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Décisions

CCE, 13 mai 2009, n° 37990

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Résumé de la décision

Intel

CCE n° 37990

13 mai 2009

1. INTRODUCTION

(1) Le 13 mai 2009, la Commission a adopté une décision relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE et de l'article 54 de l'accord EEE à l'encontre d'Intel Corporation. La Commission publie le résumé de la décision de la Commission, en tenant compte de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués. Une version non confidentielle de la décision sera disponible sur le site Internet de la direction générale de la concurrence.

2. PRÉSENTATION DE L'AFFAIRE

2.1. Procédure

(2) Le 18 octobre 2000, Advanced Micro Devices (AMD) a soumis à la Commission une plainte formelle au titre de l'article 3 du règlement 17/62, qui a été complétée de nouveaux faits et allégations, notamment en novembre 2003.

(3) En mai 2004, la Commission a lancé une série d'investigations sur certains éléments inclus dans la plainte complémentaire. Dans le cadre de cette enquête, en juillet 2005, la Commission a procédé, avec l'appui par plusieurs autorités nationales de la concurrence, conformément à l'article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1-2003, à des inspections sur quatre sites d'Intel au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie et en Espagne, ainsi que sur les sites de plusieurs clients d'Intel en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni.

(4) Le 26 juillet 2007, la Commission a publié une communication des griefs relative au comportement d'Intel à l'égard de cinq grands équipementiers informatique (OEM), à savoir Dell, HP, Acer, NEC et IBM. Intel a répondu le 8 janvier 2008 à la communication des griefs du 26 juillet 2007 et une audition a eu lieu les 11 et 12 mars 2008.

(5) Le 17 juillet 2006, AMD a déposé une plainte auprès de l'autorité nationale allemande de la concurrence, dans laquelle elle a affirmé qu'Intel avait instauré entre autres des pratiques commerciales d'éviction avec Media-Saturn-Holding GmbH (MSH), un distributeur européen d'appareils microélectroniques. L'autorité nationale allemande de la concurrence a échangé des informations avec la Commission sur cette affaire, en application de l'article 12 du règlement (CE) n° 1-2003.

(6) La Commission a effectué plusieurs actes d'instruction concernant les allégations d'AMD en question, y compris des inspections sur les sites de plusieurs vendeurs d'ordinateurs au détail et sur des sites d'Intel en février 2008. Elle a, en outre, adressé plusieurs demandes écrites d'informations à divers grands équipementiers informatique.

(7) Le 17 juillet 2008, la Commission a publié une communication des griefs complémentaire relative au comportement d'Intel à l'égard de MSH. Cette communication des griefs du 17 juillet 2008 portait également sur le comportement d'Intel à l'égard de Lenovo. Elle comportait aussi de nouveaux éléments de preuve concernant le comportement d'Intel à l'égard de certains des équipementiers informatique concernés par la communication des griefs du 26 juillet 2007, que la Commission avait obtenus après la publication de cette dernière.

(8) Intel n'a pas répondu à la communication des griefs complémentaire du 17 juillet 2008. Elle a, par contre, déposé un recours auprès du Tribunal de première instance (TPICE) lui demandant notamment d'ordonner à la Commission qu'elle se procure plusieurs catégories de documents complémentaires émanant, entre autres sources, du dossier du contentieux privé opposant Intel et AMD dans l'État américain du Delaware. Intel a en outre demandé l'application de mesures provisoires visant à obtenir la suspension de la procédure de la Commission dans l'attente d'un jugement du TPICE relatif à sa requête sur le fond et à accorder à Intel un délai de 30 jours à compter de la date dudit jugement pour répondre à la communication des griefs complémentaire du 17 juillet 2008.

(9) Le 19 décembre 2008, la Commission a envoyé à Intel une lettre attirant son attention sur un certain nombre d'éléments de preuve qu'elle aurait l'intention d'utiliser dans une éventuelle décision finale. Intel n'a pas répondu à cette lettre dans le nouveau délai fixé au 23 janvier 2009.

(10) Le 27 janvier 2009, le président du TPICE a rejeté la demande de mesures provisoires ainsi que la demande de prorogation du délai de réponse à la communication des griefs complémentaire du 17 juillet 2008 introduites par Intel.

(11) À la suite du jugement du président du TPICE, Intel a soumis, le 5 février 2009, une requête écrite sur le fond incluant des observations relatives à la communication des griefs complémentaire du 17 juillet 2008. Les services de la Commission ont examiné les arguments formulés dans la requête tardive d'Intel, en dépit du fait que cette dernière avait eu tout le temps de répondre à la communication des griefs complémentaire du 17 juillet 2008 dans le délai fixé initialement au 17 octobre 2008.

