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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 5 février 2016, n° 12-07010

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Daguet, France Contentieux (Sté)

Défendeur :

Fédération du Logement de la Consommation et de l'Environnement d'Ille-et-Vilaine, Confédération Nationale du Logement

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseillers :

Mmes Le Potier, Lefeuvre

Avocats :

Me d'Aboville, SCP Petit Le Dressay & Leclercq, Me Sevestre

TI Rennes, du 12 juill. 2012

12 juillet 2012

EXPOSÉ DU LITIGE

La société France Contentieux, exerçant une activité de recouvrement de créance, a adressé, sur le mandat de la société Laboratoires Biomnis 94 se prétendant créancière de Mme X :

Le 14 octobre 2009, un courrier de mise en demeure,

Le 3 novembre 2009, un " préavis de sommation et d'assignation ",

Le 7 décembre 2009, sous le couvert et la signature de M. Daguet, huissier de justice, un " avis de prise de titre exécutoire ".

Prétendant que ces courriers comportaient des mentions illicites, la Fédération du logement, de la consommation et de l'environnement d'Ille-et-Vilaine (la FLCE 35), association agréée localement pour agir en défense de l'intérêt collectif des consommateurs, a fait assigner la société France Contentieux et M. Daguet devant le Tribunal d'instance de Rennes en cessation de l'utilisation de ces lettres-types.

Par jugement du 12 juillet 2012, le premier juge a :

Déclaré illicite, au regard des dispositions de l'article 4-1° du décret du 18 décembre 1996, l'absence de mention suffisante du caractère amiable du recouvrement poursuivi par la société France Contentieux et M. Daguet,

Déclaré illicite la demande faite au consommateur aux termes des trois lettres-types de régler des sommes légalement indues à titre de dommages et intérêts et/ou de frais de recouvrement,

Déclaré illicites les menaces de poursuites judiciaires et/ou de saisies des biens et des revenus faites aux prétendus débiteurs sur les deux courriers-type de la société France Contentieux,

Constaté que les deux courriers-types de la société France Contentieux contiennent des mentions susceptibles de créer dans l'esprit du consommateur une confusion avec l'exercice de la fonction d'h uissier de justice,

Ordonné en conséquence la cessation de l'utilisation des lettres de même type que les trois courriers en cause en Ille-et-Vilaine par la société France Contentieux et par M. Daguet, dans un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement et, passé ce délai, à peine d'astreinte de 300 euro par manquement constaté,

Condamné in solidum la société France Contentieux et M. Daguet à faire publier un extrait déterminé de la décision dans une édition du samedi du journal Ouest France, toutes éditions d'Ille-et-Vilaine, en caractères gras de corps 16, dans le mois suivant la date à laquelle la décision sera exécutoire, sous astreinte de 1 000 euro par semaine de retard pendant un an,

Dit qu'il liquiderait lui-même des astreintes,

Condamné in solidum la société France Contentieux et M. Daguet au paiement d'une indemnité de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices occasionnées par leur fait à l'intérêt collectif des consommateurs,

Condamné in solidum la société France Contentieux et M. Daguet au paiement d'une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens,

Débouté la FLCE 35 du surplus de ses demandes,

Ordonné l'exécution provisoire du jugement, à l'exception de la mesure de publication.

La société France Contentieux et M. Daguet ont relevé appel de cette décision le 30 août 2012 et la Confédération nationale du logement (la CNL) est intervenue volontairement à la procédure d'appel.

Par conclusions déposées le 28 mai 2013, la société France Contentieux et M. Daguet demandent à la cour de :

Dire la CNL irrecevable en son intervention volontaire et en ses demandes,

Réformer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la mesure de publication d'un extrait de la décision,

Donner acte à la société France Contentieux et à M. Daguet de la modification de leurs courriers,

Dire que la mesure de publication ne se justifie pas,

Débouter la FLCE 35 de ses prétentions,

La condamner au paiement d'une indemnité de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions déposées le 18 avril 2013, la CNL demande quant à elle à la cour de :

Déclarer son intervention recevable,

Confirmer le jugement attaqué,

Y ajoutant, condamner solidairement la société France Contentieux et M. Daguet à faire publier un extrait du jugement attaqué dans les journaux Le Monde, Le Figaro, Libération, L'Humanité et dans les magasines Le Point, Le Nouvel Observateur, L'Express, toutes éditions, en caractères gras de corps 16, ce dans les 15 jours de la signification de l'arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard pendant un mois,

Condamner solidairement la société France Contentieux et M. Daguet à payer à la CNL une somme de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts,

Débouter la société France Contentieux et M. Daguet de leurs demandes,

Condamner solidairement la société France Contentieux et M. Daguet à payer à la CNL une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

La FLCE 35 a constitué avocat mais n'a pas conclu.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il sera fait référence aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Aux termes l'article 554 du Code de procédure civile, un tiers à la procédure de première instance peut intervenir volontairement à l'instance d'appel pourvu qu'il y ait intérêt, mais ces dispositions ne lui permettent de soumettre à la cour un litige nouveau en demandant des condamnations personnelles que lorsque celles-ci procèdent directement des prétentions originaires et tendent aux mêmes fins.

