Livv
Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 29 janvier 2016, n° 15-00089

POITIERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo (SAS)

Défendeur :

Gondouin (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Potée

Conseillers :

Mmes Contal, Caillard

Avocats :

Mes Gallet, Léopold-Couturier, Lample-Opere, Bodin

TGI La Rochelle, du 2 déc. 2014

2 décembre 2014

Exposé du litige et de la procédure

Selon bons de commande des 13 janvier 2006 et 30 mars 2006, M. et Mme Gondouin ont commandé à la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo, au prix de 36 100 euro, divers meubles (canapé, fauteuils, tables, buffet, chaises et bouts de table).

Se plaignant d'un décollement à la jonction des pieds et du dossier de l'une des quatre chaises vendues, apparu courant octobre 2009, les époux Gondouin, après qu'une expertise amiable ait été réalisée, ont sollicité une expertise judiciaire qui a été ordonnée le 31 mai 2011.

Après dépôt du rapport d'expertise judiciaire le 25 septembre 2012, ils ont fait assigner la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo devant le Tribunal de grande instance de La Rochelle aux fins d'obtenir la résolution de la vente de l'ensemble des meubles commandés en 2006 et des dommages et intérêts pour résistance abusive.

Par jugement du 2 décembre 2014 auquel il est référé pour l'exposé du litige et de la procédure antérieure, le tribunal a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- prononcé la résolution de la vente portant sur les quatre chaises, le buffet contemporain et les bouts de table,

- condamné la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo à verser aux époux Gondouin la somme de 18 680 euro,

- condamné les époux Gondouin à restituer les meubles objets de la résolution à la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo aux frais de cette société, après ou concomitamment au règlement des condamnations prononcées,

- condamné la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo à verser aux époux Gondouin la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- condamné la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo au paiement d'une indemnité de 4000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens incluant les frais d'expertise judiciaire.

La Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo a régulièrement formé appel le 9 janvier 2015 de la décision dont elle sollicite la réformation dans ses dernières conclusions du 2 novembre 2015, demandant à la cour de :

- à titre principal, déclarer irrecevables les époux Gondouin en leur action car prescrite,

- à titre subsidiaire, débouter les époux Gondouin de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour retenait l'existence d'un vice caché, lui donner acte qu'elle n'est pas opposée à procéder au remplacement des 4 chaises,

- à titre encore infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour prononçait la résolution de la vente pour les 4 chaises, dire et juger que la restitution du prix de vente est limitée à la somme de 3 280 euro, valeur des 4 chaises,

- ordonner la remise des 4 chaises par les époux Gondouin à la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo à la date du règlement d'une éventuelle condamnation à intervenir,

- condamner solidairement les époux Gondouin aux dépens et au paiement à la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo d'une somme de 2000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. et Mme Gaudouin demandent à la cour, par dernières conclusions du 3 septembre 2015, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil, de :

- déclarer irrecevable comme mal fondée la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo en son appel et ses demandes,

En conséquence,

- la débouter intégralement de ses demandes,

- confirmer le jugement rendu le 2 décembre 2014 par le Tribunal de grande instance de La Rochelle en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente et octroyé des dommages intérêts aux époux Gondouin,

- réformer la décision quant aux sommes allouées,

- dire et juger que la résolution portera sur l'intégralité du mobilier,

- condamner la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo à restituer aux époux Gondouin la somme de 36 100 euro TTC,

- la condamner à leur verser une somme de 5 000 euro de dommages intérêts en réparation des préjudices subis,

A titre subsidiaire,

- dire et juger que la résolution de la vente portera sur les chaises, le buffet et les bouts de table et condamner la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo à restituer la somme de 18 680 euro,

En tout état de cause

- dire et juger qu'ils restitueront les meubles concernés par la résolution après avoir reçu de la part de la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo le règlement des condamnations prononcées,

- condamner la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo à verser la somme de 4 000 euro au visa de l'article 700 du CPC pour les frais d'appel,

- confirmer le jugement qui a octroyé cette même somme pour les frais irrépétibles de première instance

- condamner la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais de l'expertise judiciaire.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 12 novembre 2015.