(12) Le 10 février 2009, Intel a écrit au conseiller-auditeur pour obtenir une audition sur la communication des griefs complémentaire du 17 juillet 2008. Le conseiller-auditeur a rejeté la demande d'Intel par lettre du 17 février 2009.

(13) Le comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes a émis un avis favorable unanime le 28 avril 2009 et le 8 mai 2009.

2.2. Le produit en cause et le marché

(14) Les produits en cause dans la décision sont les processeurs d'architecture x86. Le processeur est un composant essentiel de tout ordinateur, tant pour les performances générales du système que pour son coût global. Il est souvent considéré comme le "cerveau" de l'ordinateur. La fabrication de processeurs requiert des installations de pointe coûteuses.

(15) Les processeurs utilisés dans les ordinateurs peuvent être regroupés en deux catégories: les processeurs d'architecture x86 et les processeurs d'architecture non-x86. L'architecture x86 est une norme conçue par Intel pour ses processeurs. Elle permet le fonctionnement des systèmes d'exploitation Windows et Linux. Windows est principalement lié à l'ensemble d'instructions x86. Avant 2000, on comptait plusieurs fabricants de processeurs x86. La plupart ont toutefois quitté le marché entre-temps. Depuis cette date, Intel et AMD sont quasiment les deux seules entreprises à encore fabriquer des processeurs x86.

(16) Dans son enquête, la Commission est parvenue à la conclusion selon laquelle le marché de produits en cause n'était pas plus large que le marché des processeurs x86. La décision ne se prononce pas sur la question de savoir si la définition du marché de produits en cause peut faire la distinction entre les processeurs x86 pour ordinateurs de bureau, les processeurs x86 pour ordinateurs bloc-notes et les processeurs x86 pour serveurs, puisqu'au vu des parts de marché d'Intel pour chaque définition, les conclusions relatives à la position dominante ne diffèrent nullement.

(17) Le marché géographique a été défini comme étant de mondial.

(18) Au cours des dix années couvertes par la décision (1997-2007), Intel a toujours détenu des parts de marché très élevées, de 70 % ou plus.

(19) De surcroît, il existe des barrières importantes à l'entrée et à l'expansion sur le marché des processeurs x86. Ces barrières résultent des investissements irrécupérables dans la recherche et le développement, la propriété intellectuelle et les installations de production nécessaires à la fabrication des processeurs x86. Le statut de marque forte ("must-stock") d'Intel et la différenciation du produit qui en résulte constituent également une barrière à l'entrée. Les barrières importantes à l'entrée et à l'expansion qui ont été relevées correspondent à la structure du marché observée, dans laquelle tous les concurrents d'Intel, à l'exception d'AMD, ont quitté le marché ou ne détiennent plus qu'une part de marché négligeable.

(20) S'appuyant sur les parts de marché détenues par Intel et sur les barrières à l'entrée et à l'expansion, la décision conclut qu'Intel a occupé une position dominante sur le marché au moins au cours de la période couverte par la décision (d'octobre 2002 à décembre 2007).

2.3. Résumé de l'infraction

(21) La décision décrit deux types de comportement adoptés par Intel à l'égard de ses partenaires commerciaux: les rabais conditionnels et les "restrictions non déguisées".

2.3.1. Rabais conditionnels

2.3.1.1. Nature et fonctionnement des rabais

(22) Intel a accordé des rabais aux grands équipementiers informatique à la condition que ceux-ci lui achètent tous - ou presque tous - les produits dont ils avaient besoin. C'est le cas:

- des rabais accordés à Dell de décembre 2002 à décembre 2005 à la condition que cette dernière achète exclusivement des processeurs Intel;

- des rabais accordés à HP de novembre 2002 à mai 2005 à la condition que cette dernière achète à Intel au moins 95 % des processeurs destinés à ses ordinateurs de bureau pour le segment des entreprises (les 5 % restants que HP pouvait acheter à AMD étaient eux-mêmes soumis à d'autres conditions restrictives exposées à la section 2.3.2 ci-dessous);

- des rabais accordés à NEC d'octobre 2002 à novembre 2005 à la condition que cette dernière achète à Intel au moins 80 % des processeurs dont elle avait besoin pour ses ordinateurs de bureau et ses ordinateurs bloc-notes;

- des rabais accordés à Lenovo en 2007 à la condition que cette dernière achète exclusivement à Intel les processeurs dont elle avait besoin pour ses ordinateurs bloc-notes.

