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Décisions

Cass. crim., 13 mai 1998, n° 97-83.402

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Avocat général :

M. Geronimi

Conseiller :

Mme Ferrari

Cass. crim. n° 97-83.402

13 mai 1998

LA COUR : Statuant sur les pourvois formés par :

- G. Jean-Pierre,

- L. André,

- T. Désiré,

- C. Jean-Claude,

- B. Robert,

- B. Charles,

- I. Pierre,

- G. Jean, contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, du 18 décembre 1997, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, tromperie et fausse indication de provenance, les a condamnés chacun à une peine d'emprisonnement avec sursis et une amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 177 du Traité de la communauté européenne, 4, 5 et 6 du règlement n° 802/68 du conseil des communautés européennes du 27 juin 1968, L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5 et L. 121-6 du Code de la consommation, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 et L. 216-6 du même Code, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande des prévenus tendant à voir saisie la Cour de Justice des Communautés européennes de la question préjudicielle suivante :

"le Code des douanes du 1er janvier 1994, l'article 5 concernant l'étiquetage, la directive 79/112 et le règlement IGP 2081/92 permettent-ils de considérer qu'un animal (ovin) originaire d'un cheptel français, CEE ou pays tiers, mais qui est abattu selon une technique traditionnelle et reconnue par un lieu précis (Sisteron) peut se voir apposer sur la viande, voire sur l'emballage : Sisteron ou agneau de Sisteron, sachant que les marquages permettent actuellement de savoir de quel cheptel l'animal est issu ?" ;

"aux motifs adoptés du jugement que le règlement 802/68 du Conseil des communautés européennes relatif à la définition commune de la notion d'origine des marchandises prévoit dans son article 4 :

1°) sont originaires d'un pays les marchandises entièrement obtenues dans ce pays ;

2°) par marchandises entièrement obtenues dans un pays on entend :

c) les animaux vivants qui y sont nés et élevés ;

d) les produits provenant d'animaux vivants qui y font l'objet d'un élevage... ;

j) celles qui y sont obtenues exclusivement à partir des marchandises visées sous a) à i) ou de leurs dérivés, à quelque stade que ce soit" ;

"mais que selon l'article 5 dudit règlement :

"une marchandise dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d'un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important" ;

"que, selon l'article 1er du règlement n° 964/71 du 10 mai 1971 (pris en application de l'article 14 du règlement 802/68) "l'abattage des animaux... ne confère, aux viandes... qui en sont issues, l'origine du pays... où il a eu lieu que s'il fait suite à l'engraissement des animaux considérés dans ce pays... pendant une période au moins égale à trois mois pour les animaux des espèces chevaline, asine, mulassière et bovine et à deux mois, pour les animaux des espèces porcines, caprine et ovine" et encore dans un arrêt du 23 février 1984, la Cour de justice des Communautés européennes (3e chambre recueil 1984 p. 1095 et suivantes) a notamment décidé que "l'article 5 du règlement n° 802/68 doit être interprété en ce sens que le fait de désosser, dénerver, dégraisser, découper en morceaux et empaqueter sous vide la viande provenant de quartiers de bœufs ne confère pas à celle-ci l'origine du pays où ces opérations ont lieu" ;

"alors que les décision judiciaires doivent contenir des motifs propres à les justifier, et notamment, répondre aux conclusions des parties;

qu'en se bornant, pour décider que la question préjudicielle soulevée par les prévenus n'est pas pertinente, à retenir, par adoption des motifs du tribunal, que le fait de désosser, dénerver, dégraisser, découper en morceaux et empaqueter sous vide la viande ne confère pas à celle-ci l'origine du pays où ces opérations ont lieu, sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions des prévenus, si, compte tenu, d'une part, du fait que les progrès technologiques permettent de connaître l'origine des agneaux abattus par une identification spécifique apposée sur la carcasse de chaque bête abattue à l'abattoir de Sisteron, et, d'autre part, du savoir-faire certain des chevillards de Sisteron, notamment au niveau de la sélection des agneaux, de l'abattage et du conditionnement, pour répondre aux besoins et au goût des consommateurs habitués et demandeurs de cette qualité, nécessitant l'emploi d'une compétence particulière et d'un outillage spécifique adapté (l'abattoir ovin de Sisteron), les animaux ne subissaient pas, en l'espèce, une dernière transformation ou ouvraison substantielle de nature à permettre d'apposer sur la viande ou sur l'emballage le nom de Sisteron ou agneau de Sisteron, la cour d'appel a entaché son arrêt de défaut de motifs et violé, en conséquence, les textes visés au moyen" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5 et L. 121-6 du Code de la consommation, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables de tromperie sur l'origine de la marchandise ;

"aux motifs que ceux-ci, dirigeants de sociétés implantées à Sisteron ayant pour objet social le commerce en gros de carcasses d'agneaux, ont bien trompé certains de leurs cocontractants sur l'origine de la marchandise et ce, en y apposant des estampilles et marques distinctives tendant par leur graphisme ou mentions allusives à les persuader qu'ils acquéraient bien, de l'agneau dit de Sisteron, agneau qui, élevé dans la région de Sisteron, des Alpes du Sud et de Haute-Provence, jouit d'une renommée certaine alors qu'en réalité il n'en était rien, les prévenus, élément constant aux débats, s'approvisionnant tous dans diverses autres régions de France, certains d'entre eux se fournissant même dans des proportions non négligeables, à l'étranger et notamment dans des pays hors CEE ;