Motifs de la décision

Sur la prescription

M. et Mme Gondouin exercent l'action en garantie des vices cachés qui, en application de l'article 1648 alinéa 1 du Code civil, doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

En vertu des articles 2241 et 2242 du même Code, dans leur rédaction résultant de la loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008, la demande en justice même en référé interrompt le délai de prescription, et l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance. L'article 2231 du Code civil également issu de la loi du 17 juin 2008 précise que l'interruption efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien. Enfin, l'article 2239 du même code énonce que la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès et que le délai de prescription recommence à courir pour au moins six mois à compter du jour où la mesure a été exécutée.

En l'espèce, c'est à tort que la société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo soutient en s'appuyant sur le rapport d'expertise judiciaire que les époux Gondouin ont nécessairement découvert le prétendu vice au moment de la réception des chaises en juillet 2006, et en déduisent que l'action serait prescrite, le juge des référés n'ayant été saisi que par acte du 9 février 2011.

En effet, si l'expert judiciaire indique que le désordre affectant les chaises, lié au fait que les dossiers et la ceinture sont mal fixés sur le piétement arrière dont ils se détachent, résulte d'un défaut de conception qui existait à la vente, et qu'il n'est pas possible de s'asseoir sur ces chaises qui ne peuvent que s'effondrer sous la charge, il souligne aussi que ce vice n'était pas visible à la vente.

Il s'en évince que les acheteurs ne pouvaient s'apercevoir de ce vice lors de l'achat et que le défaut de conception, tout en étant antérieur à la vente, n'a entraîné le désordre c'est à dire le décollement à la jonction des pieds et du dossier qu'après un usage prolongé des chaises.

C'est donc à tort que l'appelante déduit du rapport d'expertise judiciaire que dès la livraison du mobilier le 6 juillet 2006, il aurait été impossible de s'asseoir sans que les chaises s'effondrent, ce que l'expert ne dit aucunement, son constat du risque d'effondrement des chaises étant effectué au jour de l'expertise, et visant à répondre à la question de la gravité du vice.

Il ressort par ailleurs des pièces produites que les époux Gondoin ont signalé par courrier du 28 octobre 2009 que l'une des quatre chaises était hors d'usage et que les trois autres risquaient de suivre compte tenu de leur état actuel. Aucune pièce n'établit que le vice aurait été découvert avant cette date. En outre, c'est seulement le rapport d'expertise amiable déposé le 6 septembre 2010 qui a révélé que ce désordre résultait d'un défaut de conception et qu'il s'agissait donc d'un vice antérieur à la vente.

Le délai de deux ans prévu par l'article 1648 du Code civil court donc à compter du 6 septembre 2010 et a été interrompu par l'assignation en référé-expertise délivrée le 9 février 2011 sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile. En application des dispositions susvisées, un nouveau délai de deux ans a commencé à courir à compter de l'extinction de l'instance en référé, soit le 31 mai 2011 date de l'ordonnance, et ce délai a été suspendu jusqu'au dépôt du rapport le 25 septembre 2012.

L'assignation au fond ayant été délivrée le 27 juin 2014, moins de deux ans plus tard, la prescription n'est pas acquise et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le vice caché et ses conséquences

En vertu de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui en diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

En l'espèce, il résulte clairement des constatations de l'expert que les chaises sont atteintes d'un défaut de conception lié au fait que la fixation entre les piètements et le dossier est assurée par collage et vissage et que l'assemblage ainsi formé n'est pas assez résistant du fait du profil des piètements trop fins et des filets de la vis qui ne s'insèrent pas suffisamment dans le bois. Il s'agit donc d'un vice antérieur à la vente et l'expert indique aussi expressément qu'il n'était pas visible lors de la vente et qu'il rend la chose impropre à son usage puisqu'il est impossible de s'asseoir sur les chaises qui ne peuvent que s'effondrer sous la charge et que ne peut être envisagée une réparation solide et durable du mobilier du fait de la conception erronée des modèles.