(23) De même, Intel a octroyé des paiements à Media Saturn Holding (MSH), le plus grand distributeur européen d'ordinateurs de bureau, à la condition que ce dernier vende exclusivement des PC équipés de processeurs Intel. Ces paiements sont d'effet équivalent aux rabais conditionnels accordés aux équipementiers informatique.

(24) Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes, "pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier - fût-ce à leur demande - des acheteurs par une obligation ou une promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 82 CE, que l'obligation en question soit stipulée sans plus ou qu'elle trouve sa contrepartie dans l'octroi d'un rabais. Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d'accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un régime de rabais de fidélité, c'est-à-dire de remises liées à la condition que le client - quel que soit par ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats - s'approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante" (1).

(25) La décision conclut que les rabais conditionnels accordés par Intel constituent des rabais de fidélité qui répondent aux critères de la jurisprudence Hoffmann-La Roche. En ce qui concerne les paiements conditionnels d'Intel à MSH, la décision établit que le mécanisme économique de ces paiements est équivalent à celui des rabais conditionnels accordés aux équipementiers informatique. La décision conclut donc qu'ils réunissent également les conditions énoncées dans la jurisprudence Hoffmann-La Roche.

(26) Il convient également de noter que, globalement, l'incertitude régnait quant à la proportion exacte de rabais ou de paiements perdus en cas d'approvisionnement (accru) auprès d'AMD, concurrent d'Intel. Cette proportion devait être substantielle et disproportionnée par rapport au nombre de processeurs achetés à AMD. Intel avait également la possibilité de réattribuer aux équipementiers informatique concurrents les rabais retirés. Ce système de rabais avait donc pour effet de restreindre la liberté des équipementiers informatique en question et de MSH d'acheter des processeurs à AMD.

(27) Les rabais accordés aux grands équipementiers informatiques et les paiements octroyés à MSH doivent également être considérés dans le contexte de la menace concurrentielle croissante que représentait AMD. À cet égard, la décision montre que les équipementiers informatiques, les responsables informatiques et Intel considéraient que les produits d'AMD possédaient un certain nombre de caractéristiques novatrices et constituaient une alternative viable aux produits d'Intel. Bien que la décision n'émette aucun jugement définitif sur les performances techniques des produits d'Intel et d'AMD en cause, les contributions des équipementiers informatique et les documents datant de l'époque des faits montrent que les équipementiers informatique estimaient que les processeurs x86 d'AMD convenaient au moins à une partie de leurs besoins d'approvisionnement.

2.3.1.2. Analyse dite du concurrent aussi efficace

(28) En plus de démontrer que les conditions de la jurisprudence pour conclure à l'existence d'un abus sont réunies, la décision fournit également une analyse économique de la capacité des rabais d'évincer un concurrent qui serait aussi efficace qu'Intel sans occuper pour autant une position dominante. Concrètement, l'analyse établit le prix auquel un concurrent "aussi efficace" qu'Intel devrait proposer ses processeurs afin d'indemniser un équipementier informatique pour la perte d'un rabais que lui aurait accordé Intel.

(29) Cette analyse dite du concurrent aussi efficace est un exercice purement hypothétique en ce sens qu'elle cherche à déterminer si l'accès au marché d'un concurrent aussi efficace qu'Intel, mais désireux de proposer un produit dont la base de vente n'est pas aussi large que celle d'Intel, est verrouillé. En principe, cette analyse est indépendante de la capacité effective d'AMD d'entrer ou non sur le marché.

(30) L'analyse prend en considération trois facteurs: la part disputable (la part des besoins qu'un client peut réellement transférer à un nouveau concurrent au cours d'une période donnée), un délai adéquat (un an au plus) et une mesure appropriée du coût viable (le coût évitable moyen). Si le système de rabais d'Intel implique, à partie disputable donnée, que pour indemniser un équipementier informatique pour la perte d'un rabais que lui aurait accordé Intel, un concurrent aussi efficace doit proposer ses produits à un coût inférieur au coût viable mesuré d'Intel, cela signifie que le rabais est capable d'évincer un concurrent aussi efficace. Le consommateur final serait ainsi privé du choix entre les différents produits que l'équipementier informatique aurait pu proposer s'il s'était décidé uniquement sur la base du mérite comparé des produits et des prix unitaires proposés par Intel et ses concurrents.

(31) Une analyse du même type a été réalisée pour les paiements octroyés par Intel à MSH. L'analyse de la capacité de ces paiements d'évincer un concurrent aussi efficace tient aussi compte du fait que ceux-ci sont effectués à un autre niveau de la chaîne d'approvisionnement et que leur effet s'ajoute à celui exercé par les rabais conditionnels accordés aux équipementiers informatique.

