CA Versailles, 3e ch., 21 janvier 2016, n° 13-06492
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Didier
Défendeur :
Renault (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mmes Bazet, Derniaux
Avocats :
Me Jullien, Martin, de Carfort, Guennec
FAITS ET PROCÉDURE
M. Didier a acquis en décembre 2003 un véhicule neuf Renault Vel Satis auprès du garage Hoel au prix de 40 500 euro, avec une garantie de deux ans.
Se plaignant de diverses anomalies et dysfonctionnements affectant son véhicule, M. Didier a obtenu le 3 décembre 2009 la désignation en référé d'un expert, lequel a déposé son rapport le 4 novembre 2010.
Le 1er juin 2011, M. Didier a fait assigner la société Renault devant le Tribunal de grande instance de Nanterre afin de la voir condamnée à lui verser les sommes de 4 706,98 euro correspondant aux frais de réparation et frais divers restés à sa charge, 20 000 euro correspondant aux préjudices liés à l'immobilisation du véhicule et au préjudice professionnel et 35 000 euro correspondant au préjudice de jouissance.
Par jugement du 2 novembre 2012, la juridiction a :
Qualifié l'action de M. Didier à l'encontre de la société Renault d'action estimatoire,
Condamné la société Renault à payer à M. Didier la somme de 10 000 euro au titre de la réduction du prix,
Condamné la société Renault à payer 2 500 euro à M. Didier au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Débouté la société Renault de ses demandes,
Débouté M. Didier du surplus de ses demandes,
Condamné la société Renault aux dépens en ce compris ceux du référé et de l'expertise.
M. Didier a interjeté appel de cette décision le 14 août 2013 et, aux termes de conclusions du 7 mars 2014, demande à la cour de :
Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a limité à 10 000 euro le montant de l'indemnisation devant lui être allouée au titre de la réduction du prix et rejeté sa demande d'indemnisation des préjudices annexes, et statuant à nouveau,
Condamner la société Renault SAS à lui payer 35 000 euro au titre de la réduction du prix, et celle de 24 706,62 euro en sus au titre de ses préjudices annexes,
Assortir les condamnations prononcées des intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2011, date de l'assignation,
Ordonner la capitalisation des intérêts à compter des présentes, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,
Pour le surplus, confirmer le jugement entrepris en ses dispositions non contraires aux présentes,
En toute hypothèse, débouter la société Renault SAS de son appel incident et de toutes ses demandes,
Condamner la société Renault SAS à lui payer la somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens, avec recouvrement direct.
Dans des conclusions du 8 janvier 2014, la société Renault prie la cour de :
A titre principal :
Constater, à la lumière du rapport d'expertise judiciaire, que la preuve de l'existence d'un vice caché affectant le véhicule de M. Didier n'est nullement rapportée, faute de revêtir les caractéristiques d'un vice rédhibitoire telles qu'exigées par l'article 1641 du Code civil,
En conséquence, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'un vice caché ouvrant droit à une action estimatoire,
Prononcer sa mise hors de cause en tant que constructeur du véhicule.
A titre subsidiaire :
Confirmer purement et simplement le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et notamment, en ce qu'il a limité l'indemnité allouée à M. Didier au titre de la réduction du prix de vente, à la somme de 10 000 euro, et l'a débouté de ses demandes d'indemnisation des préjudices annexes subis.
En tout état de cause :
Condamner M. Didier à lui verser la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, avec recouvrement direct.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile pour un exposé plus amplement détaillé de leur argumentaire, dont l'essentiel sera repris à l'occasion de l'examen des moyens et prétentions qui y sont articulés.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 novembre 2015.
SUR CE,
Il résulte des articles 1641 et 1644 du Code civil que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui en diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou à un moindre prix s'il les avait connus, et que l'acheteur peut, en ce cas, à son choix, rendre la chose et se faire restituer le prix ou garder la chose et se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par les experts.
Le tribunal a constaté que M. Didier ne qualifiait pas les dysfonctionnements dénoncés, n'indiquait pas non plus le fondement de ses demandes mais ne contestait pas l'allégation de la société Renault qui, elle, plaçait son action dans le cadre des articles 1641 et suivants du Code civil, et a donc statué sur la base de ces textes, déduisant de l'absence de demande de résolution de la vente que M. Didier exerçait une action estimatoire, sans toutefois alléguer que la société Renault avait connaissance des vices cachés, dont l'existence résultait de l'expertise.