"alors que la réputation de Sisteron tient non à l'agneau de terroir mais à la qualité des agneaux sélectionnés et abattus à l'abattoir de Sisteron, qui est le plus important de France et l'un des tous premiers d'Europe, par les chevillards installés à Sisteron, qui, depuis des générations, font preuve d'un savoir-faire et d'une compétence qui garantit la qualité des agneaux qu'ils sélectionnent et abattent ;

qu'en se fondant, pour déclarer les prévenus coupables du délit de tromperie sur l'origine des agneaux commercialisés, sur l'affirmation que l'appellation Sisteron ou agneau de Sisteron s'applique aux agneaux élevés dans la région de Sisteron, des Alpes du sud et des Alpes de Haute-Provence, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 et L. 216-6 du Code de la consommation, 339 de la loi d'adaptation du 16 décembre 1992, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables de publicité mensongère ;

"aux motifs que dans l'exercice de leur activité commerciale, les divers prévenus ont, par la distribution d'affiches, documents publicitaires, étiquettes faisant référence à l'origine sisteronaise ou française ou de pays étrangers de la viande d'agneau qu'ils commercialisaient alors qu'en certaines circonstances et pour certains lots il n'en était rien pour les raisons sus évoquées et exactement rappelées par les premiers juges, bien commis le délit de publicité mensongère ;

"alors, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, déclarer les prévenus coupables de tromperie sur l'origine des viandes commercialisées aux motifs qu'ils avaient apposé des estampilles laissant croire aux acheteurs qu'ils acquéraient de l'agneau de Sisteron bien qu'ils s'approvisionnent dans diverses régions de France, et même pour certains d'entre eux, à l'étranger et notamment, dans des pays hors CEE et leur reprocher par ailleurs, s'agissant du délit de publicité mensongère, d'avoir fait, dans leur publicité, référence à l'origine sisteronaise ou française ou de pays étrangers de la viande d'agneau qu'ils commercialisaient bien qu'il n'en soit rien ;

"alors, d'autre part, que l'appellation Sisteron ou agneau de Sisteron ne correspond pas à la production ovine locale mais à la qualité des agneaux sélectionnés et abattus à l'abattoir de Sisteron, qui est le plus important de France et l'un des tous premiers d'Europe, par les chevillards installés à Sisteron, qui, depuis des générations, font preuve d'un savoir-faire et d'une compétence qui garantit la qualité des agneaux qu'ils sélectionnent et abattent ;

qu'en jugeant que la publicité faisant référence à l'origine sisteronaise des agneaux vendus, était mensongère, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

"alors, enfin, et en tout état de cause, qu'en ne constatant pas que les prévenus auraient commis les faits reprochés par imprudence ou négligence bien que l'article 339 de la loi d'adaptation du 16 décembre 1992 exige, désormais, la constatation d'une intention, d'une imprudence ou négligence pour tout délit, intentionnel ou non, la cour d'appel a violé cette disposition et les textes visés au moyen" ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que plusieurs entreprises implantées à Sisteron, ayant pour objet le commerce en gros de carcasses d'agneaux, utilisatrices de l'abattoir public de cette ville, ont fait apposer sur la viande mise par elles sur le marché de la grande distribution des estampilles tendant par leur graphisme ou mentions allusives à indiquer qu'il s'agissait de l'agneau de Sisteron; que ces mêmes entreprises ont distribué à leurs revendeurs des affiches et documents publicitaires laissant croire à l'origine sisteronaise ou alpine de la viande d'agneau qu'elles commercialisent; que leurs dirigeants sont poursuivis pour utilisation d'une indication de provenance inexacte, délit prévu par l'article L. 217-6 du Code de la consommation, ainsi que pour tromperie et publicité de nature à induire en erreur sur l'origine des carcasses d'agneaux ;

Que, pour les déclarer coupables de ces infractions, les juges d'appel retiennent que l'agneau dit de Sisteron, d'une renommée certaine, signifie qu'il a été élevé dans la région de cette ville, des Alpes du Sud et de Haute-Provence alors que les prévenus s'approvisionnaient en ovins provenant pour la plupart d'autres provinces françaises et de pays étrangers, parfois tiers à la Communauté européenne ; qu'ils en déduisent que les intermédiaires et le consommateur final ont été trompé sur l'origine de la viande ; - Attendu qu'en l'état de ces motifs procédant de l'appréciation souveraine, par les juges du fond, du caractère trompeur du marquage et des publicités en cause, et dès lors que l'indication de provenance régionale incriminée n'entre pas dans le champ d'application du règlement CEE 802/68 du 27 juin 1968 relatif à la définition commune de la notion d'origine des marchandises, la cour d'appel a écarté à juste titre la question préjudicielle en interprétation de ce règlement présentée par les prévenus et justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Par ces motifs, rejette les pourvois.