En l'occurrence, la CNL, association agréée au plan national pour agir en vue de la défense des intérêts des consommateurs, a bien intérêt à intervenir devant la cour afin de solliciter la confirmation d'un jugement ayant, sur l'action d'une association locale de consommateurs, demandé et obtenu la cessation de diffusion de courriers-types illicites susceptibles de créer une confusion dans l'esprit des consommateurs entre une réclamation amiable et l'engagement de poursuites judiciaires ou de voies d'exécution ainsi que la publication de la décision attaquée dans un organe de la presse régional.

Elle est également recevable à demander à la cour d'étendre cette mesure de publication à des organes de la presse nationale, cette demande n'étant pas nouvelle puisque cette demande tend aux mêmes fins que la prétention de même nature originaire.

De même, dès lors que la FLCE 35 a demandé au premier juge la réparation du préjudice collectif causé au plan local par les agissements illicites de la société France Contentieux et M. Daguet à l'intérêt collectif des consommateurs, l'intervention en cause d'appel de la CNL poursuivant la réparation du préjudice causé au plan national par les mêmes agissements à l'intérêt collectif des consommateurs ne soumet pas à la cour un litige nouveau.

L'intervention volontaire la CNL est donc recevable.

En revanche, ses demandes ne sont pas fondées, dès lors que rien ne démontre que les courriers-types jugés illicites par le premier juge aient été utilisés à l'extérieur du département de l'Ille-et-Vilaine, que dès lors la mesure de publication de la décision attaquée dans la presse nationale ne constitue pas une mesure réparatoire adéquate, et que de même la CNL n'établit pas qu'il a été porté à l'intérêt collectif des consommateurs un préjudice distinct de celui-ci déjà intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 euro à la FLCE 35.

Ces demandes additionnelles seront donc rejetées.

D'autre part, bien que la société France Contentieux sollicite, dans le dispositif de ses conclusions, le débouté de la FLCE 35 de l'ensemble de ses prétentions, elle n'invoque en réalité de moyens exprès de réformation qu'en ce qui concerne la condamnation sous astreinte à publier le jugement dans le journal Ouest-France.

Étant observé que, par des motifs exempts de critiques, le premier juge a relevé que les trois courriers-types devaient être déclarés illicites au regard des article R. 124-3 et L. 111-8 du Code des procédure civiles d'exécution ainsi que 1153 du Code civil, les deux premiers étant en outre illicites comme comportant des menaces de poursuites judiciaires et de saisies et comme étant susceptibles de créer dans l'esprit du consommateur une confusion entre l'exercice de l'activité par une société de recouvrement et celui de la fonction d'huissier de justice, il convient donc de confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a ordonné la cessation de l'utilisation de ces courriers-types et condamné la société France Contentieux et M. Daguet au paiement des sommes de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs et de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour s'opposer à la mesure de publication, les appelants font valoir qu'elle ne serait admissible que pour réparer un préjudice moral consécutif à l'atteinte à un droit de la personne étranger à la présente espèce, et non en vue de l'information de tiers.

Il résulte pourtant des dispositions de l'article L. 421-9 du Code de la consommation que la juridiction saisie par une association de consommateurs agréée d'une action en cessation d'agissements illicites sur le fondement de l'article L. 421-6 du même Code peuvent ordonner la diffusion par tous moyens appropriés de l'information au public du jugement rendu aux frais de la partie qui succombe.

D'autre part, l'interdiction de poursuivre la diffusion des courriers ne rend pas sans objet cette mesure de publication, dès lors que celle-ci sera de nature à porter à la connaissance des consommateurs ayant auparavant reçu ces lettres le caractère illicite de leur contenu.

Il convient donc de confirmer également cette disposition critiquée du jugement attaqué, sauf à préciser que l'extrait à publier commencera par "par jugement en date du 12 juillet 2012 confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Rennes du du 5 février 2016 ..." (le reste sans changement) et à dire que l'astreinte de 1 000 euro par semaine de retard courra à expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt.

Il n'y a pas matière à application de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de quiconque devant la cour.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare l'intervention volontaire de la Confédération nationale du logement recevable, Confirme le jugement rendu le 12 juillet 2012 par le Tribunal d'instance de Rennes en toutes ses dispositions, sauf à préciser que l'extrait à publier commencera par " par jugement en date du 12 juillet 2012 confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 5 février 2016 " (le reste sans changement) et à dire que l'astreinte de 1 000 euro par semaine de retard courra à expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, Dit n'y avoir lieu à publication sous astreinte du jugement attaqué dans les journaux Le Monde, Le Figaro, Libération, L'Humanité et dans les magasines Le Point, Le Nouvel Observateur et L'Express, Rejette la demande en paiement de dommages-intérêts formée par la Confédération nationale du logement, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la société France Contentieux et M. Daguet aux dépens d'appel.