Les premiers juges ont donc fixé la réduction de prix à 10 000 euro et rejeté les autres demandes de M. Didier (frais de réparation et préjudices liés à l'immobilisation), non justifiées et entrant dans la catégorie des dommages-intérêts nécessitant que soit démontrée la connaissance du vice par le vendeur.
M. Didier, qui fonde désormais juridiquement son action, indique qu'il sollicite la somme de 35 000 euro à titre de réduction de prix, ainsi que l'a avalisé l'expert, et la somme de 24 706,62 euro à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1645 du Code civil aux termes duquel le vendeur professionnel est réputé connaître les vices de la chose.
La société Renault conteste l'existence de vices cachés affectant le véhicule en cause, considérant que la preuve n'est pas rapportée de ce que les désordres constatés, certes à l'origine d'un certain inconfort, aient rendu le véhicule impropre à son usage, chacun d'eux ayant en outre été réparés, soit dans le cadre de la garantie, soit dans le cadre de l'expertise judiciaire. Elle souligne que la simple perte de confiance ne peut servir de fondement à une action sur le fondement des vices cachés, dès lors que le défaut n'existe plus.
L'expert judiciaire a conclu que le véhicule avait connu de multiples pannes parfois dangereuses et qu'il présentait un défaut de fiabilité.
Il a indiqué que l'engin avait présenté de nombreuses anomalies parfois importantes et à caractère de dangerosité de tous ordres et principalement mécaniques : fumées noires à l'échappement, allumages alerte huile, refus de reconnaissance de la carte de démarrage, problèmes de siège et d'ouverture de porte, vibrations portière et tableau de bord, arrêt sur autoroute, ces problèmes s'étant manifestés entre les kilométrages 40 et 66 193, sur une durée d'environ 6 ans 1/2. Il écrit : " au vu de toutes les interventions qui ont eu lieu sur ce véhicule nous pouvons dire que ce véhicule a manqué de fiabilité dans son ensemble. Ce manque de fiabilité est totalement anormal et laisse présager des pannes futures. Le manque de fiabilité est la seule origine des désordres connus ".
Force est de constater que ces conclusions sont lapidaires et que le travail de l'expert est incomplet en ce qu'il n'a pas cru devoir donner la moindre indication sur l'origine des pannes qui ont affecté le véhicule. Le diagnostic de défaut de fiabilité ne saurait être jugé suffisant pour caractériser un vice caché, les désordres affectant un véhicule n'ont pas pour origine un "manque de fiabilité" mais trouvent leur siège dans des dysfonctionnements techniques voire dans des réparations inadaptées qui doivent être identifiés et décrits, le manque de fiabilité n'étant pas une cause mais une conséquence des désordres.
D'ailleurs l'expert n'a constaté à la date de ses examens que deux défauts affectant le véhicule : un bruit au niveau du tableau de bord et l'habillage arrière des sièges avant à refixer.
Il ne peut être sérieusement soutenu que ces deux défauts mineurs constituent un vice caché ayant un impact sur l'usage du véhicule, et il doit être considéré qu'au moment de l'expertise, le véhicule ne présentait pas ou plus de vice.
Néanmoins, et ce point n'est pas sérieusement discuté par la société Renault, la comparaison de l'historique des pannes et anomalies de fonctionnement établi par M. Didier avec les pièces justifiant d'une intervention effective sur le véhicule révèle un nombre important de difficultés de démarrage et/ou de déclenchement d'alarme (entre le 27 juin 2005 et mars 2007) :
- 27-06-2005, refus de reconnaissance de la carte de démarrage (véhicule immobilisé trois jours),
- 10-09-2005, défaut détection carte (véhicule immobilisé quatre jours),
- 26-01-2007, véhicule ne démarre pas (remorquage, véhicule immobilisé quatre jours),
- 25-02-2007, véhicule ne démarre pas et alarme se déclenche (remorquage, véhicule immobilisé dix jours),
- 08-03-2007, idem (mais dépannage annulé car le véhicule a finalement redémarré),
- 18-03-2007, véhicule ne démarre pas (dépannage sur place),
- 14-04-2007, sur autoroute, dans l'est de la France, après des appels de phares, le véhicule s'est arrêté (immobilisation pendant cinq jours).
