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Décisions

CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 26 janvier 2016, n° 14-02040

BESANÇON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Distribution Casino France (SAS)

Défendeur :

Sobedis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mazarin

Conseillers :

M. Marcel, Mme Chiaradia

Avocats :

Mes Fourgoux, Hennemann Rosselot, Robert

T. com. Besançon, du 1er sept. 2014

1 septembre 2014

Faits, procédure et prétentions des parties

La SAS Distribution Casino France, qui exploite un hypermarché sur la commune de Chateaufarine (25), a diffusé d'avril à juin 2104 une publicité comparant les prix pratiqués sur plusieurs produits dans son point de vente avec ceux pratiqués dans l'hypermarché exploité à Besançon par la SA Sobedis sous l'enseigne Super-U.

Considérant que cette publicité comparative était illicite, la SA Sobedis a fait assigner la SAS Distribution Casino France devant le Tribunal de commerce de Besançon aux fins de voir déclarer la société défenderesse responsable de faits de concurrence déloyale et :

- ordonner l'interdiction de la diffusion de la publicité litigieuse sous astreinte de 5 000 euro par jour de retard à compter du jugement à intervenir,

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans la presse,

- condamner la société défenderesse à lui payer les sommes de 200 000 euro à titre de dommages intérêts outre les intérêts au taux légal à compter du jour du jugement à intervenir, et de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision.

Par jugement contradictoire du 1er septembre 2014 le Tribunal de commerce de Besançon a :

- ordonné l'interdiction de la diffusion de la publicité litigieuse sous astreinte de 5 000 euro par jour de retard à compter de la signification du jugement,

- ordonné la publication du jugement dans la presse,

- condamné la société défenderesse à payer à la SA Sobedis les sommes de 20 000 euro à titre de dommages intérêts outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, et de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration du 18 septembre 2014, la SAS Distribution Casino France a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières écritures, déposées le 10 novembre 2015, auxquelles il échet de se reporter pour un complet exposé de ses moyens, elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter la SA Sobedis de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner à lui verser la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de Maître Hennemann-Rossselot conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

En réponse, dans ses dernières conclusions déposées le 25 juin 2015, auxquelles il y a lieu de se référer pour un énoncé exhaustif de ses moyens, la SA Sobedis sollicite la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société appelante à lui verser la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de la Scp Terryn-Aitali-Robert-Mordefroy conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2015.

Motifs de la décision

- Sur la publicité comparative

Attendu que pour juger du caractère licite ou illicite de la publicité comparative réalisée par la SAS Distribution Casino France, il convient de faire application des dispositions des articles L. 121-8 et suivants du Code de la consommation ; que cette législation résultant de la transposition en droit interne de plusieurs directives européennes, dont celles en date des 6 octobre 1997 et 11 mai 2005, il échet pour son interprétation de se référer à la jurisprudence rendue en la matière par la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la CJUE) ;

Attendu qu'il s'évince des textes susvisés que la publicité comparative peut porter sur un ou plusieurs biens ou services ; qu'aux termes de la jurisprudence de la CJUE "le choix du nombre des comparaisons auxquelles l'annonceur souhaite procéder entre les produits qu'il offre et ceux qu'offrent ses concurrents relève de sa liberté économique ; qu'une éventuelle obligation de circonscrire chaque comparaison de prix au prix moyen des produits offerts par l'annonceur et des produits concurrents serait contraire aux objectifs du législateur communautaire" (affaire 44/01 arrêt du 8 avril 2003) ;

Attendu que dans une autre décision rendue le 18 novembre 2010, la CJUE a toutefois fixé une limite à la liberté de l'annonceur, laquelle fait écho au 1° de l'article L. 121-8 du Code précité qui dispose que la publicité comparative n'est licite que si elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ; que dans son arrêt la Cour considère en effet que "la publicité litigieuse peut revêtir un caractère trompeur s'il est constaté que la décision d'achat d'un nombre significatif de consommateurs auxquelles elle s'adresse est susceptible d'être prise dans la croyance erronée que la sélection de produits opérée par l'annonceur est représentative du niveau général des prix de ce dernier par rapport à celui pratiqué par son concurrent et que, dès lors, les consommateurs réaliseront des économies de l'ordre vanté par cette publicité..."; qu'en d'autres termes l'annonceur conserve sa liberté du choix des produits pour autant que le message transmis aux consommateurs par la publicité comparative ne laisse pas croire à ceux-ci que ses prix sont globalement moins chers que ceux de son concurrent ; que s'il souhaite faire cette démonstration, l'annonceur se doit alors de constituer "un panier représentatif" ;