Les constatations de l'expert caractérisent donc bien le lien de causalité entre le vice de conception constaté et le désordre, contrairement à ce que prétend l'appelante, qui n'établit au surplus pas que M. et Mme Gondouin auraient procédé à un usage anormal des chaises pendant trois ans.

En conséquence, les intimés sont fondés en application de l'article 1644 du Code civil à solliciter de rendre la chose viciée et de se faire restituer le prix.

Le tribunal a prononcé la résolution de la vente portant sur le buffet, les quatre chaises et les deux bouts de table qui ont été commandés en même temps le 15 mai 2006, après avoir relevé que la commande était indissociable.

L'appelante demande à titre subsidiaire que la résolution soit limitée aux chaises alors que les intimés sollicitent qu'elle soit étendue à l'autre commande passée le 25 janvier 2006 portant sur un canapé, deux fauteuils, une table de repas et une table basse.

Ainsi que l'ont jugé les premiers juges, il n'est aucunement établi que les meubles de la commande du 25 janvier 2006 seraient indissociables des chaises affectées d'un vice caché et il n'y a pas lieu de prononcer la résolution de la vente des meubles commandés le 25 janvier 2006. Le jugement sera confirmé de ce chef.

S'agissant du buffet commandé en même temps que les chaises, aucun vice caché n'est allégué. S'il est exact que le libellé de la commande révèle une certaine harmonie de coloris avec les chaises, cet élément est insuffisant, notamment en l'absence de photographies, pour établir le caractère indissociable entre le buffet et les chaises et en déduire la résolution de la vente du buffet. Le jugement sera infirmé de ce chef.

S'agissant des deux " bouts de table ", dont l'appelante ne conteste pas en page 7 de ses écritures qu'il s'agit de fauteuils, il ressort de la photographie figurant en page 8 du rapport d'expertise que ceux-ci sont identiques aux chaises, à l'exception de la présence d'accoudoirs. Ils forment bien avec les chaises un ensemble harmonieux et indissociable.

En outre et surtout, il ressort du rapport d'expertise que même s'ils sont " un peu plus " solides du fait de la présence des accotoirs et accoudoirs, ils présentent les mêmes défauts que les chaises. L'expert conclut d'ailleurs en indiquant que la construction des meubles est " défectueuse autant pour les chaises que pour les fauteuils " et que le mobilier acheté est inutilisable en l'état.

Ces meubles sont donc aussi affectés d'un vice caché et la résolution sera prononcée pour la vente des quatre chaises et des deux bouts de table, soit un total selon la commande produite, de 4 880 euro.

Le jugement déféré a justement retenu que la société Diffusion des Ebénéistes Contemporains Roméo, en sa qualité de vendeur professionnel, était réputée connaître les vices de la chose, s'agissant en outre de meubles fabriqués sur commande dans les ateliers de cette société et affectés d'un vice de conception.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la résistance abusive de la société Diffusion des Ebénéistes Contemporains Roméo qui a été sollicitée dès octobre 2009 par ses acheteurs pour trouver une solution amiable et s'y est refusée, exposant ceux-ci à des frais et tracasseries. Le préjudice subi par les époux Gondouin a été justement évalué à la somme de 2 000 euro.

Sur les autres demandes

Le jugement entrepris sera confirmé s'agissant des dépens et frais irrépétibles.

L'appelante sera condamnée aux dépens d'appel et au paiement aux intimés d'une indemnité complémentaire de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Infirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente portant sur le buffet contemporain et condamné la société Diffusion des Ebénéistes Contemporains Roméo à verser à M. Bernard Gondouin et son épouse Mme Geneviève Kurkdjian la somme de 18 680 euro ; Statuant à nouveau de ces seuls chefs, Prononce la résolution de la vente portant sur les quatre chaises et les bouts de table ; Condamne la Société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo à verser aux époux Gondouin la somme de 4 880 euro ; Confirme le jugement pour le surplus ; Condamne la société Diffusion des Ebénéistes Contemporains Roméo à verser à M. Bernard Gondouin et son épouse Mme Geneviève Kurkdjian une indemnité complémentaire de 1 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne la société Diffusion des Ebénéistes Contemporains Roméo aux dépens.