La majeure partie de ces incidents de fonctionnement ont été pris en charge dans le cadre de la garantie contractuelle souscrite par M. Didier qui a couru pendant cinq ans.
L'appelant évoque une nouvelle panne de même nature le 23 août 2010, dont l'expert judiciaire a eu connaissance, mais sur laquelle il n'a fait aucun commentaire précis, et il résulte de la facture de travaux du 31 août 2010 que l'impossibilité de démarrer provenait d'une batterie hors service, la cour ignorant les raisons pour lesquelles un certain nombre d'autres pièces ont été changées à cette occasion.
Le 25 août 2008, la société Renault a pris en charge le remplacement des rotules de direction à l'avant, et, en cours d'expertise, ont été changés une vanne EGR, et un capteur de pression. Là encore, aucune explication technique n'est fournie par l'expert de sorte qu'aucun élément ne permet d'exclure que ces interventions soient la conséquence d'une usure des pièces sur un véhicule de cet âge. Quant aux difficultés liées à l'émission de fumées noires d'échappement, elles ont été réglées et n'ont entraîné aucune restriction à l'usage du véhicule.
En conclusion, s'il est exact que le véhicule ne présentait pas de défaut le rendant impropre à son usage lors de son examen par l'expert, alors qu'il était en circulation depuis près de sept ans et avait parcouru 66 475 km, il a néanmoins présenté antérieurement un défaut affectant son système de démarrage, qui a diminué significativement l'usage du véhicule au point que M. Didier ne l'aurait pas acquis ou à un moindre prix s'il l'avait connu. Les interventions sur le véhicule liées à d'autres difficultés n'ont fait l'objet d'aucune analyse technique de la part de l'expert, ainsi qu'il a déjà été dit.
M. Didier ayant accepté que le véhicule soit remis en état du chef du vice ayant affecté l'alimentation électrique du véhicule, il ne peut plus invoquer l'action en garantie des vices cachés et peut seulement solliciter l'indemnisation du préjudice éventuellement subi du fait de ce vice, dont la société Renault, professionnelle de l'automobile, est réputée avoir eu connaissance.
En conséquence, la demande de réduction de prix formée à hauteur de 35 000 euro sera rejetée.
S'agissant de la demande de dommages-intérêts, M. Didier sollicite la somme de 4 706,62 euro correspondant à des factures de réparation, réglées entre 2006 et août 2010. L'analyse de ces factures révèle que seule l'une d'entre elles est liée au vice affectant le démarrage du véhicule, à savoir celle du 26 janvier 2007 d'un montant de 283,08 euro.
Le vice du véhicule a entraîné 26 jours d'immobilisation du véhicule.
Cet élément ajouté aux incertitudes liées aux difficultés de démarrage du véhicule, et à la nécessité de recourir à plusieurs reprises à un dépannage ont généré un préjudice de jouissance qui sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 6 000 euro.
Au total c'est donc une somme de 6 283,08 euro qui sera mise à la charge de la société Renault.
Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 2012, date du jugement.
Les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a qualifié la demande de M. Didier d'action estimatoire, lui a alloué une somme de 10 000 euro au titre de la réduction du prix et l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts. Il sera confirmé pour le surplus de ces dispositions.
La société Renault qui succombe en appel sera condamnée aux dépens d'appel et au paiement de la somme de 1 500 euro au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a qualifié la demande de M. Didier d'action estimatoire, lui a alloué une somme de 10 000 euro au titre de la réduction du prix et l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts, Le confirme pour le surplus, Statuant à nouveau des chefs infirmés, Rejette la demande de réduction de prix formée par M. Didier, Condamne la société Renault à payer à M. Didier la somme de 6 283,08 euro à titre de dommages-intérêts, Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 2012 et que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Y ajoutant, Condamne la société Renault aux dépens d'appel lesquels pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Renault à payer à M. Didier la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.