Attendu que dans la présente affaire il est établi que la publicité comparative portait sur 39 produits de marques nationales ayant un code barre national ; que la liste desdits produits est annexé au procès-verbal de constat dressé le 17 avril 2014 par un huissier de justice et ce, à l'initiative de la SAS Distribution Casino France ; qu'il s'ensuit que l'exigence posée par le 2° de l'article L. 121-8 du Code de la consommation est satisfaite en ce que la publicité comparative portait sur des biens "répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif" ;

Attendu que le caractère trompeur de la publicité comparative, invoqué par la SA Sobedis, résulte des photographies d'affiches prises dans le point de vente Casino à Châteaufarine et produites aux débats ; qu'en effet il est inscrit sur ces affiches en gros caractères le slogan suivant: "ici c'est moins cher" ; que ce message est accompagné de la photographie d'un caddy rempli de produits et de l'indication du coût total des articles, d'une part dans le magasin Casino et, d'autre part, dans celui de Super-U ; que ces affiches ne précisent pas que la comparaison n'a été en réalité établie que sur la base 39 références ;

Attendu que le caractère général du message contenu dans ces affiches ne peut qu'inciter les consommateurs à penser que la magasin Casino de Chateaufarine est globalement moins cher que son concurrent, le magasin Super-U ; qu'eu égard à la jurisprudence susmentionnée cette publicité comparative apparaît comme trompeuse dès lors que le panel des produits retenus n'est en rien représentatif ; qu'il y manque en effet des produits alimentaires de base (huile, vinaigre, riz, boites de conserve de légumes...), des produits d'hygiène et des produits d'entretien ; que ce "panier" ne peut donc valablement prétendre être représentatif du "caddy" du consommateur moyen ;

Attendu qu'il peut également être observé sur certaines photographies que la publicité litigieuse est mixée avec une campagne nationale diffusée dans tous les points de vente Casino, laquelle affirme que ce distributeur garantit les prix les plus bas sur 10 000 produits ; que ce mixage des publicités conduit indubitablement à la porosité de leurs messages, phénomène engendrant nécessairement la confusion dans l'esprit des consommateurs ; qu'une telle confusion transparaît dans le slogan même de l'affiche : "Géant Casino Besançon Chateaufarine garantit les prix les plus bas sur 5 000 produits. La preuve : un exemple dans un chariot constitué d'une sélection de 39 produits de marques nationales'"

Attendu que la société Sobedis conteste aussi le caractère objectif de la publicité comparative et met en exergue les insuffisances du procès-verbal dressé le 17 avril 2014 ; qu'elle fait en effet grief à l'huissier instrumentaire de ne pas avoir personnellement vérifié la présence dans les rayons du magasin des produits retenus et de ne pas avoir relevé le code barre pour chacun des articles ; quelle fait encore remarquer que le libellé des tickets de caisse ne permet pas davantage de s'assurer de la similitude des produits (absence de mentions relativement au poids, à la contenance ...) ;

Attendu que la SAS Distribution n'apporte aucune réponse à ces diverses critiques, au demeurant pertinentes, alors qu'aux termes de l'article L. 121-12 "l'annonceur pour le compte duquel la publicité comparative est diffusée doit être en mesure de prouver, dans un bref délai, l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité" ;

Attendu qu'il convient en conclusion de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la publicité comparative diffusée d'avril à juin 2014 par la SAS Distribution Casino France était trompeuse ; qu'il s'ensuit qu'elle doit être qualifiée, en application de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, de publicité comparative illicite ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont ordonné l'interdiction de sa diffusion sous astreinte et la publication de la décision critiquée par voie de presse ;

Attendu ensuite qu'il ne peut être sérieusement contesté que cette publicité comparative trompeuse a causé un préjudice financier à la société Sobédis ; que celle-ci est bien fondée à en solliciter la réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que la juridiction consulaire a fixé à la somme de 20 000 euro le montant à allouer à la société intimée à titre de dommages-intérêts ; qu'eu égard à la durée de cette campagne publicitaire et à son impact évident sur les consommateurs, il y a lieu d'approuver cette disposition de la décision ;

- Sur les mesures accessoires

Attendu qu'il convient de confirmer la décision querellée en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ;

Attendu que la SAS Distribution Casino France qui succombe à hauteur de cour sera condamnée à payer à la SA Sobedis la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel, lesdites condamnations emportant nécessairement rejet de ses propres demandes faites à ces titres ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Confirme dans toutes ses dispositions le jugement rendu 1er septembre 2014 par le Tribunal de commerce de Besançon. Et y ajoutant, Déboute la SAS Distribution Casino France de sa demande formée en application de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamne, sur ce même fondement, à payer à la SA Sobedis la somme de trois mille euros (3 000 euro). Condamne la SAS Distribution Casino France aux dépens avec le droit pour la SCP Terryn-Attali-Robert-Mordefroy, avocats, de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.