l'ensemble de la Slovaquie en leur offrant un niveau de qualité similaire à celui qu'il est possible d'offrir sur les ULL de ST. L'accès au haut débit de gros (WBA) ne peut se substituer à l'accès de gros aux ULL, étant donné que les tarifs mensuels sont plus élevés que dans le cas des ULL, que les OA investissent beaucoup moins sur leur propre infrastructure et qu'avec le produit WBA, ces mêmes OA exercent un très faible contrôle sur la connexion, ce qui ne leur laisse pratiquement aucune possibilité de différencier leur offre de détail de celle de ST.

(8) La décision définit un marché de détail grand public national pour ce qui est des services à haut débit offerts en localisation fixe (que ce soit par câble ou sans fil). Le marché de produits englobe les connexions à haut débit par xDSL, par fibre optique, par câblodistribution et par accès fixe sans fil. Les services mobiles à haut débit ne sont pas inclus dans le marché en cause, notamment parce que des différences sensibles en termes de qualité et de profils d'utilisation des données ont été constatées, pour toute la durée de l'infraction, entre les services fixes et les services mobiles à haut débit. De même, les prix et leur évolution, ainsi que les données de substitution, ne permettent pas de conclure que les services à haut débit fixes et mobiles relèvent du même marché en cause.

(9) Le marché géographique en cause pour ce qui est tant du marché de détail des services à haut débit fixes que du marché de gros de l'accès aux ULL est le marché national parce que ST (tant sur le marché de détail que sur le marché de gros) ainsi que les autres opérateurs (sur le marché de détail) agissent de façon uniforme (prix, modalités et conditions identiques) sur l'ensemble de la zone couverte par leur réseau. Cette définition du marché est conforme à la pratique décisionnelle de la Commission relative aux affaires concernant les télécommunications (Deutsche Telekom, Telefónica, Telekommunikacja Polska).

4.2. Position dominante

(10) Dans sa décision, la Commission conclut que ST occupe une position monopolistique sur le marché de gros de l'accès aux ULL et qu'elle ne subit aucune pression directe ni indirecte prenant la forme d'une concurrence réelle ou potentielle, susceptible de limiter le pouvoir de marché de ST en tant que fournisseur monopolistique de services de boucles locales dégroupées. L'absence de concurrence trouve son origine, en particulier, dans l'existence de barrières à l'entrée élevées qui rendent impossible toute réplication du réseau de ST en termes de couverture géographique et technique. Cette conclusion figurant dans la décision est conforme à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et au cadre réglementaire applicable aux marchés des télécommunications.

(11) En ce qui concerne la position de ST sur le marché de détail, la Commission conclut, dans sa décision, que pendant toute la période examinée, ST détenait une position dominante sur le marché de détail grand public des services à haut débit offerts en localisation fixe. La part de marché de ST établie sur la base du nombre d'abonnés a varié entre [chiffre compris entre 35 % et 55 %] au cours de la période d'infraction. La part de marché du deuxième opérateur le plus important sur le marché, UPC, était pratiquement cinq fois plus faible et connaissait une baisse ([chiffre compris entre 5 % et 15 %] en 2010). ST devait bien affronter la concurrence de certains OA (notamment en ce qui concerne le déploiement progressif des réseaux à fibres optiques), mais ces concurrents n'étaient pas en mesure d'exercer une pression concurrentielle suffisante sur elle. À titre d'exemple, en dépit d'investissements massifs dans le déploiement et la commercialisation de la fibre optique, Orange est restée un acteur marginal sur le marché, ne pouvant compter que sur une part de marché de [chiffre compris entre 0 % et 10 %] en 2010.

4.3. Abus de position dominante

4.3.1. Refus de fournir des ULL

(12) Dans sa décision, la Commission démontre qu'alors que plusieurs OA avaient un grand intérêt à se voir accorder l'accès aux ULL, ST a fixé des modalités et conditions abusives dans son offre de dégroupage de référence afin de rendre l'accès dégroupé à la boucle locale inacceptable pour les OA, retardant, compliquant ou empêchant ainsi leur entrée sur le marché de détail des services haut débit. En particulier:

a) ST n'a pas divulgué aux OA les informations sur le réseau nécessaires au dégroupage de la boucle locale, les empêchant ainsi d'élaborer des plans d'affaires appropriés;

b) ST a artificiellement réduit la portée de son obligation de dégroupage en:

i) refusant de fournir un accès aux lignes ne servant pas à la fourniture de services mais couvertes par le réseau de ST ("lignes passives"), se réservant par conséquent des clients potentiels;

ii) refusant d'accorder un accès partagé aux lignes par lesquelles des formules d'abonnement téléphoniques à tarif social tels que "ST Mini" étaient proposées, avec pour conséquence que ST se réservait abusivement ces clients potentiels pour la DSL;

iii) refusant d'accorder l'accès à 75 % des lignes couvertes par son obligation de dégroupage en s'appuyant sur une règle de gestion du spectre de sécurité soi-disant destinée à empêcher les interférences et les problèmes de superposition susceptibles de se produire lorsque plusieurs services sont utilisés sur la même ligne téléphonique;

c) ST a dissuadé les OA de dégrouper en fixant d'autres modalités et conditions abusives dans son offre de dégroupage de référence. En particulier:

i) ST a rendu le processus de colocalisation (3) inutilement contraignant et coûteux et n'a pas fourni d'informations sur le prix initial en matière de colocalisation;

ii) ST a rendu la procédure de "qualification" (4) obligatoire et l'a assujettie au paiement d'une redevance, même lorsque cela n'était pas nécessaire;

iii) ST a appliqué des modalités et conditions prévisionnelles (5) désavantageuses telles que l'imposition, par elle-même, d'une amende pour non-respect des montants prévus;

iv) ST a appliqué des modalités et conditions abusives en ce qui concerne les réparations, comme la possibilité de faire endosser unilatéralement sa propre responsabilité par les OA en cas de coopération insuffisante aux réparations;

v) ST a imposé une garantie bancaire dont le montant était disproportionné par rapport aux risques et aux coûts que ST supporte pour fournir un accès aux boucles locales.

4.3.2. Compression des marges

(13) Les calculs figurant dans la décision tiennent compte des données fournies par ST et montrent qu'un concurrent aussi efficace utilisant l'accès de gros aux ULL de ST affichait d'importantes marges négatives et ne pouvait pas reproduire avantageusement et durablement le portefeuille haut débit de détail de ST. Cela demeure vrai même si des services supplémentaires (services vocaux, IPTV, services multi-play) d'un portefeuille en aval sont pris en compte. L'intégration de services vocaux (accès vocal, usage vocal) sert de contrôle de sensibilité, car ces marchés ne sont pas abordés par la présente décision.

4.4. Impact probable sur la concurrence et les consommateurs

(14) Le comportement de ST a privé les OA de la possibilité de concurrencer effectivement ST et d'autres acteurs en s'appuyant sur l'accès aux ULL et en se lançant sur le marché de détail grand public des services à haut débit offerts en localisation fixe. Conformément à sa stratégie, par son comportement, ST a privé les OA de l'accès au segment clé (reposant sur l'ULL) du xDSL du marché de détail du haut débit. Ce faisant, ST a artificiellement créé des obstacles à l'entrée sur le marché de détail en rendant la concurrence plus difficile, et donc moins effective, sur le marché de détail, y compris la concurrence fondée sur les propres réseaux des OA (concurrence par les infrastructures).

(15) Le déploiement local des réseaux des OA ne peut compenser ces effets négatifs. Si ST ne s'était pas livrée à des pratiques d'éviction, la concurrence aurait probablement été plus effective sur l'ensemble du territoire de la Slovaquie, y compris dans les zones à forte densité de population, où la concurrence fondée sur les infrastructures existait. Une telle entrée ainsi que la réaction qu'elle aurait provoquée en termes de concurrence de la part de ST et d'autres fournisseurs d'accès à haut débit auraient probablement profité aux consommateurs, qui auraient bénéficié d'un choix plus large, de prix plus avantageux et de services de meilleure qualité.

4.5. Responsabilité de DT

(16) Selon la décision, DT est responsable de l'infraction en tant que société mère. En ce qui concerne la capacité d'exercer une influence déterminante sur ST, la décision mentionne principalement le fait que i) DT est l'actionnaire majoritaire, détenant une participation de 51 %, et que l'État slovaque, qui détient les 49 % restants, ne dispose pas de droits particuliers d'actionnaire minoritaire, et ii) que DT peut désigner la majorité des membres du conseil d'administration. L'exercice d'une influence déterminante transparaît en particulier dans i) la description des chevauchements entre les cadres supérieurs de DT et de ST, ii) les preuves de l'exercice d'une influence par DT sur le processus décisionnel au sein du conseil d'administration de ST et iii) les rapports remontant de ST vers DT. Les éléments de preuve disponibles constituent un faisceau d'indices concordants établissant l'existence d'une unité économique entre DT et ST.

5. AMENDES ET MESURES CORRECTIVES

(17) Dans la mesure où l'une ou l'autre des pratiques abusives constatées est encore en cours, ST et DT sont tenues de mettre fin à cette infraction et de s'abstenir, à l'avenir, de toutes pratiques ayant un objet ou un effet identique ou similaire à celui décrit dans la décision.

(18) Dans sa décision, la Commission inflige une amende de 38 838 000 euro conjointement à ST et à DT et une amende de 31 070 000 euro à DT. Cette amende est fixée en tenant compte de la valeur des ventes réalisées sur le marché en cause, du degré de gravité de l'infraction, de la durée de l'infraction, qui a été de 5 ans et 4 mois, du fait que DT a déjà commis une infraction similaire en 2003 et de la nécessité de donner un caractère dissuasif à l'amende.

Notes :

(1) JO L 1 du 4.1.2003, p. 1.

(2) Affaire AT.37451 du 21 mai 2003, affaire AT.38784 du 4 juillet 2007 et affaire AT.39525 du 22 juin 2011.

(3) Par "colocalisation", on entend le placement de l'équipement des OA au niveau du répartiteur principal de l'opérateur historique.

(4) Par "qualification", on entend le processus par lequel ST vérifiait si une ligne particulière se prêtait au dégroupage.

(5) Les OA sont tenus de communiquer des prévisions concernant les demandes de qualification de la boucle locale qu'ils envisagent d'introduire.