CA Nîmes, 2e ch. com. B, 18 septembre 2014, n° 13-02194
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Lafon (SAS)
Défendeur :
Garage Froment (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Filhouse
Conseillers :
Mme Hairon, M. Gagnaux
Avocats :
Mes Pericchi, Lafon-Pouysseguer, Alcade
EXPOSE DU LITIGE
Suite à une annonce Internet en date du 28 janvier 2010, la société Lafon Technologies a passé commande à la SAS Garage Froment d'un tracteur PL d'occasion de marque Renault modèle Premium 340, pour un prix de 13 000 euro HT.
Se plaignant de divers désordres, mais n'ayant pu trouver de solution amiable auprès du garage Froment, la société Lafon a saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de la Rochelle, aux fins d'expertise.
Saisi par assignation du 2 janvier 2012, le Tribunal de commerce de Nîmes, statuant en lecture du rapport d'expertise de M. Thuiller, par jugement du 13 décembre 2012, a :
- dit n'y avoir lieu au prononcé de la nullité de la vente
- condamné la SAS Garage Froment à payer à la SAS Lafon venant aux droits de la SA Lafon Technologies la somme de 2 104,15 euro HT au titre des frais de remise en état du véhicule, et 3 000 euro à titre de dommages-intérêts
- rejeté toutes les autres demandes des parties
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 7 mai 2013, la SAS Lafon a relevé appel de la décision dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas critiquées.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er août 2013, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la SAS Lafon demande à la cour, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil, de :
- réformer le jugement déféré en son entier
- prononcer la nullité de la vente pour vices cachés
- ordonner la restitution du montant du prix de vente, soit 13 000 euro HT
- condamner la société garage Froment à payer à la société Lafon la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts
- la condamner à lui payer la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- la condamner aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise et de rapatriement du véhicule
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 septembre 2013, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la SAS Garage H. Froment demande à la cour de :
- rejeter toutes les demandes de la société Lafon
- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné le garage Froment à la somme de 2 104,15 euros HT et celle de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts
- condamner la société Lafon à la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris le coût de l'expertise
A titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que seule la réparation du système " Telma " pourrait être mise à la charge du garage Froment
- rejeter toutes les autres demandes
- partager par moitié les dépens.
Par ordonnance du 25 avril 2014, la clôture de la procédure a été prononcée à effet différé au 12 juin 2014.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il ne ressort pas des pièces de la procédure de moyens d'irrecevabilité des appels que la cour devrait relever d'office, et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point.
La SAS Lafon fonde son action sur les dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil et soutient que le véhicule qui lui a été vendu par le garage Froment est affecté de vices cachés le rendant impropre à l'usage auquel il était destiné. Elle conteste sa qualité d'acheteur professionnel et soutient que la société Garage Froment est de mauvaise foi et ne pouvait ignorer l'ampleur des désordres affectant le tracteur. Elle réfute l'argumentation développée par l'intimée et conteste les éléments retenus par le tribunal pour rejeter ses demandes.
La société Garage Froment soutient que les désordres invoqués par l'appelante constituent des vices apparents dont la société Lafon aurait pu se convaincre, si elle avait procédé à un essai du véhicule. Elle estime que la société Lafon Technologies doit être considérée comme un acquéreur professionnel, compte tenu de son domaine d'activité.
Subsidiairement, la société Garage Froment s'estime fondée à exciper d'une exonération partielle de responsabilité.
La société Garage Froment exerce une activité de vente de véhicules industriels et utilitaires légers et doit incontestablement être considérée comme un vendeur professionnel.
Quant à la société Lafon technologies, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la SAS Lafon, elle appartient au groupe Madic, et est spécialisée dans les équipements pétroliers, activité pour les besoins de laquelle elle utilise des camions. Bien qu'ayant une certaine connaissance technique, elle ne peut donc être qualifiée d'acheteur professionnel, exerçant une activité professionnelle dans un secteur de spécialité différente. En tout état de cause, les conditions générales de vente figurant sur le bon de commande du 8 janvier 2010, ne contiennent aucune exclusion de garantie, que l'acquéreur soit professionnel ou non.
Il résulte des pièces produites par les parties et notamment du rapport d'expertise, d'une part que le véhicule a présenté des dysfonctionnements très rapidement après la prise en charge par la société de convoyage, à laquelle il a été confié par la société Lafon pour assurer le trajet entre Marguerites (siège du Garage Froment dans le Gard) et Perigny (siège de la société Lafon dans les Charentes-Maritimes), et est tombé en panne en Corrèze où il a dû subir une première intervention ; et d'autre part qu'à la réception du véhicule, la société a immédiatement fait établir un constat de non-conformité du véhicule, en indiquant que celui-ci présentait d'importants désordres, qui ont été confirmés par un examen effectué par un réparateur Renault Trucks agréé.
D'après les éléments relevés par l'expert, le véhicule litigieux est un tracteur de marque Renault qui présentait lors de la vente un kilométrage de 491 697 km, pour avoir été mis en circulation le 6 janvier 1999.