2.3.1.3. Importance stratégique des principaux équipementiers informatique

(32) La décision indique également que certains équipementiers informatique, et plus particulièrement Dell et HP, sont stratégiquement plus importants que d'autres du fait de leur capacité de garantir l'accès au marché à un fabricant de processeurs. Ils se distinguent des autres équipementiers informatique sur trois grands critères: i) la part de marché; ii) une présence forte sur le segment le plus rentable du marché; et iii) la capacité de conférer une légitimité à un nouveau processeur sur le marché. En conséquence, les équipementiers informatique de plus petite taille ne sont pas en mesure d'apporter la même légitimité que HP et Dell aux processeurs, notamment dans le segment des entreprises, le plus rentable.

2.3.1.4. Effets préjudiciables pour la concurrence et les consommateurs

(33) Sur la base des éléments de preuve qu'elle a rassemblés, la Commission est parvenue à la conclusion selon laquelle les rabais conditionnels et paiements d'Intel ont eu pour conséquence la loyauté des équipementiers informatique stratégiques et d'un grand distributeur. Ces pratiques ont eu des effets complémentaires, en ce sens qu'elles ont sensiblement réduit la capacité des concurrents de livrer une concurrence fondée sur les mérites de leurs processeurs x86. Le comportement anticoncurrentiel d'Intel a contribué ainsi à réduire le choix offert aux consommateurs et les incitations à innover.

2.3.1.5. Absence de justification objective

(34) Intel a avancé deux types d'arguments différents pour tenter de justifier ses systèmes de rabais: i) en recourant au système de rabais, Intel n'a fait que réagir à la concurrence par les prix exercée par ses rivaux et a affronté ainsi ses concurrents; et ii) le système de rabais utilisé envers chaque équipementier informatique était nécessaire pour réaliser des gains d'efficacité considérables, qui sont importants pour le secteur des processeurs. S'agissant du second type d'argument, Intel a affirmé que toutes les conditions d'exclusivité de ses rabais débouchaient sur quatre types de gains d'efficacité différents: des prix plus bas, des économies d'échelle, d'autres réductions de coûts et gains de productivité, ainsi que des gains d'efficacité au niveau du partage des risques et de la commercialisation. En outre, Intel a prétendu que les conditions liées à l'octroi des rabais étaient indispensables pour réaliser ces gains d'efficacité et que leurs effets sur la concurrence étaient minimes, compte tenu de l'expansion d'AMD au cours de la période examinée.

(35) La Commission a analysé ces arguments et évalué dans quelle mesure le comportement d'Intel lui permettrait de réaliser de manière proportionnée les gains d'efficacité allégués. Elle a néanmoins estimé que les arguments avancés par Intel pour justifier objectivement son comportement sont infondés, car ils soutiennent plus généralement un comportement auquel la Commission ne s'est pas opposée (à savoir l'octroi de remises/rabais) et non un comportement auquel elle s'est opposée (à savoir les conditions associées à ces remises/rabais), et parce que les gains d'efficacité invoqués ne constituent pas une justification pertinente du comportement en cause.

2.3.1.6. Conclusion

(36) La décision conclut que les rabais conditionnels accordés par Intel à Dell, HP, NEC et MSH constituent un abus de position dominante au sens de l'article 82 du traité CE et de l'article 54 de l'accord EEE.

2.3.2. Restrictions non déguisées

(37) Intel a octroyé des paiements aux grands équipementiers informatique à la condition que ceux-ci reportent ou annulent le lancement de produits équipés de processeurs d'AMD et/ou imposent des restrictions à la distribution de ces produits. C'est le cas:

- des paiements octroyés à HP à la condition que celle-ci ne vende des ordinateurs pour entreprise équipés de processeurs AMD qu'aux petites et moyennes entreprises, uniquement par l'intermédiaire de circuits de distribution directs (par opposition aux distributeurs) et que HP reporte de six mois le lancement de ses premiers ordinateurs pour entreprise équipés de processeurs AMD en Euroope. Cet abus a duré de novembre 2002 à mai 2005;

- des paiements octroyés à Acer à la condition que celle-ci reporte de septembre 2003 à janvier 2004 le lancement de ses ordinateurs bloc-notes équipés de processeurs AMD;

- des paiements octroyés à Lenovo à la condition que celle-ci reporte de juin 2006 à la fin de 2006 le lancement de ses ordinateurs bloc-notes équipés de processeurs AMD.