L'expert a souligné l'état très médiocre du véhicule et notamment de l'intérieur de la cabine et a relevé les désordres suivants :
- défaut de charge de l'alternateur, celui-ci étant hors service ainsi que les deux batteries
- fuite d'huile importante à la pompe de direction assistée (organe de sécurité)
- fuite d'huile importante au carter inférieur moteur
- défaut d'étanchéité de la boîte de vitesse
- déformations de la bride inférieure du ressort de suspension avant gauche suite à un choc important sur les deux écrous de fixation (points de sécurité de contrôle technique)
- usure importante des plaquettes de freins et pneumatiques
- absence de fonctionnement du ralentisseur Telma en position 2
- jeu anormal de la sortie de la boîte de vitesse
- défaut mineur d'étanchéité sur l'un des essieux
- fonctionnement anormal du frein de stationnement
L'expert précise que l'ensemble des désordres étaient antérieurs à la vente, expliquant que le processus de dégénération des différents organes constitutifs du véhicule s'inscrivait dans une certaine durée, et soulignant que les déficiences graves affectant le véhicule pouvaient être justifiées par le kilométrage de celui-ci, mais auraient dû être éradiquées par le vendeur dans le cadre de la préparation avant la transaction.
Contrairement à ce qui est soutenu par l'intimée, l'expert indique très clairement que si certaines anomalies étaient décelables par un simple examen visuel et un essai routier avant l'acte de négoce, certains désordres n'étaient détectables que par un professionnel après un contrôle sérieux du véhicule. En outre, l'expert a relevé que certains désordres figuraient sur le procès-verbal de contrôle technique établi le 26 novembre 2007, alors que le véhicule présentait un kilométrage de 486 999 km mais n'ont pas été relevés lors du contrôle technique du 27 janvier 2010, veille de la transaction, alors que le véhicule affichait 491 697 km, alors que ces désordres (fuite moteur, défaut d'étanchéité de la boîte de vitesse) étaient toujours présents lors de l'expertise le 20 octobre 2010, après selon lui un nettoyage au " Karcher" avant la présentation au contrôle ce qui a permis de les masquer. Il souligne enfin le fait que le véhicule n'a parcouru que 5 000 km en deux ans. Il ne peut dès lors être soutenu que tous les défauts étaient apparents alors qu'ils n'ont pas été détectés lors du contrôle technique précédent la vente.
L'expert a chiffré le coût de la remise en état du véhicule à plus de 11 900 euro, indiquant qu'en l'état, le véhicule vendu était impropre à l'usage auquel il était destiné, les défauts mécaniques engendrant une impossibilité pratique de l'utiliser.
Il conclut en précisant que le véhicule ne correspondait pas, compte tenu de son prix, à ce que l'on était en droit d'attendre d'un professionnel, vendeur de véhicules d'occasion, quelles que soient les circonstances.
Ainsi, s'il est incontestable, que la société Lafon a fait preuve d'une certaine légèreté en achetant un véhicule d'occasion, à distance, sans procéder à aucun essai sur route ni même l'examiner, le tribunal, en considérant que cette négligence privait la société Lafon de la possibilité de se prévaloir des vices cachés du véhicule vendu, a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas. En effet, il ne peut être valablement considéré, que l'acheteur pouvait se convaincre lui-même des vices de la chose, dès lors qu'il est constaté que, comme en l'espèce, seule une expertise avait permis d'en constater l'existence.
L'action rédhibitoire de la société Lafon est donc recevable et bien-fondée. Il convient en conséquence d'ordonner la restitution du véhicule vendu et du prix de vente. Il appartiendra à la société Garage Froment de prendre en charge l'ensemble des frais afférents à la restitution et notamment le coût des frais de rapatriement du véhicule.
Enfin, il y a lieu, par application de l'article 1645 du Code civil, de condamner la société Garage Froment, vendeur professionnel, présumé connaître les vices de la chose, à indemniser l'appelante de tous les préjudices provoqués par les vices du véhicule vendu. La société Lafon justifie avoir exposé des frais pour procéder à la remise en état d'un autre véhicule afin de faire face à l'impossibilité d'utiliser le véhicule vendu. En outre, le véhicule litigieux est indisponible et immobilisé depuis plus de quatre ans, alors que le prix a été payé comptant la somme réclamée au titre du préjudice financier est donc bien fondée. Par contre, la société appelante ne justifie pas des perturbations dans l'organisation de l'entreprise, ni du coût des frais de personnel qu'aurait engendré la nécessité d'assister aux réunions d'expertise. Il lui sera alloué une somme de 3 904 euro à titre de dommages-intérêts.
La société Garage Froment succombe en son argumentation et devra assumer les dépens de première instance et d'appel, ainsi que les frais d'expertise. La société Lafon a été contrainte d'exposer des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge, il convient de lui octroyer une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, la cour statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Reçoit les appels en la forme, Infirme la décision déférée, Statuant à nouveau, Déclare bien-fondé l'action rédhibitoire de la société Lafon, Ordonne la restitution du véhicule Renault Premium 340 immatriculé 8458 ZT30, Dit qu'il appartiendra à la SAS Garage H. Froment d'assumer les frais afférents à la restitution du véhicule et notamment le coût éventuel du rapatriement de celui-ci dans le Gard, Condamne la SAS Garage H. Froment à restituer à la société SAS Lafon venant aux droits de la société Lafon technologies la somme de 13 000 euro HT correspondant au prix de vente, Condamne la SAS Garage H. Froment à payer à la société SAS Lafon, venant aux droits de la société Lafon technologies la somme de 3 904 euro à titre de dommages-intérêts, Condamne la SAS Garage H. Froment à payer à la société SAS Lafon venant aux droits de la société Lafon technologies, la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Garage H. Froment aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement des frais d'expertise.