(38) Dans l'affaire Irish Sugar, le Tribunal de première instance est parvenu à la conclusion selon laquelle le comportement d'une entreprise dominante qui convenait "avec un grossiste et un détaillant d'échanger le sucre au détail concurrent, c'est-à-dire le sucre Euroolux en paquets d'un kilo de la Compagnie française de sucrerie, contre son propre produit" constituait un abus (2). Grâce au mécanisme d'échange en question, l'entreprise dominante a empêché la marque concurrente d'être présente sur le marché, étant donné que les détaillants n'avaient plus de stock de sucre Euroolux et avaient remplacé ce volume par du sucre de l'entreprise dominante. À cet égard, le TPICE a considéré que "la requérante a porté atteinte à la structure de concurrence qu'aurait pu acquérir le marché irlandais du sucre destiné à la vente au détail par le biais de l'entrée d'un nouveau produit, le sucre de la marque Euroolux, en procédant, dans les circonstances précitées, à l'échange des produits concurrents sur un marché dont elle détenait plus de 80 % du volume des ventes" (3).

(39) La décision conclut que le comportement d'Intel a causé un préjudice direct à la concurrence. L'entrée sur le marché d'un produit dont le fournisseur avait programmé activement le lancement a été reportée ou entravée. En fin de compte, le choix offert aux consommateurs a été plus réduit qu'il ne l'aurait été sinon. Le comportement d'Intel ne relève pas d'une concurrence normale, fondée sur les mérites. En outre, les paiements octroyés par Intel aux équipementiers informatique pour qu'ils reportent, annulent ou restreignent le lancement d'un produit équipé d'un processeur AMD ou qu'ils limitent sa distribution ne relèvent nullement d'une quelconque justification objective ou d'un quelconque gain d'efficacité.

2.3.3. Stratégie unique

(40) La décision établit que chacun des comportements d'Intel à l'égard des équipementiers informatique susmentionnés et de MSH constitue un abus au sens de l'article 82 du traité CE, mais que tous ces abus s'inscrivent également dans le cadre d'une stratégie unique visant à évincer AMD, le seul concurrent important d'Intel, du marché des processeurs x86. Ceux-ci forment donc une infraction unique au sens de l'article 82 du traité CE.

(41) La décision ajoute que les pratiques d'Intel, qui ont été mises en œuvre ensemble à deux niveaux de la chaîne de distribution (les grands équipementiers informatique et un grand distributeur) doivent être considérées dans le contexte de la menace concurrentielle croissante que représentait AMD. Les effets de ces pratiques étaient complémentaires, en ce sens qu'elles verrouillaient l'accès des concurrents au marché, réduisant ainsi leur capacité de livrer une concurrence fondée sur les mérites de leurs processeurs. Il en résulte que le consommateur final a été artificiellement empêché de choisir un ordinateur équipé d'un processeur autre que celui d'Intel sur la base de son mérite (qualité et prix des processeurs).

(42) Dans ce contexte, la Commission rappelle également la jurisprudence selon laquelle "lorsqu'une ou plusieurs entreprises en position dominante mettent effectivement en œuvre une pratique dont l'objet est d'évincer un concurrent, la circonstance que le résultat escompté n'est pas atteint ne saurait suffire à écarter la qualification d'abus de position dominante au sens de l'article 86 (devenu l'article 82) du traité" (4).

3. DÉCISION

(43) La décision établit qu'Intel a violé l'article 82 du traité et l'article 54 de l'accord EEE en commettant une infraction unique et continue auxdits articles d'octobre 2002 à décembre 2007, laquelle a consisté à mettre en œuvre une stratégie visant à évincer ses concurrents du marché des processeurs x86.

(44) Une amende de 1 060 000 000 EURO a été infligée à Intel Corporation pour cette infraction.

(45) Intel Corporation doit mettre fin immédiatement à l'infraction si ce n'est déjà le cas et s'abstenir de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

Notes :

(1) Arrêt du 13 février 1979 dans l'affaire 85-76, Hoffmann-La Roche/Commission, point 89, Recueil 1979, p. 461.

(2) Arrêt du 7 octobre 1999 dans l'affaire T-228-97, Irish Sugar, point 226, Recueil 1999, p. II-2969.

(3) Idem, point 233.

(4) Arrêt du 8 octobre 1996 dans les affaires T-24-93, T-25-93, T-26-93 et T-28-93, Compagnie Maritime Belge/Commission, point 149, Recueil 1996, p. II-1201. Voir également l'arrêt du 2 avril 2009 dans l'affaire C-202-07, France Télécom/Commission, points 107 et 113, non encore publié.